Comme on l’a vu, le mot est d’un emploi assez récent dans l’Église. Jean-Paul II l’utilise dans Christifideles laïci[1] mais continue à parler aussi de collaborateurs.[2] Nous avons vu que Benoît XVI estime « nécessaire d’améliorer l’organisation pastorale, de façon à ce que, dans le respect des vocations et des rôles des personnes consacrées et des laïcs, l’on promeuve graduellement la coresponsabilité de l’ensemble de tous les membres du Peuple de Dieu. Cela exige un changement de mentalité concernant particulièrement les laïcs, en ne les considérant plus seulement comme des « collaborateurs » du clergé, mais en les reconnaissant réellement comme « coresponsables » de l’être et de l’agir de l’Église, en favorisant la consolidation d’un laïcat mûr et engagé. »[3] Cette coresponsabilité, dans le respect des rôles de chacun, sans confusion, suppose, à mon sens, que soit vécue une réalité profondément évangélique : la fraternité qui « est la forme humaine de la communion »[4] à laquelle nous sommes tous appelés.,
Il est indispensable de bien comprendre l’articulation paradoxale de la fraternité et de la hiérarchie à laquelle trop souvent on réduit l’Église en oubliant, comme disait déjà Pie XII, que « les laïcs sont l’Église » et que « même si l’Église possède une structure « hiérarchique », cette structure est cependant totalement ordonnée à la sainteté des membres du Christ. »[5]
Nous avons vu, qu’à l’origine, « au sens plein du mot, laïc, qui est égal à fidèle, est antérieur à la distinction avec prêtre et laïc. […][6] Laïc ne désigne pas une spécialité, ni une carence ni un manque, mais au sens même où il n’est ni prêtre ni religieux, celui qui a dans le peuple la plénitude du don sans spécialisation.
Cette plénitude, il la reçoit de Dieu à travers les apôtres et leurs successeurs, elle anime sa vie par des dons divers, qui tous sont aussi reçus par l’Église et pour elle ; elle suscite entre les membres du peuple une fraternité, qui n’est celle du Seigneur que grâce à la réconciliation, aux sacrements de baptême et de pénitence […]. »[7] Et donc, la fraternité est un don, elle a un fondement sacramentel : « par le baptême, l’homme renaît, recevant Dieu pour Père et l’Église pour Mère, il est agrégé aux frères de Jésus-Christ. »[8] Et voilà le paradoxe: il faut affirmer l’égale dignité de tous les croyants et, en même temps, que « ce qui assure l’égale dignité de tous les baptisés est aussi ce qui les distingue en évêques ou prêtres et laïcs ».[9] Autrement dit encore, l’enfant baptisé par le prêtre devient le frère du prêtre dont le « pouvoir » ne peut être entendu à la manière du monde.[10] Notons encore que la fraternité chrétienne est missionnaire : « elle est donnée par Dieu pour susciter la fraternité chez tous les hommes. »[11]
Où en est la fraternité aujourd’hui, sans laquelle il est vain de parler de coresponsabilité ?
Joseph Ratzinger explique, en 1964, que « le concept de fraternité est […] l’objet, depuis le IIIe siècle, d’un double rétrécissement : il est restreint d’un côté à la communauté monastique, de l’autre au clergé. La conscience que primitivement, l’Église avait d’elle-même, se replie sur ces deux groupements qui se considèrent maintenant comme les représentants proprement dits de la vie ecclésiale. Même ici, l’idée originelle est recouverte par une gradation de titres qui lui est étrangère, si bien que le titre de frère, honneur primitif du chrétien, tombe à un rang inférieur devant celui de « père », qu’il y a possibilité d’acquérir. Bref, on en est arrivé à une situation qui, jusqu’à cette heure, n’a pas été surmontée. »[12]
Relevant cette dernière phrase, en 1987, juste avant le synode sur les laïcs, le P. Chantraine, ajoute que « la situation ne s’est guère modifiée depuis 1964. »[13]
En quoi aujourd’hui la situation s’est-elle améliorée ? Le P. Chantraine écrit qu’à chaque époque, il est nécessaire et urgent, de combattre la tendance à réserver à quelques-uns la fraternité originelle et la tentation de réduire l’Église à sa hiérarchie. Mais, bien sûr, « sans jamais oublier le paradoxe que cette tentation efface dans l’esprit. »[14]
En 2010, Dominique Rey[15] déclarait : « On craint d’une part la cléricalisation du laïcat et d’autre part que le prêtre fonctionne en surplomb vis-à-vis des laïcs. […] Il serait inconsidéré de penser que le laïc est un « sous prêtre » ou que le prêtre prenne au laïc ce qui fait le propre de sa mission ».[16] Le danger de cléricalisation du laïcat comme celui de laïcisation du clergé est toujours bien présent.
On comprend mieux la conclusion à laquelle aboutit le P. Chantraine : il faut « restaurer, non point seulement le laïcat, mais la fraternité dans l’Église. »[17]