⁢a. L’importance de l’industrie et du commerce

A partir du XIe s et surtout du XIIe, le nombre de petites et moyennes exploitations augmente, les progrès techniques⁠[1] se répandent comme le harnachement d’épaule, le moulin à eau ou à vent qui facilitent certains travaux. En même temps, les échanges se multiplient notamment grâce aux croisades, la numération arabe et de nouvelles techniques arithmétiques transforment les livres de compte, les transports s’améliorent. Les marchands s’associent, les artisans se groupent en ateliers, ou par métiers ce qui fut incontestablement un progrès avant de devenir obstacle au progrès.

Mais le peuple laborieux va-t-il parvenir à imposer à ses dirigeants temporels et spirituels une plus juste conception du travail et du travailleur ?

Les mines et les forges vont échapper à bien des contraintes féodales mais tomberont sous le contrôle d’hommes d’affaires⁠[2].

Les mines notamment rapportent de substantiels revenus aux princes qui accorderont volontiers des droits particuliers aux mineurs : le droit de prospecter et fouiller presque partout ou encore le droit d’avoir leurs propres tribunaux. Voici, par exemple, en quels termes, le roi Jean d’Angleterre confirme, en 1201, l’ancien droit des « stanneries » (mines d’étain) : « L’ancien droit des mineurs à creuser la terre pour en extraire l’étain n’importe quand, n’importe où, en paix et librement, sans l’interdiction de qui que ce soit, fût-ce sur les dunes et les landes d’un abbé, d’un évêque ou d’un comte (…) leur donne aussi le droit de ramasser et mettre en fagots tout le menu bois nécessaire à leur fonderie, sans causer de dommages aux forêts, ainsi que le droit de détourner le cours des rivières si l’eau est indispensable aux stanneries, comme il est dit dans les anciens usages. (…) Nous avons également décidé que seul le représentant principal des « stanneries » ou ses baillis ont plein droit de rendre la justice et de traduire les mineurs devant la loi »[3]. Cette législation favorable accrut le rendement mais aussi les revenus du Roi qui jouissait en outre du droit de préemption⁠[4]

Mais c’est surtout le marchand qui va très naturellement échapper à l’étroite dépendance économique et juridique et qui, échappant aux règles, va, par ailleurs, scandaliser.⁠[5]

Comme le note très justement J. Heers, « le passage de cette activité essentiellement rurale, marquée par les coutumes et les contraintes du monde féodal, à une industrie proprement urbaine dominée par des chefs d’entreprise « capitalistes », vouée à l’exportation vers les pays lointains pour le compte de grands marchands, se situe, selon les régions, à des périodes très variables ; dans la plupart des cas, seulement au cours du XIIIe siècle. Certains pays, plus éloigné des itinéraires du commerce international, ne l’ont pas connu. »[6]

A cette époque, le changement sera patent en Italie et en Flandre principalement où « le degré d’évolution - de perfection parfois - des techniques marchandes, financières ou bancaires, leur large emploi dans toutes les classes de la société, l’usage général du crédit d’affaires à un taux raisonnable, une politique systématique et consciente pour diminuer les frais de transport et d’assurance, enfin la distribution du travail dans les industries essentielles de la laine et de la soie, témoignent amplement d’une organisation économique et d’une mentalité résolument « capitalistes ». »[7]

Au XVe siècle, on peut même parler de  »triomphe »[8]du capitalisme marchand non partout certes mais dans les villes qui se situent sur les grands circuits commerciaux⁠[9]. On assiste à l’essor de l’industrie textile (laine et soie). De plus, après la guerre de cent ans, la courbe démographique remonte, la main-d’œuvre est plus nombreuse et pour répondre à un appétit de luxe, on abuse de l’emprunt.

d’une manière générale, « ce sont les propriétaires de grands domaines, les bourgeois et les financiers qui profitèrent le plus de l’expansion industrielle »[10]


1. Au contraire de l’Église byzantine hostile à l’introduction d’idées nouvelles et de compromis avec la technologie, « c’est l’ouverture d’esprit de l’Église de Rome au Moyen, Age qui a permis l’essor technologique ».( GIMPEL J., op. cit., p. 226).
   Le cardinal Jean Bessarion (1403-1472) adresse en, 1444 à Constantin Paléologue qui allait devenir empereur de Byzance en 1449, une recommandation pour que l’Empire adopte un certain nombre d’innovations techniques occidentales. Cette recommandation et projet de réfome resta lettre morte. (Cf. KELLER A. G., A Byzantine Admirer of « Western Progress », Cardinal Bessarion, Cambridge Historical Journal, t. XI, 1955, p. 345.
2. Id., p. 39.
3. Cité in GIMPEL J., op. cit., p. 98.
4. Droit que détient une personne ou une administration d’acquérir un bien de préférence à toute autre.
5. Id., p. 42. Au Xe s. déjà, une légende (française ?) représentait le diable sous les traits d’un marchand de Bruxelles qui tente les âmes par l’appât du gain.(Cf. MARTIN M.-M., Baudouin Ier et la Belgique, Flammarion, 1964, p. 63). On se souvient, nous y reviendrons, de la méfiance manifestée par Aristote et saint Thomas vis-à-vis du commerce.
6. Op. cit., p. 32.
7. Id., pp. 50-51. Il n’est pas inintéressant de s’intéresser un instant à l’étymologie du mot « bourse », lieu public où l’on s’assemble pour des opérations commerciales. Bloch et von Wartburg (Dictionnaire étymologique de la langue française, PUF, 1975), sans se prononcer, donnent deux origines possibles : la demeure des Van Der Beurse à Bruges (capitale du commerce mondial dès le XIIe s) devant laquelle se réunissaient, dès 1400, les commerçants des grands centres européens et qui se trouvait près des maisons des associations commerciales, gênoise, florentine, vénitienne. Mais a pu aussi intervenir le mot bursa, sac contenant de l’argent, attesté dans des textes brabançons dès 1290. C’est dire le rayonnement commercial de nos régions puisque le mot bursa ou beurs se retrouve, par exemple, en allemand, en italien, en espagnol, en français.(Cf. aussi Bruges, trésors et merveilles touristiques, Christophe Colomb, 1986, pp. 34-35). Pour évoquer la prospérité des villes flamandes, on peut aussi citer le moine Suger (1081-1151) qui exerça la régence du royaume de France en l’absence de Louis VII parti à la croisade : il trouvera Paris modeste aux côtés de Bruges et de Gand. (MARTIN M.-M., op. cit., p. 63).
8. HEERS J., op. cit., p.51.
9. On pense aux ports, bien sûr, mais il ne faut pas oublier les villes sur les grands fleuves. Avant que Bruges n’acquière sa pleine puissance et draine l’essentiel du commerce européen, les villes de Meuse furent prospères (XIe et XIe s) grâce au commerce alimenté par plusieurs industries régionales, de la Champagne à Cologne: métallurgie (dinanderie), pelleterie, tannerie, drap, étoffes de luxe, vêtements, minerais, sel de Lorraine, vins du Rhin et de la Moselle (cf. ROLAND J., Le Comté et la province de Namur, Wesmael-Charlier, 1959, pp. 55-56).
10. GIMPEL J., op. cit., p. 7.