⁢f. La mission spécifique du laïcat

S’il faut distinguer mais non séparer les matières et les domaines d’action, il ne faut pas non plus confondre les rôles. En effet, la mission de tout chrétien ne s’exerce pas de manière unique mais selon l’état de vie de chacun⁠[1]. Ainsi, même si « les laïcs peuvent encore, de diverses manières, être appelés à coopérer plus immédiatement avec l’apostolat hiérarchique »[2], « les laïcs sont appelés tout spécialement à assurer la présence et l’action de l’Église dans les lieux et les circonstances où elle ne peut devenir autrement que par eux le sel de la terre »[3] C’est à eux que « reviennent en propre, quoique non exclusivement, les professions et les activités séculières. Lorsqu’ils agissent, soit individuellement, soit collectivement, comme citoyens du monde, ils auront donc à cœur, non seulement de respecter les lois propres à chaque discipline, mais d’y acquérir une véritable compétence. Ils aimeront collaborer avec ceux qui poursuivent les mêmes objectifs qu’eux. Conscients des exigences de leur foi et nourris de sa force, qu’ils n’hésitent pas, au moment opportun, à prendre de nouvelles initiatives et à en assurer la réalisation. C’est à leur conscience, préalablement formée, qu’il revient d’inscrire la loi divine dans la cité terrestre »[4].

A cet endroit, Gaudium et spes reprend l’enseignement de Lumen gentium qui déclarait déjà que « la vocation propre des laïcs consiste à chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses temporelles qu’ils ordonnent selon Dieu. Ils vivent au milieu du siècle, c’est-à-dire engagés dans tous les divers devoirs de la vie familiale et sociale dont leur existence est comme tissée. A cette place, ils sont appelés par Dieu pour travailler comme du dedans à la sanctification du monde, à la façon d’un ferment, et en exerçant leurs propres charges sous la conduite de l’esprit évangélique, et pour manifester le Christ aux autres avant tout par le témoignage de leur vie, rayonnant de foi, d’espérance et de charité. C’est à eux qu’il revient, d’une manière particulière, d’éclairer et d’orienter toutes les réalités temporelles auxquelles ils sont étroitement unis, de telle sorte qu’elles se fassent et prospèrent constamment selon le Christ et soient à la louange du Créateur et Rédempteur »[5].

Le décret sur l’apostolat des laïcs le répétera encore une fois : « Les laïcs doivent assumer comme leur tâche propre le renouvellement de l’ordre temporel. Eclairés par la lumière de l’Évangile, conduits par l’esprit de l’Église, entraînés par la charité chrétienne, ils doivent en ce domaine agir par eux-mêmes d’une manière bien déterminée. membres de la cité, ils ont à coopérer avec les autres citoyens suivant leur compétence particulière en assumant leur propre responsabilité et à chercher partout et en tout la justice du royaume de Dieu. L’ordre temporel est à renouveler de telle manière que, dans le respect de ses lois propres et en conformité avec elles, il devienne plus conforme aux principes supérieurs de la vie chrétienne et soit adapté aux conditions diverses des lieux, des temps et des peuples. Parmi les tâches de cet apostolat l’action sociale chrétienne a un rôle éminent à jouer. le Concile désire la voir s’étendre aujourd’hui à tout le secteur temporel sans oublier le plan culturel. »⁠[6]

Telle est la tâche propre des laïcs⁠[7] qui se trouvent ainsi, selon le mot de Pie XII « aux premières lignes de la vie de l’Église »[8].

Tâche propre mais non exclusive⁠[9] précise GS. Les tâches d’enseignement et les œuvres caritatives sont effet dans le prolongement direct de la mission de l’Église tout entière, « mère et éducatrice des peuples ». Mais pour ce qui est des autres tâches temporelles, on ne peut guère admettre, pour les clercs, qu’un rôle supplétif et temporaire exceptionnel et toujours soumis à l’autorité supérieure.

Vis-à-vis des « activités séculières », la tâche ordinaire des clercs est peut-être d’éclairer, de former, de conseiller, quand ils sont seuls au courant de la doctrine sociale chrétienne⁠[10], mais surtout et toujours de nourrir et soutenir spirituellement les laïcs engagés. « qu’ils attendent des prêtres, souhaite le Concile, lumières et forces spirituelles. qu’ils ne pensent pas pour autant que leurs pasteurs aient une compétence telle qu’ils puissent leur fournir une solution concrète et immédiate à tout problème, même grave, qui se présente à eux, ou que telle soit leur mission. Mais, éclairés par la sagesse chrétienne, prêtant fidèlement attention à l’enseignement du magistère, qu’ils prennent eux-mêmes leurs responsabilités »[11].

Le texte précise encore : « Quant aux évêques, qui ont reçu la charge de diriger l’Église de Dieu, qu’ils prêchent avec leurs prêtres le message du Christ de telle façon que toutes les activités terrestres des fidèles puissent être baignées de la lumière de l’Évangile. En outre, que tous les pasteurs se souviennent que, par leur comportement quotidien et leur sollicitude, ils manifestent au monde un visage de l’Église d’après lequel les hommes jugent de la force et de la vérité du message chrétien. Par leur vie et par leur parole, unis aux religieux et à leurs fidèles, qu’ils fassent ainsi la preuve que l’Église, par sa seule présence, avec tous les dons qu’elle apporte, est une source inépuisable de ces énergies dont le monde d’aujourd’hui a le plus grand besoin. qu’ils se mettent assidûment à l’étude, pour être capables d’assumer leurs responsabilités dans le dialogue avec le monde et avec les hommes de toute opinion. Mais surtout, qu’ils gardent dans leur cœur ces paroles du Concile : « Parce que le genre humain, aujourd’hui de plus en plus, tend à l’unité civile, économique et sociale, il est d’autant plus nécessaire que les prêtres, unissant leurs préoccupations et leurs moyens sous la conduite des évêques et du Souverain Pontife, écartent tout motif de dispersion pour amener l’humanité entière à l’unité de la famille de Dieu » (LG 28). »⁠[12]


1. On peut ici rappeler la doctrine de l’Église comme « Corps mystique du Christ », telle qu’elle est, par exemple, rappelée dans la Constitution dogmatique Lumen gentium au Concile Vatican II (n° 7) : « …​ comme tous les membres du corps humain, malgré leur multiplicité, ne forment cependant qu’un seul corps, ainsi les fidèles dans le Christ(cf. 1 Cor. 12,12) ». Mais, comme dans le corps, tous les membres n’ont pas le même rôle, « dans l’édification du Corps du Christ règne également une diversité de membres et de fonctions ». Sur la distinction entre clercs et laïcs, leurs rôles spécifiques et les dangers des interférences, on peut lire G. CHANTRAINE, op. cit..
2. LG 33. C’est le cas, lorsque leur action se déroule à l’intérieur de l’Église et non dans le monde.
3. LG 33.
4. GS, n° 43, par 2.
5. LG, 31.
6. AA 7.
7. C’est la tâche propre et prioritaire du laïcat. Ce n’est évidemment pas sa tâche unique : « les laïcs, qui doivent activement participer à la vie totale de l’Église, ne doivent pas seulement s’en tenir à l’animation chrétienne du monde, mais ils sont aussi appelés à être, en toute circonstance et au cœur même de la communauté humaine, les témoins du Christ » (GS 43, 4.).
8. Aux nouveaux cardinaux, 20-2-1946, cité par CHANTRAINE G. in Les laïcs, chrétiens dans le monde, op. cit., p. 7. C’est aussi le titre d’un livre de J. Cardijn, comme nous l’avons vu. Pie XI appelait les laïcs « apôtres premiers et immédiats » (QA).
9. La réserve (« non exclusivement ») peut s’entendre dans deux sens : les tâches temporelles ne sont pas exclusivement réservées au laïcat même si c’est leur première vocation (c’est le sens que nous avons retenu ici) et ces tâches ne sont pas les seules tâches du laïcat. GS, 43, 4 l’indique clairement (cf. n. 158).
10. « …​une doctrine que tous les fidèles sont appelés à connaître, à enseigner et à appliquer » Plus précisément encore, « le devoir du prêtre est d’aider les laïcs à prendre conscience de leur rôle, de les former tant spirituellement que doctrinalement, de les accompagner dans l’action sociale, de participer à leurs fatigues et à leurs souffrances, de reconnaître l’importante fonction de leurs organisations au plan apostolique comme au plan de l’engagement social, de leur donner le témoignage d’une profonde sensibilité sociale. L’efficacité du message chrétien dépend donc, outre l’action de l’Esprit Saint, du style de vie et du témoignage pastoral du prêtre qui, en servant les hommes de manière évangélique, révèle le visage authentique de l’Église ». Congrégation pour l’éducation catholique, Orientations pour l’étude et l’enseignement de la doctrine sociale de l’Église dans la formation sacerdotale, 1989, Préliminaires et p. 77.
11. GS 43, 2.
12. GS 43, 5.