⁢b. Dans le vif du sujet

Fessard relève une « antinomie » dans la culture juive. d’une part, ce peuple est très particulariste dans la mesure où, en fonction même de son élection, il est jaloux de son « unité sociale et culturelle », très attaché à son unité, sa culture, sa race. d’autre part, ce peuple a des « visées universalistes »[1].

Antinomie aussi entre le juif et le païen, entre le peuple élu et le païen exclu d’Israël, sans Loi, sans Dieu, sans Promesse.

Ces antinomies, le Christ les révèle en nous. d’une part, nous sommes des personnes uniques et d’autre part, nous sommes appelés à l’unité. d’autre part nous sommes des païens qui veulent imposer leurs particularités et d’autre part, des juifs qui sont élus parmi les autres.

C’est le Christ qui résout ces contradictions et réconcilie l’homme avec lui-même, avec les autres et avec Dieu.⁠[2]

Le mouvement qui fonde la personne, sujet de droits et de devoirs, c’est-à-dire qui renonce à l’exercice de certains droits pour se mettre au service de la communauté, se retrouve à toutes les étapes de la construction des différentes communautés : couple, famille, patrie, communauté des nations. « A l’origine, écrit Fessard, toujours le sacrifice volontaire d’une tendance naturelle -bonne en soi pour l’individualité isolée - en faveur d’un bien commun à plusieurs. renoncement à un bien inférieur, plus individuel, plus sensible, pour un bien supérieur, plus général, plus idéal. »[3]

La Communauté des nations ne peut se réaliser que par et pour la charité mais cette charité universelle ne peut se construire que sur une justice qui inclut une prédilection pour sa patrie dont l’amour ne se bornera pas à ses frontières. Les langues qui différencient les peuples ne coïncident pas nécessairement avec les nations mais n’en restent pas moins des éléments de différenciation. Une fois encore, c’est le Christ qui révèle la possibilité d’une unité « supérieure à toutes les divisions de langues, de peuples, de nations ».⁠[4]

Le peuple juif a refusé le Christ pour garder son particularisme. Ce peuple dispersé aux quatre coins du monde a conservé, malgré tout, son unité, une unité négative constituée par son refus d’intégration. Une nouvelle antinomie est apparue entre le juif incroyant au Christ et le païen converti. Recourant de nouveau à Paul, Fessard, à la suite de certains Pères de l’Église, affirme un « rapport intrinsèque » entre cette dispersion du peuple juif et la propagation du christianisme.⁠[5] Cette nouvelle antinomie donne son sens à l’histoire après le Christ mais traverse la conscience de chacun, toujours plus ou moins partagé entre religion pure et irréligion nommée désormais rationalisme, rationalisme issu donc du judaïsme antichrétien et défini comme « suffisance de la raison humaine pour juger de tout et n’être jugée par « personne ». »[6]

Le récit de la tour de Babel montre que seul le Christ peut rassembler les personnes et les patries, personnes et patries qui ont chacune et chacune « une mission unique ».⁠[7]

Quelle est alors la mission du chrétien ? Divisé d’abord en lui-même entre un païen idolâtre qui veut imposer aux autres ses particularités et un juif élu enfermé dans ses privilèges, puis entre un païen converti et un juif incroyant, l’Homme nouveau chrétien croît en rejetant « la convoitise toujours renaissante » du premier et l’incroyance du second. En chacun des chrétiens, toujours partagés intérieurement, « le devenir-chrétien, écrit Fessard, ne réunit pas moins Juif élu et Païen converti qu’il ne les sépare du Païen idolâtre uni de son côté au Juif incrédule »[8] Dans le Christ, se réconcilient « les opposés: synthétiser à chaque instant le Juif élu et le païen converti, tout en rejetant l’idolâtrie du Païen et l’incroyance du Juif. »[9]


1. Id., pp. 389-390. Même si certains juifs aujourd’hui refusent ou récusent l’universalisme, le rêve d’une domination universelle, il reste néanmoins très marqué dans la tradition. (Cf. NOVAK David et SHER MAAYANI Aviva, Le judaïsme est-il une religion universelle ?, in Pardès, Etudes et cultures juives, 2004, vol. 36, n° 1, pp. 157-174.
2. LOUZEAU, op. cit., pp. 390-393.
3. FESSARD, Pax nostra, Examen de conscience international (1936), cité in LOUZEAU, op. cit., p. 395.
4. Id., p. 199, cité in F. LOUZEAU, op. cit., p. 399.
5. LOUZEAU, op. cit., p. 402. Paul se réfère à Rm 9-11. Notamment lorsqu’il écrit : « …​grâce à leur faute [la faute des juifs qui n’ont pas reconnu le Christ], les païens ont accédé au salut…​ » (11, 11) ; « …​leur mise à l’écart a été la réconciliation du monde…​ » (11, 15).
6. FESSARD, Pax nostra, op. cit., p. 220, cité in LOUZEAU, op. cit., pp. 406-407. G. Fessard précise que le judaïsme antichrétien a produit d’abord « une religion purement naturelle : l’Islam » qui, sous l’influence de certains rabbins comme Moïse Maïmonide (1138-1204) ou Salomon ibn Gabirol dit Avicebron (1021-1070) et quelques philosophes musulmans comme Abu 'Ali al-Husayn ibn Abd Allah ibn Sina dit Avicenne (980-1037), Ibn Rochid de Cordoue dit Averroès (1126-1198) préparaient l’avènement du nationalisme contemporain réveillant l’« indidualité égoïste et païenne » et du pacifisme internationaliste prétendant « réaliser la fraternité universelle par les seules forces humaines ».(Pax nostra, op. cit., p. 221 cité in LOUZEAU, op. cit., pp. 407-408)
7. LOUZEAU, op. cit., p. 408.
8. De l’actualité historique, t. 2: Progressisme chrétien et apostolat ouvrier (1960), p. 55, n. 1, cité in LOUZEAU, op. cit., p 411, n.2.
9. LOUZEAU, op. cit., id..
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