b. qu’est-ce qu’une entreprise ?
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A l’origine, l’entreprise est une affaire personnelle identifiable: l’entrepreneur « travaille la plupart du temps avec ses capitaux propres ou du moins se constitue responsable sur toute sa fortune à l’égard de ses commanditaires. Ses erreurs ou ses malchances sont sanctionnées par des procédures de faillite impitoyables. A côté de ceux qui surnagent et fondent les grandes dynasties bourgeoises ; beaucoup sont engloutis ».[2] Sur cette base personnelle, familiale ou commanditée, les relations sont personnelles entre maître et compagnons, marchand et client, bailleur de fonds et commandité et même entre le travailleur et les choses.
Puis, assez vite, au cours de la première moitié du XIXe siècle, apparaît l’entreprise caractéristique du capitalisme : la société de capitaux dans laquelle « les personnes ne se trouvaient responsables que pour la part de capital apportée par elles. »[3] C’est la société anonyme où des gestionnaires travaillent avec des capitaux provenant de sources diverses. Tout y est impersonnel : « les choses n’ont plus d’âme, elles ne sont que le support d’une valeur vénale. Anonymes, les relations de la direction et du personnel, les relations commerciales entre les marchands et les clients, surtout entre les actionnaires et l’entreprise. L’actionnaire ne peut avoir d’autre image de l’entreprise que celle d’un titre dont il détache un coupon et dont il escompte une plus-value. (…) Il n’y a plus en présence que des chiffres et des signatures, il n’y a plus de visage ni aux personnes ni aux choses. »[4] Sous ce « règne des marchandises et de l’anonymat »[5], où propriété et responsabilité se dissocient[6], les travailleurs ne font pas partie, au sens strict, de l’entreprise, dans la mesure où ils ne lui sont liés que par un contrat précisant la salaire qui sera accordé en échange du travail fourni.
Léon XIII prend acte de cette situation et ne parle pas d’entreprise mais des droits et devoirs « qui règlent les relations des riches et des prolétaires, des capitalistes et des travailleurs. »[7]
A partir des revendications chrétiennes et socialistes, petit à petit, un « droit du travail » est venu mesuré le droit commercial et l’on va se demander, dans le courant du XXe siècle, si l’entreprise, « société de capitaux », n’est pas aussi une société de personnes.
Mais, parmi les devoirs principaux du patron, il faut mettre au premier rang celui de donner à chacun le salaire qui convient. (…) Enfin, les riches doivent s’interdire religieusement tout acte violent, toute fraude, toute manœuvre usuraire qui serait de nature à porter atteinte à l’épargne du pauvre, d’autant plus que celui-ci est moins apte à se défendre, et que son avoir est plus sacré parce que plus modique ». (RN, 450 in Marmy).