⁢Chapitre 5 : Le bien commun

Les êtres sont divisés sous l’angle de leurs biens propres, et unis sous l’angle du bien commun.
— St THOMAS d’AQUIN
De Regno ad regem Cypri, I.

Alors, Martin Luther King s’est-il fourvoyé en insistant sur la nécessité de vivre ensemble ? Certes non Mais, nous allons le voir, pour vivre ensemble, encore faut-il partager un bien commun qui pourrait contribuer à notre bonheur.

Le bien commun tel que nous allons le définir, est une notion absente de notre vie politique, remplacée par le « vivre ensemble » qui n’est qu’une contrefaçon, pour reprendre le vocabulaire d’Aristote, du « vivre bien » c’est-à-dire selon le bien, le bien en soi. Dans le « vivre ensemble », le bien se réduit, comme nous l’avons vu, à un conformisme légal, consensuel.⁠[1]


1. En Belgique où le culte catholique à l’instar d’autres cultes et philosophies reconnus est financé par les pouvoirs publics, ceux-ci, en contrepartie réclament de la part des ministres du culte une certaine réserve. L’article 268 du Code pénal prévoit que : « Seront punis d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de vingt-six euros à cinq cents euros les ministres d’un culte qui, dans l’exercice de leur ministère, par des discours prononcés en assemblée publique, auront directement attaqué le gouvernement, une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l’autorité publique ». De plus, l’État fédéral et les représentants des cultes reconnus et de la laïcité ont signé une déclaration commune appelée « Déclaration de 2017 où est affirmée, entre autres, « la primauté de l’État de droit sur la loi religieuse ». Dans son discours du 1er mai 2016, le premier ministre Charles MICHEL avait clairement déclaré : « La loi des hommes prime la loi de Dieu, toujours ». Cette affirmation rejoint ce que Thomas HOBBES écrivait dans son Léviathan ( II, 26, édition latine) : « C’est l’autorité, non la vérité, qui fait la loi » ? Parallèlement, dans le projet de décret « Cultes » voté à l’unanimité le 4 mai 2017 par le parlement wallon en vue de contrôler la transparence du financement. il est prévu que gestionnaires et ministres du culte devront s’engager, via une déclaration sur l’honneur, au respect de « la Constitution, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’ensemble des législations existantes. » Dans ce Décret relatif à la reconnaissance et aux obligations des établissements chargés de la gestion du temporel des cultes reconnus, 27 mars 2017, chapitre 1er, article 10, il est demandé aussi « de ne pas collaborer à des actes contraires à la Constitution, à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et aux législations existantes ; de déployer les efforts nécessaires à ce que ma communauté cultuelle locale, en ce compris l’ensemble de ses membres, ne soit pas associée à des propos ou à des actes contraires à la Constitution et à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. » Si l’on s’en tient strictement à ce que le code pénal prévoit déjà et à ce qu’implique cette déclaration, le laïc responsable d’une fabrique d’église, par exemple, ou le prêtre ou même un membre de la communauté qui dénoncerait, comme contraire à la morale, la loi sur l’avortement, l’euthanasie ou le mariage gay serait passible de sanctions. On peut affirmer que dans ces conditions, la liberté d’expression serait bridée, la liberté religieuse proclamée par ailleurs serait vide de sens. Si l’Église ne peut plus exercer son rôle de guide des consciences en privé comme en public, elle se trahit et se saborde. Dans l’encyclique Evangelium vitae n° 74, ne lit-on pas : « Les chrétiens, de même que tous les hommes de bonne volonté, sont appelés, en vertu d’un grave devoir de conscience, à ne pas apporter leur collaboration formelle aux pratiques qui, bien qu’admises par la législation civile, sont en opposition avec la Loi de Dieu ». ? Ce n’était qu’un rappel développé d’Ac 5, 29: « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ».
   Les Pères du Concile Vatican II avait peut-être conscience du danger en affirmant que l’Église « ne place pas son espoir dans les privilèges offerts par le pouvoir civil. Bien plus, elle renoncera à l’exercice de certains droits légitimement acquis s’il est reconnu que leur usage peut faire douter de la pureté de son témoignage ou si des circonstances nouvelles exigent d’autres dispositions. » (GS, 76, 5).
   Un tel renoncement prophétique garantit la pureté du témoignage. C’est un geste profondément évangélique rendant à César ce qui revient à César. En même temps, la religion chrétienne ne paraît plus ce qu’elle n’est pas, c’est-à-dire une religion parmi d’autres. Clairement, plusieurs lois actuelles sont radicalement contraires au bien commun et le pouvoir politique au nom d’un vivre ensemble nourri de compromissions cherche à taire les voix trop discordantes avec parfois la complicité de ceux-là même qui devraient être les premiers défenseurs du bien commun.