⁢b. Comment ?

En vivant intégralement sa foi en tout et partout, sans séparer vie personnelle et vie sociale où le laïc⁠[1] sera guidé par la doctrine sociale de l’Église qu’il doit étudier et appliquer partout où l’appellent ses responsabilités.

qu’est-ce que cette doctrine sociale ?

Jean-Paul II a raconté sa genèse aux participants à la session inaugurale de l’Académie des Sciences sociales : « Au cours du dix-neuvième siècle, l’Église a été interpellée par les conséquences souvent dramatiques de la première industrialisation pour la condition des travailleurs, comme par l’anthropologie qui s’est développée. Sa réaction a été avant tout motivée par un souci pastoral : projeter la lumière de l’Évangile sur les défis toujours nouveaux que doivent relever les hommes.[…] A partir de l’encyclique Rerum novarum, « la Grande Charte qui doit être le fondement de toute activité chrétienne en matière sociale »[2], l’Église a articulé en une doctrine cohérente l’ensemble des principes moraux contenus dans la Révélation et développés par le Magistère au cours de l’histoire ; cette doctrine sociale donne les critères moraux pour la décision et l’action dans la vie personnelle, familiale et sociale ; elle présente la vision intégrale de l’homme, sa dignité intrinsèque, sa nature spirituelle et sa destinée ultime.[…] Les principes de la dignité de la personne, de sa nature sociale, de la destination universelle des biens, de la solidarité, de la subsidiarité, que l’Église déduit de l’anthropologie de la Création, demeurent valides dans toutes les formes de société comme des appels au dépassement des contraintes que les systèmes pratiques finissent toujours par faire peser sur les hommes. » Il s’agit de principes fondamentaux immuables et universels à incarner dans des situations diverses et changeantes et donc « il importe à l’Église de poursuivre l’élaboration de sa doctrine sociale et de la perfectionner grâce à une collaboration étroite avec les mouvements sociaux catholiques et avec les experts dans les disciplines sociales ».⁠[3] Il précisera ailleurs que « La doctrine sociale de l’Église n’est pas une « troisième voie » entre le capitalisme libéral et le collectivisme marxiste, ni une autre possibilité parmi les solutions moins radicalement marquées : elle constitue une catégorie en soi. Elle n’est pas non plus une idéologie[4], mais la formulation précise des résultats d’une réflexion attentive sur les réalités complexes de l’existence de l’homme dans la société et dans le contexte international, à la lumière de la foi et de la tradition ecclésiale. Son but principal est d’interpréter ces réalités, en examinant leur conformité ou leurs divergences avec les orientations de l’enseignement de l’Évangile sur l’homme et sur sa vocation à la fois terrestre et transcendante ; elle a donc pour but d’orienter le comportement chrétien. C’est pourquoi elle n’entre pas dans le domaine de l’idéologie mais dans celui de la théologie et particulièrement de la théologie morale.

L’enseignement et la diffusion de la doctrine sociale font partie de la mission d’évangélisation de l’Église. Et, s’agissant d’une doctrine destinée à guider la conduite de la personne, elle a pour conséquence l’« engagement pour la justice » de chacun suivant son rôle, sa vocation, sa condition.

L’accomplissement du ministère de l’évangélisation dans le domaine social, qui fait partie de la mission prophétique de l’Église, comprend aussi la dénonciation des maux et des injustices. Mais il convient de souligner que l’annonce est toujours plus importante que la dénonciation, et celle-ci ne peut faire abstraction de celle-là qui lui donne son véritable fondement et la force de la motivation la plus haute. »[5]

Après le pontificat de Paul VI⁠[6], certains ont cru que l’Église avait pris ses distances par rapport son enseignement social⁠[7] alors que le concile dans Gaudium et spes en avait rappelé les grandes lignes et que Paul VI avait créé la Commission pontificale Justice et paix, puis publié en 1967 une encyclique fondamentale sur le développement des peuples Populorum progressio, suivie en 1971 d’une lettre apostolique au cardinal Roy Octogesima adveniens à l’occasion du 80e anniversaire de l’encyclique Rerum novarum.

d’emblée, à peine élu (16 octobre 1978), Jean-Paul II, le 28 février 1979, quatre mois après son élection, prononce un important discours lors de l’ouverture des travaux de la IIIe Conférence générale de l’ épiscopat latino-américain (CELAM), à Puebla au Mexique⁠[8]. Il rappelle aux évêques le « patrimoine riche et complexe » de la doctrine sociale de l’Église et leur demande de sensibiliser leurs fidèles à cette doctrine : « faire confiance de manière responsable à cette doctrine sociale, même si certains cherchent à semer le doute et la défiance à son égard, l’étudier sérieusement, chercher à l’appliquer, l’enseigner, lui être fidèle est, pour un fils de l’Église, une garantie de l’authenticité de son engagement dans les devoirs sociaux difficiles et exigeants, et de ses efforts en faveur de la libération ou de la promotion de ses frères. »[9]

Le synode de 1987 insistera : « Cette doctrine doit se trouver déjà dans le programme de base de la catéchèse et être expliquée dans des sessions spécialisées ainsi que dans les écoles et universités. Il convient de noter que la doctrine sociale de l’Église est dynamique, c’est-à-dire qu’elle s’adapte aux circonstances de temps et de lieux. Les pasteurs ont le droit et le devoir de proposer des principes de moralité en matière d’ordre social comme en d’autres domaines ; tous les chrétiens doivent s’employer à la défense des droits de l’homme ; mais l’engagement actif dans les partis politiques est réservé aux laïcs. »[10]

Cent ans après Rerum novarum, Jean-Paul II n’hésitera pas à écrire que « La « nouvelle évangélisation », dont le monde moderne a un urgent besoin et sur laquelle j’ai insisté de nombreuses fois, doit compter parmi ses éléments essentiels l’annonce de la doctrine sociale de l’Église, apte, aujourd’hui comme sous Léon XIII, à indiquer le bon chemin pour répondre aux grands défis du temps présent, dans un contexte de discrédit croissant des idéologies. Comme à cette époque, il faut répéter qu’il n’existe pas de véritable solution de la « question sociale » hors de l’Évangile et que, d’autre part, les « choses nouvelles » peuvent trouver en lui leur espace de vérité et de qualification morale qui convient. »[11] Et il répétera : « la doctrine sociale a, par elle-même, la valeur d’un instrument d’évangélisation. »[12]


1. Lors de son voyage en Amérique latine, en janvier 1979, Jean-Paul II a bien précisé aux clercs et religieux qu’« il est nécessaire d’éviter les interférences indues et d’étudier sérieusement quand des formes déterminées de suppléance ont leur raison d’être » (Inauguration de la troisième conférence épiscopale latino-américaine, Puebla, 28-1-1979). On lit dans Lumen Gentium (31) que « même si parfois ils peuvent se trouver engagés dans les choses du siècle, même en exerçant une profession séculière, les membres de l’ordre sacré restent, en raison de leur vocation particulière, principalement et expressément ordonnés au ministère sacré ; les religieux, de leur côté, en vertu de leur état, attestent d’une manière éclatante et exceptionnelle que le monde ne peut se transfigurer et être offert à Dieu en dehors de l’esprit des Béatitudes ».
2. PIE XI, encyclique Quadragesimo anno, 1931.
3. 25 novembre 1994.
4. En effet, elle n’offre pas de « solutions techniques » mais propose un « ensemble de principes de réflexion et de critères de jugement et aussi de directives d’action. » (Congrégation pour la doctrine de la Foi, Instruction Libertatis nuntius, 22 mars 1986) « et encyclique Sollicitudo Rei Socialis (SRS), n. 41.
5. Id..
6. Dans l’exhortation apostolique Evangelli nuntiandi , 8 décembre 1975, n° 70 PAUL VI déclarait : « Les laïcs, que leur vocation spécifique place au cœur du monde et à la tête des tâches temporelles les plus variées, doivent exercer par là même une forme singulière d’évangélisation. Leur tâche première et immédiate n’est pas l’institution et le développement de la communauté ecclésiale — c’est là le rôle spécifique des Pasteurs —, mais c’est la mise en œuvre de toutes les possibilités chrétiennes et évangéliques cachées, mais déjà présentes et actives dans les choses du monde. Le champ propre de leur activité évangélisatrice, c’est le monde vaste et compliqué de la politique, du social, de l’économie, mais également de la culture, des sciences et des arts, de la vie internationale, des mass media ainsi que certaines autres réalités ouvertes à l’évangélisation comme sont l’amour, la famille, l’éducation des enfants et des adolescents, le travail professionnel, la souffrance. Plus il y aura de laïcs imprégnés d’évangile responsables de ces réalités et clairement engagés en elles, compétents pour les promouvoir et conscients qu’il faut déployer leur pleine capacité chrétienne souvent enfouie et asphyxiée, plus ces réalités sans rien perdre ou sacrifier de leur coefficient humain, mais manifestant une dimension transcendante souvent méconnue, se trouveront au service de l’édification du Règne de Dieu et donc du salut en Jésus-Christ. »
7. Cf. CHENU M.-D., La « doctrine sociale » de l’Église comme idéologie, Cerf, 1979, p. 7: « …​c’est aujourd’hui le sentiment de plus en plus commun sous toutes les latitudes, plus encore dans les jeunes Églises du tiers monde, que la « doctrine sociale » de l’Église est désormais dépassée et périmée. »
8. 28 février 1979.
9. Op. cit., III 7.
10. Proposition 22, citée in CL 60.
11. Encyclique Centesimus annus, 1991, 5.
12. Id., 54.