⁢Chapitre 4 : Des religions iréniques ?

« Leurs activités doivent être éliminées par la méditation »[1]

Très couramment, en face des ces grandes religions qui en inquiètent plus d’un, on loue le pacifisme du bouddhisme⁠[2] et de l’hindouisme.

Ainsi, le philosophe indien Jiddu Krishnamurti⁠[3] déclare : « Les religions, surtout le christianisme, ont tué énormément de gens. Elles ont torturé des gens, les ont traités d’hérétiques et les ont brûlés. Vous connaissez toute cette histoire. Les musulmans ont fait la même chose. Les hindous et les bouddhistes sont probablement les seuls qui n’ont pas tué - leur religion l’interdit. »[4] On ajoute aussi que ces religions sont tolérantes parce qu’elles ne connaissent ni commandements, ni dogmes.⁠[5] Et Elie Barnavi déclare que ces religions sont « éminemment iréniques »[6]. Malgré cela, il reconnaît que l’hindouisme et le bouddhisme zen « ont versé ou versent dans la violence »[7]. Toutefois, « comme le bouddhiste considère la vérité comme un état purement subjectif (…) on comprend qu’il n’y ait pas de fondamentalisme révolutionnaire bouddhiste, voire pas de fondamentalisme du tout »[8]. Ces nuances semblent correspondre à la réalité car elles sont confirmées par nombre d’observateurs.


1. Yoga-sûtra de Patañjali, II, 11.
2. Elisabeth Martens n’hésite pas à parler de « bouddhomania occidentale » in Histoire du bouddhisme tibétain, L’Harmattan, 2007. Selon elle, « le mythe dont l’Occident entoure le Tibet et le bouddhisme tibétain a été créé de toutes pièces dès le dix-neuvième siècle, lors de la montée d’une pensée matérialiste et relativiste, afin de contrer celle-ci et d’endiguer les vagues sociales qu’elle engendra dans les marécages d’un spiritualisme romantique. » (op. cit., p. 10). Libre-exaministe (id., p. 8), Elisabeth Martens, très critique vis-à-vis du bouddhisme tibétain, reconnaît néanmoins une certaine parenté avec lui : « Le Bouddha exhortait ses disciples à aiguiser et à expérimenter leur esprit de « libre-examinisme », afin que le niveau prajnique reste en accord avec le niveau cognitif. C’est, entre autre, sur l’extrait d’un Sutra devenu célèbre que se basent les Occidentaux pour défendre que le Bouddhisme est une religion libre-exaministe, toujours prête à remettre ses assertions en question : « Ne croyez pas sur la foi des traditions, quoiqu’elles soient en honneur depuis de longues générations et en beaucoup d’endroits. Ne croyez pas une chose parce que beaucoup en parlent, ne croyez pas sur la foi des sages des temps passés, ne croyez pas ce que vous vous êtes imaginés pendant qu’un dieu vous l’avait inspiré. Ne croyez rien sur la seule autorité de vos maîtres ou des prêtres. Après examen, croyez ce que vous-même aurez expérimenté et reconnu raisonnable, qui sera conforme à votre bien et à celui des autres. » (Id., pp 30-31 ; la citation est reprise à David-Neel A., Le Bouddhisme du Bouddha, Ed. du Rocher, 1977). Le mot « prajnique » est l’équivalent de « subconscient » ; une intelligence prajnique est une intelligence « intuitive, associative, globale et immédiate » (Id., p. 30). E. Martens est biologiste (ULB) et sinologue, diplômée en médecine traditionnelle de l’Université de Nanjing.
3. 1895-1966.
4. In Commentaire sur la vie, vol 2, texte disponible sur www.tribunal-animal.com
5. Cf. SAMUEL Albert, Les religions aujourd’hui, Vie ouvrière, 1987, pp. 95-96 et 121-122.
6. BARNAVI E., op. cit., p. 19. A l’origine, l’irénisme (du grec eirênê, la paix) désigne une attitude de compréhension dans la discussion des problèmes théologiques entre chrétiens de confessions différentes. Ici, le sens est élargi, une religion « irénique » est une religion pacifique. Notons que le mot sous la plume de Barnavi n’a pas le sens péjoratif qu’il peut avoir quand il désigne une attitude qui cherche, à tout prix, la paix. Barnavi range aussi dans la catégorie irénique le christianisme « la religion du Sermon sur la montagne, du martyre et de la joue tendue » (p. 20)
7. BARNAVI, op. cit., pp. 19-20.
8. Id., p. 50.