Introduction

Il y a quelques années, je suis invité à une fête organisée pour le départ à la retraite d’une amie enseignante. La famille et les amis ont, à cette occasion, rassemblé des centaines de photos qui, sur de grands panneaux, racontent la vie de la jubilaire depuis sa petite enfance. Des photos qui évoquent les jeux d’antan, les fêtes de famille, les amis, les promenades, les vacances à la campagne, à la mer, à la montagne, les visites de monuments et sites aux quatre coins du monde, les naissances et, de nouveau, les jeux, les fêtes, les vacances…​ Photos de plaisirs, de détente, de bien-être.

Parmi cette multitude d’images toutes souriantes, une photo a particulièrement attiré mon attention par son caractère apparemment insolite : elle montrait l’amie debout devant le tableau noir en train d’expliquer je ne sais quoi à des étudiants invisibles. Une photo de l’enseignante au travail. Une seule photo alors que nous passons une grande partie de notre vie, si pas la plus grande partie de notre vie, à divers labeurs alimentaires. Ne méritaient-ils pas plus d’attention, plus de présence ? Certes, on n’a pas l’habitude d’aller travailler avec un appareil photographique sous le bras pour immortaliser les collègues, les ateliers ou les bureaux mais, quand on y réfléchit bien, n’est-ce pas parce que, dans l’inconscient collectif, est ancrée l’idée que la vraie vie n’est pas là, que le plaisir ou la joie ne peut être qu’au bord de la mer ou autour d’un barbecue avec des amis ? Autrement dit, le travail ne peut-il être source d’épanouissement, de plaisir, de joie et, osons le mot, de plénitude ? Autrement dit encore, le travail ne peut-il nous rendre heureux ? Ne mérite-t-il jamais l’attention de l’objectif qui cherche à saisir ce qu’il y a de plus précieux pour nous ?

La première condition du bonheur est que l’homme puisse trouver joie au travail. Il n’y a vraie joie dans le repos, le loisir, que si le travail joyeux le précède.

— André Gide
Journal 1889-1939, 4 août 1936

Dans les pages qui suivent, je voudrais essayer de montrer que le travail peut être un lieu d’épanouissement personnel à certaines conditions. Si, fondamentalement, le travail fait partie intégrante de notre nature, il serait tout de même étonnant qu’il ne nous apporte que sueurs, stress et soucis, qu’il soit aliénant, c’est-à-dire qu’il nous empêche d’être nous-mêmes, qu’il nous rende comme étrangers à nous mêmes.

Certes, une certaine pénibilité est toujours liée au travail et celui-ci, nous allons le voir, peut même, et l’histoire le montre, nous déposséder, d’une certaine manière, de nous-mêmes mais nous verrons aussi qu’il peut enrichir notre personnalité, l’épanouir, être ainsi source d’une profonde satisfaction et contribuer à notre bonheur.

C’est le rôle de l’éthique précisément d’indiquer le chemin à suivre pour que le travail, même s’il reste, par certains aspects, pénible, participe à notre humanisation.

Il nous faudra, bien sûr, définir cette éthique mais aussi, et nous allons commencer par là, essayer de persuader le lecteur de l’intérêt de la question dans une école d’ingénieurs.

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