Introduction : « Évangéliser » la vie publique ?

La vie politique est aujourd’hui discréditée en bien des pays. Elle semble osciller entre la dictature et l’anarchie en passant, le plus souvent, par un subtil mélange des deux. Dans les « démocraties occidentales » qui sont présentées comme des modèles ou du moins comme des images du mieux possible à défaut de perfection improbable, bien des déséquilibres, des incohérences et des scandales disloquent le tissu social et déroutent ou découragent les citoyens. L’économisme semble maître de tout quand ce n’est pas purement et simplement le goût du lucre, des pratiques maffieuses se sont généralisées, la politisation de la vie décourage bien des initiatives, la société se brise en contrastes profonds et graves comme le monde d’ailleurs soumis à l’égoïsme de puissants lobbies. Dans ce contexte désenchanté, la culture enfin paraît désespérément chercher sa voie à moins qu’elle n’exalte déjà le désespoir ou le cynisme.

Le monde profane est à la recherche de son sens et d’hommes désintéressés et intègres qui auraient à cœur de servir dans une perspective qui garantirait à chacun le respect de sa dignité, le juste exercice de sa liberté et la possibilité de réaliser, avec le moins d’entraves possible, toutes les exigences de sa vocation naturelle et spirituelle. Il faudrait en somme retrouver la juste efficacité du service politique en même temps que sa relativité puisque, par définition, la cité idéale est irréalisable et que, de toute façon, pour le croyant, « aucune réalisation temporelle ne s’identifie avec le Royaume de Dieu »[1].

Si l’on se place à un point de vue plus vaste et que l’on considère le monde dans son ensemble, on ne peut être que violemment frappé, cette fois, par la gravité des problèmes qui se posent dans la gestion et même pour la survie de la planète et de l’humanité. Là aussi et plus qu’ailleurs, face aux injustices et aux dysfonctionnements, on attend d’urgence des solutions qui reposent enfin sur une vision correcte et complète de la valeur de chaque être là où il se trouve. On ne peut plus vivre de courts termes, de courtes vues, de pragmatisme quotidien. Il semble plus que temps d’apprendre à construire chaque société et finalement le monde en fonction de l’homme tel qu’il est dans l’intégralité de son être et non plus d’abord en fonction d’une image d’homme mutilée, de plans peut-être cohérents mais irréels, comme on ne peut plus vivre dans la seule perspective de la rentabilité prioritaire ou de la durée d’une carrière.

L’Église catholique propose à tous les hommes une vision de la société qui repose sur la réalité humaine dans toute sa complexité et qui ne pense les structures indispensables, les organisations nécessaires et les plans vitaux qu’en fonction du bonheur de l’homme matériel et spirituel. Dans sa « doctrine sociale »⁠[2] (en abrégé DSE), l’Église, avec assurance et sans complexe, peut se permettre ce discours parce qu’elle est, réellement et quoi qu’on pense, « experte en humanité »[3], ainsi que nous le verrons.

Fondée sur l’homme dans sa vérité intégrale, dans ses caractères permanents et universels, la doctrine sociale de l’Église est d’une éternelle actualité. Toutefois, l’époque contemporaine, marquée profondément et gravement par le matérialisme, l’athéisme ou le fondamentalisme religieux, en rend l’application toujours plus urgente et cruciale pour l’humanisation, voire la sauvegarde d’un monde qui l’a trop souvent ignorée ou méprisée en maints endroits et à maintes époques. Or, aujourd’hui, sous la pression des faits (misère matérielle du tiers-monde et du quart-monde, misère morale et spirituelle des nantis, guerres et génocides, totalitarismes sournois ou violents, injustices sociales et économiques, corruptions, prévarications et trafics, etc.) de plus en plus de personnes, parfois fort éloignées du christianisme, reconnaissent les vertus de certaines valeurs essentielles de l’enseignement social catholique ou redécouvrent, sans toujours s’en rendre compte, des principes que l’Église n’a jamais cessé de proclamer, en particulier depuis le XIXe siècle. Ainsi en est-il de la protection de l’environnement, de la distinction des pouvoirs temporel et spirituel, de la décentralisation et du rétablissement des corps intermédiaires, de la religion comme lien social, de l’indépendance des syndicats, du respect de la vie, de la femme, des tâches maternelles et familiales, du rôle du père, ou encore de la liberté d’enseignement. Il n’est pas rare de retrouver ces valeurs chez des hommes de pensée ou d’action qui ne se réclament ni de l’Église catholique ni même d’une foi quelconque.

La DSE est donc destinée, comme tout le message chrétien d’ailleurs, à tous les hommes de bonne volonté quels qu’ils soient. Elle ne réclame pas nécessairement, au point de départ, du moins, la foi de son interlocuteur. Les grands principes évangéliques dont elle s’inspire, ont de quoi séduire par leur sens profond de l’humanité. De plus, dans son développement interne et historique, la DSE a fait appel aussi aux sciences humaines, à la philosophie et à l’expérience. Elle peut donc se présenter au jugement de la raison et interpeller ainsi tout homme, quelles que soient ses opinions ou croyances.

Toutefois, quelques principes fondamentaux de l’enseignement social ne peuvent bien se comprendre qu’à la lumière de certaines données de foi que l’incroyant ou le non-chrétien pourront admettre au titre d’idées « éclairantes » ou d’hypothèses qu’ils jugent si les prémisses douteuses à leurs yeux ne conduisent pas finalement à une conception de l’homme et de sa vie sociale qui répond mieux à leur souci de dignité, d’harmonie et de paix. Arrivés à ce point, ils se rendront compte que la mise en application de la DSE réclame une conversion, au moins morale, de chacun de nous. Puisque l’homme est sa « route privilégiée »[4], l’Église ne compte pas d’abord sur une modifications des structures pour changer l’homme ensuite. En effet, cette voie est non seulement contraire à son architecture mais elle introduit, presque immanquablement, l’arbitraire dans la gestion politique. À l’inverse, la DSE invite l’homme à changer pour qu’il puisse changer la société à sa mesure. S’il faut que la société s’adapte à la nature profonde de l’homme, encore faut-il que cette nature tende à être réalisée avec le maximum de plénitude possible, au préalable ou en même temps. La féconde nécessité de cette perspective n’a pas échappé, par exemple, au philosophe rationaliste que fut Alain même si sa vision est un peu caricaturale. Examinant ce qui sépare le socialisme du christianisme, il écrit⁠[5]: « L’esprit socialiste cherche toujours à modifier l’ordre humain en le prenant par le bas ou par le dessous. Par exemple, n’attendons point que l’ouvrier ait le goût de l’étude pour lui donner des loisirs ; n’attendons point que l’instruction et la culture de tous réalisent un ordre politique meilleur ; mais faisons agir les intérêts : changeons d’après cela l’ordre politique ; l’instruction et la culture de tous en résulteront. Il faut d’abord modifier les conditions de travail qui portent tout le reste(…). L’idée chrétienne lui est tout à fait contraire. L’organisation politique est, selon le chrétien, toujours médiocre, souvent mauvaise, parce que l’esprit en chacun marche tête en bas. Il faut premièrement redresser l’individu, afin qu’il juge bas ce qui est bas, et vénérable ce qui est vénérable(…). Tel est le mouvement évangélique, au regard de quoi tout socialisme est un pharisaïsme sauvé. » Même si, comme nous le verrons au dernier chapitre, les transformations des structures et des personnes doivent aller de pair, il est évidemment hasardeux d’imposer la meilleure loi du monde à des citoyens qui n’en veulent pas, ne peuvent la comprendre ou sont incapables de la vivre. Il est toujours nécessaire d’éduquer et de s’éduquer.

L’application de la DSE demande donc honnêteté et courage. Elle réclame, en fait, une longue patience. Une patience qui, dans sa douceur et sa persévérance, ne peut être sous-tendue que par l’amour et, en définitive, par la foi. En effet, l’ampleur de la tâche, les résistances de l’égoïsme et la force du péché useront les meilleures dispositions et terniront tous les rêves si l’on ne demande les forces surnaturelles qui seules inscriront, dans la durée et l’efficacité, les velléités généreuses qui ne manqueront jamais de fleurir dans la découverte de cet enseignement social si attirant par ailleurs.

La raison séduite ne portera tous ses fruits qu’à travers la prière et les sacrements et avec la grâce de Dieu. Prétendre le contraire serait malhonnête et dangereux. Ceci dit et parce que nous devons être très attachés à l’idée que le message chrétien est destiné à tout homme de bonne volonté et qu’il peut réellement le satisfaire, ne craignons pas de nous adresser aux incroyants et aux non-chrétiens⁠[6]. Nous voulons montrer la cohérence de la DSE et son sens profond de l’homme. Non seulement, tout homme, quelle que soit sa conviction, est préoccupé par l’amélioration du monde et est indispensable à sa construction mais, de plus, en constatant la pertinence et comme la « délicatesse » de cette doctrine, chacun percevra peut-être, à travers le sens que prend la société, le sens même de l’homme.

Les limites de cet essai.

Écrit pour les femmes et les hommes du XXIe siècle, cet essai se veut plus pratique que savant. Bien sûr, il se doit de reprendre principes et normes fondamentaux « qui appartiennent au patrimoine doctrinal de l’Église et, à ce titre, engagent l’autorité de son magistère »[7]. Ces éléments sous-tendent la DSE, l’expliquent et la justifient mais ils doivent s’inscrire dans l’actualité, inspirer la transformation du monde d’aujourd’hui dont certains problèmes ne sont, d’ailleurs, que des problèmes éternels. C’est pourquoi l’enseignement de Jean-Paul II et de ses commentateurs sera privilégié sans qu’on néglige pour autant l’enseignement des prédécesseurs. Le message actuel de l’Église n’abolit pas les discours précédents qui se réfèrent aux mêmes fondements, il les suppose et y renvoie continuellement. Les réalités mouvantes du monde et certaines urgences expliquent les insistances particulières ou de relatives nouveautés mais elles s’inscrivent toujours dans la continuité de la Tradition qui s’enracine dans des principes intangibles inscrits dans la nature même de l’homme et au cœur de l’espérance chrétienne.

En vertu de l’évolution constante du monde, ce travail devra être régulièrement revu, élagué ou augmenté. L’Église n’a pas cessé d’écrire sa doctrine sociale et elle ne cessera de le faire qu’à la fin des temps. Cet enseignement, s’il est permis de s’exprimer ainsi, est définitivement provisoire. Non que l’Église puisse brûler ce qu’elle a adoré ou vice versa, mais, dans la mesure où l’histoire des hommes est fluctuante, toujours riche d’orientations nouvelles et à la merci d’une divine surprise de l’Esprit Saint comme d’une perversion nouvelle, l’Église doit veiller continuellement à répondre, éclairée par ses principes fondateurs, aux sollicitations nouvelles du monde⁠[8]. La réalité sociale à laquelle Centesimus annus s’intéresse est différente, à certains égards, de celle qui poussait Léon XIII à écrire Rerum novarum. Et demain, des événements amèneront un autre pape à publier une nouvelle encyclique sur les questions du jour.

Le lecteur comprendra, nous l’espérons, qu’il n’est ni possible ni utile de réfléchir ici à tous les problèmes de l’heure d’autant plus que certains sont très régulièrement abordés dans des études très diverses. Ainsi ne trouvera-t-on pas grand chose ici sur la vie conjugale ou les questions « bio-éthiques ». Ces sujets sont capitaux mais comme ils sont remarquablement traités dans de nombreux ouvrages. Je ne me risquerai pas à répéter avec maladresse ce que d’excellents auteurs ont publié.

J’ai choisi des questions d’actualité, certes, mais sur lesquelles, en général, on ne connaît pas bien la position de l’Église, à moins qu’on ne l’ignore tout à fait : écologie, démographie, guerre, démocratie, culture, etc., sont des thèmes incontestablement moins fréquents dans les vulgarisations. Or il y a, sur ces matières, des idées riches et salvatrices peut-être.

Ajoutons encore que tel ou tel aspect de la pensée de l’Église pourra être développé ultérieurement à travers une monographie, par exemple. Ainsi en sera-t-il, si Dieu le veut, de la représentation du corps et de la sexualité dans l’image contemporaine. Problème que Jean-Paul II a étudié et sur lequel il a développé, dans l’ignorance presque générale, des considérations extrêmement fécondes et pour l’art et pour la moralité.

Contrairement à ce que j’ai fait précédemment⁠[9], je ne m’en tiendrai pas seulement à l’exposé de la doctrine de l’Église mais je tenterai de l’expliquer ou de la conforter en empruntant à l’histoire ou à l’actualité des témoignages susceptibles de la rendre crédibles aux yeux de ceux qui, avec raison, sans doute, ne peuvent s’en tenir au pur et simple principe d’autorité. Le temps du « Roma locuta est »[10] est passé !

Une morale ?

Parler de la doctrine sociale de l’Église, n’est-ce pas parler d’une morale ? Voilà un mot qui résonne désagréablement à nos oreilles aujourd’hui ! Ne vaudrait-iol pas mieux parler d’une éthique ? Éthique est un mot très en vogue, qui ne rebute pas nos contemporains.

Toute communauté, vit suivant des règles, depuis la famille jusqu’à la communauté européenne, voire la communauté des nations unies en passant par l’école, la commune, l’association sportive, le syndicat, la région et tous les autres rassemblements humains petits ou grands.

Ces règles sont le plus souvent écrites mais elles peuvent ne pas l’être. Il est rare que dans une famille, par exemple, on affiche un règlement de conduite. Si on le fait parfois, c’est, par exemple, pour une répartition équitable entre les enfants de certaines tâches bien particulières comme mettre la table, faire la vaisselle, etc. Dans une famille, ce sont plutôt des habitudes, des coutumes qui, par la proximité des membres, les ajustent plus ou moins bien les uns aux autres.

Donc, toute société, petite ou grande, et surtout si les personnes viennent d’horizons culturels très divers, a besoin pour se constituer et perdurer d’établir un code, de définir des recommandations, des préceptes, des statuts, des lois. Cet ensemble de règles ne constitue pas encore ce qu’on appelle une éthique mais son substrat

Éthique est un mot d’origine grecque formé sur ethos (ήθος) qui désigne le séjour habituel, la demeure, le caractère habituel, la coutume, l’usage, la manière d’être, le caractère, les mœurs. À l’origine, chez Aristote, ethicon n’est autre que la morale, c’est-à-dire, expliquent les dictionnaires, cette partie de la philosophie qui rassemble les principes qui sont à la base de la conduite de quelqu’un (Larousse), les valeurs qui orientent et motivent nos actions. Plus savamment, l’éthique est « la science ayant pour objet le jugement d’appréciation en tant qu’il s’applique à la distinction du bien et du mal ».⁠[11]

Simplement, on peut dire, dans un premier temps, qu’éthique et morale désignent la même réalité. Éthique étant d’origine grecque et morale d’origine latine (mores : les mœurs).

Au fil du temps, les choses se sont compliquées. Beaucoup d’auteurs donnant des sens différents à ces mots. Ce n’est pas le lieu ici d’évoquer toutes les définitions diverses qui ont été données. Chaque auteur ayant sa conception. Certains disent que la morale donne les fondements tandis que l’éthique applique la morale à des domaines particuliers ; dans ce sens, l’éthique économique ou l’éthique politique se réfèrent aux mêmes principes fondamentaux. D’autres disent que la morale est la norme qui impose un devoir, ce que je dois faire ou ne pas faire tandis que l’éthique est un appel à l’action, donne une orientation. D’autres encore diront que l’éthique est la science de la morale. Bref, nous sommes devant un foisonnement de sens.

Ce qui est sûr et clair c’est qu’aujourd’hui, l’évocation de la morale renvoie à une époque lointaine, à une attitude obsolète et intolérable, celle de vouloir faire la morale aux uns ou aux autres.

Pour bien comprendre cette attitude largement répandue, il faut se rendre compte que durant la seconde moitié du XXe siècle s’est produite en Europe occidentale une véritable révolution culturelle. Une révolution culturelle qui n’a pas connu, comme en Chine, des exécutions sommaires et des camps de travail mais, malgré sa douceur, cette révolution fut très profonde. Pour l’identifier, voyons comment elle s’est passée dans l’école.

L’enfant qui entre à l’école primaire au lendemain de la seconde guerre mondiale se trouve d’emblée confronté à des exigences d’ordre moral qui s’expriment, par exemple, dans les « bulletins » qui vont sanctionner son parcours et qui sont conçus conformément à la loi.⁠[12]

On y lit, en introduction : « Ce « Livret de notes » a été médité spécialement à votre intention. Les conseils et les pensées qu’il contient vous apprendront comment vous devez faire pour vous perfectionner chaque jour, comment vous devez remplir vos devoirs envers vos parents, vos professeurs et vos condisciples.

Si vous les comprenez bien et si vous les mettez en pratique dans votre vie journalière, incontestablement vous grandirez en sagesse et en force.

Continuez vos efforts pour faire le bien et avoir le mal en horreur. Vous répondrez ainsi à ce que désirent vos parents, à ce que souhaitent vos professeurs.

Mais ne l’oubliez pas, tout dépend de vous. »

Cet avertissement insiste donc sur les devoirs de l’élève et considère que le bien à faire et le mal à éviter sont connus. Suit un Extrait de la législation scolaire qui insiste sur la propreté, la bonne tenue, l’obéissance, le respect. Chaque page réservée aux cotes du mois est précédée d’une injonction appelant l’élève à aimer l’école, son maître, ses camarades, stimulant l’assiduité, l’attention, l’étude, le soin des cahiers et des livres, la lecture de bons livres. À la fin, une série d’Aphorismes recommandent le calme, la politesse, la décence, la tempérance, l’épargne, la sobriété, l’hygiène et invitent à bannir le vol, le mensonge, à fuir les mauvaises fréquentations. Bref, tout le travail scolaire est ainsi encadré par des considérations morales qui, notons-le, ne sont pas justifiées, semblent aller de soi, partagées par les parents et les enseignants.

Une fois le cursus primaire terminé, l’élève va retrouver le même esprit à l’école secondaire. En témoigne, par exemple, la devise de l’Athénée de Namur : Fais ce que dois, advienne que pourra. Et le chant de l’école souligne : « Fidèles au devoir, forgeons notre savoir ! ». Plus tard, à l’université, le jeune qui se destine à l’enseignement apprend que « tout professeur est d’abord un professeur de morale…​ ».⁠[13]

De la maison à l’université donc, l’étudiant est, à cette époque, confronté à la même morale bien établie, une morale du devoir, mais une morale qui semble aller de soi, rarement justifiée. Il y a un bien et un mal qui s’imposent. Cette expérience n’a rien d’exceptionnel, on peut, loin de chez nous, mais à la même époque, en trouver une confirmation.

Albert Camus (1913-1960), dans son dernier roman autobiographique⁠[14] inachevé, témoigne du même genre d’éducation : « Personne, en vérité, n’avait jamais appris à l’enfant ce qui était bien ou ce qui était mal. Certaines choses étaient interdites et les infractions sévèrement sanctionnées. D’autres pas. Seuls ses instituteurs, lorsque le programme leur en laissait le temps, leur parlaient parfois de morale, mais là encore les interdictions étaient plus précises que les explications. »

Toute la culture de cette époque est imprégnée d’une morale, qu’on appelle hétéronomique, c’est-à-dire où la loi, la règle (nomos) vient d’un autre (heteros) que moi, des parents, des professeurs, des patrons, des ministres⁠[15]. Et les principes de cette morale étaient certainement les mêmes à l’école catholique qui en ajoutait d’autres bien sûr à caractère religieux.

Cependant, dans les années 90, le ministère diffuse à travers les écoles de l’État une brochure intitulée Mon école comme je la veux ![16]

Ce document nous révèle que nous sommes désormais entrés dans une autre culture où, si l’on parle encore de devoirs, on insiste surtout sur les droits à exercer pour que l’école soit comme je la veux ! Même si ce titre paraît quelque peu démagogique, il reflète bien la nouvelle culture, celle de l’autonomie, de la revendication des droits, celle où c’est moi finalement qui décide de ce qui bien ou mal. Culture du désir comme en témoigne cette publicité imaginée par une banque qui énumère nos désirs d’objets plus ou moins coûteux sous le titre accrocheur « Je voudrais…​ ». Désirs qui, ici, peuvent être exaucés par l’argent que votre banque se fera un plaisir de vous prêter pour que vous puissiez « vivre pleinement », être heureux d’un bonheur matériel.

On peut parler d’une révolution culturelle. En effet, le contraste est saisissant si l’on confronte les insistances respectives : au lieu de la loi extérieure, j’impose mon je ; face aux devoirs se dressent mes droits ; il ne s’agit plus d’abord de connaître, d’obéir, de recevoir mais plutôt de vouloir, de réclamer et d’obtenir ; à l’autorité toute puissante et incontestée, du père, du maître, du professeur, du patron, s’oppose ma liberté.

Ceux qui ont fait un peu de philosophie constateront que la morale hétéronomique renvoie clairement à la pensée d’Emmanuel Kant (1724-1804) pour qui le véritable bien n’est pas d’être heureux mais de mériter d’être heureux. Autrement dit, le devoir doit primer sur la recherche du bonheur. Dans cet esprit, une action est morale quand non seulement elle est conforme au devoir mais encore quand elle est accomplie par devoir : « Lorsqu’il s’agit de ce qui doit être moralement bon, ce n’est pas assez qu’il y ait conformité à la loi morale ; il faut encore que ce soit pour la loi morale que la chose se fasse […]. »⁠[17]

La culture de l’autonomie, elle, peut se donner comme représentant Jean-Paul Sartre (1905-1980) qui conteste radicalement la perspective de Kant en écrivant⁠[18] : « …​il n’est écrit nulle part que le bien existe, qu’il faut être honnête, qu’il ne faut pas mentir…​ L’auteur justifie sa position en expliquant que « tout est permis si Dieu n’existe pas […]. Si […] Dieu n’existe pas, nous ne trouvons pas en face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite. »

Il s’agit certes de positions extrêmes mais elles éclairent et justifient intellectuellement l’attitude de ceux qui considèrent qu’ils sont seuls maîtres de leur destinée et seuls référents de leur conduite. Réellement, dans cette perspective, le sujet fait exactement ce qu’il veut parce qu’il le veut. Un slogan, en néerlandais dit : « Mijn wil is wet ».⁠[19]

Avant d’aller plus loin dans notre réflexion, nous pouvons nous demander quelles sont les causes de cette mutation culturelle bien identifiée. Il y a plusieurs raisons dont le développement nous entraînerait trop loin de notre véritable sujet. Disons simplement que l’expérience des régimes totalitaires qui ont fleuri en Europe notamment dans la première moitié du XXe siècle ainsi que les mutations sociales qui sont intervenues après leur chute ont stimulé un appétit de liberté. À cela s’ajoute un engouement pour la raison scientifique qui a dévalorisé toute autre raison, philosophique ou religieuse. Ainsi, la morale chrétienne s’est trouvée mise en question. Enfin, il est sûr que la volonté d’autonomie a été et est encore une réaction contre le moralisme qu’il soit d’ailleurs laïc ou chrétien. L’avènement du sujet comme source de valeur fonde l’individualisme (moi d’abord !) et le relativisme (rien n’est vrai ou faux, bon ou mauvais en soi !) qui peuvent déboucher sur l’agressivité et la violence.⁠[20]

Albert Camus écrivait⁠[21] déjà au lendemain de la seconde guerre mondiale : « Rien n’étant vrai ni faux, bon ou mauvais, la règle sera de se montrer le plus efficace, c’est-à-dire le plus fort. »

Mais ne nous attardons pas aux causes multiples de cette révolution. Évaluons plutôt ses enjeux.

Une société construite par et dans une culture hétéronomique est incontestablement une société cohérente et ordonnée mais, en même temps, une société où les personnalités risquent d’être étouffées, où règnent le conformisme, l’incompréhension, l’inquiétude et qui suscite finalement la révolte.

Une société qui vit, comme la nôtre, dans une culture de l’autonomie, reconnaît certes la liberté personnelle mais la morale au sens classique du terme est dissoute dans les volontés particulières. La cohésion sociale est ébranlée par l’individualisme et elle est aussi, comme la précédente, traversée par l’inquiétude, le conformisme et peut déboucher sur la révolte quand le « moi » n’est pas écouté. La dissolution morale et sociale peut, en partie expliquer le succès de certains mouvements populistes mais aussi de l’Islam y compris dans sa forme la plus radicale, réactions suscitées par la nostalgie d’un ordre.

Le problème qui se pose à nous est le suivant : si chacun décide de ce qui est bien ou mal, comment faire vivre ensemble harmonieusement des hommes qui vivent selon des principes différents ? Quel ciment social peut-on espérer ? C’est la question que se pose Guy Haarscher, philosophe, professeur à l’ULB. Comme les hommes ne font plus confiance ni à Dieu ni à la Raison (Kant), le risque est grand de sombrer dans l’anarchie ou la dictature. Il écrit⁠[22] : « Il n’est pas irrationnel que quelqu’un se soucie à tel point de son pur intérêt personnel qu’il accepte sans sourciller l’annihilation d’une communauté entière… »

Un autre philosophe contemporain⁠[23] confirme que dans notre société très libérale, « toutes les valeurs qui paraissaient encore évidentes ou sacrées aux yeux des générations précédentes » ont été noyées, selon l’expression bien connue de Marx et Engels, « dans les eaux glacées du calcul égoïste »[24] Il écrit : « Dans ces conditions, il ne peut donc plus exister la moindre base légitime - c’est-à-dire qu’on ne puisse aussitôt diaboliser comme « conservatrice », « réactionnaire » ou « phobique » - pour endiguer le déferlement continu des nouvelles revendications « sociétales » et de menaces de recours aux tribunaux correspondantes. Au nom de quoi, en effet, irait-on par exemple pénaliser la pédophilie, dès lors que les partenaires sexuels sont supposés consentants […][25] ? Ou bien refuser aux enfants le droit de voter dès l’âge de neuf ans, ou celui de choisir de nouveaux parents à partir de leur douzième année […] ? Ou encore le droit pour un individu de sexe masculin d’exiger de la collectivité qu’elle reconnaisse officiellement qu’il est réellement une femme, pour une Américaine blanche qu’elle est réellement une Noire […] ou pour une anorexique qu’elle est réellement obèse ? »[26]

Reste-t-il tout de même des limites ? Des valeurs communes ? Oui, des valeurs floues ou mal fondées comme la tolérance, mais peut-on tout tolérer ? Les valeurs encore plus ou moins partagées sont surtout des valeurs négatives : on est contre l’extrême-droite, contre le conservatisme, contre le fondamentalisme, contre le capitalisme libéral mais sans qu’on définisse précisément ces notions ; on est contre la pédophilie mais, en 1996, lors de l’éclatement de l’affaire Dutroux, face à l’émotion populaire, un homme politique mettait en garde la population : « qu’on ne vienne pas nous parler de morale ! » Et on a oublié que dans les années 50-80, dans l’efflorescence de la culture de l’autonomie, films et romans vantaient pédophilie et inceste qui ont toujours aujourd’hui leurs partisans avérés. Ne m’a-t-on pas appris à faire ce que je veux ?

Vous me direz : nous avons des lois ! Certes, mais elles sont fluctuantes en démocratie, livrées au décompte des volontés individuelles⁠[27], et ne consacrent-elles pas, quand on y regarde de près, des biens particuliers ?

Restent les droits de l’homme, objecterez-vous. Des droits présentés, dans le Préambule de la Déclaration universelle de 1948, comme universels indivisibles, fondamentaux et inaliénables. Voilà donc, apparemment, de bonnes balises, de solides garde-fous. Le problème est qu’aujourd’hui ils sont de plus en plus contestés ou en conflit avec l’obsession démocratique. Nous y reviendrons.

Il faut aussi se rendre compte que, face à moi, à la limite, face à mes désirs érigés en droits, l’autre devient un ennemi, une entrave à ma liberté. Le mal, dans le fond, vient de l’autre, du patron, du professeur, du gouvernement. Ainsi, face à la pauvreté dans le Tiers-Monde, certains riches diront qu’elle est due aux pauvres eux-mêmes, certains pauvres qu’elle est due aux riches. Personne ne se met en question !

Comme l’écrit Alain Finkielkraut⁠[28] : « …​aucune autorité transcendante, historique ou simplement majoritaire ne peut infléchir les préférences du sujet post-moderne ou régenter ses comportements. »

Bref, dans cette déroute de la morale pulvérisée par l’avènement du moi, la notion d’éthique, elle, semble se maintenir mais comment ? Nous allons le voir mais auparavant, prenons acte de ce diagnostic porté par le célèbre sociologue Edgar Morin⁠[29] : « … notre siècle aboutit à la double idée qu’il n’y a de certitude ni philosophique ni scientifique. Bien entendu, il y a des tas de certitudes locales, régionales, mais nous n’avons plus de certitudes absolues sur lesquelles fonder un système de pensée qui serait une lumière sur toute chose. Il nous reste donc à créer une pensée qui se fonde justement sur l’absence de fondement. Quelque chose qui ne soit ni le scepticisme généralisé ni le vide généralisé, mais un essai d’auto-construction de la pensée avec tout ce que nous apporte l’information contemporaine.[…] L’éthique ne se fonde que sur elle-même. »

Alors que « la morale commande », ce qui nous est désormais insupportable, « l’éthique, elle, recommande », selon la définition du philosophe André Comte-Sponville⁠[30].

Et il est indéniable que le mot éthique connaît un grand succès. Nous entendons chaque jour parler d’éthique politique, d’éthique des affaires, d’éthique de l’entreprise, d’éthique sportive, de bioéthique, d’éthique commerciale, d’éthique de l’informatique, d’éthique environnementale ou ethnoéthique, d’éthique animale, d’éthique militaire, d’éthique médicale, d’éthique financière, de roboéthique (éthique appliquée à la robotique), d’éthique du dialogue social…​. Des spécialistes s’investissent dans la métaéthique qui analyse les normes éthiques. Enfin, on parle d’éthique déontologique lorsque l’éthique aboutit à la définition d’une déontologie professionnelle (déontologie des médecins, des avocats, des architectes, etc..). Ajoutons à cette liste non exhaustive apparemment les colloques, les commissions régulièrement organisés.

Prenons acte tout d’abord de cette diversité. Il y a des éthiques et non une éthique. En tout cas, ce phénomène semble au moins indiquer le besoin de règles dans divers domaines d’activité. Mais il ne peut s’agir d’un retour à la morale car celle-ci ne comporte, dit-on que des valeurs négatives, des interdits, des contraintes tandis que l’éthique, elle, parlerait de valeurs positives, de liberté, de solidarité. La morale s’exprime, on l’a vu, en termes de devoirs, signe d’une culture morte, prétend-on, tandis que les éthiques indiquent des repères, font des recommandations fruits d’une culture démocratique.⁠[31]

Désormais, les éthiques remplacent la morale. En aucun cas, elles ne prétendent dirent ce qui est bien ou mal en soi. Elles sont l’affaire de spécialistes, d’orientations philosophiques diverses, de formations diverses qui, au sein de commissions, vont élaborer, sur telle question, dans tel domaine, une éthique qui sera une expression démocratique, le fruit d’un consensus obtenu au terme de négociations et de compromis. Elles sont, par nature, mouvantes et fluctuantes puisqu’elles sont tributaires des rencontres de quelques « spécialistes » à un moment donné sur un sujet donné.

Ces éthiques ne concernent que les affaires publiques. Sur le plan personnel, chaque conscience est considérée comme autonome, cadrée seulement par les lois du moment, par des éthiques changeantes.

En tout cas, il n’y a plus de normes fixes puisqu’il n’y a plus, de bien ou de mal en soi. Tout au plus peut-on déceler, à travers la fortune actuelle du mot « éthique », l’aveu timide, discret de l’impossibilité de vivre ensemble sans quelque accord tout fragile soit-il, l’aveu voilé du danger d’une liberté totale alors que la liberté humaine est relative puisqu’elle est l’aspiration à l’illimité d’un être limité.

Ce qui est finalement en question dans cette opposition entre morale et éthique, c’est le problème de la liberté. On rejette la morale comme contraire à la liberté et on accepte des éthiques comme nécessaires à la liberté pour qu’elle ne dégénère pas en licence pure et simple.

Loi et liberté s’excluent-elles nécessairement ?

N’y aurait-il pas des règles, des lois libératrices ?

C’est ce que nous devrons examiner.


1. JEAN-PAUL II, Encyclique Sollicitudo rei socialis (SRS), 1987, n° 48
2. Nous étudierons au chapitre I le bien-fondé de cette expression.
3. PAUL VI, Encyclique Populorum progressio (PP), 1967, n°13.
4. Cf. JEAN-PAUL II, Encyclique Redemptor hominis (RH), 1979.
5. Christianisme et socialisme, in Propos, La Pléiade, Gallimard, 1956, pp. 330-331.
6. Léo Moulin, agnostique, déclare : « A supposer (…) Que la religion ne soit qu’une invention de l’homme des cavernes pour échapper à l’emprise de ses terreurs animales, peut-on nier que ce « produit » de l’aliénation primitive, non seulement s’est prodigieusement enrichi - grâce à l’homme diront les marxistes -, mais aussi et surtout a fait de l’homme ce qu’il est aujourd’hui ? Et que son affaiblissement est une des causes de la crise que vit notre société ? » (Libre parcours, Itinéraire spirituel d’un agnostique, Racine, 1995). L’auteur cite en exemple d’honnêteté intellectuelle (pp. 97-100), l’écrivain marxiste tchèque Milan Mahovec qui dans Jésus pour les athées (Desclée, 1972) affirme qu’« il s’agit d’élucider ce qui, pendant deux millénaires, a sans cesse amené tant d’esprits _ réfléchir si passionnément et _ se quereller si amèrement ». En effet, le christianisme est la source « des idéaux, des modèles et des indicateurs de valeurs » sans lesquels « même la société la mieux organisée, la plus riche et la plus perfectionnée au plan technique, resterait finalement pitoyable et barbare ».
7. JEAN-PAUL II, Encyclique Centesimus annus (CA), 1991, n°3.
8. Après avoir rappelé l’existence d’un corps doctrinal intangible, Jean-Paul II note : « …​la sollicitude pastorale m’a conduit d’autre part, à proposer l’analyse de certains événements récents de l’histoire. Il n’est pas besoin de souligner que la considération attentive du cours des événements, en vue de discerner les exigences nouvelles de l’évangélisation, relève des devoirs qui incombent aux Pasteurs. Toutefois, on n’entend pas exprimer des jugements définitifs en développant ces considérations, car, en elles-mêmes, elles n’entrent pas dans le cadre propre du magistère. » (CA, n°3).
9. in Un sens à la société, Essai de synthèse de la doctrine sociale de l’Église sous le pontificat de Jean-Paul II (de 1978 à 1991), ASOFAC, 2e édition, 1993.
10. « Rome a parlé ».
11. LALANDE André, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, (Lalande) Presses universitaires de France, 1926.
12. Les extraits qui suivent sont issus du Livret scolaire, Bulletins mensuels, Editions F.I.C. Dehon, Professeur à Mons.
13. Cet esprit issu de documents du réseau officiel, se retrouve également dans le réseau libre qui, bien sûr, le renforçait d’obligations religieuses.
14. Le premier homme, Gallimard, 1994, p.86.
15. Cf. les instructions ministérielles de la circulaire du 15 juin 1920.
16. Décret « Missions de l’École » (juillet 1997).
17. Les fondements de la métaphysique des mœurs, Nathan, 2010, p. 21.
18. L’existentialisme est un humanisme, Nagel, 1946.
19. Littéralement : « ma volonté est loi ».
20. On peut lire à ce sujet le petit livre simple et éclairant de Léo Moulin, Moi…​ et les autres, Petit traité de l’agressivité au quotidien, Labor, 1996.
21. L’homme révolté, Gallimard, 1969, p. 16.
22. HAARSCHER Guy, Philosophie des droits de l’homme, Ed. de l’Université de Bruxelles, 1993, p. 127. G. Haarscher est un philosophe athée.
23. MICHEA Jean-Claude, Le loup dans la bergerie, Climats-Flammarion, 2018. L’auteur est considéré comme un penseur « socialiste libertaire »
24. MARX Karl et ENGELS Friedrich, Le manifeste du parti communiste (1847), UGE, 1966, pp. 22-23: « La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire. Là où elle prit le pouvoir, elle détruisit toutes les relations féodales, patriarcales, idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissaient l’homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser d’autre lien entre l’homme et l’homme que le froid intérêt, les dures exigences du « paiement comptant ». Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité à quatre sous dans les eaux glacées du calcul égoïste. » Engels précise (p. 63) que par bourgeoisie, on entend ici « la classe des capitalistes modernes ».
25. L’auteur évoque « la célèbre pétition de janvier 1978 […​] signée par la quasi-totalité de l’intelligentsia de gauche à l’époque ». En réalité il semble s’agir d’une pétition publiée dans Le Monde du 26 janvier 1977 puis dans Libération en faveur de trois hommes condamnés pour « attentats à la pudeur sans violence sur mineurs de 15 ans » et pour avoir pris des photos de leurs partenaires. La pétition, entre autres arguments faisait remarquer : « Si une fille de 13 ans a droit à la pilule, c’est pour quoi faire ? ». Elle fut signée entre autres par Louis Aragon, Francis Ponge, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Gilles Deleuze, André Glucksmann, Bernard Kouchner, Jack Lang, Gabriel Matzneff, Jean-Paul Sartre et Philippe Sollers. Par la suite, les enlèvements, viols et meurtres d’enfants ont changé la donne. Cf. L’Express, 2 février 1995 ; Le Monde, 1er mars 2001 ; Libération, 23 février 2001.
26. MICHEA Jean-Claude, op cit., p. 33.
27. Encore faudrait-il mesurer l’impact d’un conformisme souvent créé par l’omniprésence des médias qui offrent un prêt-à-penser à tout un chacun.
28. FINKIELKRAUT Alain, La défaite de la pensée, Gallimard, 1987, p. 142. A. Finkielkraut est un philosophe athée.
29. Cf. SMEDT Marc de et VAN EERSEL Patrice (sous la direction de), Donner du sens à la vie, Albin-Michel, 2011.
30. COMTE-SPONVILLE André, Morale ou éthique, in Lettre internationale n° 13, 1991.
31. Kant distinguait les « impératifs catégoriques » et les « impératifs hypothétiques ». Les impératifs catégoriques présentent l’action comme nécessaire pour elle-même, objectivement, bonne en soi. Les impératifs hypothétiques présentent l’action comme un moyen d’obtenir autre chose (Cf. Fondements de la Métaphysique des mœurs, 2ème section, Delagrave 1959, pp. 123 à 125). Le philosophe Alain Echegoyen, reprend cette distinction pour souligner la différence entre morale et éthique : « …​la morale est un impératif catégorique ; l’éthique est un impératif hypothétique. […​] Ou l’action est déterminée par un impératif inconditionné qui s’impose de façon catégorique : la conscience agit alors par devoir. Il s’agit de morale. Ou l’action est déterminée par une hypothèse qui lui, impose un comportement, ce qu’on pourrait appeler aussi un impératif de prudence. Il s’agit maintenant de l’éthique. » (La valse des éthiques, François Bourin, 1991).