⁢iv. Vers un libéralisme pur et dur ?

[1]

L’effondrement des systèmes communistes en Europe centrale et orientale aux alentours de 1989 semble avoir donné un coup de fouet à l’idéologie libérale en discréditant sévèrement les modèles socialistes les plus accomplis.

De nombreux auteurs peuvent être cités qui animent des courants divers mais nous allons, une fois encore, tâcher de mettre en exergue les point communs.

Selon Martin Masse⁠[2], cinq attitudes psychologiques essentielles se retrouvent dans toutes les formes de libéralisme actuelles. Cinq attitudes qui nous rappelleront les discours des XVIIIe et XIXe siècles⁠[3].

\1. L’individualisme:

« les individus sont ultimement responsables des choix qu’ils font et de la situation dans laquelle ils se trouvent. Ils doivent en assumer les conséquences, bonnes ou mauvaises, sans se plaindre ni en rejeter la faute sur les autres »[4]

\2. L’optimisme:

« Les libertariens ont confiance dans l’ingénuité et le sens de l’initiative des humains. Ils croient que si on laisse les gens libres d’agir dans leur propre intérêt pour trouver des solutions aux multiples défis et problèmes auxquels ils sont confrontés, si les bons indicatifs sont présents, la grande majorité s’empresseront de le faire de façon dynamique, productive et souvent astucieuse ».

\3. Le refus des « abstractions collectives »:

« Les libertariens s’intéressent d’abord à l’individu et le voient comme l’ultime réalité sociale. Pour eux, les entités collectives n’ont de sens que lorsqu’elles s’incarnent dans l’individu, et pas en elles-mêmes ». Les phénomènes collectifs sont pertinents seulement lorsqu’ »ils répondent à un besoin des individus.(…) C’est la subjectivité de l’individu qui importe, pas son appartenance à des entités collectives abstraites. Et lorsqu’il est question de réaliser quelque chose, ils comptent d’abord sur leur propres moyens en collaboration volontaire avec d’autres individus qui y trouvent leur compte pour y arriver, pas sur une « mobilisation » collective ».

\4. La foi dans un progrès continu, dans l’« amélioration constante à long terme »:

« Les libertariens ont (…) une attitude généralement réaliste et pragmatique et sont réconciliés avec le monde tel qu’il est, même s’ils souhaitent bien sûr eux aussi voir des changements pour le mieux. Ils ne sont pas constamment désespérés de constater que nous ne vivons pas dans un monde parfait, qu’il y a des inégalités, des problèmes sociaux, de l’ignorance, de la pauvreté, de la pollution et toutes sortes d’autres situations déplorables dans le monde. Ils croient que seul l’effort, la créativité et l’apprentissage individuels à long terme permettent de changer les choses et qu’il n’y a pas de solution magique pour tout régler. De toute façon, la vie comme processus biologique et la société comme processus d’interaction humaine sont des systèmes en perpétuel déséquilibre et en perpétuel mouvement de rééquilibrage, et il n’y a donc aucune raison de se désoler du fait que nous ne soyons pas encore parvenus à créer un monde parfait. Un tel monde serait de toute façon synonyme de stagnation et de mort ». Autrement dit encore, les libertariens ne sont pas des « aliénés de la vie qui sont « conscientisés » à toutes les bonnes causes. »

\5. La tolérance:

« Pour les libertariens, tout est acceptable dans la mesure où quelqu’un ne porte préjudice à autrui ou à sa propriété. Les gens peuvenet donc faire ce qu’ils veulent avec leur propre corps et entre eux si c’est de façon volontaire. Ils peuvent se droguer, se prostituer, ou consacrer leur vie et leur fortune à la vénération des petits hommes verts venus d’autres planètes. Personne n’a moralement le droit d’empêcher quiconque de vivre comme il l’entend s’il ne fait de tort à personne d’autre, même si la presque totalité de la population désapprouve son comportement particulier. (…) Dans une société véritablement libre, les individus pourront s’organiser comme ils le voudront, dans la mesure où ils ne tentent pas d’imposer leur mode de vie à ceux qui ne le souhaitent pas. Ainsi les communistes pourront s’acheter un territoire, fonder une commune, se soumettre volontairement à un gouvernement local qui les taxera à 90% et qui planifiera leur vie de classe prolétarienne dans les moindres détails ».

Ces principes recoupent parfaitement cette définition de la liberté qui était en vigueur dans les cercles économiques du XIXe siècle : « Entière propriété de soi-même ; entière possession de ses forces, de ses facultés corporelles et intellectuelles, la liberté est la base et le guide des doctrines économiques ; c’est le droit du plus faible pesé dans la même balance que le droit du plus fort. (…) Elle n’a pas d’autres limites que la liberté et le droit d’autrui. Elle est un des corollaires du droit de propriété »[5]

Près d’un siècle et demi plus tard, Walter Block rappelle que le libéralisme repose bien sur deux principes fondamentaux : la propriété de soi-même et la propriété privée⁠[6].

A partir, de la réhabilitation des principes fondamentaux du libéralisme classique nous allons retrouver mais amplifiés, les grands thèmes de l’économie politique des origines⁠[7].


1. Une question de vocabulaire se pose. Comment appeler ce libéralisme pur et dur d’aujourd’hui ? Couramment, on parle de néo-libéralisme mais ce mot est refusé par certains. Ainsi, pour Martin Masse (Cf. Le Québécois libre, n° 97, 2-2-2002, disponible sur www.quebecoislibre.org. Cette publication « défend la liberté individuelle, l’économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales. Il s’oppose à l’interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus »), le mot néo-libéral ne convient pas pour désigner le renouveau de la pensée libérale classique. Ce terme est plutôt utilisé par les adversaires comme une injure, dit-il, le néo-libéralisme étant considéré comme la cause de tous les maux. De plus, quand on parle de libéralisme aujourd’hui dans certains pays, on évoque des partis politiques qui sont devenus socialistes ou gauchistes (comme aux USA), ou encore centristes comme au Canada. Le mot libertaire ne convient pas non plus car il risque d’induire en erreur. Le courant libertaire, à proprement parler, est un anarcho-socialisme ou un anarcho-communisme dont les premiers représentants sont les révolutionnaires russes Kropotkine et Bakounine. S’ils sont anti-étatistes, ils sont anti-capitalistes, égalitaristes, autogestionnaires, collectivistes. En définitive, toujours selon Masse, il faut appeler ce nouveau courant de pensée libérale classique: « libertarien », en référence avec « libertarian » américain). A ce courant sont associés des penseurs et économistes comme Ludwig von Mises, Friedrich Hayek, Milton Friedman, R. Nozick. Pour la facilité, nous nous conformerons à l’usage et emploierons, malgré tout, indifféremment les termes « libertarien » ou « néo-libéral » en nous en tenant strictement à l’ étymologie de ce dernier.
2. Cf. Le Québécois libre, n°53, 21-1-2000.
3. F.A. von Hayek explique : «  Nous n’avons ni le désir ni le pouvoir de retourner en arrière, de revenir au XIXe siècle, mais nous avons la possibilité de réaliser son idéal, qui n’est pas méprisable. Nous avons peu de titres à nous sentir supérieurs à nos grands-pères. Et nous ne devons pas oublier que ce n’est pas eux, mais bien nous, qui avons fait un grand nombre de folies. Si la première tentative pour créer un monde d’hommes libres a échoué, nous devons recommencer. Ce principe suprême : la politique de liberté individuelle, seule politique vraiment progressive, reste aussi valable aujourd’hui qu’au XIXe siècle » ( La route de la servitude, Médicis, 1945, pp. 170-171).
4. Pascal Salin écrit : « Le capitalisme ne peut se justifier d’abord par sa capacité à accroître la « prospérité commune » (à supposer qu’une telle expression ait un sens quelconque). Sa véritable justification est d’ordre moral ; c’est parce que le capitalisme est conforme à la nature humaine qu’il est juste ; il respecte la recherche par chaque homme de ce qu’il considère comme « bien » ; la notion d’ »intérêt général », en revanche, auquel les droits d’un individu pourraient être sacrifiés, est un concept sans signification dont se sert celui qui prétend vouloir en formuler le contenu pour imposer aux autres son propre système de valeurs. Or, seuls les hommes eux-mêmes peuvent juger des valeurs qui les concernent. Les choses n’ont de valeur qu’en fonction des projets individuels qu’elles permettent de réaliser et dont elles sont issues, et elles n’ont de valeur que pour les individus qui les formulent » (L’arbitraire fiscal, R. Laffont, 1985, p. 16).
5. In Vocubulaire de Neymark. L. Salleron (op. cit., pp. 18-19) qui le cite, précise : « Certes Neymark est un personnage tout à fait secondaire, mais à ce titre même il est éminemment représentatif de la pensée dominante de son temps. Ancien président de la Société de statistique de Paris, directeur du journal Le Rentier (…) il veut mettre l’Economie politique à la portée de tous dans un petit livre sans prétention. « Nos confrères de la Société d’Economie politique de Paris, nous dit-il dans un avant-propos, (…) nous ont donné des citations choisies par eux, extraites de leurs propres ouvrages, des réflexions et des pensées inédites : grâce à leur obligeant concours, ce Vocabulaire se présente, en quelque sorte, avec la collaboration des membres les plus autorisés de la Société d’Economie politique ». Nous sommes bien en présence, poursuit Salleron, d’une pensée commune aux économistes du XIXe siècle ».
6. L’économie politique selon les libertariens, in Journal des Economistes et des Etudes humaines, vol. 3, n° 1, mars 1995, disponible sur www.libres.org. W. Block est professeur d’économie au College of the Holy Cross, Worcester. Un autre, Bertrand Lemennicer, professeur à l’université Panthéon-Assas, à Paris, reprend plus simplement la vieille formule anarchiste : « ni Dieu, ni maître » (in Le libéralisme, disponible sur www.lemennicier.com).
7. Les libertariens ont un précurseur en Belgique. G. De Molinari (1819-1912), directeur de la revue L’économiste belge (1855-1868), « poussait jusqu’à des conclusions extrêmes les conceptions de l’école libérale. Son laisser-faire était pur comme le cristal. Il considérait que les fonctions gouvernementales pourraient être abolies à peu près complètement : non seulement l’État ne devrait intervenir dans aucun domaine de l’acitivité économique, mais il devrait abandonner à l’initiative privée l’enseignement, le culte, le monnnayage, le service postal, les transports, etc. Bien plus, même la protection des citoyens pourrait être enlevée au gouvernement et confiée à l’initiative privée. Car, le Gouvernement n’est uatre chose qu’une entreprise organisée pour fournir la sécurité. Or la production de la sécurité est soumise à la même loi naturelle que toutes les autres productions. Actuellement les gouvernements ont un monopole, aucune concurrence ne s’y exerce. d’où les abus et les guerres. La seule solution rationnelle, ou plutôt naturelle, est d’y introduire la concurrence. Des individus ou des associations s’établiront alors comme producteurs de sécurité et les consommateurs choisiront ceux qui offrent leurs services dans les meilleures conditions ».(Cf.. CHLEPNER B.-S, Cent ans d’histoire sociale en Belgique, Editions de l’Université de Bruxelles, 1972, pp. 57-58).