⁢h. une action animée par la force politique de l’eucharistie

Comme dit et répété dès le départ, clercs et religieux n’ont pas, sauf dans certains cas particuliers évoqués, de responsabilité directe dans l’animation de l’ordre temporel. Mais tout indirect qu’il soit, leur rôle est éminent, indispensable et irremplaçable : celui d’enseigner et de soutenir le laïcat. Lui rappeler sa mission essentielle, lui enseigner la doctrine sociale, l’inviter à une vie spirituelle intense et le soutenir spirituellement grâce aux sacrements et en particulier par l’eucharistie qui, incontestablement, possède une force politique.

Le cardinal Henri Schwery rappelle que « le dimanche a été imposé à L’Europe par l’histoire. Son origine est spécifiquement chrétienne : le jour consacré au Seigneur n’est plus le septième jour, mais le premier jour de la semaine. Le jour où la plus terrible énigme naturelle, la mort, a été vaincue par la Résurrection de jésus. En elle se fonde notre espérance, et sans elle notre foi serait vaine, vide, absurde. (cf. 1 Co 15, 14). » Il précise que

« l’espérance n’est pas seulement orientée vers Dieu comme objet ultime, définitif dans l’au-delà. Elle l’est précisément parce qu’elle s’enracine dès ici-bas en lui, comme source et nourriture. Il faut donc cultiver le « mémorial » du Christ. A commencer par le mémorial par excellence, la célébration de l’Eucharistie. » Ce « mémorial » n’est pas une simple invitation à nous souvenir mais aussi et surtout une « actualisation, c’est-à-dire une proclamation des événements de sorte que ceux-ci deviennent présents et actuels. »[1]

Benoît XVI a expliqué cette « actualisation », une réalité trop méconnue, en mettant en évidence les implications sociales du mystère eucharistique.⁠[2]

L’eucharistie nous rend missionnaires : « nous ne pouvons nous approcher de la Table eucharistique sans nous laisser entraîner dans le mouvement de la mission qui, prenant naissance dans le cœur de dieu, veut rejoindre tous les hommes. »[3] Nous acquérons un dynamisme qui nous pousse à témoigner, à la limite, jusqu’au martyre⁠[4], que Jésus est l’unique Sauveur : « cela évitera de réduire à un aspect purement sociologique l’œuvre déterminante de promotion humaine, qui est toujours impliquée dans tout processus authentique d’évangélisation. »[5]. En communiant au Corps et au Sang du Christ, nous sommes invités « à être, avec Jésus, pain rompu pour la vie du monde » c’est-à-dire à nous « engager pour un monde plus juste et plus fraternel. »[6] « Par le mémorial de son sacrifice, il renforce la communion entre les frères et, en particulier, il pousse ceux qui sont en conflit à hâter leur réconciliation en s’ouvrant au dialogue et à l’engagement pour la justice. Il est hors de doute que la restauration de la justice, la réconciliation et le pardon sont des conditions pour bâtir une paix véritable.[7] De cette conscience naît la volonté de transformer aussi les structures injustes pour restaurer le respect de la dignité de l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. C’est au moyen du développement concret de cette responsabilité que l’Eucharistie devient dans la vie ce qu’elle signifie dans la célébration. »[8] Communier au Corps du Christ n’est donc pas un geste anodin mais un geste lourd de conséquences : « Celui qui participe à l’Eucharistie doit en effet s’engager à construire la paix dans notre monde marqué par beaucoup de violences et de guerres, et aujourd’hui de façon particulière, par le terrorisme, la corruption économique et l’exploitation sexuelle ».[9] « C’est précisément en vertu du Mystère que nous célébrons qu’il nous faut dénoncer les situations qui sont en opposition avec la dignité de l’homme, pour lequel le Christ a versé son sang, affirmant ainsi la haute valeur de toute personne. »[10]« La nourriture de la vérité nous pousse à dénoncer les situations indignes de l’homme, dans lesquelles on meurt par manque de nourriture en raison de l’injustice et de l’exploitation, et elle nous donne des forces et un courage renouvelés pour travailler sans répit à l’édification de la civilisation de l’amour. »[11] « Le mystère de l’Eucharistie nous rend aptes et nous pousse à un engagement courageux dans les structures de notre monde, pour y apporter la nouveauté de relations qui a sa source inépuisable dans le don de Dieu. »[12] « Enfin, pour développer une spiritualité eucharistique profonde, capable aussi de peser significativement sur le tissu social, il est nécessaire que le peuple chrétien, qui rend grâce par l’Eucharistie, ait conscience de le faire au nom de la création tout entière, aspirant ainsi à la sanctification du monde et travaillant intensément à cette fin. »[13]

L’eucharistie est aussi, comme nous allons le voir, fondement de notre espérance.


1. SCHWERY H., Faut-il restaurer l’Europe ?, Saint-Augustin, 2007, pp. 310-311. Le cardinal s’appuie sur 1 Co 10, 16 et 11, 23-24.
2. Exhortation apostolique post-synodale, Sacramentum caritatis 2007, notamment les numéros 82-92.
3. Id., n° 84.
4. Id., n° 85.
5. Id., n° 86.
6. Id., n° 88.
7. XIe Assemblée générale ordinaire du Synode des Evêques, Instrumentum laboris, liste finale des propositions, 22 octobre 2005, proposition 48.
8. Sacramentum caritatis, op. cit., n° 89.
9. Instrumentum laboris, op. cit., proposition 48.
10. Sacramentum caritatis, n° 89.
11. Id., n° 90.
12. Id., n° 91.
13. Instrumentum laboris, op. cit., proposition 43 ; Sacramentum caritatis, n° 92.