⁢iii. La mise en garde des économistes

Comme les autres critique du système néolibéral, R. Passet considère la nouvelle économie mise en place comme productive mais déstabilisante pour les pays vulnérables car les capitaux s’investissent d’abord dans les régions riches et parce que cette économie ne sait ou ne veut partager : elle prône le licenciement et la flexibilité pour conserver sa productivité. Elle est « insensée au sens propre » : ayant perdu le sens social, « le sens du sens », elle perd « toute notion de limites. Quand l’instrument économique se substitue à la finalité au lieu de la servir, les frontières entre le moral et l’immoral, le légitime et l’illégitime, disparaissent. On voit alors prospérer une économie en marge de la légalité : paradis fiscaux, blanchiment de l’argent des activités criminelles[1], argent propre, argent sale, malversations, interfèrent de plus en plus étroitement. Sans la bienveillance du banquier « propre », sans la complicité de l’avocat et du conseiller juridique ou financier « honorable » ayant pignon sur rue, sans la « compréhension » des gouvernements, les activités de l’ombre ne pourraient revêtir l’importance qui est désormais la leur. Sans les paradis fiscaux, bien des firmes transnationales ne pourraient, en y localisant des opérations fictives, tourner la loi fiscale pour fausser les lois de la concurrence. »[2] « Finalement, dans la mesure où le pouvoir financier transnational a supplanté - tant dans l’espace que dans ses valeurs - celui des États, détenteurs de la loi, la criminalité économique n’est-elle pas devenue intrinsèque à la financiarisation de notre monde ? Alors que notre civilisation démocratique, a voulu promouvoir l’homme comme Sujet, le règne de l’ « argent fou », l’appât du gain immédiat et planétaire comme finalité première de toute activité humaine, ne sont-ils pas en passe de réifier l’individu à travers la marchandisation dévorante de l’ensemble de la création ? Il s’agit désormais en fait non seulement d’argent, de drogue, d’armes, (mais aussi) d’êtres humains (leurs organes), d’œuvres d’art, etc.. »[3] « Ainsi, la logique financière régnante, outre sa redoutable déconnexion de la richesse réelle, tend à réduire l’homme à un capital en le coupant de sa dimension spirituelle et sociale. »[4]

Mais la passion de l’argent a gagné le monde économique à tel point que même de chauds partisans du système capitaliste et du marché s’en inquiètent très sérieusement.

  1. Minc⁠[5], grand admirateur du capitalisme anglo-saxon et, nous le verrons plus loin, vrai libéral, témoigne qu’« …aimer le marché et le capitalisme, ce n’est pas accepter un culte délirant dont les excès sont à la mesure des tabous d’autrefois. Une société de marché ne suppose pas l’argent-roi ; le capitalisme ne porte pas nécessairement en germe l’argent-parasite ; la dynamique de l’économie n’exige pas des inégalités de patrimoine insupportables. »[6]

« Le capitalisme ne pratique ni la mesure, ni l’autocensure. (…) Le risque pour lui ne vient plus de l’extérieur. Il est en lui : dans l’argent fou, dans des dépenses provocatrices, dans des inégalités de fortune trop éclatantes, dans une injustice -osons le mot- trop criantes ».⁠[7] Cette situation est dangereuse, elles conduit à la constitution de nouvelles classes sociales, à des tensions et des affrontements.

Que recouvrent ces expressions ; argent fou, argent-roi, argent-parasite ?

L’économie contemporaine est gangrénée par la corruption⁠[8] et d’autres manœuvres illégales⁠[9], des « pratiques incertaines, légales mais condamnables »[10] , par les délocalisations⁠[11], par la recherche des paradis fiscaux, des placements off shore⁠[12], des « montages » comme les trusts⁠[13], les fiducies⁠[14], les portages⁠[15], par les « délits d’initiés »⁠[16], par les « narcodollars », c’est-à-dire l’argent de la drogue ou encore l’argent des mafias qui trafiquent armes⁠[17], biens, personnes. Ce mal est si répandu que l’auteur se demande : « Quelle banque internationale peut affirmer avec certitude qu’aucun de ses dépôts ne correspond à de l’argent blanchi ou à de l’argent en voie de blanchiment ? Quelle entreprise peut assurer que les narcodollars ne se sont pas placés sur ses titres ? Quel gestionnaire de patrimoine peut garantir que l’épargne qui transite entre ses mains est toujours « blanc-bleu » ? »[18]

Aujourd’hui, « l’enrichissement sans cause est apparu plus aisé que l’enrichissement avec cause, et la moindre opération de marché plus rentable qu’un travail de fond ! Dans ce contexte, les frontières deviennent de plus en plus floues entre l’argent facile et l’argent sale. »[19] On s’enrichit vite, sans effort, sans travail et on s’efforce d’échapper à l’impôt en pratiquant l’évasion fiscale⁠[20], la fraude ou en recourant à des conseillers fiscaux qui utiliseront toutes les failles du système.

En même temps, « l’argent devient visible, arrogant, destructeur » et inspire des « modes de vie ostentatoires ».[21] L’entrepreneur a détrôné l’intellectuel⁠[22] et on a tendance à beaucoup lui pardonner.⁠[23]

Comment en est-on arrivé là ?

Pour l’auteur, plusieurs facteurs sont intervenus.

L’argent a établi sa royauté en même temps que l’individualisme progressait dans notre société et envahissait «  le système de valeurs »[24] et se manifestait partout, dans le travail, la consommation, les loisirs, s’accompagnant d’un « raz de marée matérialiste »[25]. « Nous vivons, nous le savons, la disparition des règles et des tabous. En matière de mœurs, dans la vie en société et a fortiori face à l’argent. La frontière s’atténue entre l’argent bien ou mal gagné, entre le revenu légal ou illégal, la rémunération morale et immorale. »[26] « La frontière du bien et du mal va se perpétuer pour les revenus du travail, puisqu’ils sont automatiquement déclarés, et toute l’énergie répressive des services des impôts risque de se focaliser sur les salariés. Mais dès que le capital ou ses revenus constituent la matière imposable, le flou (…) commence à régner. »[27] Et « le flou profite aux possédants »[28]. On en arrive à cette situation paradoxale : « d’un côté, des catégories dont les revenus, limités par les contraintes économiques, demeureront sous l’éteignoir fiscal. De l’autre, des possédants libres de faire fructifier leur capital en toute impunité fiscale, sans compter des fraudeurs rendus de plus en plus insolents par les facilités qui leur sont données. »

On a assisté aussi à une « explosion de la Bourse » à cause de la baisse de l’inflation, des taux d’intérêt donc et de l’amélioration des comptes des entreprises⁠[29] . L’« introduction sur le marché d’entreprises jusqu’alors non cotées » a provoqué « explosion des marchés financiers » et l’apparition de « millions de nouveaux actionnaires »[30] à tel point qu’on ne sait plus toujours très bien à qui appartient une entreprise : aux actionnaires, aux managers, aux salariés ?

Dans la culture individualiste où le sentiment national s’effritait, on a assisté à l’« effacement des contre-sociétés »[31] : l’Église⁠[32], le parti communiste, les partis politiques, la vie associative, l’école, l’armée, « les syndicats sont sur la défensive »[33], la presse qui pourrait jouer un rôle régulateur risque d’être jugulée par des « actionnariats de plus en plus concentrés »[34]. Le mouvement écologique s’est présenté comme « un contre-feu au marché, mais il est encore immature et ambigu. »[35] Finalement, l’écologie est une « utopie sans débouché pratique »[36], un « urticaire social »[37].

Mais le contre-pouvoir qui a failli le plus, c’est l’État : « Ce n’est pas le triomphe du marché qui met l’État sur la défensive ; c’est son inefficacité qui assure la victoire du marché. »[38] L’auteur condamne la centralisation, le monopole de l’administration et de l’intérêt généra. Il conclut : « la faillite de l’État accentuera (…) le triomphe idéologique du marché, puisqu’elle ne lui opposera qu’un contre-exemple dérisoire. »[39] En effet, « à force de gérer et d’administrer, l’État ne sait plus décider. L’administration a davantage conquis l’État que celui-ci ne la commande »[40]. Quant à la justice, aujourd’hui, elle « réprime plus sévèrement le vol à la tire que l’escroquerie en col blanc, le chapardage que la faillite frauduleuse, le hold-up avec un pistolet en plastique que l’abus de confiance. »[41]

Que faire alors pour préserver le marché des désordres que l’argent-roi y introduit ?

« Le capitalisme doit (…) trouver ses règles, l’argent secréter ses contre-pouvoirs (…​.).⁠[42] « Face à l’argent-roi, il n’existe de réponse que dans la vertu et les contre-pouvoirs ».⁠[43]

Quels contre-pouvoirs ?

L’auteur ne croit plus à l’efficacité des contre-pouvoirs traditionnels déjà évoqués. Seule la presse trouve grâce à ses yeux et reste pour lui un élément régulateur dans son pouvoir de dénonciation mais à condition qu’elle garde une certaine indépendance par rapport aux forces financières et économiques⁠[44].

En ce qui concerne l’État, la pensée d’A. Minc se met à flotter. Il semble rendre à l’État un rôle essentiel. Il nous dit qu’« au moment où, face aux sollicitations de l’argent, les règles les plus élémentaires de la morale se défont, (le devoir d’un homme d’État) est aussi de contribuer à sauvegarder un minimum d’éthique. » ⁠[45] Il affirme aussi que « c’est à l’État d’imposer les règles ; et il ne doit pas laisser aux industriels décider en fonction de leur propre idiosyncrasie, car cela aboutirait à ce que telle entreprise vende et telle autre non. Dès lors que la ligne la plus dure a son prix en matière de débouchés, seule la puissance publique peut effectuer l’arbitrage entre la morale et les marchés. »[46] Et d’ajouter encore que « lorsque la morale s’efface au point que, sur de multiples enjeux, le bien et le mal deviennent indistincts, les partisans de l’éthique ont besoin de symboles et seul l’État peut les leur fournir. »[47]

Mais l’auteur a beau répéter que « dans le modèle de marché, l’État joue un rôle d’arbitre et de régulateur, non de producteur et d’acteur »[48] et qu’« arbitrer entre des intérêts économiques et sociaux, c’est la fonction où l’État est irremplaçable »[49], il n’en reste pas moins, en la matière, un bon libéral. Ainsi souhaite-t-il, réduisant le bien commun à l’intérêt général, introduire, dans certaines des fonctions publiques essentielles, la logique du marché : « C’est en faisant place aux mécanismes mêmes de la concurrence que l’administration préservera l’idée de l’intérêt général, face à une évolution qui la submerge. »[50] Et il n’hésite pas, à propos du système de redistribution, à poser cette question : « L’intérêt général est-il mieux servi par un système improductif et bureaucratique ou par une organisation complexe, faisant sa part au marché et à la concurrence à l’intérieur d’un code de conduite précis. »[51] La haute fonction publique doit renoncer à son monopole⁠[52] et l’État doit « aider la société à accoucher de nouvelles institutions et de nouveaux acteurs ».⁠[53] Dans sa perspective, il faut, en effet, « attendre du marché davantage d’influence sociale, pour que l’argent, lui, en ait moins »[54]

En fait, la régulation doit venir non de l’État mais du droit, détachant l’un de l’autre. Il faut, écrit-il, un équilibre « entre le marché et le droit, la concurrence et la régulation, l’économie et la société. (…) L’État s’est cru le contre-pouvoir naturel au jeu du marché, alors que c’est au droit et à la jurisprudence de remplir cette fonction. »[55] « Le temps est passé de l’État acteur ; arrive celui du droit ; conçu à la fois comme régulateur, substitut à l’exigence morale et accoucheur. »[56]

Le droit.

Il s’agit, semble-t-il⁠[57], d’un droit nouveau, un droit économique qui ne peut plus être dit par l’État. Et, de fait, l’auteur avoue s’être inspiré d’un ouvrage au titre particulièrement explicite : Le droit sans l’État[58]. La justice, dans cette société vouée à la liberté la plus grande, est bien la justice commutative : « L’importance du contrat est, écrit-il, à la mesure de la liberté des acteurs »[59]. Place aux accords juridiques, place à la jurisprudence pour régler le marché : « Société de marché, contractualisation des relations, droit omniprésent et flexible sont les composantes d’un même système : sa complexité est à la mesure de sa richesse ; sa sophistication de sa diversité institutionnelle. »[60] « Réguler des acteurs sociaux aux prises les uns avec les autres, cela suppose donc de laisser le droit remplacer l’intervention directe, les institutions intermédiaires se substituer à l’administration. »[61].

L’auteur croit, avant tout, à l’« autodiscipline »[62]. C’est pourquoi, le droit tel qu’il le conçoit est intimement associé à la « morale »[63], telle qu’il la conçoit, à la « vertu », se plaît-il à dire.

Face au glissement des comportements en matière économique et financière, « c’est au droit de venir au secours de la vertu. Cela signifie, dans le domaine financier, que la jurisprudence précise la définition relative du licite et de l’illicite, qu’elle punisse, si besoin est, les délits financiers en prenant en compte l’importance de l’économie dans la vie sociale, et que la loi enfin remette les peines dans la perspective des dommages réels. Il faut, en la matière, une répression bien ciblée pour que se multiplient, à partir de là, les règles professionnelles et les codes de comportement propres aux entreprises. La morale en affaires va au-delà du strict respect de la légalité : elle exige d’en faire davantage. »[64]

Mais droit et morale se construisent⁠[65]. Leurs règles sont appelées par les circonstances et ne se déduisent pas de quelques principes supérieurs, de quelques invariants : « L’argent n’a que faire de la morale ; le marché, non plus, qui vise à la seule efficacité. Ni l’État ni la religion ne peuvent désormais imposer une éthique, pour autant qu’ils l’aient d’ailleurs fait dans le passé (…). Le droit est donc le seul contre-feu au règne, sans partage, de l’argent. Mais si Dieu et l’État-nation ne le dictent pas, d’où vient sa légitimité ? »[66] La réponse est simple: « s’élaboreront au fil du temps des règles incontournables »[67]. Ainsi, déjà aujourd’hui, « les entreprises pressentent la nécessité de règles ou de comportements qui vont à rebours de la toute-puissance de l’argent. d’où les principes éthiques que beaucoup commencent à s’imposer (…). »⁠[68]

L’évolution positive des sociétés dépend en dernier ressort non du droit⁠[69] qui est un support⁠[70], non de la morale au sens traditionnel du terme⁠[71], mais de la vertu des acteurs : « A l’argent triomphant répond la réhabilitation de l’éthique (…) ». Il s’agit « de redécouvrir la morale sans verser dans le moralisme, de réhabiliter l’éthique sans prendre la pose. Il n’existe donc qu’une réponse : la vertu, encore la vertu, toujours la vertu. »[72]

Sur quoi se fonde cette vertu ? Ni sur Dieu, ni sur Marx, ni sur la famille, ni sur les systèmes de valeurs collectives, ni sur l’État, ni sur les syndicats, ni même finalement sur l’entreprise⁠[73] : « Nous sommes libres, immensément libres, complètement libres. Mais la morale ne disparaît pas avec la liberté ; la norme seule s’efface, c’est-à-dire la morale subie, l’éthique imposée, la vertu obligée. A nous de bâtir nos propres principes ! (…) A chacun sa morale, et donc à chacun, son éthique du capitalisme. »[74]

N’empêche que l’auteur avance une définition réductrice de la « vertu »: « Ce que j’appelle la vertu est au premier chef un acte politique ; il a un nom, le réformisme. »[75] Et le « réformisme s’assimile d’abord à la réforme fiscale »[76] !

En définitive, après avoir très justement évoqué le danger de « l’argent fou », et fidèle à son attachement au système capitaliste, A. Minc confirme que « les mécanismes de marché sont les meilleurs, mais aussi que leur efficacité suppose un comportement impeccable des acteurs. »[77]

Mais le réalisme fait que des corruptions, des illégalités inacceptables pour la conscience personnelle doivent être admises dans l’intérêt de l’entreprise : il n’y a « pas de place pour les saints à la tête des entreprises » et « ce n’est pas au chef d’entreprise de fixer l’éthique de sa société : c’est à la loi. »[78] Mais une loi bien libérale dans sa conception.

A quoi bon parler d’État régulateur et arbitre, d’institutions intermédiaires, de droit, de morale et de vertu si tout cela baigne dans l’embrouillamini d’approximations conceptuelles que nous venons de constater. L’appel à la réforme est, dans ce cas, un vœu pieux de libéral incorrigible.

Bien plus intéressante et structurée est, 13 ans et quelques crises plus tard, l’analyse de J. Stiglitz dans l’ouvrage déjà signalé⁠[79]. Stiglitz répond d’une certaine manière à Minc qui rêvait du modèle américain, en dénonçant des maux pires encore que ceux que le Français redoutait et au cœur même d’un système que d’aucuns croyaient idéal.

Le prix Nobel d’économie a montré « le rôle central de la finance dans une économie moderne » mais aussi « pourquoi, souvent, des marchés financiers non réglementés ne fonctionnent pas bien, pourquoi nous avons besoin de l’État, et pourquoi ce qui est bon pour Wall Street risque de ne pas l’être, et souvent ne l’est pas, pour l’ensemble du pays ou pour telle ou telle de ses composantes. »[80]

Stiglitz a analysé non seulement les crises très graves qui se sont succédé depuis 1990, à travers le monde -crise mexicaine, crises asiatiques et latino-américaines- mais aussi et surtout les crises américaines⁠[81]. Il en tire les leçons⁠[82].

Les crises naissent de l’éclatement de « bulles ». Les bulles sont des phénomènes familiers au capitalisme⁠[83], très dangereux car quand les bulles éclatent « -et le font toujours-, elles peuvent laisser le chaos dans leur sillage (…) »⁠[84].

Traditionnellement, les bulles apparaissent lorsque « les prix des actifs n’ont plus aucun rapport avec leur valeur réelle ».. Elles sont l’effet d’une « exubérance irrationnelle »[85]. Ainsi, au début du XVIIe siècle, en Hollande, le prix d’un seul oignon de tulipe « était monté jusqu’à l’équivalent de plusieurs milliers de dollars ; tout investisseur était prêt à payer cette somme, puisqu’il était persuadé de pouvoir revendre l’oignon à quelqu’un d’autre encore plus cher. »[86]

Dans les bulles contemporaines, non seulement l’« exubérance irrationnelle » gonfle indûment les valeurs mais interviennent aussi des « incitations perverses »[87], des réductions fiscales, des dérégulations, des déréglementations trop rapides⁠[88] : « On a voué un respect excessif à la sagesse des marchés financiers. On a débranché les mécanismes normaux de contrepoids et de contrôle. »[89]

Or, « les marchés sont des choses délicates »[90]. Quant à la réglementation, « quand elle est bien faite, (elle) contribue à maintenir la concurrence sur les marchés (…). En contribuant à limiter conflits d’intérêts et abus de pouvoir, les règles garantissent aux investisseurs que le marché fonctionne équitablement et que les agents censés servir leurs intérêts le font vraiment. Mais cette médaille a un revers : la réglementation réduit les profits. « Déréglementation » signifie donc « augmentation des profits ». »[91] Mais ce n’est vrai que durant un temps et surtout pour le premier qui s’installe dans le marché déréglementé pour y « rafler la mise »⁠[92].

Déréglementation et surinvestissement favorisent booms et crises par la formation de « bulles spéculatives »[93].

L’auteur ne cesse donc de répéter que « l’économie de marché, pour bien fonctionner a besoin de lois et de règlements qui assurent une concurrence équitable, défendent l’environnement, protègent consommateurs et investisseurs, afin qu’ils ne soient pas volés. Il ne fallait pas déréglementer, il fallait réformer la réglementation : durcir les règles dans certains domaines, comme la comptabilité, les assouplir dans d’autres. »[94]

La comptabilité, en effet, est le lieu privilégié des manipulations et des fraudes à tel point que « l’énergie et la créativité tant vantées des années 1990 se sont de moins en moins exprimées par de nouveaux produits et services, et de plus en plus par de nouveaux moyens de maximiser les gains des dirigeants aux dépens des investisseurs inattentifs. »[95]

Il est un fait que, dans les années 1990, la rémunération globale des PDG aux États-Unis mais aussi ailleurs dans le monde « est montée à des niveaux inouïs, en défiant toutes les lois des théoriciens », sans que ces PDG soient moins nombreux ou plus productifs.⁠[96] Et puis, ne pas oublier qu’un salaire de CEO, c’est très flexible, ça peut augmenter mais aussi diminuer. Il y a beaucoup de patrons en Belgique qui ont une diminution de leur salaire quand les performances de leur entreprise ne suivent pas. » (www.retbf.be, 10 janvier 2020). ]

On ne compte plus les scandales dus à des comptabilités truquées⁠[97]. Contrairement à Minc qui compte davantage sur le droit que sur l’État, Stiglitz bien conscient que les États-Unis se distinguent des autres pays par le choix qu’ils ont fait du juridisme, note qu’« il y a un ensemble détaillé de règles, et, du moment qu’elles sont respectées, tout est permis, même si l’image globale de la santé financière de la firme à laquelle on aboutit est entièrement fallacieuse ». Très lucidement, il que « tout comme, dans une période antérieure, les avocats et les comptables avaient cherché des méthodes pour réduire au minimum les prélèvements fiscaux sans aller en prison ni payer d’amende, ils se sont donné dans les années 1990 une tâche encore plus redoutable : trouver comment enrichir les dirigeants en place, là encore sans aller en prison ni payer d’amende - donc en restant toujours dans le cadre des règles -, aux dépens des actionnaires d’aujourd’hui ou de demain. »[98]

Il ne faut donc pas seulement déplorer les déréglementations mais aussi et peut-être surtout la perte de tout sens moral chez les responsables. L’auteur a raison, dans ces conditions, d’écrire qu’au cours des années 1990, « pendant que les valeurs boursières montaient, les valeurs humaines se sont érodées. »[99]

Les banques elles-mêmes sont entrées dans le jeu spéculatif trouvant qu’il était « bien plus lucratif de mentir que de dire la vérité ».⁠[100]

Face à ces graves désordres, nous le savons, Stiglitz cherche à revaloriser le rôle d’l’État, sans pour autant retomber dans les lourdeurs de l’État-providence. d’une part, conseille-t-il, il ne faut pas abandonner « la politique monétaire à des technocrates, parce qu’elle nécessite le type d’arbitrage qui s’effectue dans le cadre du processus politique » mais d’autre part, il vaut mieux faire « confiance aux règles comptables (…) conçues par une instance indépendante » car des intérêts puissants peuvent, dans un cadre politique, user « de leur influence pour obtenir des normes en trompe l’œil ».⁠[101]

Mais il faut aller plus loin car la mondialisation est telle qu’une crise apparemment ponctuelle, apparemment liée à une région, voire à une entreprise, a des répercussions à travers les continents. Les crises, à l’heure actuelle, où qu’elles soient, peuvent déstabiliser le monde. Par ailleurs, des mesures profitables aux États-Unis, par exemple grâce à des subventions, cette fois, peuvent avoir de lourdes conséquences dans d’autres pays, notamment dans le tiers-monde, les États-Unis appliquant une politique de « deux poids deux mesures »[102] et n’acceptant pas nécessairement « le principe de réciprocité »[103].

Il faudra donc, et nous en reparlerons, réglementer le marché international puisque « le monde est devenu économiquement interdépendant. Ce n’est que par des accords internationaux équitables que nous parviendrons à stabiliser les marchés mondiaux. Il y faudra un esprit de coopération qui ne se gagne pas par la force, ne s’obtient pas en dictant des conditions inadaptées au beau milieu d’une crise, en intimidant, en imposant par diverses pressions des traités inégaux, en pratiquant une politique commerciale hypocrite (…) ».⁠[104]

Des traités internationaux équitables, un juste équilibre entre le marché et l’État et la promotion de valeurs fondamentales telles que la justice sociale ou le droit du citoyen à l’information, tel est le programme de réforme proposé par le prix Nobel.

Ce programme aussi sage soit-il et aussi nécessaire soit-il, paraît encore trop faible face à l’énormité du problème et à sa gravité croissante. Etant donné que « la corruption contemporaine utilise au mieux les possibilités offertes par la circulation accélérée des capitaux » et que le décalage grandit sans cesse « entre les moyens que peuvent mobiliser les grands délinquants financiers et ceux dont disposent les policiers et les magistrats chargés de les combattre », il faut certainement plus que des traités et des lois toujours en retard et aller jusqu’au cœur du mal, au cœur de l’homme⁠[105]. La répression est indispensable mais insuffisante. Des solutions techniques sont possibles et même « simples à concevoir » disent des spécialistes. L’obstacle majeur est politique : « personne ne veut se donner les moyens d’une lutte efficace contre le crime et l’argent du crime. Les raisons sont simples à comprendre : sans parler des intérêts inavouables des États ou de ceux qui les gouvernent, une réglementation (…) qui rendrait les paradis bancaires et fiscaux hors-la-loi, contredirait toute la doctrine actuelle de la mondialisation, dont le mot d’ordre tient en une seule formule : laisser faire et laisser aller. »[106]

Indépendamment de l’aspect moral du problème, il faut bien se rendre compte que la situation décrite dans les pages qui précèdent présente un danger mortel pour les libertés dans la mesure où l’on peut affirmer, sans exagérer, que « la mondialisation financière a fait entrer le cheval de Troie de la grande criminalité au cœur même des démocraties. »[107]


1. Selon le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), « le produit criminel brut mondial (PCB) atteint aujourd’hui (2002) 1.200 milliards de dollars par an. » (PASSET R., id., p. 60).
2. Id., pp. 22-23. R. Passet cite les îles Bermudes, les îles Vierges britanniques et américaines, Grenade, les îles Caïman, les îles Fidji, Tonga, Singapour, la Polynésie française, Jersey, Guernesey, Andorre, l’île de Man, Monaco, le Luxembourg, la Suisse, le Liechtenstein, Chypre et même le Vatican. Il note que « les banques qui y résident, et qui sont souvent de simples filiales de sociétés bancaires honorablement connues dans d’autres pays, y sont pratiquement dispensées des obligations qui généralement faites ailleurs de connaître leurs clients, de s’inquiéter de la provenance de l’argent lors de l’ouverture d’un compte et de signaler à la justice tout mouvement qui leur paraît suspect ». Par ailleurs, une société dont le siège se trouve dans un de ces paradis, peut échapper en tout ou en partie aux impôts ou aux taxes. Une société endettée peut dissimuler son endettement « en créant dans quelques-uns de ces paradis bancaires et fiscaux une multitude de sociétés dont le seul objet sera de porter le passif de la société endettée. Nombre de grandes transnationales profitent largement de ces possibilités, souvent grâce à des montages financiers extrêmement complexes. » Cette situation est bien connue mais difficile à corriger. En 1996, un groupe de magistrats européens (dont le procureur du Roi à Bruxelles, Benoît Dejemeppe) a rédigé l’Appel de Genève où l’on peut lire ; « A l’heure des réseaux informatiques, d’Internet, du modem et du fax, l’argent d’origine frauduleuse peut circuler à grande vitesse d’un compte à l’autre, d’un paradis fiscal à l’autre, sous couvert de sociétés offshore, anonymes, contrôlées par de respectables fiduciaires généreusement appointées. Cet argent est ensuite placé ou investi hoirs de tout contrôle. L’impunité est aujourd’hui quasi assurée aux fraudeurs. Des années seront en effet nécessaires à la justice de chacun des pays européens pour retrouver la trace de cet argent, quand cela ne s’avérera pas impossible dans le cadre légal actuel hérité d’une époque où les frontières avaient encore un sens pour les personnes, les biens et les capitaux. » (Cité in Attac, Les paradis fiscaux, Mille et Une nuits, 2001). Un juge français décrivait ainsi le fonctionnement du système : « Il faut cinq minutes pour déposer un million de francs aux Pays-Bas, cinq autres minutes pour le transférer sur un compte britannique, cinq de plus pour le transférer une nouvelle fois sur un compte en Suisse. Enfin, il faut une journée pour se rendre dans ce pays, solder le compte, traverser la rue et ouvrir un compte dans un autre établissement helvétique (…). Le juge devra attendre six mois pour obtenir une commission rogatoire aux Pays-Bas, presque un an en Grande-Bretagne, près de six mois encore en Suisse pour s’apercevoir que le compte incriminé a été soldé. » (Rapport n° 355 du sénat français, « Répression du financement du terrorisme », annexe au procès verbal de la séance du 6 juin 2001, rapporteur André Rouvière, session extraordinaire 2000-2001).
3. Id., p. 57.
4. Id., p. 59.
5. L’argent fou, Grasset, 1990.
6. Id., p. 7.
7. Id., p. 247-248.
8. En Belgique, en 1998, plusieurs personnalités politiques socialistes (Willy Claes, Guy Coëme et Guy Spitaels) seront condamnées dans une affaire de corruption liée à l’achat des hélicoptères de combat Agusta. Mis en cause également dans cette affaire, l’industriel français Dassault sera également condamné. (Wikipedia.org). En 2006, c’est le monde du football qui sera ébranlé par une vaste affaire de corruption liée à des paris truqués.
9. En 1994, un des plus grands patrons français, Didier Pineau-Valenciennes était poursuivi, en Belgique, avec 15 autres prévenus (dont le beau-frère du président Chirac) pour faux, escroquerie, détournement et blanchiment pour un montant de 250 millions d’euros. En 2003 et 2004, ce sont des responsables de la société Elf-Total-Fina et quelques complices politiques qui sont condamnés pour surfacturations, commissions occultes, emplois fictifs, détournements. La société est aussi soupçonnée de violation des droits de l’homme en Birmanie et son soutien à des dictatures en Afrique (Congo Brazzaville, Soudan, Angola) pour protéger les intérêts de la multinationale. (Wikipedia.org).
10. Id., p. 51.
11. « La délocalisation est une opération qui consiste pour une entreprise à faire réaliser certaines tâches (fabrication de biens ou prestations de services) dans les localisations géographiques où le coût de la main d’œuvre est plus faible que celui auquel elle a accès de par l’implantation de ses opérations. La délocalisation peut s’accompagner ou non d’une externalisation : l’entreprise peut choisir ou non de confier les tâches délocalisées à un tiers ou de créer elle-même une entité (filiale par exemple) dans le lieu considéré qui recrutera des employés localement. » (Wikipedia.org).
12. A l’origine, off shore désigne une recherche ou une exploitation de pétrole en mer. Mais on parle aussi d’offshore financier. Il s’agit d’une activité qui consiste à mettre des capitaux à l’abri dans un paradis fiscal. Cela n’a rien d’illégal en soi à condition d’en déclarer l’existence. On utilise aussi l’expression « offshore developpement » pour parler de délocalisation des services (l’informatique ou les centres d’appel et administratif).(wikipedia.org). L’off shore financier offre évidemment des privilèges fiscaux mais sert aussi de refuge à l’argent sale. Il est un risque permanent de déstabilisation financière, un obstacle à la coopération judiciaire et perturbe les règles de la concurrence.( Cf. Centre d’études de la vie politique française (CEVIPOF-CNRS), Emergence du problème des » places off shore » et mobilisation internationale, Novembre 2002).
13. « Combinaison financière réunissant plusieurs entreprises sous une direction unique (…). Le trust est la forme la plus complète de la concentration des entreprises (…) ». Dans le langage courant, c’est une « entreprise assez puissante pour exercer une influence prépondérante dans un secteur économique, pour dominer le marché (…). » (R).
14. « Contrat par lequel l’acquéreur apparent d’un bien s’engage à le restituer à l’aliénateur lorsque celui-ci aura rempli les obligations qu’il a envers lui. » (R). L’auteur vise sans doute ici les fiducies étrangères qui sont des entités constituées à l’étranger afin de détenir et d’administrer des fonds ou d’autres biens pour le compte de bénéficiaires. (www.fin.gc.ca/gloss/gloss-f_f.html).
15. On évoque habituellement le portage financier et surtout le portage salarial. Le portage financier est « un achat d’actions d’entreprises avec contrat de revente ultérieur, par exemple à d’autres actionnaires de l’entreprise, leur assurant ainsi un financement-relais dans l’attente qu’ils puissent en devenir (ou redevenir) propriétaire » (wikipedia.org). Le portage salarial est interdit dans certains pays, toléré ou réglementé dans d’autres. Son principe est simple : « vous devenez salarié dans une entreprise de portage salarial. Indépendant, vous réalisez vos prestations auprès de vos clients qui payent vos honoraires à la société de portage. Cette dernière vous reverse ensuite vos revenus sous forme de salaire sans que vous ayez à vous soucier de la gestion d’une entreprise. Vous recevez alors des fiches de paye et cotisez pour la retraite et le chômage et bien qu’indépendant, vous avez alors tous les bénéfices du statut de salarié. » c(www.optioncarriere.com).
16. Minc cite les affaires Boesky, Pechiney et Recruit.
   Ivan Boesky « utilisait des méthodes frauduleuses pour obtenir de précieux renseignements au sujet des éventuelles prises de contrôle de compagnies. Certaines fusions étaient ainsi provoquées artificiellement dans l’intérêt des seuls spéculateurs. Il en résultait souvent, dans les entreprises touchées, des congédiements massifs qui n’étaient pas vraiment nécessaires » (agora.qc.ca : encyclopédie). Il fut inculpé le 18-12-1987 après avoir gagné illégalement des centaines de millions de dollars.
   L’affaire Pechiney-Triangle est un scandale politico-financier. En novembre 1988, Pechiney annonce une OPA sur la société américaine Triangle. Comme la société française est une société nationalisée, des hommes de l’appareil d’État ont été mis au courant et certains en ont profité pour commettre un délit d’initié. Les autorités boursières américaines ont dénoncé les opérations suspectes. (Wikipedia.org).
   L’affaire Recruit, au Japon, en 1989, illustre le laxisme qui présida aux transactions boursières dans ce pays. « Avant son entrée en Bourse, cette société proposa secrètement à une centaine d’élus des paquets d’actions et des « prêts » pour les « acheter », avec la promesse d’une plus-value de 30% à la première cotation. Rien n’était punissable ; l’opinion dut se contenter de la condamnation pour corruption de trois boucs-émissaires convaincus d’avoir pris, en retour, des décisions favorables à Recruit ». (BUISSOU Jean-Marie, Le marché des services criminels au japon, Les yakuza et l’État, in Critique internationale, n° 3, printemps 1999, p. 165).
17. Devant le Tribunal pénal international qui jugeait l’ancien président serbe Svobodan Milosevic (1941-2006) pour crimes de guerre, un enquêteur déclara : « Durant toute ma carrière, je n’ai jamais rencontré une structure financière offshore aussi vaste et aussi compliquée ». R. Passet qui cite ce témoignage, explique : « le système financier monté par Milosevic et les siens, pour faire en sorte que notamment ses achats d’armements échappent à tout contrôle international, brassait des sommes s’élevant à plusieurs milliards de dollars. Le système Milosevic fonctionnait en passant par des sociétés-écrans, impliquées dans la production d’armements, basées en Israël, en Russie et aux États-Unis. Le transfert des fonds s’opérait grâce à des comptes bancaires localisés non seulement dans des paradis fiscaux aussi connus que le Liechtenstein, Singapour ou Monaco, mais également en Grèce, en Allemagne, en Autriche ou à Chypre. » (PASSET, Mondialisation financière et terrorisme, op. cit., p. 62).
18. L’argent fou, op. cit., p. 78. R. Passet va même plus loin : « Il n’est pas possible (…) de rechercher les moyens de financement mondialisé de l’hyperterrorisme benladenien sans mettre le doigt, on le sait, sur les recours à l’économie et à la finance mafieuses. Mais on sait moins que le processus de développement fulgurant de cet « argent sale » dans les transactions planétaires n’a pu s’effectuer que grâce à la connivence de l’économie légale (l’argent dit « propre ») comme par une relation « systémique » inscrite dans l’hégémonisme acquis par la finance. Ainsi ne peut-on plus tracer de frontière nette entre l’économie légale et l’économie criminelle. Conséquence gravissime : la criminalisation à son tour de l’économie légale. » Comme illustration, on peut évoquer les spéculations boursières qui ont eu lieu avant et après les attentats du 11 septembre 2001. On sait que la vente de l’opium afghan a fourni d’importantes ressources à Al-Qaïda, que la famille Ben Laden a de nombreuses participations dans les sociétés off shore des paradis fiscaux. On sait aussi que la veille des attentats, « les options d’achat et de ventes de titres d’entreprises logées dans le World Trade Center (comme son principal occupant, la société Stanley Deann Witter) ou des compagnies d’aviation comme American Airlines, dont deux appareils allaient être détournés, ont été vingt-cinq ou trente fois supérieures à la normale ! Au lendemain de l’attentat, des milliers de traders dans le monde - spéculant immédiatement sur l’horreur - ont vendu les actions des compagnies d’aviation ou d’assurances pour acheter de l’or, de l’euro ou du pétrole. Aussitôt également les hedge funds (fonds spéculatifs) vendaient ces actions en masse, avant de les racheter, après les baisses massives survenues, afin d’engranger de confortables plus-values lorsque leur cours remonterait ». (PASSET, Mondialisation financière et terrorisme, op. cit., pp. 56-57)
19. L’argent fou, op. cit., p.72.
20. Pour combien de Belges, le Luxembourg et la Suisse ont représenté autre chose que des destinations de promenade ou de vacances ?
21. L’argent fou, op. cit., p.17.
22. Id., p. 15.
23. A. Minc cite le cas de Bernard Tapie « incarnation de l’argent insolent » (p.14). Il est présenté comme chanteur, homme d’affaires, homme politique (socialiste, puis radical de gauche, puis « Energie radicale »), député, ministre, député européen, présentateur et acteur (notamment dans Hommes, femmes, mode d’emploi de Claude Lelouch, 1996). Il se fit connaître par le rachat d’entreprises en difficulté qu’il revendait après redressement. « Habilement, il exigeait que les licenciements eussent lieu avant son rachat de l’entreprise, ce qui fait que son image n’était pas altérée par ceux-ci ». Il connut de nombreux démêlés judiciaires : condamnation pour corruption dans le cadre du championnat de France de football, condamnation pour fraude fiscale, difficultés judiciaires et fiscales suite à des dettes, à ses achats et reventes d’entreprises.
   Commentaire de wikipedia : « Il a suscité auprès des citoyens français à la fois de l’admiration (pour être un autodidacte) et une certaine méfiance (pour ses pratiques douteuses). Il fit envie par la possession d’un hôtel particulier (…). Ce bien immobilier fut justement richement meublé, ce qui servit lors des saisies judiciaires, par voie d’huissiers, dont il fit l’objet. » On a écrit de nombreux livres sur lui, aux titres significatifs : Tapie, les secrets de sa réussite, Le mythe Tapie, Bernard Tapie ou la politique au culot, Le flambeur : la vraie vie de Bernard Tapie, Pour ou contre Bernard Tapie, Bernard Tapie héros malgré lui.
24. L’argent fou, op. cit., p. 121.
25. Id., p. 231.
26. Id., p. 230.
27. Id., p. 232.
28. Id., p. 233.
29. Id., p.33. « La cure de désinflation que l’Occident a dû s’imposer a eu deux conséquences : le retour à des taux d’intérêt réels significatifs et l’essor de la Bourse, l’un et l’autre permettant à l’accumulation du capital (…), de reprendre son cours. » (Id., p. 91).
30. Id., p. 93.
31. Id., p. 140.
32. Pour l’auteur, « le catholicisme cloue au pilori l’argent depuis des siècles. » (op. cit., p. 9).
33. Id., p. 122.
34. Id., p. 140.
35. Id., p. 122. Minc relève quatre ambigüités dans l’écologie : une « ambigüité intellectuelle » car se mêlent science et « primitivisme » (p. 145) ; une « ambigüité politique » car ses représentants politiques doivent parler de tout et n’échappent ni aux contradictions ni à un clivage entre purs et moins purs (id.) ; une « ambigüité (…) sur l’idée même de progrès » : choisiront-ils les oiseaux et les plantes ou les exclus et les chômeurs ? (p. 146) ; enfin, une « ambigüité (…) dans la thérapeutique » : faut-il épargner les biens naturels ou réparer les dégâts ? (p. 147).
36. Id., p. 147.
37. Id., p. 247.
38. Id., p. 149.
39. Id., p. 170.
40. Id., p. 192. L’auteur déplore, en passant, la « paupérisation de l’administration », la « prolétarisation de ses agents » (p. 150), la décadence de l’éducation nationale et les pratiques douteuses qui ont aussi atteint l’État : dépenses exagérées, commissions, dessous-de-table, etc..
41. Id., p. 224.
42. Id., p. 8.
43. Id., p. 141.
44. « La peur du juge et la crainte du scandale de presse sont devenues les derniers soutiens de l’éthique » (Id., p. 237).
45. Id., pp. 217-218.
46. Id., p. 219.
47. Id., p. 220.
48. Id., p. 185.
49. Id., p. 194.
50. Id., p. 170.
51. Id., p. 153.
52. Id., p. 214.
53. Id., p. 215.
54. Id., p. 180.
55. Id., p. 50.
56. Id., p. 235.
57. La nuance est importante car, au milieu des textes qui affirment l’impuissance de l’État ou son nécessaire effacement, on trouve, par exemple, cette remarque : « le marché et le droit sont indissolubles, avers et revers d’une même réalité ! Privilégier le premier, c’est donner libre cours aux excès de l’argent fou ; s’arc-bouter au second, c’est se condamner à l’inefficacité. Au nom de l’éthique, réclamons des règles et des droits nouveaux : à l’État législateur de les produire. » (Id., p. 224).
58. COHEN-TANUGI Laurent, PUF, 1983 ; du même : Les Métamorphoses de la démocratie, Odile Jacob, 1989.
59. L’argent fou, op. cit., p. 182.
60. Id., p. 183.
61. Id., p. 193. Même si cette évocation du rôle des institutions intermédiaires doit nous faire plaisir de même que tout à l’heure la définition de l’État comme arbitre et gardien de l’éthique, on ne peut souscrire à un système où la justice distributive est affaire de marché et où la justice sociale s’établira sans doute d’elle-même .
   Le rôle du droit est de « fabriquer un jeu de pouvoirs et contre-pouvoirs » (p. 235), d’instaurer la transparence, de faire respecter les actionnaires minoritaires en imposant la représentation des salariés dans les conseils d’administration, de renforcer le pouvoir des consommateurs.
   On objectera qu’il existe, au sein de nos États, une législation qui vise les pratiques incriminées. L’auteur y répond, non sans quelque ironie, en avouant qu’elle pourrait être efficace « à quelques détails près ». Quels sont ces « détails » ?:
   « Premier détail…​ : la régulation juridique s’impose moins rapidement que le marché n’installe sa domination, de sorte que l’écart se perpétue, voire se creuse entre l’une et l’autre. (…) Deuxième détail…​ : les instruments d’intervention sont à peine forgés que l’évolution technologique et l’interprétation des acteurs mondiaux les rendent périmés ; que pèsent les limites à la concentration quand se mettent en place des monopoles mondiaux ? Troisième détail…​ : les nouvelles institutions se sentent encore infantiles ; respectueuses des positions de puissance politiques, économiques, sociologiques, elles se donnent pour mission de faire contrepoids aux excès du marché, et non de le dominer, de l’encadrer et de lui imposer de nouvelles règles. Quatrième détail et non le moindre…​ : elles n’ont pas encore intériorisé combien elles incarnaient une manifestation, nouvelle dans sa forme, de l’intérêt général. Si celui-ci ne s’identifie plus à la vulgate corporatiste du service public, il n’en a pas pour autant disparu. L’État gestionnaire n’en est plus l’expression naturelle ; les institutions juridictionnelles le sont, mais, pusillanimité ou conformisme, elles feignent de l’ignorer. Cinquième détail, le plus essentiel…​ : le jeu va plus vite que les acteurs ; le temps du marché, précède le temps du droit, de sorte qu’un abus à peine maîtrisé, un autre naît, plus insaisissable et plus discret. Les excès des concentrations économiques horizontales sont-ils mis au jour que le terrain se déplace vers les concentrations verticales. Celles-ci à peine codifiées, la partie se joue sur des modes de domination presque imperceptibles : organisation du service après-vente ; normes techniques ; synergies entre filiales. » Nous sommes sans cesse témoins d’une « poursuite entre le fait et le droit, le marché et la loi ». (Id., pp. 43-44).
62. Id., p. 75.
63. On considère souvent que « le droit est le garant de l’ordre social et son rôle moral se veut exclusivement répressif. Absurde ! Le droit est ce qu’une société en fait. Aujourd’hui, c’est le seul instrument qui serve de contrepoids au totalitarisme de l’argent. De là son identité avec la morale. » (Id., p. 224). « Plus le marché sera triomphant, plus l’exigence éthique sera forte » (p. 259) ; « dans le monde de l’argent fou, la morale est, _ long terme, le meilleur investissement. » (p. 259).
64. Id., pp. 233-234.
65. La morale en affaires se définit en trois « cercles concentriques » (p. 252) : « la loi (…) est en évolution » ; « une morale diffuse, imprécise (…) jamais codifiée, mal définie » « implicite » ; « les principes que chacun peut se fixer à lui-même en fonction de son tempérament et des ses propres choix éthiques » (p.253).
66. Id., pp. 244-245.
67. Id., p. 245.
68. Id., p. 141. « L’éthique du capitalisme se confond, jusqu’à un certain point, avec la stratégie de l’entreprise, et aucun interdit moral ne vient de ce point de vue l’obérer. Ce sont les faits qui, au dénouement, tranchent. » (Id., p. 252).
69. « Le droit ne peut certes tout codifier, sauf à conduire l’économie à l’impuissance. Le délire juridique n’est pas moins dévastateur que la folie bureaucratique. A force d’imposer des procédures pour assurer la transparence du marché, il pourrait à la limite le bloquer. C’est d’ailleurs l’argument ressassé par les partisans les plus absolutistes du marché : le « constructivisme » si honni vise autant la loi que le règlement bureaucratique. Du droit, il faut attendre quelques principes et quelques sanctions exemplaires, les fondements en quelque sorte d’une répression raisonnable. A la société, sur cette base-là, d’aller plus loin et, appuyée sur ces textes, de préserver un minimum de vertu. Aux entreprises et aux organismes professionnels d’imposer à leurs membres des règles infiniment plus exigeantes que ne le veut la loi. Question de « sécurité », car il vaut toujours mieux creuser l’écart entre la pratique et l’interdit. Question aussi de principe, afin de manifester une préoccupation éthique qui déborde le jeu normal du marché. Aux acteurs économiques qui ne sont pas en première ligne -actionnaires minoritaires, salariés - de prendre place ensuite et s’ils le veulent au cœur du système, dans les conseils d’administration, afin que leur présence tempère d’hypothétiques excès. Et à la presse enfin, une fois garanties avec certitude son indépendance et sa rigueur - l’une et l’autre ne pouvant qu’aller de pair- de jouer la fonction de cerbère qu’elle partage avec la justice. » (Id., p. 246).
70. « Une exigence morale : le droit est un substitut acceptable à l’éthique, ou du moins il en est le support. Or, dans la longue marche que représente la réhabilitation de la vertu, le rôle du droit est essentiel. Aussi s’agit-il pour le « grand réformateur », non de le créer, de le produire suivant les habitudes d’autrefois, mais de réaliser les conditions pour qu’il puisse de son propre mouvement servir de contrepoids aux excès de notre société. » (Id., p. 220).
71. « En économie, la morale rime avec le renforcement de la loi et la production d’un droit qui établissent des garde-fous. Mais, à la fin des fins, c’est à chaque individu de bâtir sa propre éthique dans un système capitaliste si facilement générateur de tentations et de facilités. A chacun sa morale ! » (Id., p. 248).
72. Id., p. 8.
73. Id., p. 250.
74. Id., p. 251. « L’exigence de vertu » s’énonce « d’abord à travers un réflexe de prudence sociale (…). Le capitalisme (…) ne fonctionne bien que dans la mesure et l’équilibre. (…) Ensuite par la peur du gendarme (…). Enfin par réflexe et weltanschauung : marché rime avec liberté et il existe, pour chacun, des limites qu’il doit imposer à sa propre liberté. » (Id., p. 249).
75. Id., p. 195. « En politique, la morale a pour nom le réformisme ; en économie, elle suppose un surcroît de droit ». (Id., p. 224).
76. Id., p. 210.
77. Id., p. 255.
78. Id., p. 258.
79. Quand le capitalisme perd la tête, Fayard, 2003.
80. Op. cit., p. 13.
81. Tout un chapitre est consacré à l’affaire « Enron » (pp. 302-328). Née en 1985, Enron était l’une des plus grandes entreprises mondiales, avec des revenus annuels rapportés de 101 milliards de dollars par an. Au départ, la société gérait honnêtement un réseau de gazoducs. Les dirigeants créèrent plus de 3000 sociétés « offshore », aux îles Caïmans, Bermudes, Bahamas.. En les faisant passer pour leurs fournisseurs, ils pouvaient contrôler les prix de l’énergie à l’abri du regard des actionnaires, des salariés et des autorités. Par un système de courtage, Enron achetait et revendait de l’électricité notamment au réseau des distributeurs de courant de l’État de Californie. En 2001, le service de contrôle de la bourse américaine (SEC) ouvrit une enquête qui aboutit à la faillite de l’entreprise et à des poursuites contre les responsables. 5000 salariés perdent leur travail, d’autres leur retraite. L’action chute de 90 dollars à 1 dollar. L’entreprise entraîne dans sa chute le cabinet Arthur Andersen chargé de la révision des comptes et d’autres groupes financiers.
82. J. Stiglitz montre les effets, durant les années 1990, des politiques conservatrices antérieures. Le fait qu’il fut président du Coucil of Economic Advisers (CEA) du président Clinton, ne l’empêche pas de relever les faiblesses ou les erreurs commises sous ce gouvernement.
83. Op. cit., p. 43.
84. Id., p. 97. En 1996, une « bulle » éclata au Japon : les prix de l’immobilier s’effondrèrent brutalement et toute l’économie du pays en fut paralysée (cf. id., p. 95). R. Passet précise que cette bulle immobilière « était constituée à 30% -avec la complicité des banques et du pouvoir politique - de prêts consentis aux mafias (les Yakusa). » (PASSET, Mondialisation financière et terrorisme, op. cit., p. 67).
85. Id., p. 44. Stiglitz emprunte cette expression à Alan Greenspan, président de la « Fed » (Federal Reserve).
86. Id., pp. 43-44. Cette première bulle spéculative, en 1637, fut appelée « bulle de la tulipomanie ». La Bruyère (1645-1696) s’est moqué de l’amateur de tulipes » dans ses Caractères.
87. Id., p. 45.
88. Exemple : « la déréglementation des télécommunications a créé les conditions de la bulle de surinvestissement qui a si bruyamment éclaté en 2001 » (Id., p. 127). « En l’espace de neuf ans, de 1992 à 2001, cette branche a vu son poids dans l’économie doubler. Elle a créé les deux tiers des nouveaux emplois et reçu le tiers des nouveaux investissements. Et elle a fait naître de nouvelles fortunes, tant chez les professionnels du secteur que chez les financiers qui montaient les transactions. » En 2002, la bulle éclate : « un demi-million d’emplois supprimés. Deux mille milliards de dollars évaporés à la bourse. L’indice Dow Jones des technologies de la communication en chute de 86% ». Ajoutons à cela des dépôts de bilan, des compagnies en faillite, des problèmes au sein des compagnies d’équipement, des compagnies du câble et de la téléphonie sans fil. (Id., pp. 131-132). Stiglitz conclut ce tableau désolant par cette constatation : « La déréglementation a déchaîné dans les télécommunications des forces puissantes, comme ses partisans l’avaient prédit. Mais celles-ci n’avaient pas pour seul objectif de meilleurs produits ; elles cherchaient à faire main basse sur tel ou tel segment du marché. La déréglementation des télécommunications a déclenché une ruée vers l’or que la déréglementation des banques a rendue incontrôlable. Quant à la réglementation laxiste de la comptabilité, elle a orienté la course dans un mauvais sens, en faisant à certains égards une « ruée vers l’infamie ». Les gagnants de ces loteries, au moins à court terme, ont été les moins scrupuleux. » (Id., pp. 132-133).
89. Id., p. 119.
90. Id., p. 128.
91. Id., p. 129.
92. Un trust peut naître et tuer la concurrence : « le cas le plus spectaculaire est évidemment celui de Microsoft, qui s’est rendu coupable de nombreuses pratiques anticoncurrentielles. Jouissant du monopole des systèmes d’exploitation, la firme refusait l’égalité d’accès aux fabricants d’applications concurrents, utilisant donc sa mainmise sur le système d’exploitation comme levier pour s’assurer une position dominante dans les logiciels. Elle a mis hors jeu des concurrents innovants comme Netscape, allant jusqu’à prévoir l’envoi de messages d’erreur si l’utilisateur tentait d’installer un programme rival. » (Id., p. 146). On sait que la fortune des responsables de Microsoft est colossale : Bill Gates (50 milliards de dollars) et Paul Allen (22 milliards).
93. Id., p. 127. La bourse est devenue « le casino du riche » (Id., p. 100).
94. Id., p. 131.
95. Id., p. 158. L’auteur dénonce notamment le système des « stock-options ». Des entreprises « donnent à leurs hauts dirigeants des options sur titre (stock-options)- le droit d’acheter des actions de la firme au-dessous du cours du marché-, puis font comme si rien d’important n’avait changé de main. » Si le système était intéressant pour les jeunes entreprises qui ne faisaient pas encore de profit, il présenta vite un autre avantage qui n’échappa pas aux colosses : « puisqu’aucune action effective n’était émise tant que l’option n’était pas levée (et le bénéficiaire pouvait attendre des années avant d’exercer son, droit d’achat), elles n’avaient pas à être inscrites aux charges d’exploitation comme une dépense que l’entreprise aurait faite pour fonctionner au cours de l’année, ni comme une dette qu’elle aurait contractée à cette fin. » (Id., pp. 157-158).
96. Ainsi, durant les années 1990, « la rémunération moyenne des hauts dirigeants des entreprise américaines s’est accrue de 442% en huit ans, de 2 millions à 10,6 millions de dollars. Rythme totalement découplé de l’évolution des salaires des cadres moyens, ou des ouvriers (…). En 1998, les directeurs ont gagné 36% de plus qu’en 1997, le col bleu moyen, 2,7%. Et chaque année l’écart a été du même ordre. Y compris en 2001, année désastreuse pour les profits et à la Bourse (…). Au Japon, le PDG gagne en général 10 fois plus que le salarié moyen ; en Grande-Bretagne, 25 fois plus ; aux États-Unis, en 2000, il a gagné 500 fois plus, contre 85 fois au début de la décennie et 42 fois vingt ans plus tôt. (…) Les conseils d’administration sont censés veiller aux intérêts de tous les actionnaires. Mais certains conseils, où les administrateurs reçoivent couramment de gros jetons de présence - 10.000, 20.000, 40.000 dollars - du seul fait qu’ils en sont membres et assistent aux réunions, se sont montrés plus soucieux de plaire au PDG que de s’acquitter de leurs responsabilités supposées vis-à-vis de leurs mandants. » (Id., pp. 167-168).
   En Belgique, si les patrons des grandes banques (Dexia, Fortis, ING) ont des rémunérations élevées (mais dans la moyenne européenne), autour de 2 millions d’euros, ceux des entreprises publiques ou mixtes ne sont pas à la portion congrue. En 2006, Johnny Thijs, patron de La Poste touchait 830.000 euros, Jannie Haek (SNCB) entre 400.000 et 500.000 euros, Didier Bellens (Belgacom), 2 millions d’euros.(La Libre Entreprise, 4-3-2006), plus précisément, pour ce dernier, en 2005, le salaire annuel de base et sa rémunération variable s’élevaient à 1,5 million d’euros brut à quoi il faut ajouter les « avantages postérieurs à l’emploi » et ceux liés aux actions, c’est-à-dire 700.000 euros. De plus, Didier Bellens aurait droit en cas de licenciement (sauf pour faute grave) à une indemnité de 5,1 millions d’euros. Les 6 autres membres du comité de direction se partagent 3,733 millions auxquels s’ajoutent 1,164 millions d’euros d’avantages liés aux actions. Le président du Conseil d’administration touche 214.000 euros et les autres administrateurs entre 82.000 et 92.000 euros. (La Libre Belgique, 12 avril 2006).
   La rémunération de ceux qu’on appelle en anglais les CEO (Chief Executive Officer) autrement dit les directeurs généraux ou administrateur délégués peuvent varier d’une année à l’autre. En 2019, c’est Jean-Christophe Tellier, patron du groupe de biopharmacie UCB qui remportait la palme en Belgique avec une rémunération globale de 5,23 millions d’euros alors que Carlos Brito (AB InBev) ne gagnait plus que 2,22 millions d’euros ayant perdu 67% de sa rémunération par rapport à 2017.
   La CNE (Centrale nationale des Employés et des Cadres du secteur privé), qui est affiliée à la Confédération des syndicats chrétiens de Belgique (CSC), a calculé que la rémunération d’un CEO d’une des 20 plus grosses sociétés belges (qui constituent ce qu’on appelle le Bel20) touchait, en 2020, 42 fois plus que le salarié médian. Un expert (Xavier Baeten professeur à la Vlerick business School à Gand) faisait toutefois remarquer : « Certes, les salaire des CEO du Bel20 est élevé mais le salaire des travailleurs de ces mêmes entreprises aussi est plus élevé, même beaucoup plus élevé en général que la moyenne. Ce n’est pas justifié de comparer le salaire d’un grand patron avec le médian belge, il faut le comparer avec un travailleur de son entreprise ». De plus, ajoutait l’expert, « La Belgique est assez modeste par rapport à d’autres pays. Si on regarde les CEO en France, aux Pays-Bas, au Royaume uni, en Allemagne, on voit que les -rémunérations en Belgique sont moins importantes.[Raison pour laquelle, peut-être, le Belge Luc Lallemand est-il devenu en 2020 patron de la SNCF Réseau
97. Le conseil d’administration d’ABB (groupe helvéto-suédois) a prétendu qu’il n’était pas au courant du montant de la retraite du président Percy Barnevick (148 millions de francs suisses) et lui a imposé la restitution de 90 millions. La société espagnole Telefonica, « pour se conformer aux règles américaines a republié ses résultats pour 2001 en remplaçant un profit de 2,1 milliard d’euros (…) par une perte de 7,2 milliards d’euros ». On pourrait évoquer aussi la société néerlandaise de produits d’épicerie Ahold et beaucoup d’autres. (Id., pp. 181-182).
98. Id., pp. 182-183.
99. Id., p. 185. « Des dirigeants déjà grassement rétribués ont utilisé pour s’enrichir personnellement l’information dont ils disposaient, alors même qu’ils exhortaient leurs salariés à se serrer la ceinture et à conserver l’argent de leur retraite en actions de la compagnie ». (Id., p. 184).
100. Id., p. 189.
101. Id., pp. 161-162. L’influence des milieux économiques sur les milieux politiques est bien connue. En mars 2006, le travailliste Tony Blair qui avait fait campagne en 1997 contre la corruption des conservateurs, était suspecté d’avoir reçu, avant les dernières élections, des « prêts » de quelque 10 millions d’euros de la part de « quatre richissimes ressortissants britanniques ».(La Libre Belgique, 22-3-2006). On a notamment cité le nom de Lakshmi Mittal (Mittal Steel), dont la fortune est estimée à plus de 23 milliards de dollars et qui se targue d’avoir la maison la plus chère du monde. Les « prêts » ont l’avantage sur les dons, de ne pas devoir être déclarés. Cette pratique est courante, dit-on, en Grande-Bretagne. Aussi, reproche-t-on à Tony Blair l’anonymat des « bienfaiteurs ».
102. Id., p. 264. Toujours dans les années 1990, « les États-Unis ont exigé des autres pays qu’ils baissent la garde face à leurs produits et éliminent toute subvention aux denrées qui les concurrençaient, mais de leur côté, il sont maintenu les barrières douanières face aux pays en développement - et continué à subventionner massivement. Les aides aux agriculteurs américains les encouragent à produire davantage, ce qui fait baisser les cours mondiaux de produits agricoles dont dépendent des pays pauvres. Pour le seul cas du coton, les subventions versées à 25.000 exploitants américains, pour la plupart très aisés, dépassent la valeur du produit lui-même, et réduisent énormément le prix du coton sur le marché mondial. Les agriculteurs américains, qui pèsent un tiers de la production mondiale totale alors que les coûts de production aux États-Unis sont le double du prix de vente international de 42 cents la livre, se sont enrichis aux dépens de 10 millions de paysans africains qui tirent de la culture du coton leurs maigres moyens de subsistance. Plusieurs pays africains ont perdu 1 à 2 % de leur revenu national - plus que l’aide au développement qu’ils reçoivent des États-Unis. Le mali, par exemple, s’est vu attribuer une aide américaine de 37 millions de dollars, mais la faiblesse des prix du coton lui en a fait perdre 43 millions. » (Id., pp. 264-265).
103. Id., p. 379.
104. Id., p. 64.
105. Laurence Vichnievsky et Eva Joly, in GREZAUD et alii, Un monde sans loi, La criminalité financière en images, op. cit., p. 11. Cet ouvrage est particulièrement éclairant. Il est né de la collaboration de magistrats belge (Benoît Dejemeppe, procureur du Roi à Bruxelles), français, italien et suisse. L’analyse est claire, précise, bien documentée. Elle montre la responsabilité de la politique extérieure des États-Unis depuis la deuxième guerre mondiale, l’impact de la crise pétrolière de 1973-1974, l’autonomie de la finance, l’économie criminelle, ses innombrables techniques et sa familiarité avec un certain capitalisme.
106. MAILLARD Jean de, in GREZAUD et alii, Un monde sans loi. La criminalité financière en images, op. cit., pp. 134-135.
107. Id., p. 135.