⁢v. Néo-marxisme ? Néo-socialisme ?

L’apparent triomphe du capitalisme et la montée d’un libéralisme intégral suscitent des nostalgies marxistes dans les anciens pays communistes et interpellent sérieusement, nous allons le voir, la social-démocratie.

La revue Réflexions a publié, en 1997, un dossier fort intéressant intitulé Théories économiques, Vieux clivages et nouveaux débats[1]. L’ensemble des articles révèle une certaine perplexité du monde socialiste face à l’économie moderne et témoigne en même temps d’une grande ouverture d’esprit qui nous montre qu’économie et idéologie ne font pas bon ménage et que les socialistes peuvent renoncer à ce que d’aucuns appellent leurs « utopies ». C’était déjà l’opinion de Cl. Demelenne dans les années 80, lorsqu’il constatait que les socialistres « se sont petit à petit adaptés aux dures contraintes de l’environnement économique »[2]. Mais ils n’ont pas non plus de doctrine claire et contante en la matière, comme le reconnaissait le président Spitaels : « Nous manquons de ligne directrice, nous répliquons à la crise au coup par coup, comme un boxeur groggy sur un ring…​ »⁠[3].

Dans le dossier de Réflexions, l’éditorialiste, analysant les réactions de la gauche face à la mondialistaion du capitalisme, constate que cette gauche « a publiquement privilégié (ou, à tout le moins, n’a pas contredit) une sorte de diabolisation de l’économie, dénoncée dans sa « dérive » ultra-libérale, « sauvage » et « destructrice » d’emplois et de justioce sociale, quand, en cercles restreints, elle n’avait pas assez de mots pour justifier les contraintes, motiver les ajustements et appréhender les grandes mutations de cette fin de siècle…​

Une attitude schizophrénique justifiée par l’urgence. Cueillie à froid par le raz-de-marée néo-libéral consécutif à l’écroulement du système communiste, la gauche démocratique s’est trouvée idéologiquement démunie. Elle a dès lors laissé s’installer en son sein et se répandre à sa marge un discours ni gestionnaire ni conflictuel mais de rejet, essentiellement incantatoire, psychologiquement confortable mais intellectuellement vain. Attitude intenable cependant dans le long terme (…) ». L’auteur souhaite la réintégration du débat économique « dans le discours (au sens de message) politique général en des termes adaptés aux réalités contemporaines. Ce qui suppose d’emblée de lever les excommunications successives qui ont tour à tour frappé la mondialisation, Maastricht[4] ou même l’innovation technologique ».⁠[5]

Suit une série d’articles d’économistes de tous horizons qui, d’une manière ou d’une autre, montrent que le débat économique s’est singulièrement élargi, qu’il n’y a pas de recette toute faite pour « créer l’équilibre entre économie de marché et exigences sociales fondamentales »[6] ; il est dit aussi qu’ »une problématique théorique ne peut être considérée comme ayant un lien intrinsèque avec une idéologie particulière. Au contraire, il semblerait plutôt que la théorie peut servir des causes altrenatives. Elle serait « plastique » d’un point de vue idéologique »[7]. d’autres soulignent l’apprente contradiction entre la société de marché inégalitaire et la société démocratique qui réclame la solidarité. Ils concluent que « ce sont finalement les tensions et les compromis entre ces deux principes contradictoires mais non incompatibles, qui permettent la régulation interne et assurent la cohésion dynamique de nos sociétés »[8]. « Diverses formes de concertation et de coopération sont appelées à assurer un degré de consensus supérieur à celui qui secrète le capitalisme » d’autant plus qu’ »à l’heure actuelle, on dispose d’un ensemble de travaux montrant qu’un certain nombre de facteurs, liés à une « économie sociale de marché », loin de constituer un handicap, sont un apport imporatnt à l’efficacité globale du développement européen »[9]. Il semble donc que « dans un cadre « strictement balisé », on peut concilier les vertus du libre-échange et les exigences de l’équité »[10]. S’ »il est indispensable de laisser fonctionner les marchés, affirme un autre, (…) il faut mettre en oeuvre des instruments de redistribution (par l’éducation, par exemple[11]) qui permettent aux individus et aux peuples de bénéficier des possibilités offertes par l’utilisation la plus efficace des ressources disponibles »[12]. A propos de la redistribution, deux auteurs rappellent l’importance de la fiscalité et la nécessité d’une coordination au niveau international à ce point de vue⁠[13]. Enfin, un article est consacré à l’économie sociale dont nous aurons à reparler dans le dernier chapitre⁠[14].


1. Réflexions, Revue de l’Institut E. Vandervelde, n° 19, novembre 1997.
2. Op. cit., p. 71.
3. Face à la presse, RTBF, 8-3-1981, cité in DEMELENNE Cl., op. cit., p. 74..
4. Allusion au Traité sur l’Union européenne signé à Maastricht en 1992.
5. David Coppi, in Réflexions, op. cit., p. 1.
6. Robert Tollet, professeur d’économie à l’ULB, id., p. 4.
7. Michel De Vroey, professeur d’économie à l’UCL, id., pp. 6-7.
8. Lionel Monnier et Bernard Thiry, universités de Rouen et de Liège, id., p. 10.
9. Alexis Jacquemin, Conseiller principal à la Commission européenne, professeur d’économie à l’UCL, id., pp. 12-13.
10. Jacques Nagels, professeur d’économie à l’ULB, directeur de l’Institut de sociologie, id., p. 21.
11. Benoît Bayenet, Olivier Debande et Françoise Thys-Clément (aspirant au FNRS, assistant et professeur à l’ULB) rappellent qu’une étude « portant sur les performances de croissance de 98 pays sur la période 1960-1985, montre que, pour un niveau donné du PNB par habitant en 1960, les pays qui avaient les taux de scolarisation les plus élevés ont connu une croissance plus rapide que les autres » (id., p. 26).
12. André Sapir, professeur d’économie internationale, président de l’Institut d’études européennes à l’ULB, id., p. 14.
13. Cf. Marcel Gérard, professeur à la FUCAM et à l’UCL, id., p. 29 et Gérard Roland, professeur d’économie à l’ULB et membre de l’European Center for Advance Research in Economics, id., p. 32.
14. « L’économie sociale se compose d’activités économiques exercées par des sociétés, principalement coopératives, des mutualités et des associations dont l’éthique se traduit par les principes suivants : 1) finalité de service aux membres ou à collectivité plutôt que de profit 2) autonomie de gestion 3) processus de décision démocratique 4) primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition des ressources ». Cette définition proposée par le Conseil wallon de l’Economie sociale en 1990 a été reprise, au niveau fédéral, par le Conseil central de l’Economie et, en Espagne, dans le Libro blanco de la Economia Social remis au gouvernement en 1992 (Cf. Jacques Defourny, professeur d’économie sociale à l’ULg et directeur du Centre d’économie sociale, id., p.23).
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