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i. L’Europe

…​ l’idée paneuropéenne, le Conseil de l’Europe et d’autres mouvements encore sont une manifestation de la nécessité où l’on se trouve de briser ou du moins d’assouplir, en politique et en économie, la rigidité des vieux cadres de frontières géographiques, de former entre pays de grands groupes de vie de d’action communes.
— Allocution aux membres du Congrès du droit privé
15 juillet 1950.

Même si quelques auteurs ont rêvé à certaines époques d’une Europe unie⁠[1], ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que l’idée va commencer à prendre corps. Pie XII va apporter son soutien à cette œuvre.⁠[2] Pie XII est l’héritier d’une tradition qui est née avec Léon XIII. Le 20 juin 1894⁠[3], déjà inquiet de la situation en Europe où, « depuis nombre d’années déjà, on vit dans une paix plus apparente que réelle »[4], Léon XIII appelle de ses vœux la restauration de l’« antique concorde, au profit du bien commun ». Antique concorde basée sur l’Évangile qui avait construit la civilisation chrétienne.

Il n’est peut-être pas inutile de s’arrêter à cette idée d’« ancienne concorde » dont l’évocation va se retrouver, sous des vocables divers, dans l’enseignement de tous les papes contemporains. Une réflexion du philosophe Rémi Brague peut nous aider à mieux comprendre la référence au passé de l’Europe. L’auteur insiste d’abord sur le fait que l’Europe est d’abord « le résultat d’une division » ou mieux d’une quadruple division dont la mémoire évitera certaines confusions : la division entre le monde méditerranéen gréco-romain avec la barbarie ; la division entre le nord chrétien avec le sud musulman ; la division entre l’Orient orthodoxe et l’Occident catholique ; la division entre le nord protestant et le sud catholique.⁠[5] Face à cela, le christianisme se présente comme une « synthèse paradoxale » dans la mesure où, si d’une part il distingue temporel et spirituel, dans la personne du Christ, il ne sépare pas Dieu et l’homme. Et l’Incarnation rend sacrée l’humanité de tout homme mais non un livre, ni une langue, ni une culture. Dès lors construire l’Europe c’est bien autre chose que d’en faire « une zone de libre échange, ou un centre de force, qui ne se définirait que par sa position géographique, et par le nom qu’a reçu, de façon accidentelle, un petit cap de l’Asie » (Valéry) ». En fait, « l’Europe doit rester, ou redevenir le lieu de la séparation du temporel et du spirituel, bien plus, de la paix entre eux -chacun reconnaissant à l’autre sa légitimité. Celui où l’on reconnaît une liaison intime de l’homme avec Dieu, liaison qui va jusqu’aux dimensions les plus charnelles de l’humanité, qui doivent être l’objet d’un respect sans faille. celui où l’unité entre les hommes ne peut se faire autour d’une idéologie, mais dans les rapports entre des personnes et des groupes concrets. Si ces éléments devaient s’effacer totalement, on aurait peut-être construit quelque chose, et peut-être quelque chose de durable. mais serait-ce l’Europe ? ».⁠[6]

La nostalgie de l’« antique concorde » anime aussi Benoît XV. il évoque les « peuples barbares de la primitive Europe » et tient à souligner que « du jour où l’esprit de l’Église les pénétra, ils virent se combler peu à peu l’abîme des mille divergences qui les séparaient et leurs querelles s’apaiser ; ils se fondirent en une seule société homogène et donnèrent naissance à l’Europe chrétienne, qui, sous la conduite et les auspices de l’Église, sans détruire les caractères propres de chaque nation, devait tendre à l’unité, source de sa glorieuse prospérité. » Même si ce passé nous paraît quelque peu idéalisé, Benoît XV, conscient de la fragilité de la paix qui vient d’être signée⁠[7], conclut avec beaucoup de lucidité que « lorsque tout sera rétabli suivant l’ordre de la justice et de la charité et que les nations se seront réconciliées, il est très désirable que tous les États, écartant tous leurs soupçons réciproques, s’unissent pour ne plus former qu’une société, ou mieux qu’une famille, tout ensemble pour la défense de leurs libertés particulières et le maintien de l’ordre social. »[8] Pie XI malheureusement ne pourra que constater, comme le craignait Benoît XV, la persistance des « passions belliqueuses »[9] et la montée de l’égoïsme qui se traduit par le nationalisme.⁠[10] Comme l’écrit très justement Guy Bedouelle, Pie XI s’insurge « contre l’Europe nationaliste, expansionniste et néo-païenne proposée par les dictatures fascistes à leur profit évidemment. »[11]

La guerre va donc une nouvelle fois imposer la nécessité d’une construction pacifique durable indispensable aussi au développement économique.

Pie XII, comme ses prédécesseurs, déplore l’exclusion du Christ de la vie moderne. Alors que « l’Europe[12] fraternisait dans des idéals identiques reçus de la prédication chrétienne » et qu’elle avait « conscience du juste et de l’injuste, du licite et de l’illicite, qui facilite les ententes », aujourd’hui, « au contraire, les dissensions ne proviennent pas seulement d’élans de passions rebelles, mais d’une profonde crise spirituelle qui a bouleversé les sages principes de la morale privée et publique »[13]. Conscient des dangers graves que cette situation entraîne, dès 1939, Pie XII souhaite « une meilleure organisation de l’Europe ». Il faut se préoccuper « du futur état économique, social et spirituel de l’Europe, et non de l’Europe seulement », veiller à « un véritable équilibre entre les nations » et pour cela, examiner avec bienveillance « les vrais besoins et les justes requêtes des nations et des peuples comme aussi des minorités ethniques » et si nécessaire : « une équitable, sage et concordante révision des traités »[14] en vue de construire « une nouvelle Europe »[15], une « Europe nouvelle et meilleure »[16] . Pour le saint Père, la pacification de l’Europe dans un esprit de fraternité est « la première condition pour les autres pas en avant vers la pacification universelle ».⁠[17] Et l’exemple de saint Benoît, « Père de l’Europe » devrait lui permettre de retrouver « la voie royale » que le grand saint lui avait tracée : « Prie et travaille » qui est « la loi principale de l’humanité et de sa règle de vie, comme son immuable fondement ».⁠[18] Ce n’est pas « par l’épée, la force ou le meurtre, mais par la croix et par la charrue, par la vérité et par l’amour » que l’Europe s’est civilisée.⁠[19]

Le 7 mars 1948, éclairé peut-être par l’alliance économique signée en 1947 entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg (Benelux), il déclare que si « les rapports économiques internationaux ont une fonction positive et nécessaire, certes, mais seulement subsidiaire », dans les circonstances actuelles, « il serait peut-être opportun d’examiner si une union régionale de plusieurs économies nationales ne rendrait pas possible un développement plus efficace que dans le passé des forces particulières de production. »[20]

Le 2 juin 1948, dans son Discours au Sacré Collège, Pie XII, après avoir évoqué l’« étrange malaise » qui règne depuis la fin de la guerre parce qu’on ne sait si la paix va se consolider ou se noyer dans un nouveau conflit, salue « les esprits clairvoyants et courageux [qui] cherchent incessamment de nouvelles voies vers un passage de salut. » Comment ? « Au moyen de tentatives répétées de réconciliation, de rapprochement entre nations naguère encore en lutte les unes contre les autres, ils s’appliquent à mettre sur pied une Europe ébranlée jusque dans ses fondements, et à faire de ce foyer d’agitation chronique un boulevard de paix et la promotion providentielle d’une détente générale sur toute la surface de la terre. » A qui Pie XII pensait-il sinon à ces hommes qu’on a appelés les « pères » de l’Europe : l’Allemand Konrad Adenauer, le Luxembourgeois Joseph Bech, le Néerlandais Johan Willem Beyen, l’Italien Alcide De Gasperi, les Français Jean Monnet et Robert Schuman et enfin le Belge Paul-Henri Spaak. auxquels on ajoute souvent Winston Churchill (Royaume-Uni), Walter Hallstein (Allemagne), Sicco Mansholt (Pays-Bas) et Altiero Spinelli (Italie). La moitié de ces « pères » appartiennent à la démocratie chrétienne.⁠[21]

En évitant les discussions politiques, Pie XII engage l’Église et s’engage à appuyer cette initiative. Il continue : « A cause de cela, sans vouloir faire entrer l’Église dans l’enchevêtrement d’intérêts purement terrestres, Nous avons estimé opportun de nommer un représentant personnel spécial au « Congrès de l’Europe », qui s’est tenu récemment à La Haye[22], afin de montrer la sollicitude et de porter l’encouragement du Saint-Siège pour l’union des peuples. Et Nous ne doutons pas que tous Nos fidèles auront conscience que leur place est toujours aux côtés de ces esprits généreux qui préparent les voies à l’entente mutuelle et au rétablissement d’un sincère esprit de paix entre les nations. » En effet, « le devoir des catholiques [est] de donner un lumineux exemple d’unité et de cohésion, sans distinction de langues, de peuples et d’origine. »

Plus directement, le 11 novembre de la même année, Pie XII adresse un important discours aux délégués du Congrès international de l’Union européenne des Fédéralistes. Pie XII commence par rappeler les efforts que « depuis près de dix ans », il a multipliés « sans relâche en vue de promouvoir un rapprochement, une union sincèrement cordiale entre toutes les nations » et sans « impliquer l’Église dans des intérêts purement temporels ». Certes, le Saint-Père est conscient qu’« une union européenne offre de sérieuse difficultés » mais, pour lui, « il n’y a pas de temps à perdre. et si l’on tient à ce que cette union atteigne son but, si l’on veut qu’elle serve utilement la cause de la liberté et de la concorde européenne, la cause de la paix économique et politique intercontinentale, il est grand temps qu’elle se fasse. Certains, ajoute-t-il, se demandent même s’il n’est pas déjà trop tard ». Il ne faut donc pas attendre que « le souvenir de la guerre se soit d’abord estompé « . Il faut aussi éviter que certains n’abusent « d’une supériorité politique d’après-guerre en vue d’éliminer une concurrence économique ». Il est souhaitable enfin que les grandes nations au passé glorieux « sachent faire abstraction de leur grandeur d’autrefois pour s’aligner sur une unité politique et économique supérieure » qui respecte néanmoins les « caractères culturels de chacun des peuples ». Pour réaliser cette « unité politique et économique supérieure », il faut affirmer « qu’une Europe unie, pour se maintenir en équilibre, et pour aplanir les différends sur son continent […] a besoin de reposer sur une base morale inébranlable ». Cette base ne peut se trouver que dans la religion qui jadis fut « l’âme de cette unité ». Rétablir « le lien entre la religion et la civilisation » semble donc nécessaire. Fort heureusement, « en tête de la résolution de la Commission culturelle à la suite du Congrès de la Haye » (mai 1948), on peut lire « la mention du « commun héritage de civilisation chrétienne ». » Mais ce n’est pas assez pour Pie XII. Il faudrait aller « jusqu’à la reconnaissance expresse des droits de Dieu et de sa loi, tout au moins du droit naturel sur lequel sont ancrés les droits de l’homme. » En effet, « isolés de la religion, comment ces droits et toutes les libertés pourront-ils assurer l’unité, l’ordre et la paix ? » Encore faut-il ne pas oublier parmi ces droits « ceux de la famille, parents et enfants ». Ce sont ces « hommes vivants », « qui trouvent dans la vie de famille, honnête et heureuse, le premier objet de leur pensée et de leur joie », « des hommes aimant sincèrement la paix, des hommes d’ordre et de calme », des hommes de « compréhension », qui seront les artisans de l’Europe unie.

A de multiples reprises, Pie XII va insister sur le fait que les accords économiques, politiques ne suffisent car ils peuvent être dictés par un esprit matérialiste. Or « une paix sûre et durable est surtout un problème d’unité spirituelle et de dispositions morales ».⁠[23] Certes, un équilibre matériel est important mais moins que « l’esprit européen » c’est-à-dire « la conscience de l’unité interne, fondée non point sur la satisfactions de nécessités économiques, mais sur la perception de valeurs spirituelles communes, perception assez nette pour justifier et maintenir vivace la volonté de vivre unis. » Et la peur est « dépourvue de force constructive ». Pour la collaboration entre pays, « seules des valeurs d’ordre spirituel se révéleront efficaces. » ⁠[24] La position du pape est claire : « cette culture européenne sera ou bien authentiquement chrétienne et catholique, ou alors elle sera consumée par le feu dévastateur de cette autre culture matérialiste pour qui ne comptent que la masse et la force purement physique. »[25] Le propos peut paraître raide alors que de nombreux pays européens sont majoritairement protestants. Il adoucira son propos en rappelant que l’Église catholique ne s’identifie « avec aucune culture »[26] mais qu’elle est « pour le renouveau et le renforcement de la civilisation occidentale »[27]. Mieux encore, au Président de la République fédérale d’Allemagne, après avoir rappelé la menace matérialiste, Pie XII déclare plus simplement que « le catholicisme entendu comme doctrine et comme action peut apporter une précieuse contribution quand il s’agit de conserver le fondement spirituel et moral de la civilisation européenne en ce qu’elle a de véritable et de meilleur. »[28] Le Pape craignait, en effet, que « toute civilisation qui aspire réellement à conserver les avantages terrestres - et ils sont en vérité nombreux - de l’antique civilisation chrétienne, mais qui rejette, ouvertement ou sournoisement, le sens propre de celle-ci, soit irrémédiablement destinée à tomber victime des assauts du matérialisme »[29], ce qui aboutirait à « former une culture européenne de caractère, d’esprit, d’âme non chrétiens. »[30]

Deux obstacles majeurs se dressent sur la route de « la réalisation pratique de l’unité européenne » : la structure de chaque État qui doit, pour s’engager dans une vie commune, veiller à l’équilibre de l’ensemble et l’absence d’un « esprit européen » qui n’aurait pas « conscience de l’unité interne, fondée non point sur la satisfaction de nécessités économiques, mais sur la perception assez nette de valeurs spirituelles communes ». Or, « seules des valeurs d’ordre spirituel se révèleront efficaces, seules elle permettront de triompher des vicissitudes […] ». Si Rome et Athènes ont offert « les premiers fondements juridiques et culturels », « le christianisme a modelé l’âme profonde des peuples ». Pour se sauver, L’Europe a besoin de « la foi chrétienne authentique comme base de la civilisation et de la culture qui est la sienne, mais aussi celle de toutes les autres. »[31]

Le 13 juin 1957, le pape reçoit en audience spéciale plus de 1000 parlementaires de seize nations, réunis à Rome pour participer au Congrès de l’Europe.

Pie XII dresse le bilan des succès et des revers sur le chemin d’une « communauté supranationale ». Les succès qu’il retient sont la création en 1952 de la Communauté européenne du charbon et de l’acier regroupant six pays européens⁠[32] et, en 1957, la signature des traités de l’Euratom⁠[33] et du Marché commun⁠[34]. Certes, « cette communauté nouvelle est restreinte au domaine économique », mais, selon le Souverain Pontife, « elle peut conduire, par l’étendue même de ce champ d’action, à affermir entre les États membres la conscience de leurs intérêts communs d’abord sur le seul plan matériel sans doute, mais si le succès répond à l’attente, elle pourra ensuite s’étendre aussi aux secteurs qui engagent davantage les valeurs spirituelles et morales. » Pie XII se réjouit aussi que les congressistes aient réfléchi à « l’établissement d’une autorité politique européenne possédant un pouvoir véritable qui mette en jeu sa responsabilité ». C’est là, à ses yeux, l’élément « décisif » pour constituer une vraie communauté. Pour le saint Père, il faut « chercher les moyens de pourvoir au renforcement de l’exécutif dans les communautés existantes, pour arriver à envisager la constitution d’un organisme politique unique. » La recherche d’une politique extérieure commune comme le souci d’une association avec l’Afrique vont aussi dans le bon sens, c’est-à-dire dans le sens d’une communauté qui ne se replie pas égoïstement sur elle-même dans un geste de défense.

Pour l’avenir, pour que le mouvement amorcé progresse malgré les difficultés et les découragements, pour que l’Europe croisse dans la cohésion et la stabilité, elle doit se rappeler que le message chrétien « reste aujourd’hui comme hier, la plus précieuse des valeurs dont elle est dépositaire ; il est capable de garder dans leur intégrité et leur vigueur, avec l’idée et l’exercice des libertés fondamentales de la personne humaine, la fonction des sociétés familiale et nationale, et de garantir, dans une communauté supranationale, le respect des différences culturelles, l’esprit de conciliation et de collaboration avec l’acceptation des sacrifices qu’il comporte et les dévouements qu’il appelle. » Autrement dit, le christianisme peut apprendre à marier la nécessité de l’unité et le sens de la diversité tout en disposant les esprits et les cœurs à acquérir les qualités indispensables à cette tâche. Ainsi peut se préparer « une demeure terrestre qui ressemble davantage au Royaume de Dieu » sans s’identifier à lui car le chrétien est animé de « l’immuable assurance d’une patrie, qui n’est pas de ce monde et qui seule connaîtra l’union parfaite, parce que procédant de la force et de la lumière de Dieu même. »

Pie XII reviendra encore, le 4 novembre de la même année⁠[35], sur la conjugaison inévitable de l’un et du multiple dans la construction européenne. « Il ne s’agit pas d’abolir les patries, ni de fondre arbitrairement les races. l’amour de la patrie découle directement des lois de la nature, résumées dans le texte traditionnel des commandements de Dieu « Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur le sol que te donne le Seigneur, ton Dieu » (Ex 20, 12) » ; toutefois le devoir de reconnaissance pour les mérites et les travaux des aïeux engendre le plus souvent une préférence instinctive pour certaines formes de vie et de pensée, un attachement à des privilèges, qui n’ont pas toujours, ou qui n’ont plus leur raison d’être en face des obligations nouvelles créées par l’évolution rapide et profonde du monde moderne. » En effet, l’entrée dans une communauté plus vaste demande certes du « désintéressement » mais a, néanmoins, un « caractère inéluctable et finalement bienfaisant ». Déléguer « une partie de leur souveraineté à un organisme supranational » est « une voie salutaire » pour les pays d’Europe, l’entrée dans « une vie nouvelle dans tous les domaines, un enrichissement non seulement économique et culturel, mais aussi spirituel et religieux. »

La guerre a montré « l’inanité des politiques étroitement nationalistes » et le protectionnisme a entravé l’expansion économique. « Une unité plus large que celle de la nation au sens traditionnel » est riche de bienfaits. C’est même « une nécessité vitale » pour les « États modernes de moyenne puissance se s’associer étroitement, s’ils veulent poursuivre les activités scientifiques, industrielles et commerciales, qui conditionnent leur prospérité, leur véritable liberté et leur rayonnement culturel. » En effet, la volonté de paix, l’émancipation des colonies, « le marché des matières premières […] à l’échelle continentale », la prise « en charge de toute la misère de l’humanité », réclament plus d’unité. Et rien qu’au niveau de la CECA, les progrès sont déjà perceptibles : une « plus grande stabilité des prix », et un « progrès social » au niveau des conditions de travail et de vie. Il faudra encore beaucoup « d’énergie et de patience » pour surmonter les échecs mais « le mouvement créé ne peut plus s’arrêter,[36] […] il faut donc y entrer à fond et consentir les sacrifices temporaires sans lesquels il ne saurait réussir. » De plus, le Saint Père pense « aux fruits d’ordre spirituel et humain, qui peuvent résulter de la mise en commun du patrimoine si riche de l’Europe », et, en particulier aux « valeurs intellectuelles et morales » qu’il comporte.

Le soutien apporté par Pie XII à la cause européenne, le rappel de la culture chrétienne qui a marqué le continent et l’importance prise dans cette construction par la démocratie chrétienne ont nourri le fantasme d’une « Europe vaticane » mais cette idée « d’un complot ourdi par le Saint-Siège avec la complicité des partis démocrates-chrétiens européens en vue de rétablir les bases d’une Europe chrétienne sur le modèle du Saint-Empire romain germanique, n’eut de réalité que dans l’imagination de ceux (les socialistes principalement) qui la dénoncèrent. »[37] Certes, Pie XII insiste à plusieurs reprises sur l’héritage culturel, le patrimoine commun⁠[38]et même si, comme l’écrit Philippe Chenaux, Pie XII a été marqué par le romantisme allemand⁠[39] ou anglais⁠[40] de l’entre-deux-guerres qui idéalisait souvent avec nostalgie l’Europe chrétienne du Moyen-Age, son but n’est pas de reconstituer cette chrétienté, un nouveau « Saint-Empire » : « cette conception de l’Église, comme d’un empire terrestre et d’une domination mondiale, est absolument fausse »[41]. L’intention de Pie XII est de donner à l’Europe unie « une base morale inébranlable. Où la trouver cette base ? » demande Pie XII. « Laissons l’histoire répondre : il fut un temps où l’Europe formait, dans son unité, un tout compact et, au milieu des faiblesses, en dépit de toutes les défaillances humaines, c’était pour elle une force ; elle accomplissait, par cette union, des grandes choses. or l’âme de cette unité était la religion qui imprégnait à fond toute la société de foi chrétienne. » Malheureusement, « une fois la culture détachée de la religion, l’unité s’est désagrégée. A la longue, poursuivant, comme une tache d’huile, son progrès lent, mais continu, l’irréligion a pénétré de plus en plus la vie publique et c’est à elle, avant tout, que ce continent est redevable de ses déchirements, de son malaise et de son inquiétude. » Dès lors, que souhaiter pour l’avenir de l’Europe ? « Si donc l’Europe veut en sortir, ne lui faut-il pas rétablir, chez elle, le lien entre la religion et la civilisation ? » qu’est-ce à dire ? Très concrètement, que faut-il faire ? Suffit-il, comme le pape s’en réjouit, mentionner « le commun héritage de civilisation chrétienne » « en tête de la résolution de la Commission culturelle à la suite du Congrès de La Haye » de mai 1948 ? « Ce n’est pas encore assez, répond le pape, tant qu’on n’ira pas jusqu’à la reconnaissance expresse des droits de Dieu et de sa loi, tout au moins du droit naturel sur lequel sont ancrés les droits de l’homme ». Et il ajoute : « isolés de la religion, comment ces droits et toutes ces libertés pourront-ils assurer l’unité, l’ordre et la paix ? ».⁠[42] Telle est la base sur laquelle l’Europe doit se construire et nous trouvons déjà ici l’essentiel de la réflexion que fera, par la suite, l’Église sur les droits de l’homme indispensables à la véritable paix, ne serait-ce que dans leur formulation laïque mais qui ont besoin, comme nous l’avons vu, d’être bien définis et complétés. Il n’empêche que Pie XII se rend bien compte que l’Europe qu’il connaît n’est plus l’Europe du Moyen-Age, qu’elle est constituée d’un ensemble de pays marqués par le catholicisme ou le protestantisme et où l’athéisme s’est largement répandu. Il est bien conscient que les sociétés sont devenues pluralistes comme l’Europe. Comment organiser, dans ces conditions, la coexistence dans les communautés en voie de formation ? Il l’explique à des juristes catholiques italiens⁠[43] : « d’après la confession de la grande majorité des citoyens ou sur la base d’une déclaration explicite de leur Statut, les peuples et les États membres de la Communauté seront répartis en chrétiens, en indifférents au point de vue religieux ou consciemment laïcisés ou même ouvertement athées. Les intérêts religieux et moraux exigeront pour toute l’étendue de la Communauté un règlement bien défini qui vaille pour tout le territoire de chacun des États souverains, membres de cette Communauté des nations. Selon les probabilités et les circonstances, ce règlement de droit positif s’énoncera ainsi : à l’intérieur de son territoire et pour ses citoyens, chaque État déterminera les affaires religieuses et morales selon sa propre loi ; cependant, dans tout le territoire de la Confédération, on permettra aux ressortissants de chaque État-membre l’exercice de leurs propres croyances et pratiques religieuses et morales pour autant qu’elles ne contreviennent pas aux lois pénales de l’État où ils séjournent. » Plus précisément encore, à l’intérieur de chaque État comme à l’intérieur de la Communauté, l’erreur doit-elle être à tout prix éradiquée ? Certes, « aucune autorité humaine, aucun État, aucune Communauté d’États, quel que soit leur caractère religieux, ne peuvent donner un mandat positif ou une autorisation positive d’enseigner ou de faire ce qui serait contraire à la vérité religieuse et au bien moral. »[44] Mais « le devoir de réprimer les déviations morales et religieuses ne peut […] être une norme ultime d’action. Il doit être subordonné à des normes plus hautes et plus générales qui, dans certaines circonstances, permettent et même font apparaître comme le parti le meilleur celui de ne pas empêcher l’erreur, pour promouvoir un plus grand bien. »[45] Pie XII réaffirme donc, dans l’hypothèse de plus en plus aléatoire d’un État catholique⁠[46], le principe de la tolérance civile tel qu’il avait déjà été formulé par saint Thomas⁠[47] et réactualisé par Léon XIII⁠[48].

Rappelons-nous aussi que Pie XII, en 1958, à propos de la nécessaire distinction des pouvoirs n’a pas hésité à parler de « la légitime et saine laïcité de l’État ».⁠[49]

Nous sommes bien loin d’une conception visant à restaurer l’Europe chrétienne d’autrefois si tant est qu’elle puisse être considérée comme un modèle ! Une Europe théocratique n’est, comme disait Maritain, qu’une « utopie » dans la mesure où elle « demande au monde lui-même et à la cité politique la réalisation effective du royaume de Dieu - au moins dans les apparences et les pompes de la vie sociale ».⁠[50]

De même, il faut abandonner l’idée que Pie XII aurait soutenu la cause européenne par anticommunisme, se faisant le champion du monde libre, de l’Occident. Certes, le 1er juillet 1949, le Saint-Office publie un décret concernant le communisme qui affirme « 1° que le communisme est matérialiste et antichrétien ; 2° que les baptisés qui professent le communisme et qui le propagent sont apostats et par conséquent excommuniés ; 3°que les chrétiens qui apportent une aide quelconque aux organisations ou aux partis communistes sont à exclure de la pratique des sacrements, s’ils ne sont pas décidés à cesser cette collaboration ; 4° que les chrétiens qui écrivent dans la presse communiste ou qui la lisent, tombent dans la même catégorie que les précédents. »[51] Mais, dans le Radio-message au monde du 24 décembre 1951, Pie XII, prenant acte de la division du monde « en deux camps opposés », rappelle que l’Église ne peut « renoncer à une neutralité politique, pour la simple raison qu’elle ne peut se mettre au service d’intérêts purement politiques » et que si l’Église s’adresse aux sociétés, à la famille, à l’État, elle s’adresse aussi à « la Société des États, car le bien commun, fin essentielle, de chacune d’elles, ne peut ni exister ni être conçu, sans relation intrinsèque avec l’unité du genre humain. » Pour les personnes comme pour les peuples, l’Église veut la « vraie liberté ». Or si la « liberté » imposée par la collectivité dans les régimes dictatoriaux n’est évidemment pas la « vraie liberté », le monde qui s’appelle « avec emphase », dit Pie XII, « le monde libre », ne connaît pas non plus la « vraie liberté »[52]. Voilà donc renvoyés dos à dos « le monde libre » et « le camp opposé ». Ce que cherche l’Église, c’est la paix et celle-ci « ne peut être assurée si Dieu ne règne pas dans l’ordre de l’Univers par Lui établi, dans la société dûment organisée des États, dans laquelle chacun d’eux réalise, à l’intérieur, l’organisation de paix des hommes libres et de leurs familles, et à l’extérieur celle des peuples, dont l’Église dans son champ d’action et selon son office se fait garante.[…] En attendant, l’Église apporte sa contribution à la paix en suscitant et en stimulant l’intelligence pratique du nœud spirituel du problème ; fidèle à l’esprit de son divin Fondateur et à sa mission de charité, elle s’efforce, selon ses possibilités, d’offrir ses bons offices partout où elle voit surgir une menace de conflit entre les peuples. Ce Siège Apostolique surtout ne s’est jamais soustrait, ni ne se soustraira jamais à un tel devoir. »

Pour illustrer cet engagement, en 1952, et coup sur coup, Pie XII envoie des lettres apostoliques aux Églises sous régime communiste. De ces lettres⁠[53], nous retiendrons particulièrement la Lettre apostolique aux peuples de Russie du 7 juillet 1952 qui apporte un démenti radical à ceux qui accusaient l’Église de partialité. Après avoir évoqué l’époque où les Églises d’Orient et d’Occident étaient sous l’autorité du souverain pontife, Pie XII rappelle aussi toute la sollicitude que les Souverains Pontifes et lui-même ont manifesté pour les peuples de Russie particulièrement à l’époque contemporaine. S’attardant à la période de la guerre, le pape se plaît à souligner sa volonté, à l’instar de ses prédécesseurs, d’être « impartial envers tous les belligérants » : « Jamais, même à cette époque, ne sortit de Notre bouche une parole qui pût sembler injuste ou dure à l’un ou l’autre parti des belligérants. Certes Nous avons réprouvé, comme cela se devait, toute iniquité et toute violation du droit ; mais Nous avons fait cela de manière à éviter, avec le plus grand soin, tout ce qui aurait pu entraîner, quoique injustement, de plus grandes afflictions pour les peuples opprimés. » Pour preuve de sa bonne foi, Pie XII avoue : « Et lorsque de divers côtés on fit pression pour que, d’une façon ou d’une autre, de vive voix ou par écrit, Nous donnions Notre approbation à la guerre entreprise contre la Russie en 1941, Nous ne consentîmes jamais à le faire, comme Nous l’avons déclaré ouvertement le 25 février 1946, dans le discours prononcé devant le Sacré Collège et les représentants diplomatiques de toutes les nations qui sont en relation d’amitié avec le Saint-Siège ».⁠[54]

Pie XII, dans cette lettre, s’adresse non seulement aux catholiques mais à tous ceux « qui conservent encore le nom chrétien »[55], il loue leur piété et spécialement leur attachement à la Vierge Marie, Mère de Dieu dont il encourage le culte : « bien que des hommes, même puissants et cruels, s’efforcent d’arracher la sainte religion et la vertu chrétienne de l’âme de leurs concitoyens ; bien que Satan lui-même cherche par tous les moyens à exciter cette lutte sacrilège […] ; toutefois si Marie leur oppose sa protection, les portes de l’enfer ne peuvent avoir le dessus. » Et après avoir consacré le 31 octobre 1942 le monde entier à Marie, Pie XII consacre « d’une manière très spéciale » tous les peuples de la Russie au Cœur immaculé de Marie.⁠[56] Mais ce n’est pas tout. Pie XII adresse un message aux dirigeants : « Sans doute avons-Nous condamné et repoussé, - comme le devoir de Notre charge le demande -, les erreurs que les fauteurs du communisme athée enseignent ou s’efforcent de propager pour le plus grand tort et détriment des citoyens ; mais, bien loin de rejeter les égarés, Nous désirons leur retour à la vérité, dans le droit chemin. » Et il ajoute : « Que la Mère bien-aimée daigne regarder avec bonté et miséricorde, ceux-là même qui organisent les groupes des militants de l’athéisme et qui dirigent leurs activités ; qu’elle daigne illuminer leurs esprits de la lumière céleste, et que, par la divine grâce, elle oriente leurs cœurs vers le salut. » La première étape de la conversion des dirigeants « à la vérité, dans le droit chemin » est clairement indiquée à travers la mission que se donne le Pape : « Quand il s’agit de défendre la cause de la religion, de la vérité, de la justice et de la civilisation chrétienne, certainement Nous ne pouvons Nous taire ; mais ce à quoi tendent toujours Nos pensées et Nos intentions c’est que tous les peuples ne soient point gouvernés par la force des armes, mais par la majesté du droit, et que chacun d’eux, en possession des libertés civile et religieuse dans les limites de sa propre patrie, soit conduit vers la concorde, la paix et la vie laborieuse grâce auxquelles chaque citoyen peut se procurer les choses nécessaires à sa nourriture, à son logement, à l’entretien et à la direction de sa propre famille. »

A la lecture de ce texte, il est difficile de croire encore que la cause européenne était pour Pie XII simplement un moyen de faire bloc contre le communisme. Au contraire, Pie XII conscient des dangers que la « guerre froide » faisait courir à la paix du monde restait fidèle à sa conception de la supranationalité de l’Église⁠[57] et ouvrait une voie à la coexistence pacifique. Ce que souhaite Pie XII c’est « que le pont spirituel et chrétien, déjà existant en quelque mesure entre les deux rives acquière une stabilité plus grande et plus efficace […]. »⁠[58]

Durant son court mais fructueux pontificat, Jean XXIII n’a pas eu souvent l’occasion d’aborder la question européenne et ses préoccupations furent, nous l’avons vu, planétaires. Il n’empêche qu’il applaudit à « tout ce qui tend à rapprocher les hommes, à les faire collaborer pour le bien de leurs frères ». Cela « est particulièrement digne de respect et d’encouragement. Et, Dieu merci ! -c’est un des aspects les plus réconfortants du monde d’aujourd’hui - les unions nationales et internationales se sont multipliées […]. L’Église s’y intéresse tout spécialement. Elle considère, en effet, qu’un des meilleurs moyens d’assurer une paix solide et durable entre les hommes, c’est de les faire collaborer à des tâches positives intéressant leur véritable bien-être ».⁠[59] Une collaboration qui doit s’étendre, c’est une idée récurrente et fondamentale chez Jean XXIII qui doit s’étendre d’un continent à l’autre⁠[60].

Toutefois, dans une Lettre de la Secrétairerie d’État⁠[61] aux Semaines sociales de France⁠[62], on peut découvrir la pensée de Jean XXIII sur « l’Europe des personnes et des peuples » qui était le thème de ce rassemblement. Après avoir rappelé les avantages de l’union : promotion sociale, essor économique et contribution à la paix, le Secrétaire d’État précise que le rôle de l’Église en la matière est d’apporter les principes moraux qui doivent guider les hommes engagés sur le terrain temporel.

Quels sont les « buts à poursuivre », les « attitudes à prendre » et les « moyens à mettre en œuvre » ?

Le but : un bien commun propre constitué certes d’éléments économiques sociaux et politiques communs mais dont l’essence est un « vouloir-vivre collectif » exprimé « par des manières communes de penser, de sentir et de vivre ». La « force unificatrice » des « composantes économiques, sociales et politiques » est « l’esprit européen fondé sur la perception de valeurs spirituelles communes ». Le patrimoine « humaniste et universaliste » typique de l’Europe est constitué de « l’humanisme grec, avec son sens de l’équilibre, de la mesure et de la beauté » et de « l’esprit juridique romain, qui donne à chacun sa place et ses droits dans une communauté politique solidement structurée ». Mais, c’est surtout le christianisme « qui a modelé l’âme européenne », « qui a dégagé les traits de la personne humaine, sujet libre, autonome et responsable. ce personnalisme, qui respecte la vocation de chaque être et insiste sur la complémentarité du corps social, est la clé de voûte du patrimoine européen et rend intelligible tous ses éléments : richesses intellectuelles et morales, culturelles et artistiques, et jusqu’aux progrès techniques et scientifiques. »

L’Europe se construira « à partir des données nationales » mais elle sera l’œuvre non seulement des gouvernements mais aussi des peuples et en particulier des corps intermédiaires et de la famille. Les corps intermédiaires, organisations syndicales, associations économiques et culturelles, « constituent la structure fondamentale des relations entre les peuples ». Il faut donc que les corps intermédiaires de chaque nation nouent « entre eux, dans leurs domaines respectifs, des liens qui rendent effective leur solidarité. » Quant aux familles, « elles forment le centre vital de l’Europe des personnes et des peuples ». Elles doivent être respectées et soutenues par des emplois, de justes salaires, des prestations sociales spécifiques, des logements adaptés, des conditions de vie favorables à leur responsabilité et à leur stabilité.

Et pour clore, la Secrétairerie d’État renvoie ses lecteurs à l’enseignement de Jean XXIII sur le développement (Mater et Magistra) et au Discours de Pie XII au Conseil de l’Europe du 13 juin 1957.

Si, outre les gouvernements, les corps intermédiaires et les familles ont un rôle à jouer, il ne faut pas non plus négliger ce que l’école peut réaliser pour l’entente entre les peuples et dans la construction de l’Europe car là aussi, on peut travailler « à établir ou à resserrer entre les nations des liens de connaissance, d’estime et de sympathie réciproques ».⁠[63]

Sous le pontificat de Paul VI (1963-1978), les institutions européennes se consolident et les initiatives en faveur d’une union se multiplient. Les 6 pays fondateurs (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) sont rejoints en 1973 par l’Irlande, le Danemark et le Royaume-Uni. Paul VI suit continuellement avec attention et encouragement cette évolution.⁠[64] L’Europe, dira-t-il, est « une réalité magnifique qui mérite tout l’appui des meilleures forces ».⁠[65] Il évoquera avec reconnaissance les efforts des fondateurs⁠[66] et l’appui de ses prédécesseurs à la cause européenne.⁠[67]

Pourquoi tant d’intérêt pour la construction européenne ? Pourquoi Paul VI estime-t-il qu’il est « nécessaire et urgent »[68] de « faire » l’Europe ?

Les raisons données sont théologique, anthropologique, morale et économique.

Non seulement « Dieu a voulu que les hommes forment une seule famille et se considèrent comme des frères »[69] mais le désir d’union est aussi inscrit dans la nature de l’homme. Les divisions et les oppositions sont néfastes et « c’est à la lumière des exigences profondes de la nature humaine et de la vie en société que se manifeste le mieux la nécessité pour les hommes de se rapprocher, de s’aimer, d’unir leurs efforts pour réaliser enfin ce monde fraternel et vraiment humain auquel, consciemment ou non, tous les hommes et tous les peuples aspirent profondément. »[70] Le processus d’intégration européenne « correspond aux objectifs d’union et de paix, que nous nous sommes fixés pour nous-même ; il met en pratique les vertus de courage, de désintéressement, de confiance, d’amour, qui doivent former le fond de l’éducation civique d’un monde qui progresse à la lumière de la vocation chrétienne, la plus haute et la plus noble -des vocations humaines. »[71] L’Europe est aussi pour l’Église un patrimoine spirituel précieux : « tant de valeur de culture, de morale, de religion, sont impliquées dans l’idée d’Europe ».⁠[72] Comment L’Église pourrait-elle s’en désintéresser ?

De plus, l’idéal d’une Europe unie et pacifique est « moderne et sage » car il correspond à la réalité que vivent les peuples : « une étroite interdépendance d’intérêts ».⁠[73] « L’évolution spontanée de la vie fait de ce continent une communauté unie par un réseau de rapports techniques et économiques […] ».⁠[74] C’est une « gigantesque mutation » qui affecte tous les peuples. Dans ce cadre, une collaboration s’impose pour « faire face, de manière efficace, et donc concertée, aux graves problèmes économiques et sociaux, aux problèmes humains que posent le progrès technique, les échanges commerciaux, l’emploi, la migration, l’évolution culturelle, les conditions d’éducation. » et faire face aussi à « tout ce qui dégrade profondément les mœurs des individus et des familles »[75]

Mais un monde fraternel se construit petit à petit : « sur le chemin ardu de l’unité du monde, il y a des étapes ; et l’une de ces étapes, l’une des plus importantes, c’est l’unification de l’Europe »[76] et une « Europe pacifiée et unifiée » est « une nécessité vitale » même pour l’avenir du monde⁠[77].

Pour la paix, bien sûr : il ne faut pas oublier que les deux guerres mondiales qui ont marqué le XXe siècle, sont nées en Europe. Et d’une manière plus générale, on constate que les autres peuples « ont souvent les yeux fixés sur les pays européens »[78] si bien que les « efforts, orientés immédiatement vers la construction d’une Europe unie, contribuent également, d’une manière indirecte mais efficace, à l’avènement de la réconciliation entre tous les hommes et entre tous les peuples ».⁠[79]

L’Europe peut être un modèle. Pourquoi ? Parce que l’Europe a déjà connu des efforts d’unification dans le passé et qu’elle « est déjà une réalité »[80]. Paul VI rappelle « les tentatives d’unification politique » : l’Empire romain, les Empires carolingien et germanique qui ont été marqués par la « civilisation gréco-romaine » et plus encore par « une même culture chrétienne ». « Quelque chose de commun animait ce grand ensemble: c’était la foi. »[81]

L’Europe a un patrimoine, un héritage à défendre et à ranimer⁠[82] car elle a besoin « d’une mentalité unitaire », « d’une culture commune » sinon « l’unité européenne ne pourra pas être véritablement atteinte et lorsqu’elle sera atteinte pour certains objectifs particuliers, elle représentera une somme d’éléments étrangers les uns aux autres, peut-être en opposition les uns avec les autres. » A ce point de vue, « la foi catholique peut se montrer un coefficient d’une valeur incomparable pour faire pénétrer une vitalité spirituelle dans cette culture fondamentalement unitaire qui devrait constituer le souffle animateur d’une Europe socialement et politiquement unifiée. » ⁠[83]

Cette proposition de la part de l’Église cache-t-elle quelque ambition politique ? L’Église poursuit-elle « un dessein politique ? Nullement », répondra-t-il.⁠[84] A plusieurs reprises, Paul VI va rappeler l’indispensable distinction des pouvoirs et les rôles respectifs des autorités publiques et de l’Église: « L’Église, en ce qui la concerne, ne poursuit aucun dessein politique particulier. Elle n’a d’ailleurs pas compétence pour susciter les meilleures solutions politiques et les mettre en œuvre : cette responsabilité appartient à ceux qui ont reçu mandat à cet effet. » ⁠[85] Le rôle de l’Église est de « lancer des ponts entre les peuples », de diriger « les cœurs des hommes vers la paix entre l’homme et Dieu et vers la paix dans l’homme et parmi les hommes »[86], de « réveiller l’âme chrétienne de l’Europe où s’enracine son unité », mais les évêques ne sont pas « les artisans de l’unité au plan temporel, au plan politique ».⁠[87] Dans un message au Conseil de l’Europe⁠[88], Paul VI précisera encore que l’objectif du Saint-Siège n’est pas de « dominer le destin de ces peuples, mais [de] les aider à mieux le réaliser, conformément à leur identité profonde et pour le bien de tous. » Il ajoutera que l’Église, « dans le respect des divers courants de civilisation et des compétences propres de la société civile, […] propose son aide pour affermir et développer le patrimoine commun particulièrement riche en Europe et dont beaucoup d’éléments lui sont familiers, voire accordés. »

Sur le chemin de l’unité, les obstacles sont nombreux. Au cours de l’histoire, les nations européennes ont rompu l’unité en gestation et se sont opposées⁠[89]. Par ailleurs, « l’égoïsme » et « la volonté de puissance »[90] entraînent « le repli sur soi » et la « recherche de domination culturelle ou économique »[91].

Comment vaincre ces défauts, dépasser l’intérêt personnel, faire les sacrifices nécessaires en vue d’un bien commun et de la solidarité ?⁠[92] Comment arriver à une Europe « plus unie, plus dégagée des intérêts particuliers et des rivalités locales, et plus liée aux systèmes d’entraide mutuelle » ?⁠[93] Comment l’union peut-elle se réaliser alors qu’elle est l’objet de « conceptions différentes » ?⁠[94]

Il va sans dire que l’Europe ne peut se faire par la force c’est-à-dire qu’elle doit « éviter que l’unité ne soit imposée effectivement par des facteurs d’ordre extérieur et matériel, aux dépens des patrimoines intérieurs et spirituels pou par la force de la nécessité, à laquelle il serait difficile demain d’opposer une résistance efficace. »[95] L’Europe unie « ne doit pas être une création artificielle, imposée de l’extérieur ; elle doit au contraire surgir comme l’expression de la volonté de chacun des peuples ; elle doit se présenter comme un fruit de persuasion et d’amour et non comme un résultat technique, et peut-être même fatal, des puissances politiques et économiques ». Or, « l’opinion publique […] considère le problème de l’unification uniquement, ou avant tout, en fonction des avantages économiques qui en découleront, comme si les forces idéales de l’unification elle-même étaient un dérivé des forces économiques et devaient, par conséquent, être subordonnées à ces dernières. » Certes, « les avantages matériels réciproques peuvent favoriser les liens d’ordre spirituel, […] l’union sur le plan économique poursuivie jusqu’ici constitue certainement une base irremplaçable[96], mais elle n’absorbe qu’une partie des efforts qui doivent être faits pour arriver à une union pleine et agissante. Celle-ci suppose la diffusion d’une atmosphère sereine et cordiale dans les rapports réciproques, empreinte d’un sens aigu de la justice, de la compréhension, de la loyauté, du respect et spécialement de l’amour fraternel. C’est seulement ainsi que l’on donnera à l’idée de l’Europe unie sa richesse spirituelle et sa force morale, et que les consciences en arriveront à accepter toutes les conséquences pratiques et onéreuses que cette union comporte, en ne succombant pas à la tentation de recueillir uniquement les bénéfices sans endosser ainsi les risques de la solidarité, de céder à des sentiments égoïstes et de brimer les particularités culturelles de chaque peuple, qui doivent au contraire être respectées et mises en valeur, attendu que chaque culture apporte des valeurs originales et que toutes, par conséquent, doivent enrichir le patrimoine commun de l’Europe unie. »[97]

On ne peut « se limiter à signer des protocoles et à mettre solennellement la guerre hors la loi. L’histoire enseigne que de tels gestes se révèlent souvent, hélas ! théoriques et inefficaces ». ⁠[98] « Des structures juridiques » sont certes indispensables⁠[99] et « le salutaire rajeunissement de l’Europe passera par les chemins hardiment tracés et sans cesse révisés, de la concertation. »[100]. Mais il faut être bien conscient que l’élaboration de la communauté européenne « entraîne aussi des bouleversements économiques et sociaux fort complexes, qu’il importe de maîtriser, afin que, en définitive, cette mutation demeure […] au service de l’homme, de tout homme et de tout l’homme. » Il est indispensable d’éviter « un développement déséquilibré ». Or, les tâches sont nombreuses. Il s’agit, en effet et tout à la fois de protéger efficacement les droits de l’homme, « le plein emploi, la libre circulation de la main-d’œuvre, l’élévation du niveau de vie […], la sécurité de l’emploi et la protection de la santé […], le respect des personnes, leur intégration dans la société, leur participation responsable à la vie des communautés humaines, le soutien apporté aux valeurs morales, l’aide donnée à cette cellule fondamentale de la vie sociale qu’est une famille unie, la protection efficiente contre des fléaux qui se font de nos jours plus menaçants pour les jeunes, - telle la drogue dont il faut, à tout prix et sans retard, juguler la diffusion périlleuse-, la possibilité enfin assurée pour tous les groupes humains de satisfaire leurs exigences spirituelles les plus profondes »[101]. Or, « si l’un de ces éléments vient à manquer, c’est l’homme lui-même qui faillit à sa vocation et la civilisation qui peu à peu se désagrège, comme rongée de l’intérieur. »[102]

Pour réussir cette tâche, construire une Europe respectueuse de la personne humaine dans son intégralité⁠[103], il faut prioritairement et tout au long du processus d’intégration, que naisse ou renaisse un esprit commun, il faut former une « conscience européenne »[104] : l’évolution vers plus d’unité « ne demande pas mieux que d’être vivifiée par un même esprit, et d’être reconnue comme le fruit d’un long travail irréversible et bienfaisant. » Il faut que l’opinion publique, la plus large possible, soit persuadée de « l’excellence de la cause de l’Europe unifiée ».⁠[105] d’une certaine manière, « l’Europe sera « vécue », si l’on peut dire, avant d’être définie. La pratique précédera les textes »[106]. « Il est du devoir de tous, et spécialement du nôtre, de créer l’atmosphère morale nouvelle, qui peut faciliter la solution espérée. […] Ce doit être une mentalité d’estime réciproque, de collaboration mutuelle, de convergence progressive vers une paix active et un profit commun. C’est-à-dire une mentalité humaine plus large, plus généreuse, une mentalité spirituelle, à la formation de laquelle l’esprit chrétien, bien plus, universel et voire catholique, peut tellement aider. De l’ancienne chrétienté historique de l’Europe peut naître l’esprit de citoyenneté internationale, dont son progrès et sa paix ont besoin. pour elle et pour le monde. »⁠[107]

Comment définir cet « esprit », cette « conscience européenne », cette « mentalité humaine », cet « esprit de citoyenneté internationale » ?

Cet esprit doit manifester d’abord un attachement à des valeurs fondamentales : « les valeurs impérissables de la dignité de chaque être humain, de sa liberté et de sa responsabilité morale, de ses droits et de ses devoirs envers les autres hommes, la famille et l’État, telles que les proclame l’Église, constituent le fondement inébranlable de toute société ordonnée. Cet enseignement a formé l’Europe au cours des siècles passés et a favorisé un tel élan culturel qu’elle a pu devenir l’éducatrice d’autres peuples de la terre. Si dans la société pluraliste d’aujourd’hui, en dépit de tous les progrès techniques, la sécurité collective et la coexistence pacifique des peuples et des sociétés particulières sont tellement ébranlées, cela ne tient-il pas à ce qu’une loi morale valable pour tous a été écartée et répudiée ? »[108]

Parmi ces valeurs, Paul VI souligne la nécessité de « mettre au premier plan le respect des droits de l’homme, […] les affirmer et surtout […] les garantir pour tous les citoyens ». Or, il se fait que « la Convention européenne a voulu, pour cette région en hâter l’application de façon réaliste et efficace : les principes ont été réaffirmés avec plus de précision et de détails et surtout un mécanisme approprié a été mis en place afin d’en garantir la sauvegarde, en ménageant, pour les États et pour les individus, la possibilité d’un appel contre leur violation éventuelle. » Il faut donc « intensifier une éducation continuelle des gens, qui les forme, non seulement à revendiquer leurs droits fondamentaux et à respecter ceux des autres, mais aussi à assumer, en conscience et pour leur part, les devoirs qui correspondent à tous ces droits de l’homme. »[109] Ces devoirs et ces droits sont universels et les bons rapports entre les peuples présupposent, « malgré les diversités, même profondes, une base de civilisation humaine commune, se concrétisant en droits et en devoirs et permettant à tous de vivre tranquillement et de travailler utilement ensemble. »⁠[110]

Le pape se réjouit que constater que dans le préambule de son statut, le Conseil de l’Europe a inscrit « l’attachement aux valeurs humaines, spirituelles et morales, qui constituent le patrimoine commun des peuples de ce continent ». Ces valeurs ont surgi en Europe : « Par-delà un passé de guerres et de destructions, les valeurs communes issues de la vitalité des peuples anciens et divers, affinées par l’héritage gréco-romain, assainies, approfondies et universalisées par la foi chrétienne, ont reçu, au plan des principes juridiques, une expression renouvelée et efficace dans la Convention européenne des droits de l’homme, qui se présente comme une pierre milliaire sur le chemin de l’union des peuples : ne manifeste-t-elle pas la volonté sacrée de bâtir cette union sur le respect de la dignité de la personne, de ses libertés et de ses droits fondamentaux ? » La foi chrétienne a donc joué un rôle important qu’on ne peut nier :  »_ la tradition chrétienne, c’est un fait, est partie intégrante de l’Europe. Même chez ceux qui ne partagent pas notre foi, même là où la foi s’'est assoupie ou éteinte, les fruits humains de l’Évangile demeurent, constituent désormais un patrimoine commun qu’il nous appartient de développer ensemble pour la promotion des hommes_. »⁠[111] Paul VI réaffirmera cette réalité devant le Corps diplomatique en justifiant la présence du Saint-Siège à la Conférence d’Helsinki : « Mais au-delà, et nous pourrions dire bien au-dessus des aspects techniques et concrets des problèmes de la sécurité et de la coopération, il y avait précisément tout l’espace touchant aux principes suprêmes - éthiques et juridiques - qui doivent informer l’action et les rapports des États et des peuples. » Les « principes et normes, acceptés par tous les participants, se rattachent à un patrimoine idéal commun aux peuples de l’Europe. Cet héritage, nous pouvons l’ajouter, basé essentiellement sur le message évangélique que l’Europe a reçu et accueilli, est, en substance, également commun aux peuples des autres continents, y compris ceux qui n’appartiennent pas à ce qu’on appelle la civilisation chrétienne, du fait que le message chrétien interprète, là aussi, les exigences profondes de l’homme. »⁠[112]

L’analyse des valeurs conduit tout naturellement à rappeler l’importance de la foi chrétienne en Europe dans le passé mais aussi pour l’avenir. Les valeurs évoquées sont certes des valeurs humaines mais il ne faut pas oublier, comme le Pape le dira, qu’« il n’est […] d’humanisme vrai qu’ouvert à l’Absolu, dans la reconnaissance d’une vocation, qui donne l’idée vraie de la vie humaine ».⁠[113] L’évangélisation importe donc aussi à la construction de l’Europe. C’est ce que Paul VI va longuement développer dans un important discours aux évêques d’Europe : « Aux nations désormais politiquement distinctes et organisées en États libres et souverains, il reste à découvrir une expression communautaire et continentale de la fraternité des peuples, associés pour promouvoir une civilisation solidaire, animée naturellement d’un même esprit. […] On ressent en effet à nouveau aujourd’hui le besoin de l’union[114], mais d’abord au niveau d’une concertation indispensable sur des problèmes techniques, économiques, commerciaux, culturels, politiques. » Problèmes qui, comme on l’a déjà dit, qui constituent autant d’obstacles à vaincre. C’est pourquoi et « plus profondément, on rêve à nouveau d’une unité spirituelle, qui donne sens et dynamisme à tous ces efforts, qui restitue aux hommes la signification de leur existence personnelle et collective. Les pouvoirs politiques et techniques sont impuissants à produire cet effet, et ne pourraient l’imposer que par l’esclavage. […] Seule la civilisation chrétienne, dont est née l’Europe, peut sauver ce continent du vide qu’il éprouve, lui permettant de maîtriser humainement le progrès technique dont elle a donné le goût au monde, de retrouver son identité spirituelle et de prendre ses responsabilités morales envers les autres partenaires du globe. » Le rôle des évêques est donc de « réveiller l’âme chrétienne de l’Europe où s’enracine son unité ». Certes, « les conditions sont nouvelles par rapport à l’état de chrétienté qu’a connu l’histoire. Il y a une maturité civique…​ » que les évêques doivent respecter : ils ne sont pas « les artisans de l’unité au plan temporel, au plan politique ». Mais la foi reçue librement « donne un sens à la vie des hommes […], nourrit leur cœur d’une espérance non fallacieuse. elle leur inspire une vraie charité génératrice de justice et de paix, qui les pousse au respect de l’autre dans la complémentarité, au partage, à la collaboration, au souci des plus défavorisés. Elle affine les consciences. Dans le monde souvent clos sur sa richesse ou son pouvoir, rongé par les conflits, ivre de violence ou de défoulement sexuel, la foi procure une libération, une remise en ordre des facultés merveilleuses de l’homme.

L’unité qu’elle cherche n’est pas l’unification réalisée par la force, c’est le concert où les bonnes volontés harmonisent leurs efforts dans le respect des conceptions politiques diverses.  » Il est patent que « le processus de sécularisation touche profondément l’Europe chrétienne […] » et que « les valeurs évangéliques sont trop souvent comme désarticulées, axées sur des objectifs purement terrestres » mais « elles demeurent enracinées dans l’âme de la plupart de ces peuples européens ; elles continuent à les marquer ; elles peuvent être purifiées, ramenées à leur source, c’est le rôle de l’évangélisation.[…] C’est par ce chemin spirituel que l’Europe doit retrouver le secret de son identité, de son dynamisme ».⁠[115]

Reste une question : l’Europe unie sera-t-elle un bastion, une forteresse ou un continent ouvert sur le monde ?

Déjà en 1970, le Pape attire l’attention sur la situation des migrants de plus en plus nombreux, situation « aussi inique que dangereuse pour la paix sociale ! Et quelle tache pour une société pétrie de christianisme et initiée depuis tant de siècles à la justice et à la charité chrétienne. » Il ajoute que l’Europe doit garder le souci du tiers-monde : « éviter le repliement égoïste sur nous-mêmes et, il faut bien le dire, sur des privilèges et des talents que Dieu nous a donnés pour les mettre au service de tous nos frères ».⁠[116] Le monde a besoin d’une « vraie Europe qui fasse honneur à sa vocation historique de maîtresse de vrai progrès ».⁠[117] L’Europe « a bénéficié, plus que d’autres continents, d’une civilisation chrétienne.[…] Une telle Europe ne devrait-elle pas donner aujourd’hui l’exemple d’une civilisation vraiment humaine, qui ne soit pas seulement axée sur le potentiel économique et technologique, mais qui mette son point d’honneur à défendre les droits de la personne humaine ? »[118] Il faut  »…​créer les institutions capables de permettre à l’Europe un service plus efficace de la famille humaine tout entière. Est-ce trop dire que l’Europe, vu les faveurs dont la Providence l’a fait bénéficier, garde une responsabilité pour témoigner, dans l’intérêt de tous, de valeurs essentielles comme la liberté, la justice, la dignité personnelle, la solidarité, l’amour universel ? »[119].

Une unité construite sur les valeurs fondamentales évoquées, marquées du sceau du christianisme, exclut donc le repli sur soi et la recherche d’une domination quelconque. Son imprégnation chrétienne « implique au contraire compréhension et accueil des valeurs dont les autres peuples sont porteurs. »[120]


1. Notons tout d’abord que pendant longtemps, ce n’est pas le mot Europe dont l’étymologie est incertaine [soit, selon une tradition assyro-phénicienne, ereb, le pays du couchant, soit selon une tradition grecque, un prénom féminin, europê désignant « celle qui a de grands yeux », deux étymologies qui ne sont pas inconciliables] qui va désigner l’ensemble géographique et culturel que l’on sait mais plutôt le mot « chrétienté » qui fait coïncider une ère géographique et une relative unité culturelle. En 1937 encore, Pie XI appelle comme guide et modèle « une chrétienté, ayant repris conscience d’elle-même dans tous ses membres, rejetant tout partage, tout compromis avec l’esprit du monde, prenant au sérieux les commandements de Dieu et de l’Église, se conservant dans l’amour de Dieu et l’efficace amour du prochain... » (Encyclique Mit Brennender Sorge, 14 mars 1937, in Marmy, 260). Pie XII renchérira : « si l’Empire romain a posé les premiers fondements juridiques et culturels de l’Europe en diffusant la civilisation gréco-latine, le christianisme a modelé l’âme profonde des peuples, il a dégagé en eux, en dépit de leurs différences las plus marquées, les traits distinctifs de la personne libre, sujet absolu de droit et responsable devant Dieu non seulement de sa destinée individuelle, mais aussi du sort de la société où elle est engagée. » (Allocution au Collège de l’Europe de Bruges, 15 mars 1953).
   Quant à l’unité politique, c’est une autre histoire. Elle a existé partiellement et un temps avec l’empire de Charlemagne. L’émiettement féodal puis l’autonomie des royaumes se superpose à l’unité spirituelle manifestée par les ordres monastiques, les pèlerinages et les croisades. mais cette unité elle-même va être mise à mal par le néo-paganisme de la Renaissance, le schisme protestant. Léon XIII le soulignait : « Les commencements et les progrès de cette belle œuvre, héritage des siècles antérieurs, marchaient à d’heureux accroissements, quand soudain, au XVIe siècle, éclata la discorde. Alors, la chrétienté se déchira elle-même dans des querelles et des dissensions ; l’Europe épuisa ses forces dans des luttes et des guerres intestines ; et de cette période tourmentée, les expéditions apostoliques subirent le fatal contrecoup. » (Lettre apostolique Praeclara gratulationis, 20 juin 1894). Au XVIIIe siècle, ce sont les Lumières qui vont prendre le relais intellectuel et artistique de la foi chrétienne avant que les révolutions ne stimulent des nationalismes. Il faudra les cruelles guerres du XXe siècle pour susciter le désir d’une union politique afin de construire un espace de paix.
   Indépendamment de Charlemagne ou de Napoléon qui ont rêvé de reconstituer un empire, l’union politique a inspiré assez tôt quelques auteurs. On peut citer Dante, De la monarchie, 1310-1313 ; Georges de Podiebrad, roi de Bohême, Traité destiné à établi la paix dans toute la chrétienté (XVe s.) ; l’humaniste espagnol Luis Vives, Des conflits européens et de la guerre turque (1526) ; le moine Emeric Crucé, Le nouveau Cynée (XVIIe s.) ; Maximilien de Sully, Le grand dessein (XVIIe s.) ; le théologien morave Johan Amos Comenius, Consultation universelle sur l’amendement des choses humaines, « Déclaration adressée aux sommités de l’Europe », (XVIIe s.) ; le quaker William Penn, Essai d’un projet pour rendre la paix de l’Europe solide et durable par l’établissement d’une diète générale composée des députés de tous les princes et Etas souverains (fin XVIIe s.). A partir du XVIIIe s. les essais se multiplient : Charles-Irénée de Saint-Pierre, Leibnitz, Lilienfeld, Bentham, Kant, Saint-Simon, Scmidt-Phiseldek, Jastrzebowski, Stefan Zweig, Coudenhove-Kalergi, Alexis Léger, etc.. (Cf. Europe, épure d’un dessein, Conseil de l’Union européenne, 2006). Nous sommes là en présence d’une Europe qui apparaît « comme une réalité « laïque » porteuse d’un idéal de civilisation et, parce que fragmentée, d’une exigence d’unité » (CHENAUX Philippe, De la chrétienté à l’Europe, Les catholiques et l’idée européenne au XXe siècle, CLD, 2007, p. 37). Comme l’écrit ce professeur d’histoire à l’université pontificale du Latran, c’est l’Europe des Lumières contre la chrétienté médiévale, une Europe libérale et « nationalitaire ». L’auteur ne précise pas le sens qu’il donne à cet adjectif et ce qui pourrait le distinguer de « nationaliste ». Les dictionnaires ne sont pas non plus très explicites. Mais comme le mot est surtout employé dans un contexte colonial, on pourrait lui donner comme synonyme « communautaire » ou « identitaire ». Peut-être pouvons-nous nous référer à cette remarque : « Le discours nationalitaire est entendu ici comme un discours de revendication nationale […​] par opposition au discours nationaliste qui relève d’un nationalisme s’exprimant dans le cadre d’un État-Nation déjà constitué » ( OUAMARA Achour, Analyse du discours nationalitaire algérien (1930-1954), in Persée, 1986, volume 13, n°13, pp. 131-158).
2. Léon XIII constate qu’à travers l’Europe, on se prépare à la guerre. Alors que l’Europe s’est vue assigner par Dieu « le rôle de répandre peu à peu sur la terre les bienfaits de la civilisation chrétienne », la « discorde » règne depuis le XVIe siècle, moment où la « chrétienté » s’est déchirée. Il souhaite que se rétablisse « l’antique concorde, au profit du bien commun ».(Lettre apostolique Praeclara gratulationis, 20 juin 1894). L’Europe, confirmait Benoît XV, a pu « tendre à l’unité » grâce à l’esprit de l’Église. (Lettre encyclique Voici la paix, 23 mai 1920). Nous nous rappelons la dénonciation de Pie XI du « nationalisme exagéré » qui gangrène l’Europe. (Lettre encyclique Caritate Christi, 3 mai 1932).
3. Lettre apostolique Praeclara gratulationis.
4. « Obsédés de mutuelles suspicions, presque tous les peuples poussent à l’envi leurs préparatifs de guerre. De là d’énormes dépenses et l’épuisement du trésor public ; de là encore, une atteinte fatale portée à la richesse des nations, comme à la fortune privée : et on en est au point que l’on ne peut porter plus longtemps les charges de cette paix armée. » (Id..)
5. Patrick de Laubier insiste, lui, sur une autre division plus fondamentale : « Plutôt que d’opposer l’Orient et l’Occident, il faudrait plutôt distinguer deux grands courants, platonicien et aristotélicien, qui traversent l’histoire de la philosophie depuis les Grecs jusqu’à nos jours, et l’es suivre aussi bien en Russie, par exemple, qu’en Occident. il en résulterait une clarification, à notre avis fort utile, pour l’étude de la philosophie d’inspiration chrétienne ». (LAUBIER, P. de, La philosophie d’inspiration chrétienne en Europe, Editions universitaires, 1990, p. 11).
6. BRAGUE Rémi, L’Europe et le défi chrétien, in Communio, XV, 3-4, mai-août 1990, pp. 6-17.
7. « …​la paix qui a été inscrite dans les écrits solennels n’a pas été accompagnée de la paix des âmes : presque toutes les nations, celles de l’Europe surtout, continuent à être déchirées par des dissentiments…​ » (Au Consistoire, 21 novembre 1921).
8. Lettre encyclique Voici la paix, 23 mai 1920. Nous avons vu précédemment toute la défiance que le Pape nourrissait vis-à-vis de la Société des Nations « perçue comme d’origine protestante et anglo-saxonne où l’influence de la franc-maçonnerie semblait prédominante » (CHENAUX Philippe, op. cit., p. 26). En 1920, Benoît XV écrivait néanmoins : « Aux nations unies dans une ligue fondée sur la loi chrétienne, l’Église sera fidèle à prêter son concours actif et empressé pour toutes les entreprises inspirées par la justice et la charité » (Encyclique Pacem Dei munus, 1920).
9. Lettre encyclique Ubi arcano, 23 décembre 1922. Dans ce même texte, il portait ce jugement sévère sur la Société des nations : « Si quelque chose a été tenté jusqu’à ce jour, le résultat fut nul ou singulièrement modeste, surtout à propos des affaires où les compétitions entre les peuples deviennent plus acerbes. Nulle institution humaine n’existe, en effet, qui soit capable d’imposer à l’ensemble des nations un code de législation commune adaptée à notre époque ». Pie XI toutefois considéra comme un « sérieux progrès dans les voies que le Saint-Siège ne cesse d’exhorter à prendre » l’entrée de l’Allemagne dans la Société des Nations suite aux accords de Locarno (Allocution consistoriale, 14 décembre 1925).
10. Lettre encyclique Caritate Christi, 3 mai 1932. Il n’empêche que Pie XI écrivait dans Quadregesimo anno (15 mai 1931) : « Il convient aussi que les diverses nations, si étroitement solidaires et interdépendantes dans l’ordre économique, mettent en commun leurs réflexions et leurs efforts pour hâter, à la faveur d’engagements et d’institutions sagement conçus, l’avènement d’une bienfaisante et heureuse collaboration économique internationale. »
11. Une certaine idée de l’Europe, in Communio, XV, 3-4, mai-août 1990, p.139.
12. On constate d’emblée que le pape parle de l’Europe alors que, comme nous l’avons vu, les chrétiens se sont longtemps montré réticents vis-à-vis des projets antérieurs d’unification, jugés libéraux, anticatholiques et anti-romains jusqu’aux accords de Latran . Après la guerre 14-18, les catholiques allemands ou français parlent plus volontiers de l’Occident (cf. MASSIS Henri, Défense de l’Occident, Plon, 1927), terme qui cache, en fait « un nationalisme déguisé » (cf. CHENAUX Ph, op. cit., p. 42). Pie XII écrira : « L’Église catholique ne s’identifie pas à la civilisation occidentale ; elle ne s’identifie d’ailleurs à aucune civilisation. Mais elle est prête à conclure une alliance avec toute civilisation : elle reconnaît volontiers ce qui en chacune ne contredit pas le travail du Créateur, ce qui est conciliable avec la dignité de l’homme et ses droits et devoirs naturels ; mais, là-dessus elle plante le royaume de la vérité et de la grâce de Jésus-Christ et parvient ainsi à ce que les différentes civilisations, si étrangères qu’elles paraissent les unes aux autres, se rapprochent et deviennent vraiment sœurs. » (Lettre à Mgr Joseph Freundorfer, évêque d’Augsbourg, 27 juillet 1955). Dans les années trente, le mot chrétienté refait surface. Le pape Pie XI l’emploie (Ubi Arcano Dei) mais pour évoqué le passé. Charles Journet parle de « chrétientés » (La juridiction de l’Église sur la cité, Desclée de Brouwer, 1931) et J. Maritain de « nouvelle chrétienté » (Humanisme intégral, Problèmes temporels et spirituels d’une nouvelle chrétienté, Aubier, 1936) qui est « non pas « sacrale » comme au Moyen Age, mais « profane », c’est-à-dire pluraliste et ouverte aux valeurs du monde moderne (liberté, laïcité) ». ( CHENAUX ph., op. cit., p. 50).
13. Lettre encyclique Summi Pontificatus, 20 octobre 1939.
14. Allocution du 24 décembre 1939.
15. Radio-message 24 décembre 1941.
16. Radio-message, 9 mai 1945.
17. Radio-message, 24 décembre 1947.
18. Homélie à Saint-Paul-Hors-les-Murs, 18 septembre 1947.
19. Lettre encyclique Fulgens radiatur, 21 mars 1947.
20. Discours aux membres du Congrès des échanges internationaux.
21. Pie XII dira : « En tout cas, si aujourd’hui des personnalités politiques conscientes de leurs responsabilités, si des hommes d’État travaillent pour l’unification de l’Europe, pour sa paix et la paix du monde, l’Église ne reste vraiment pas indifférente à leurs efforts. Elle les soutient plutôt de toute la force de ses sacrifices et de ses prières ». (Discours aux pèlerins de Pax Christi, 13 septembre 1952).
22. La désignation a eu lieu le 4 mai 1948.
23. Radio-message, 24 décembre 1953.
24. Allocution au Collège de l’Europe de Bruges, 15 mars 1953. Durant la guerre déjà, Pie XII jouant avec une expression à la mode à l’époque définissait ce qu’il entendait par « ordre nouveau » ( Radio-messages, 24 décembre 1940 et 24 décembre 1941) ou « esprit nouveau » (Radio-message, 13 avril 1941).
25. Lettre à la fédération des femmes catholiques allemandes, 17 juillet 1952.
26. « Mais, ajoute-t-il, elle est disposée à faire alliance avec chacune ; elle reconnaît volontiers ce qui, dans chacune d’elles, n’est pas en contradiction avec l’œuvre du Créateur, ce qui est conciliable avec la dignité de l’homme et avec ses droits et devoirs naturels, mais elle y implante la richesse de la vérité et de la grâce de Jésus-Christ, ,obtenant ainsi que les différentes cultures, si étrangères qu’elles paraissent les unes aux autres, se rapprochent et deviennent vraiment sœurs. »
27. Lettre à l’évêque d’Augsbourg, 27 juin 1955.
28. Discours, 27 novembre 1957.
29. Le matérialisme, dira-t-il, qui « exaspère au lieu de les résoudre, ces problèmes fondamentaux étroitement liés à la paix et à l’ordre du monde entier. » (Radio-message, 24 décembre 1953). Plus largement et pour « une Europe plus unie et plus fraternelle », il invitera à « rejeter sans hésiter les philosophies destructrices de l’homme ». (Discours à la Campagne européenne de la jeunesse, 19 novembre 1956). Pour que l’Europe ne se perde pas dans le matérialisme, seul « le catholicisme, entendu comme doctrine et comme action, peut apporter une précieuse contribution quand il s’agit de conserver le fondement spirituel et moral de la civilisation européenne en ce qu’elle a de véritable et de meilleur. » (Discours au Président de la RFA, 27 novembre 1957).
30. Discours au Congrès de l’Action catholique italienne, 23 juillet 1952.
31. Discours au Collège d’Europe, 15 mars 1953.
32. Créée pour 50 ans, elle n’existe plus depuis 2002. Elle regroupait Les trois pays du Benelux, l’Italie, la France et la RFA.
33. Traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom). Initialement créé pour coordonner les programmes de recherche des États en vue d’une utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, le traité Euratom contribue de nos jours à la mise en commun des connaissances, des infrastructures et du financement de l’énergie nucléaire. Il assure la sécurité de l’approvisionnement en énergie atomique dans le cadre d’un contrôle centralisé.
(cf. http://europa.eu/legislation_summaries/institutional_affairs/treaties/treaties_euratom_fr.htm)
34. Il constituait la base de la Communauté économique européenne. Il reposait alors sur l’union douanière permettant la libre circulation des produits dans la CEE.
35. Discours aux parlementaires de la CECA, 4 novembre 1957.
36. Très lucidement, Pie XII précise toutefois qu’« il serait erroné de croire que l’ordre nouveau naîtra de lui-même sous la pression des seuls facteurs économiques. la nature humaine, alourdie par le péché, n’engendre que le désordre, si on la livre à ses seuls appétits. Il faut un droit reconnu, il faut un pouvoir capable de le faire observer. »
37. CHENAUX Ph., op. cit., pp. 91-92. L’historien suisse a longuement développé sa thèse dans son livre Une Europe vaticane ? Entre le plan Marshall et les traités de Rome, Ciaco, 1990. Il montre et démontre que les démocrates-chrétiens sont très divisés quant aux limites de l’Europe ou encore quant à la forme de son unité.
38. « Saint Benoît est le Père de l’Europe. Lorsque l’Empire romain s’effondra, consumé de vétusté et de vices, et que les barbares se ruèrent en foule sur ses provinces, cet homme, que l’on a appelé le dernier des grands Romains (s’il m’est permis d’user du mot de Tertullien), alliant à la fois la romanité et l’Évangile, puisa en ces deux sources pour unir puissamment les peuples de l’Europe sous l’étendard et l’autorité du Christ et créer heureusement un régime chrétien. Car c’est un fait que, de la mer Baltique à la Méditerranée, de l’Océan atlantique aux plaines de Pologne, des légions bénédictines se sont répandues, adoucissant les nations rebelles par la Croix, les livres et la charrue. » ( Homélie à Saint-Paul-hors les Murs, 18 septembre 1947).
39. L’auteur cite en particulier l’influence du livre de Friedrich Novalis, Die Christenheit oder Europa, Ein Fragment, 1799.
40. Ph. Chenaux cite Hilaire Belloc, Gilbert K. Chesterton, T.S. Eliot, Christopher Dawson.
41. Allocution aux nouveaux cardinaux, 20 février 1946.
42. Discours aux Délégués du Congrès international de l’Union européenne des fédéralistes, 11 novembre 1948.
43. Discours du 6 décembre 1953. Ce texte est une des huit références à Pie XII dans la déclaration Dignitatis humanae (note 34).
44. « Un mandat ou une autorisation de ce genre n’auraient pas force obligatoire et resteraient inefficaces. Aucune autorité ne pourrait les donner parce qu’il est contre-nature d’obliger l’esprit et la volonté de l’homme à l’erreur et au mal ou de considérer l’un et l’autre comme indifférents. » (id.).
45. Pie XII se réfère à la parabole du bon grain et de l’ivraie (Mt 13, 24-30).
46. Quels sont encore, durant le pontificat de Pie XII, les États qui peuvent être considérés comme catholiques ? En Europe : la Tchécoslovaquie (jusqu’en 1948), l’Espagne (jusqu’en 1978), l’Italie (jusqu’en 1984), le Liechtenstein (jusqu’en 2012) , Andorre, Malte et Monaco. Ailleurs, on peut citer l’Argentine, le Costa Rica et la République dominicaine.
47. Cf. Somme théologique IIa IIae, q. 10, a.11: « Le gouvernement humain est une dérivation du gouvernement divin et doit en être une imitation. Dieu justement, bien qu’il soit tout-puissant et souverainement parfait, permet néanmoins qu’il se produise des maux dans l’univers : ces maux, qu’il pourrait empêcher, il les laisse faire de peur que, s’ils étaient supprimés, de plus grands biens ne le fussent aussi, ou même que des maux pires ne s’ensuivissent. par conséquent il en est aussi de même dans le gouvernement humain: ceux qui sont en chef tolèrent à bon droit quelques maux, de peur que des maux pires ne soient encourus. […​] En ce sens-là, par conséquent, bien que les infidèles pèchent dans leurs rites, ceux-ci peuvent être tolérés soit à cause du bien qui en provient, soit à cause du mal qui est évité. »
48. Par exemple, dans Libertas Praestantissimum, (20 juin 1888) : « …​ tout en n’accordant de droits qu’à ce qui est vrai et honnête, [l’Église] ne s’oppose pas cependant à la tolérance dont le pouvoir public croit pouvoir user à l’égard de certaines choses contraires à la vérité et à la justice, en vue d’un mal plus grand à éviter ou d’un bien plus grand à obtenir pou à conserver. » (In Marmy, 91).
49. Allocution à la colonie des Marches à Rome, à Rome, 23 mars 1958.
50. Humanisme intégral, Aubier, 1937, p. 115. Lire aussi à propos de la « nouvelle chrétienté », bien différente de l’ancienne, MARITAIN J., L’homme et l’État, Desclée de Brouwer, 2009, pp. 180-188.
51. Résumé du Décret in Documents pontificaux de sa Sainteté Pie XII, 1949, Labergerie-Warny, 1951, p. 248.
52. Comment seraient libres ces hommes « qui, par exemple, dans le domaine économique ou social voudraient tout faire retomber sur la société, même la direction et la sécurité de leur existence ; ou qui attendent aujourd’hui leur unique nourriture spirituelle quotidienne, toujours moins d’eux-mêmes - c’est-à-dire de leurs propres convictions et connaissances - et toujours plus, déjà préparée, de la presse, de la radio, du cinéma, de la télévision […​]. Cela veut dire que ces hommes ne sont plus que de simples rouages dans les divers organismes sociaux ; ce ne sont plus des hommes libres, capables d’assumer ou d’accepter une part de responsabilité dans les affaires publiques. »
53. Lettre apostolique aux catholiques de Chine (18 janvier), Lettre apostolique aux catholiques de Roumanie (27 mars), Lettre apostolique aux peuples de Russie (7 juillet) auxquelles on peut ajouter la Lettre encyclique Orientales ecclesias adressée aux Églises orientales (15 décembre).
54. Voici ce que le Pape déclara alors : « En aucune occasion Nous n’avons voulu dire un seul mot qui fût injuste ni manquer à Notre devoir de réprouver toute iniquité, tout acte digne de réprobation, en évitant néanmoins, alors même que les faits l’eussent justifiée, telle ou telle expression qui fût de nature à faire plus de mal que de bien, surtout aux populations innocentes courbées sous la férule de l’oppresseur. Nous avons eu la préoccupation constante d’enrayer un conflit si funeste à la pauvre humanité. C’est pour cela, en particulier, que Nous Nous sommes gardé, malgré certaines pressions tendancieuses, de laisser échapper de Nos lèvres ou de Notre plume une seule parole, un seul indice d’approbation ou d’encouragement en faveur de la guerre entreprise contre la Russie en 1941. Assurément, nul ne saurait compter sur Notre silence dès lors que sont en jeu la foi ou les fondements de la civilisation chrétienne. Mais, d’autre part, il n’est aucun peuple à qui Nous ne souhaitions avec toute la sincérité de Notre âme de vivre dans la dignité, dans la paix, dans la prospérité à l’intérieur de ses frontières. Ce que Nous avons eu toujours en vue dans toutes les manifestations de Notre pensée et de Notre volonté, c’était de reconduire les peuples du culte de la force au respect du droit et de promouvoir entre tous la paix, paix juste et solide, paix apte à garantir à tous une vie au moins tolérable. »
55. « Nous savons que beaucoup d’entre vous conservent la Foi chrétienne dans le sanctuaire secret de leur propre conscience ; qu’en aucune manière ils ne soutiendront les ennemis de la religion. Nous savons encore qu’ils désirent ardemment non seulement croire en secret, mais aussi, comme il convient à des hommes libres, affirmer publiquement, si possible, les principes chrétiens qui sont le fondement unique et sûr de la vie de la cité. »
56. On peut lire à ce sujet LAURENTIN René, Comment la Vierge Marie leur a rendu la liberté, OEIL, 1991.
57. Déjà dans son Radio-message de Noël 1947, il déclarait : « Notre position entre les deux partis opposés est exempte de toute prévention, de toute préférence envers l’un ou l’autre peuple, envers l’une ou l’autre des nations, comme elle est étrangère à toute considération d’ordre temporel. Etre avec le Christ ou contre le Christ, voilà toute la question. » Plus largement, le Concile déclarera : « L’Église, envoyée à tous les peuples de tous les temps et de tous les lieux, n’est liée d’une manière exclusive et indissoluble à aucune race ou nation, à aucun genre de vie particulier, à aucune coutume ancienne ou récente. constamment fidèle à sa propre tradition et tout à fait consciente de l’universalité de sa mission, elle peut entrer en communion avec les diverses civilisations: d’où l’enrichissement qui en résulte pour elle-même et les différentes cultures ». (GS, 58, § 3).
58. Radio-message de Noël 1954.
59. Discours au Comité de santé de l’Union européenne, 12 avril 1960.
60. Cf. Discours à la Conférence parlementaire euro-africaine réunissant des Délégués de l’Assemblée parlementaire européenne et des Pays d’Outre-mer associés à la Communauté économique européenne, 26 janvier 1961.
61. De 1961 à 1969, ce fut le cardinal Cicognani (1883-1973) qui fut secrétaire d’État. Toutefois, vu son âge, il fut assisté de Mgr Benelli (1921-1982) créé cardinal en 1977, archevêque de Florence la même année.
62. 19 juillet 1962.
63. Discours au Comité de la Journée européenne de l’école, 11 février 1963.
64. On relève 45 discours, allocutions et messages in L’Europe unie, Dans l’enseignement des papes, Solesmes, 1981.
65. A la société Marvin Gelber, 12 mars 1969. Le 24 octobre 1964, Paul VI déclarera saint Benoît patron et protecteur de l’Europe (Bref Pacis nuntius) : « Foi et unité, que pourrions-nous souhaiter de meilleur pour le monde entier, et spécialement pour cette portion de choix qu’est l’Europe ? » (Au mont-Cassin, le même jour). Le pape invite aussi à prier pour l’Europe : « Nous savons comment en ce terme géographique se trouvent réunis les éléments d’une tradition séculaire, déterminants pour la civilisation moderne et pour celle de l’avenir ». (Angélus, 23 février 1969).
66. Il rend hommage à Robert Schuman, Alcide de Gasperi et Conrad Adenauer. (A la Commission du Conseil de l’Europe, 5 mai 1975). Outre ces trois personnalités, on peut citer aussi Joseph Bech (Luxembourg), Johan Beyen (Pays-Bas), Winston Churchill (Royaume uni), Walter Hallstein (Allemagne), Sicco Mansholt (Pays-Bas), Jean Monnet (France), Paul-Henri Spaak (Belgique), Altiero Spinelli (Italie) (cf. http://europa.eu/about-eu/eu-history/index_fr.htm).
67. Discours aux Instituts d’Etudes européennes, 29 avril 1967.
68. Au Chancelier de la RFA, 13 juillet 1970. Il faut « que le processus d’intégration européenne se poursuive sans retards inutiles ». (A de jeunes démocrates-chrétiens, 31 janvier 1964).
69. Lettre du Secrétaire d’État à la Fédération des hommes catholiques, 29 octobre 1977. « il est pleinement conforme à la conception chrétienne de la coexistence humaine qui tend à faire du monde une seule famille de peuples frères » (Au Congrès du Centre « Jeune Europe », 8 septembre 1965).
70. Discours à des journalistes de pays membres de la CEE, 17 avril 1967
71. Discours à de jeunes démocrates-chrétiens, 31 janvier 1964
72. Aux Instituts d’Etudes européennes, 29 avril 1967.
73. Au Congrès du Centre « Jeune Europe », 8 septembre 1965. La tentation peut être grande de se replier su soi ou sur des amis puissants mais il faut se rendre à l’évidence, aujourd’hui, « il ne peut plus exister d’économies nationales closes, se suffisant à elles-mêmes ». (A la Conférence parlementaire euro-africaine, 1er février 1974).
74. Au Mouvement européen, 9 novembre 1963.
75. Au Président du Parlement européen, 9 novembre 1973.
76. Discours à la Conférence européenne des télécommunications, 20 avril 1967.
77. A des membres du Parlement européen, 14 octobre 1964. « L’équilibre de tout un continent est chose tellement grave pour la bonne marche de la société tout entière et pour la paix du monde, que l’Église, soucieuse du véritable bien des hommes , ne peut s’en désintéresser. » (Aux Instituts d’Etudes européennes, 29 avril 1967).
78. Au Président du Parlement européen, 9 novembre 1973.
79. A la Commission du Conseil de l’Europe, 5 mai 1975.
80. Au Mouvement européen, 9 novembre 1963.
81. Aux évêques d’Europe, 18 octobre 1975. L’Europe est « une expression solidaire et unique de peuples, bien différenciés certes par des caractères spécifiques, mais en même temps foncièrement unis par une fraternité qui autrefois s’appelait « chrétienté », et qui maintenant peut toujours s’appeler « civilisation chrétienne ». » (Au Séminaire européen de la jeunesse, 23 juillet 1963).
82. « Cette Europe de demain, mais qui est déjà en gestation, devra reposer sur le patrimoine humain, moral et religieux inspiré en grande partie par l’Évangile, qui a assuré et continue d’assurer à ce continent un rayonnement unique dans l’histoire des civilisations. » (A des membres du Parlement européen, 14 octobre 1964).
83. Aux congressistes de la FUCI (Fédération des universitaires catholiques italiens), 2 septembre 1963.
84. A la CEE et à l’EURATOM, 29 mai 1967.
85. A la Commission du Conseil de l’Europe, 2 septembre 1968.
86. Au Chancelier de la RFA, 13 juillet 1970.
87. Aux évêques d’Europe, 18 octobre 1975.
88. 26 janvier 1977.
89. « La Réforme […​] a contribué à une dispersion ». « L’avènement de la science, de la technique, celui de la richesse productive ont donné lustre et puissance à l’Europe, ils ne lui ont pas redonné une âme. L’époque des révolutions a vu s’accentuer le morcellement, l’indépendance. Les nations se sont affermies dans leur diversité, en s’opposant bien souvent.Nous assistons toujours à des divisions très marquées entre les nations et à l’intérieur des nations. » (Aux évêques d’Europe, 18 octobre 1975). Dans une Lettre adressée à Mgr Casaroli, le 25 juillet 1975, à propos de la participation du Saint-Siège à la Conférence d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe, il relativise l’idée de « division » : l’histoire de l’Europe, écrit-il, « offre un caractère assurément singulier, aussi bien par l’étonnante abondance des richesses de l’esprit humain que par la densité d’événements significatifs ». Une très grande variété de peuples, de langues, de traditions, « composent l’Europe plutôt qu’ils ne la divisent ». Reste malgré tout un « héritage commun » : « celui-ci se base essentiellement sur le message chrétien, annoncé à toutes ses populations qui l’ont accueilli et fait leur ; il comprend, en plus des valeurs sacrées de la foi en Dieu et du caractère inviolable des consciences, les valeurs de l’égalité et de la fraternité humaines, de la dignité de la pensée consacrée à la recherche de la vérité, de la justice individuelle et sociale, du droit conçu comme critère de comportement dans les rapports entre le citoyens, les institutions, les États. » C’est là un « patrimoine unique et indestructible ».
90. Au Corps diplomatique, 12 janvier 1976.
91. Lettre du Secrétaire d’État à la Fédération des hommes catholiques, 29 octobre 1977.
92. Cf. Message au Conseil de l’Europe, 26 janvier 1977.
93. Au Mouvement européen, 9 novembre 1963.
94. Au Congrès du Centre « Jeune Europe », 8 septembre 1965.
95. Au Mouvement européen, 9 novembre 1963.
96. L’Europe des Six (à l’époque) « est en train de devenir, grâce aux institutions qu’elle s’est données, un facteur économique de première importance pour le bon équilibre de la communauté humaine. » (Discours à la CEE et à l’EURATOM, 29 mai 1967).
97. Discours au Congrès du Centre « Jeune Europe », 8 septembre 1965.
98. Discours à la CEE et à l’EURATOM, 29 mai 1967.
99. Discours au Mouvement européen, 9 novembre 1963.
100. Aux organisations hospitalières du Marché commun, 22 novembre 1972.
101. A la Commission sanitaire du Parlement européen, 16 avril 1970. Très au courant des difficultés du monde rural, le Pape insistera aussi sur la nécessité de coordonner les projets et les réalisations pour un développement authentique du monde rural. (Aux ministres de l’agriculture de la CEE, 16 septembre 1971).
102. A la Commission sanitaire du Parlement européen, 16 avril 1970.
103. « Il ne s’agit pas seulement d’avoir plus, mais surtout d’être plus. […​] Comment l’Europe pourrait-elle en effet prétendre au développement des autres peuples si, en son propre sein, ce développement ne prenait pas toutes ses dimensions, économique, politique, sociale, culturelle et spirituelle ? L’homme, même repu, ne sera jamais satisfait si son dynamisme n’est pas orienté vers des buts qui le dépassent. » (A de jeunes agriculteurs européens, 14 décembre 1973).
104. Au Congrès du Centre « Jeune Europe », 8 septembre 1965.
105. Au Mouvement européen, 9 novembre 1963.
106. A la Conférence européenne des télécommunications, 20 avril 1967.
107. Angélus, 23 février 1969.
108. Au Président du parlement européen, 25 novembre 1971.
109. Au colloque sur la Convention européenne des droits de l’homme, 7 novembre 1975
110. Au Corps diplomatique, 12 janvier 1976.
111. Message au Conseil de l’Europe, 26 janvier 1977.
112. Au Corps diplomatique, 12 janvier 1976. L’Europe « a déjà connu dans son passé une conscience commune et une unité imprégnées de valeurs chrétiennes, valeurs qu’il faut conserver et approfondir pour qu’elles inspirent encore son évolution actuelle. » (Lettre du Secrétaire d’État à la Fédération des hommes catholiques, 29 octobre 1977 ; de 1969 à 1979, c’est le cardinal Villot qui fut Secrétaire d’État).
113. Lettre encyclique Populorum progressio, n° 42, 1967, citée à de jeunes agriculteurs européens, 14 décembre 1973.
114. Devant la volonté des Européens de s’unir, le Pape ne peut s’empêcher de demander: « Qui ne voit la résonance profondément humaine de l’esprit évangélique de fraternité et du renoncement qu’elle implique ? (Message au Conseil de l’Europe, 26 janvier 1977).
115. Aux évêques d’Europe, 18 octobre 1975.
116. A la Commission sanitaire du Parlement européen, 16 avril 1970.
117. Au Président du parlement européen, 25 novembre 1971.
118. Au colloque sur la Convention européenne des droits de l’homme, 7 novembre 1975.
119. Message au Conseil de l’Europe, 26 janvier 1977.
120. Lettre du Secrétaire d’État à la Fédération des hommes catholiques, 29 octobre 1977

⁢a. Jean-Paul II

Sous le pontificat de Jean-Paul II (1978-2005), la cause européenne progresse considérablement. 18 pays vont rejoindre l’Union européenne dont des pays d’Europe de l’Est, suite à la chute du mur de Berlin⁠[1] et du Portugal en 1986. Entre temps, en 1985, le Groenland a décidé de se retirer en ratifiant le Traité sur le Groenland et a désormais le statut de pays et territoire d’outre-mer associé. Avec la fin de la Guerre froide, la partie Est de l’Allemagne rejoint de facto la Communauté économique européenne en 1990 (puisque réunifiée avec la partie ouest-allemande). Puis l’Union européenne intègre en 1995 des États neutres : l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Autriche[Autriche], la Finlande et la Suède et en 2004 dix nouveaux États, en majorité issus du bloc de l’Est : Chypre, l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Estonie[Estonie], la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Slovénie.] ; le projet d’une constitution pour l’Europe se réalise petit à petit ; le parlement européen accroît son influence⁠[2] ; progressivement s’établit la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux ; la monnaie unique voit le jour ; une coopération de plus en plus étroite s’établit pour lutter contre la criminalité et la crise financière et économique.⁠[3]

Avant même que l’Europe civile s’étende à l’Est, Jean-Paul II⁠[4] va désigner saints Cyrille et Méthode co-patrons de l’Europe⁠[5], montrant par là que l’Europe est « le fruit de deux courants de traditions chrétiennes auxquelles s’ajoutent aussi deux formes de culture diverses mais en même temps complémentaires ».⁠[6] Jean-Paul II leur adjoindra trois femmes : sainte Brigitte de Suède, sainte Catherine de Sienne et sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix[7]. Trois femmes parce que l’Église reconnaît « toujours plus clairement la dignité de la femme et ses dons propres ». Trois femmes dont la « sainteté s’est […] exprimée dans des circonstances historiques et dans une contexte « géographique » qui les rendent particulièrement significatives pour le continent européen ».⁠[8]

Comme ses prédécesseurs et durant son très long pontificat, Jean-Paul II ne cessera de s’intéresser à la cause européenne.⁠[9] Les discours sont innombrables et insistants. Ils ont été prononcés notamment lors de la visite des pays européens ou encore devant les représentants des diverses instances européennes. On en retrouvera l’essentiel dans l’Exhortation apostolique Ecclesia in Europa[10].

L’Europe, pour quoi faire ?

Tout d’abord, on peut se poser la question : « « Faire l’Europe », pour quoi faire ? »[11]. Et ensuite : pourquoi l’Église s’intéresse-t-elle tellement à l’unité de l’Europe ? Pourquoi apporte-t-elle, pour reprendre les termes de Jean-Paul II, un « appui décidé » aux projets d’union européenne ?⁠[12]

Les raisons évoquées par Jean-Paul II sont nombreuses. Si, au point de départ c’est la volonté d’en finir avec la guerre et d’établir une paix durable basée sur la solidarité et la collaboration qui a prévalu, bien d’autres motivations ont surgi. Voilà des siècles, comme nous l’avons vu, que les Européens, chrétiens ou non, rêvent d’une Europe unie.⁠[13]

Ensuite, un fait s’impose : « l’Europe occupe une place de premier plan dans la géographie culturelle du monde ».⁠[14]

Enfin, l’histoire de l’Europe est tout particulièrement liée à celle de l’Église : « On ne peut pas comprendre l’histoire et les destinées de l’Europe, son passé comme les tâches présentes et futures, sans le christianisme et son apport essentiel à la culture occidentale. »[15]

Plus précisément, l’Europe est l’endroit où le christianisme s’est développé d’une manière toute particulière jusqu’à se répandre à travers le monde : « L’Europe n’est pas le premier berceau du christianisme. Même Rome a reçu l’Évangile grâce au ministère des Apôtres Pierre et Paul, qui sont venus ici de la patrie de Jésus-Christ. Mais, de toute façon, il est vrai que l’Europe est devenue, durant deux millénaires, comme le lit d’un grand fleuve où le christianisme s’est répandu, rendant fertile la terre de la vie spirituelle des peuples et des nations de ce continent. Et sur cette lancée, l’Europe est devenue un centre de mission qui a rayonné vers les autres continents. »[16] L’Europe est « le continent qui a le plus contribué au développement du monde, aussi bien dans le domaine des idées que dans celui du travail, des sciences et des arts ».⁠[17] « L’Europe revêt une importance particulière pour l’histoire de l’Église et pour la diffusion progressive, dès les temps apostoliques, du message évangélique dans le monde.[18] Et le lien entre le christianisme et l’Europe est si fort que Jean-Paul II n’hésite pas à dire que « la crise et la tentation de l’Européen et de l’Europe sont des crises et des tentations du christianisme et de l’Église en Europe. »[19] Nous y reviendrons plus loin.

C’est à cause de ce lien que l’Europe a une grande responsabilité et une mission vis-à-vis des autres parties du monde qu’elle a évangélisées. Mais sa responsabilité est aussi engagée du fait que si elle a annoncé le Christ au-delà de ses frontières, elle a aussi malheureusement diffusé à travers le monde ses erreurs et ses crimes. Elle a apporté une « grande contribution au reste du monde, pour le bien et pour le mal. […]. Avec ses réussites et ses failles, l’Europe a laissé une marque indélébile sur le cours de l’histoire : elle a donc une responsabilité que les représentants de ses peuples ne peuvent que saisir et poursuivre. »[20]

« C’est en Europe […​ ] qu’ont éclaté deux guerres mondiales […]. C’est de l’Europe que, sur le monde entier, se sont répandues des idéologies qui, en bien des endroits, exercent une influence prépondérante, comme des maladies importées. Cette commune culpabilité signifie pour l’Europe une particulière responsabilité, ne serait-ce que pour apporter une contribution décisive à la résolution effective de l’actuelle crise mondiale. mais cela exige tout d’abord pour l’Europe elle-même un renouveau profond, sur le plan spirituel, moral et politique, à partir de la vigueur et de la foi de son origine chrétienne. »[21]

La Communauté internationale « attend de la Communauté européenne un témoignage de justice et de fraternité, une contribution originale et efficace à l’arrêt des guerres en cours, à la recherche de solutions négociées équitables, au bannissement de la violence, du terrorisme, de la torture, et je dirais, plus encore, des exécutions sommaires même perpétrées par des gouvernements légitimes, au désarmement progressif et contrôlé, à l’amélioration des termes de l’échange entre pays riches et pays pauvres, à l’entraide réelle pour faire reculer la faim et permettre le développement des peuples à partir de leurs propres ressources.

Malgré l’acuité de ses propres faiblesses, l’Europe peut apporter cette contribution. »[22]

« Plus que jamais on attend la voix de l’Europe dans son ensemble pour la solution des crises mondiales actuelles ; la déception n’en est que plus grande lorsque des problèmes économiques marginaux, le manque de collaboration, ou des préjugés nationaux, font surgir des obstacles apparemment insurmontables. Il est temps de démanteler les égoïsmes nationaux, qui peuvent avoir une importance locale, mais qui s’effondrent lorsqu’on les considère honnêtement par rapport aux vrais problèmes de l’humanité. A ceux-ci l’Europe doit donner le plus rapidement possible une réponse commune et solidaire. »[23]

Mais l’Europe connaît des problèmes internes et notamment elle subit une crise économique et sociale qui pousse les hommes à prendre « conscience de leur responsabilité pour l’Europe et son avenir. […] Le poids des problèmes que posent aujourd’hui la sécurité, la justice sociale, la paix, les échanges économiques et culturels, requiert nécessairement l’unité et des initiatives communes. […] II n’y a, en fin de compte, pas d’alternative raisonnable »[24] L’unité de l’Europe est donc aussi une nécessité pratique. d’autant plus que l’Europe n’a pas été déchirée seulement par deux guerres mondiales mais aussi d’autres dissensions politiques morales et religieuses. Il faut « recomposer les fatales déchirures et ruptures intervenues au cours de l’histoire ». Déchirures et tensions « qui compromettent son unité passent à travers le continent entre l’Est et l’Ouest, entre le Nord et le Sud ».⁠[25]

Jusqu’en 1989, Jean-Paul II n’aura de cesse de dénoncer la séparation des deux parties de l’Europe, des « deux poumons » de l’Europe dira-t-il⁠[26]. Il reprendra aussi volontiers l’expression « maison commune »[27] pour désigner l’ensemble du continent. Construire « la maison commune européenne, […] cette grande entreprise, que les Européens se sont engagés à mener à son terme, a reçu son inspiration de l’Évangile du Verbe incarné […]. L’histoire de la formation des nations européennes va de pair avec celle de leur évangélisation, au point que les frontières de l’Europe coïncident avec celles de la pénétration de l’Évangile. […] Dans cet « humus », les Européens sont appelés à construire leur maison commune. Et tout comme le foyer domestique est le lieu où chacun se sent « chez lui », accueilli, respecté et aidé tel qu’il est, de même l’Europe doit devenir une « maison » où tout peuple se verra reconnu, dans la physionomie qui est la sienne - là où il le faut - dans son développement et surtout respecté dans ses aspirations. Tout comme il n’y a pas de motif d’avoir peur dans la demeure familiale, de même il ne devrait pas y avoir en Europe quelque sorte de menace que ce soit, qui puisse porter l’un à craindre l’autre. A l’inverse, il devrait y avoir la joie de vivre ensemble, afin de répartir les richesses matérielles, culturelles et spirituelles communes. »[28]

La réunification de l’Europe fut une préoccupation majeure de Jean-Paul II. Il vit même dans son élection comme Pape, le signe d’un projet divin. En 1979, parlant de lui à la troisième personne, il médite sur sa mission en tant que premier pape slave : « C’est peut-être justement pour ça que Dieu l’a choisi, c’est peut-être pour cela que l’Esprit Saint l’a guidé, afin qu’il introduise dans la communion de l’Église la compréhension des paroles et des langues qui semblent encore étrangères aux oreilles habituées aux sons romains, germaniques, anglo-saxons, celtes. […] Le Christ ne veut-il pas, l’Esprit-Saint ne dispose-t-il pas que ce pape polonais, ce pape slave, manifeste justement maintenant l’unité spirituelle de l’Europe chrétienne qui, débitrice des deux grandes traditions de l’ouest et de l’est, professe grâce aux deux « une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous » (Ep 4, 5-6), le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ ? »[29]

La même année⁠[30], devant les membres du Parlement européen, il prit la peine d’emblée de leur rappeler que leur action se développait « dans la partie de l’Europe » qu’ils représentaient. Et il ajoutait que « les partenaires […] réunis n’oublieront évidemment pas qu’ils ne constituent pas à eux seuls toute l’Europe ; ils demeureront conscients de leur responsabilité commune pour l’avenir du continent tout entier, ce continent qui au-delà de ses divisions historiques, de ses tensions et de ses conflits, a une profonde solidarité, à laquelle une même foi chrétienne a largement contribué. C’est donc toute l’Europe qui doit être bénéficiaire des pas aujourd’hui accomplis, et aussi les autres continents vers lesquels l’Europe pourra se tourner avec son originalité spécifique. » L’Europe, en effet, doit, disait-il plus tard devant la même assemblée, « se déployer aux dimensions qui lui ont données la géographie et plus encore l’histoire ».⁠[31] Ce qui se réalisa.

Un retour en arrière ?

« Faire l’Europe » et « une Europe sans frontières qui ne renonce pas aux racines chrétiennes qui l’ont fait naître » ni « à l’authentique humanisme de l’Évangile du Christ ! »[32], n’est-ce pas vouloir revenir en arrière ?

Cet intérêt pour l’unification européenne cache-t-il une volonté de restaurer le passé, l’Europe chrétienne ? S’agit-il d’un projet politique de la part de l’Église ?

La réponse à ces questions est sans ambigüités mais elle a nourri, un temps, les soupçons de quelques-uns.⁠[33]

L’Europe peut-être une « dans le respect dû à toutes ses différences, y compris celles des divers systèmes politiques », dira Jean-Paul II à Compostelle.⁠[34]

Devant le Parlement européen⁠[35], Jean-Paul dénoncera on ne peut plus nettement ce qu’il appelle « l’intégralisme religieux » : « Notre histoire européenne montre abondamment combien souvent la frontière entre « ce qui est à César » et « ce qui est à Dieu » a été franchie dans les deux sens. la chrétienté latine médiévale - pour ne mentionner qu’elle -, qui pourtant a théoriquement élaboré, en reprenant la grande tradition d’Aristote, la conception naturelle de l’État, n’a pas toujours échappé à la tentation intégraliste d’exclure de la communauté temporelle ceux qui ne professaient pas la vraie foi. L’intégralisme religieux, sans distinction entre la sphère de la foi et de celle de la vie civile, aujourd’hui encore pratiqué sous d’autres cieux, paraît incompatible avec le génie propre de l’Europe tel que l’a façonné le message chrétien. »[36] Comment avec une telle affirmation soupçonner le Pape de vouloir restaurer une Europe chrétienne ? La Souverain Pontife est bien conscient que l’Europe est « plurielle » au point de vue religieux et philosophique. Par ailleurs, ardent défenseur des droits de l’homme, il est particulièrement attentif au respect de la liberté religieuse et donc d’une juste laïcité de l’État.⁠[37] Mais il faut à la fois respecter « une juste conception de la laïcité des institutions politiques » et « accorder aux valeurs susmentionnées l’enracinement profond de type transcendant qui s’exprime dans l’ouverture à la dimension religieuse. »⁠[38]

Le monde a donc changé et les valeurs citées étant respectées, l’homme contemporain ne peut s’empêcher aujourd’hui comme hier de s’interroger sur le sens réel de sa vie : « On a l’impression d’une priorité de l’économie sur la morale, d’une priorité du temporel sur le spirituel. […] On ne peut pas vivre pour l’avenir sans comprendre que le sens de la vie est plus grand que celui du temporel, que ce sens est au-dessus de ce temporel. Si la société et les hommes de notre continent ont perdu l’intérêt pour ce sens, ils doivent le retrouver. Peuvent-ils, dans ce but, revenir quinze siècles en arrière ? Au temps où naquit saint Benoît de Nursie ?

Non, ils ne le peuvent pas. Le sens de la vie, ils doivent le retrouver dans le contexte de notre temps. Ce n’est pas possible autrement. Ils ne doivent pas et ils ne peuvent pas retourner au temps de Benoît, mais ils doivent retrouver le sens de l’existence humaine tel qu’il était vécu par Benoît. »[39] Cette recherche de sens implique la liberté car « « Dieu ne veut pas qu’on le serve de force, mais de gré » (St Otto). Ce n’est qu’en respectant ce principe que les États et les blocs politiques surmonteront leurs antagonismes internationaux, et que pourra naître une Europe unie de l’Atlantique à l’Oural »[40] Et cette liberté religieuse implique la distinction des pouvoirs. Comme le dira Jean-Paul II à des représentants d’institutions européennes : « mon propos n’est pas d’entrer dans ce qui relève de l’autorité des organismes ici établis, ni dans les domaines propres de vos compétences ».⁠[41] Et il le répétera dans d’autres circonstances : « il n’appartient pas au Saint-Siège de déterminer les modalités politiques souhaitables de la coopération européenne qui, elle, est nécessaire. Il revient aux hommes politiques, aux experts, de trouver, de proposer démocratiquement à leurs concitoyens et de faire ratifier par les responsables, les solutions concrètes et graduelles de ce grand et complexe problème. »[42] C’est bien l’heure du laïcat.⁠[43]

L’Église « sans revendiquer certaines positions qu’elle a occupées jadis et que l’époque actuelle considère comme totalement dépassées, l’Église elle-même, en tant que Saint-Siège et communauté catholique, offre son service pour contribuer à la réalisation de ces objectifs destinés à procurer aux nations un authentique bien-être matériel, culturel et spirituel ».⁠[44]

Comment « faire l’Europe » ?

La question s’est posée aux pères fondateurs de l’Europe⁠[45] et, dans un premier temps, ils ont « eu l’intuition que le domaine économique se prêtait en premier lieu à un projet communautaire, tant en raison de la situation mondiale que pour éviter désormais les concurrences dangereuses pour la paix. »[46], des Caraïbes et du Pacifique] (https://fr.wikipedia.org/wiki/Pays_ACP[pays appelés ACP). Accord renouvelé en 1979 (Lomé II, 57 pays), 1984 (Lomé III, 66 pays) et 1990 (Lomé IV, 70 pays). En 2000, la Convention de Lomé est remplacée par l’https://fr.wikipedia.org/wiki/Accord_de_Cotonou[accord de Cotonou]. Alors qu’elle ne comptait à l’origine que 18 États membres, elle en compte à présent 79, preuve de son attractivité. Cette coopération avait pour but de favoriser l’adaptation des pays ACP à l’économie de marché. Elle ne doit pas être confondue avec les accords de Lomé signés en 1999 pour mettre fin à la guerre civile de Sierra Leone.] Mais ils étaient bien conscients qu’il fallait aller plus loin. Il faut « construire l’Europe comme une communauté d’hommes […] en l’enrichissant d’un esprit, d’un idéal, d’une âme, parce qu’il ne peut exister de communauté humaine véritable sans ces valeurs culturelles et spirituelles par lesquelles l’homme devient principalement homme. »[47] Il n’est pas possible de « concevoir l’Europe privée de cette dimension transcendante ».⁠[48]

« L’Europe unie, ce n’est plus seulement un rêve ni un souvenir utopique du Moyen Age. […] Ce processus n’est pas et ne peut pas être un événement d’ordre purement politique et économique ; il a une profonde dimension culturelle, spirituelle et morale. L’unité culturelle de l’Europe vit dans et par les différentes cultures qui s’interpénètrent et s’enrichissent mutuellement. cette caractéristique définit l’originalité et l’autonomie de la vie dans notre continent. La recherche de l’identité européenne nous ramène à ses sources.

Si la mémoire historique de l’Europe ne plonge pas au-delà des idéaux des lumières, son unité nouvelle aura des fondements superficiels et instables. Le christianisme […] est à la racine même de la culture européenne. la marche vers une nouvelle unité de l’Europe ne pourra pas ne pas en tenir compte ! »[49]

L’Europe, un continent malade

Comme nous l’avons vu, il ne s’agissait pas de revenir en arrière. Il s’agissait et il s’agit toujours de considérer la construction européenne dans le contexte contemporain et tout d’abord de bien analyser la situation de l’Europe et de ne pas fermer les yeux sur les problèmes graves qu’elle connaît.⁠[50]

Comment ne pas prendre en compte notamment les innombrables et graves conflits politiques et religieux qui ont déchiré l’Europe ? ⁠[51] « L’histoire commune de l’Europe, déclare Jean-Paul II, ne présente pas seulement des traits resplendissants, mais ,présente aussi des points noirs, terribles, qui sont incompatibles avec l’esprit d’humanisme et la Bonne Nouvelle annoncée par Jésus-Christ ». Ce sont les « guerres sanglantes et haineuses », les persécutions, les exodes, les assassinats pour fait de race, de nationalité, de convictions et cela aussi de la part de chrétiens ! « Reconnaître nos fautes et implorer le pardon, car nous autres chrétiens, nous sommes devenus coupables, par pensées, paroles et par actions et parce que nous ne sommes pas intervenus pour empêcher l’injustice.

Dans l’histoire de l’Europe, ce ne sont cependant pas seulement les rapports entre les États ainsi que la vie politique qui sont caractérisés par la discorde. L’Église du Christ est également traversée par des lignes de démarcation et des fossés tracés par les divisions religieuses.[52] Les intérêts politiques et les problèmes sociaux se sont mêlés avec des luttes fanatiques, l’oppression et l’expulsion d’hommes n’ayant pas la même foi ainsi que l’oppression des consciences. Nous qui devons administrer l’héritage que nous ont légué nos pères présentons également cette Europe devenue profondément coupable sous la Croix. Car c’est dans la Croix que réside l’espoir. »[53] Les chrétiens soucieux de « faire l’Europe » doivent donc faire preuve d’humilité.⁠[54]

Nous traînons donc un lourd passé de discordes et aujourd’hui des divisions civiles et religieuses subsistent et nourrissent une crise profonde : « Dans le domaine civil, l’Europe est divisée. Des fractures artificielles privent ses peuples du droit de se rencontrer tous dans un climat d’amitié ; et du droit à unir librement leurs efforts et leur créativité au service d’une vie sociale pacifique, ou d’une contribution solidaire pour résoudre les problèmes qui touchent les autres continents. La vie civile se trouve marquée par les conséquences d’idéologies sécularisées, qui vont d la négation de Dieu ou de la limitation de la liberté religieuse à l’importance prépondérante attribuée au succès économique par rapport aux valeurs humaines du travail et de la production ; du matérialisme et de l’hédonisme[55], qui sapent les valeurs de la famille nombreuse et unie, celles de la vie dès la conception[56] et de la protection morale de la jeunesse, jusqu’à un « nihilisme » qui désarme la volonté d’affronter les problèmes cruciaux comme le sont ceux des nouveaux pauvres, des émigrés, des minorités ethniques et religieuses, du bon usage des moyens d’information, tout en armant les mains du terrorisme. »

Sur le plan religieux : l’Europe est divisée « non pas tant ni principalement à cause des divisions qui se sont produites au cours des siècles, que parce que les baptisés et les croyants ont abandonné les raisons profondes de leur foi et la vigueur doctrinale et morale de cette vision chrétienne de la vie qui garantit l’équilibre des personnes et des communautés. »⁠[57]

De plus, aujourd’hui, « nous nous trouvons dans une Europe où se fait toujours plus forte la tentation de l’athéisme et du scepticisme, où pousse une pénible incertitude morale avec la désagrégation de la famille et la dégénérescence des mœurs, où domine un conflit dangereux d’idées et de courants. »[58] Nous nous trouvons face à un « agnosticisme pratique » et à une « indifférence tranquille ».⁠[59]

Un remède pour l’Europe

Cette situation pousse l’Église à œuvrer pour la paix à l’intérieur des nations, entre les nations, à développer l’œcuménisme et, en définitive, à réévangéliser l’Europe : « La source d’espérance, pour l’Europe et pour le monde entier, est le Christ, le Verbe fait chair, le seul médiateur entre Dieu et l’homme. C’est l’Église, le chemin par lequel passe et se répand la vague de grâce surgie du Cœur transpercé du Rédempteur. » Il faut présenter le Christ à ceux « qui vivent plongés dans le relativisme et le matérialisme ».⁠[60]

L’affirmation est nette et sans complexe : malgré les divisions politiques économiques idéologiques, l’Europe qui « ne peut cesser de chercher son unité fondamentale, doit se tourner vers le christianisme. »[61]

En effet, où trouver remèdes, où trouver le socle solide de l’unité européenne sinon dans ses « racines », dans son « patrimoine », dans son « identité »[62] ou encore dans son « héritage »[63], marqués par le christianisme.⁠[64]

Les maux évoqués ci-dessous, témoignent eux-mêmes de la nécessité de retrouver ce patrimoine. On ne peut même comprendre ces maux qu’à la lumière du christianisme.

Jean-Paul II l’a longuement expliqué devant les évêques d’Europe : « les transformations de la conscience européenne, poussées jusqu’aux plus radicales négations de l’héritage chrétien, ne demeurent pleinement compréhensibles que dans une référence essentielle au christianisme. les crises de l’Européen sont les crises du chrétien. les crises de la culture européenne sont les crises de la culture chrétienne. […] L’épilogue fatal des courants philosophico-culturels et des mouvements de libération fermés à la transcendance, tout cela a fini par désenchanter l’Européen en le poussant vers le scepticisme, le relativisme et en le faisant même tomber dans le nihilisme, dans l’insignifiance et l’angoisse existentielle […]. Ces épreuves, ces tentations et cet aboutissement du drame européen interpellent non seulement le christianisme et l’Église de l’extérieur, comme une difficulté ou un obstacle extérieurs à dépasser dans l’œuvre d’évangélisation, mais, au sens vrai, ils sont intérieurs au christianisme et à l’Église. » Les « maux » ne se comprennent que « sur l’horizon d’une conscience chrétienne ». Ainsi l’athéisme est « plus une rébellion et une infidélité à Dieu qu’une simple négation de Dieu » Le sécularisme « s’est alimenté et s’alimente dans la conception biblique de la création et de la relation de l’homme et du cosmos. » « L’entreprise scientifico-technique d’assujettir le monde » est « dans la ligne biblique de la tâche que Dieu a confiée à l’homme. » La volonté de pouvoir est « la tentation de l’homme et du peuple sous le signe de l’alliance avec Dieu ». Dès lors, les remèdes sont à chercher aussi « à l’intérieur de l’Église et du christianisme. […] Si l’athéisme est une tentation de la foi, c’est par l’approfondissement et la purification de la foi qu’il sera vaincu. Si le sécularisme met en cause la conception de l’homme dans le monde et l’utilisation de l’univers, l’évangélisation devra proposer de nouveau cette théologie et cette spiritualité cosmiques […]⁠[65]. Si la révolution industrielle […] a donné naissance à un type d’économie, à des rapports sociaux et à des mouvements qui semblent s’opposer à l’Église et faire obstacle à l’évangélisation, c’est en vivant, en annonçant et en incarnant l’Évangile de la justice, de la fraternité et du travail que nous restituerons au monde du travail un monde humain et chrétien ». Il faut donc « faire appel à la foi et à la sainteté de l’Église pour répondre à ces problèmes et à ces défis n’est pas une volonté de conquête ou de restauration, mais le chemin obligé qui va jusqu’au fond des défis et des problèmes.[…] C’est en étant fidèle jusqu’au bout au Christ et en devenant toujours davantage par la sainteté de sa vie et par les vertus évangéliques transparence du Christ, que l’Église entrera dans l’âme et le cœur de l’Europe. » Pour cela, il est nécessaire de « demander pardon de nos infidélités, de nos divisions et des maladies que nous avons répandues dans le monde. » Et le pape de réaffirmer : « Nous n’avons pas de recettes économiques ni de programmes politiques à proposer. mais nous avons un message et une Bonne Nouvelle à annoncer ». Il faut que le monde choisisse : « Que l’Europe s’enferme dans ses petites ambitions terrestres, dans ses égoïsmes, et qu’elle succombe dans l’angoisse et dans l’insignifiance en renonçant à sa vocation et à son rôle historique, ou bien qu’elle retrouve son âme dans la civilisation de la vie, de l’amour et de l’espérance, dépend également de nous. »[66]

Devant le Parlement européen il n’hésitera pas à souhaiter la reconnaissance du « patrimoine religieux », des « racines chrétiennes »[67] et l’« invocation à Dieu ».⁠[68]

Le thème des « racines » est tout à fait fondamental dans la pensée de Jean-Paul II.⁠[69] Racines communes à toutes les nations européennes, racines qui seules peuvent servir à construire l’unité souhaitée.

Pour ne pas mal comprendre la pensée de Jean-Paul II, on peut l’éclairer des réflexions du philosophe Rémi Brague sur la spécificité culturelle du christianisme⁠[70]. On constatera une familiarité entre la description du philosophe et le souhait du Souverain Pontife qui ne peut être défini comme une volonté de restauration pur et simple du passé, d’un passé d’ailleurs qui n’a peut-être pas existé tel qu’on le rêve a posteriori.

Tout d’abord, il faut reconnaître que « l’influence du christianisme sur l’Europe est un fait historique incontestable »[71] qui a pris du temps, mille ans environ⁠[72]. Tout historien doit en convenir et tout homme le constate dans les arts comme dans nombre d’habitudes et institutions. Mais, nous rappelle immédiatement le philosophe, un fait ne peut jamais fonder un droit. Constater l’héritage chrétien donc n’engage à rien.⁠[73]

Ceci dit, l’auteur, pour évaluer ce que le christianisme apporte et peut apporter à l’Europe nous propose une clé d’analyse : « le christianisme est moins un contenu de la culture européenne que sa forme ». Il ne s’agit pas, dans cette optique, de « défendre » un contenu « contre » d’autres, une culture contre une autre⁠[74]. Il s’agit de reconnaître le christianisme comme « forme ». qu’est-ce à dire ? Alors que toutes les religions se définissent en interprétant ou en rejetant la religion précédente⁠[75], le christianisme, lui, fait unique dans l’histoire, « reconnaît l’authenticité d’une religion qui l’a précédé […] telle qu’elle s’atteste elle-même dans les Écritures qui sont celles du judaïsme avant d’être celles du christianisme. »[76] Cette caractéristique subsiste. Introduit dans un monde déjà marqué par une culture et des institutions, dans un monde marqué par la culture grecque et le droit romain, le christianisme les accepte comme il a accepté la culture juive, il les corrige et les épure au nom d’une morale qu’il n’a pas inventée.⁠[77] Certes, l’Europe plus ou moins christianisée s’est souvent mal conduite vis-à-vis des autres civilisations mais le christianisme en tant que religion , sans être une culture « propose un modèle de rapport à la culture : un rapport de reconnaissance, aux deux sens du terme » : une « gratitude envers ce qu’on a reçu » et le respect de l’autre en tant que tel.⁠[78]

Avec ces précisions, nous pouvons comprendre exactement ce que Jean-Paul II explique à un aréopage non confessionnel intéressé par la construction de l’Europe⁠[79] quel rôle l’Église propose⁠[80] de jouer en la matière : « Montrer les chemins concrets pour y parvenir et les aplanir progressivement peut faire l’objet de vos consultations ; la réalisation rentre dans la compétence des hommes politiques ; l’Église considère qu’elle a pour tâche d’encourager fermement les responsables, mais en même temps de leur faire observer que le processus d’unification de l’Europe, au-delà des ententes souhaitables dans les domaines technique, militaire et politique, doit trouver ses fondements et son milieu vital dans un renouveau spirituel et moral de la culture occidentale, qu’il faut rechercher avec une urgence tout aussi grande. Là l’Église elle-même se sent directement provoquée de façon toute particulière. De même que le christianisme, au cours du premier millénaire de l’Europe, a intégré l’héritage gréco-romain[81] et la culture des Germains, des Celtes et des Slaves[82], et a donné vie à un esprit européen commun, de même aujourd’hui peut-elle contribuer efficacement à ce que les peuples divers de ce continent construisent une nouvelle civilisation européenne commune à partir de leur grande multiplicité culturelle et nationale. La promotion d’un tel renouveau et d’une telle construction communautaire dépend pour une part essentielle du renforcement et de l’approfondissement des valeurs morales et spirituelles fondamentales que les peuples d’Europe ont appris à apprécier et à vivre à l’école du christianisme : la dignité de la personne humaine et ses droits fondamentaux imprescriptibles, l’inviolabilité de la vie, la liberté et la justice, le sens de la communauté humaine et de la solidarité, particulièrement envers les pauvres et envers ceux qui sont privés de leurs droits, la responsabilité morale de chacun pour la conduite de sa propre vie et pour le bien commun, l’engagement pour les peuples sous-développés, la christianisation du monde et le soin de l’héritage culturel et religieux.

L’Europe ne peut se renouveler et se retrouver elle-même que par le renouveau de ces valeurs communes, auxquelles elle doit sa propre histoire, son précieux patrimoine culturel et sa mission dans le monde. L’Église peut et veut apporter pour cela sa contribution irremplaçable. Elle désire aider l’Europe à retrouver son âme et son identité, comme à apprécier à sa juste valeur et à réaliser sa vocation dans la communauté internationale des peuples. »[83] Il ne s’agit pas de « construire une Europe parallèle à celle qui existe » mais révéler « l’Europe à elle-même » montrer « son âme et son identité à l’Europe », offrir « à l’Europe la clé d’interprétation de sa vocation ».⁠[84]

Le « renouveau spirituel et moral de la culture occidentale »[85] qui peut donner des « fondements » et un « milieu vital » à l’Europe, qui construira « une nouvelle civilisation européenne commune » doit se faire comme jadis à partir de la « grande multiplicité culturelle et nationale » présente. Cette « la construction communautaire dépend pour une part essentielle du renforcement et de l’approfondissement des valeurs morales et spirituelles fondamentales que les peuples d’Europe ont appris à apprécier et à vivre à l’école du christianisme ». Conscient que l’adjectif « spirituel » pourrait en hérisser plus d’un, Jean-Paul II se plaît à montrer qu’en l’utilisant il est dans la ligne du statut⁠[86] que les Européens se sont donné. Pour dire, en bref, le pourquoi et le comment de la construction européenne, il reprend quelques « expressions essentielles » du statut: le but est « la paix fondée sur la justice », « pour la préservation de la société humaine et de la civilisation ». Comment ? Dans un inébranlable attachement « aux valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun de leurs peuples ».⁠[87]

Comme on l’a compris, ce n’est pas dans la substance même du christianisme de faire « table rase » du passé pas plus que du présent. Les « valeurs communes » indispensables à une vraie et solide unité⁠[88] ne sont pas à reprendre telles qu’elles ont été parfois vécues dans le passé mais doivent être renouvelées dans la mesure où le temps a passé précisément et apporté des choses neuves.

Quelles sont les valeurs qui doivent être renouvelées et en quoi consiste ce renouvellement.

Le dictionnaire nous aide à comprendre que renouveler c’est « rétablir dans un état nouveau en remplaçant par une chose nouvelle et semblable (ce qui a servi, subi une altération, une déperdition) » ; ou encore « changer en donnant une forme nouvelle » ; « faire renaître, donner une vigueur nouvelle » ; « remettre en vigueur, faire revivre », etc..⁠[89]

Les « valeurs » à faire revivre sont : « la dignité de la personne humaine et ses droits fondamentaux imprescriptibles, l’inviolabilité de la vie, la liberté et la justice, le sens de la communauté humaine et de la solidarité, particulièrement envers les pauvres et envers ceux qui sont privés de leurs droits, la responsabilité morale de chacun pour la conduite de sa propre vie et pour le bien commun, l’engagement pour les peuples sous-développés, la christianisation du monde et le soin de l’héritage culturel et religieux. »[90]

Répondant à la question de savoir quel a été l’apport du christianisme aux différents peuples d’Europe, Jean-Paul II dira : « En près de vingt siècles, le christianisme a contribué à forger une conception du monde et de l’homme qui demeure aujourd’hui un apport fondamental, au-delà des divisions, des faiblesses, voire des abandons des chrétiens eux-mêmes ». Comment caractériser cette « conception du monde et de l’homme » ? « Le message chrétien traduit une relation si étroite de l’homme avec son Créateur qu’il valorise tous les aspects de la vie, à commencer par la vie physique : le corps et le cosmos sont l’œuvre et le don de Dieu. la foi au Dieu créateur a démythifié le cosmos pour l’offrir à l’investigation rationnelle de l’homme. Maîtrisant son corps et dominant la terre, la personne déploie des capacités à leur tour « créatrices » : dans la vision chrétienne, l’homme, loin de mépriser l’univers physique, en dispose librement et sans crainte. Cette vison positive a largement contribué au développement par les Européens des sciences et des techniques.

En paix avec le cosmos, l’homme chrétien a aussi appris à respecter la valeur inestimable de chaque personne, créée à l’image de Dieu et rachetée par le Christ. Rassemblés dans les familles, les cités, les peuples, les êtres humains ne vivent pas et ne peinent pas en vain : le christianisme leur apprend que l’histoire n’est pas un cycle indifférent en perpétuel recommencement, mais qu’elle trouve un sens dans l’alliance que Dieu propose aux hommes afin de les convier à accepter librement son Règne. » S’ajoute à cela « une haute notion de la dignité de la personne », l’affirmation d’une « conscience irréductible aux conditionnements qui pèsent sur elle, une conscience capable de connaître sa dignité propre et de s’ouvrir à l’absolu, une conscience qui est source des choix fondamentaux guidés par la recherche du bien pour les autres comme pour soi, une conscience qui est le lieu d’une liberté responsable. »[91]

Ailleurs, il ajoutera que même sur le plan de la démocratie, l’apport du christianisme peut être vivifiant et original. En effet, « la démocratie, ne vise pas un égalitarisme qui nivelle tout, mais le respect des personnes, de leurs droits fondamentaux, de leur liberté, en restant attentif au rôle primordial des familles et des corps intermédiaires, et en gardant également le souci de dépasser les intérêts particuliers lorsque le bien commun est en cause. On peut parler à ce point de vue d’une éthique parlementaire. »[92] Plus largement, il faut vivifier « le sens du droit, l’unité dans la multiplicité des nations , la volonté de participation responsable, la créativité dans l’art et dans la pensée. Il faudra en outre chercher les voies d’un dialogue renouvelé entre foi et culture » pour « refonder la culture européenne ».⁠[93]

Si tout le monde, en principe, reconnaît et défend ces valeurs, peut-être certains seront-ils choqués d’entendre le pape glisser dans son énumération « la christianisation du monde »[94]. En fonction du simple droit à la liberté religieuse, refuser ce principe serait tout d’abord oublier que « le christianisme a vocation de profession publique et de présence active dans tous les domaines de la vie ». Et immédiatement, Jean-¨Paul II en déduit que son devoir est « de souligner avec force que si le substrat religieux et chrétien de ce continent devait en venir à être marginalisé dans son rôle d’inspirateur de l’éthique et dans son efficacité sociale, c’est non seulement tout l’héritage du passé européen qui serait nié, mais c’est encore un avenir digne de l’homme européen - je dis de tout homme européen, croyant ou incroyant - qui serait gravement compromis. »[95] Refuser le principe de christianisation serait ensuite oublier « que la conscience de la dignité humaine et des droits correspondants -même si on n’employait pas ce mot - est née en Europe sous l’influence du christianisme ».⁠[96]

L’héritage est donc bien présent et identifié. Le récuser, le relativiser, serait suicidaire⁠[97] : Il faut s’atteler à « la construction d’une culture et d’une éthique de l’unité, sans lesquelles n’importe quelle politique de l’unité est destinée tôt ou tard à s’effondrer. » Et, une fois encore, « pour édifier la nouvelle Europe sur des bases solides, il ne suffit pas de lancer un appel aux seuls intérêts économiques qui, s’ils rassemblent parfois, d’autre fois divisent, mais il est nécessaire de s’appuyer plutôt sur les valeurs authentiques, qui ont leur fondement dans la loi morale universelle, inscrite dans le cœur de tout homme. Une Europe qui remplacerait ces valeurs de tolérance et de respect universel par l’indifférentisme éthique et le scepticisme en matière de valeurs inaliénables, s’ouvrirait aux aventures les plus risquées et verrait tôt ou tard réapparaître sous de nouvelles formes les spectres les plus effroyables de son histoire. »[98] Et si l’on parle de La crise de la civilisation[99] ou du Déclin de l’Occident[100], ces formules empruntées à des œuvres célèbres, « ne veulent signifier que l’extrême actualité et nécessité du Christ et de l’Évangile. Le sens chrétien de l’homme, image de Dieu[101], selon la théologie grecque si appréciée par Cyrille et Méthode et approfondie par saint Augustin, est la racine des peuples de l’Europe et il faut s’y rapporter avec amour et bonne volonté pour donner la paix et la sérénité à notre époque. C’est seulement ainsi que se découvre le sens humain de l’histoire qui est en réalité « l’histoire du salut ». »[102]

« Pour conjurer cette menace, le rôle du christianisme s’avère encore une fois vital » mais il est sous-entendu qu’à ce travail de redécouverte et de rajeunissement, les catholiques ne sont pas seuls conviés : « A la lumière des nombreux points de rencontre avec les autres religions que le Concile Vatican II a reconnues (cf. décret Nostra aetate), on doit souligner avec force que l’ouverture au Transcendant est une dimension vitale de l’existence. Il est donc essentiel que tous les chrétiens présents dans les différents pays du continent s’engagent à un témoignage renouvelé. »[103] Et nous allons voir que non seulement les diverses confessions chrétiennes sont invitées mais aussi les non chrétiennes et même les incroyants.

Au sujet des diverses confessions chrétiennes, Jean-Paul II souligne que l’unité politique de l’Europe interpelle aussi l’unité des chrétiens et doit renforcer le dialogue œcuménique : « Aujourd’hui se réveille parmi les chrétiens d’Europe une conscience nouvelle de leur responsabilité spécifique dans la construction d’une Europe unie, qui puisse tirer son inspiration et son énergie de cette tradition chrétienne qui unit tous les peuples. On ne doit pas oublier -et moins encore le renier - que la vie de ces peuples, au Nord comme au Sud, à l’Est comme à l’Ouest, est objectivement enracinée dans les valeurs chrétiennes ; et ces valeurs chrétiennes communes peuvent leur rendre la conscience d’appartenir à une unique famille de peuples. Parmi les chrétiens divisés grandit l’exigence profonde de retrouver leur unité historique pour construire ensemble la maison de famille des peuples européens. l’unité des chrétiens est profondément liée à l’unification du continent : c’est notre vocation et notre devoir historique à l’heure présente. »[104] Il intègre l’apport du judaïsme dans la constitution des « racines » de l’Europe : « La civilisation européenne garde […] ses racines profondes près de cette source d’eau vive que sont les Saintes Écritures : Dieu unique s’y révèle comme notre Père et nous engage, par ses commandements, à lui répondre par l’amour, dans le liberté. A l’aube d’un nouveau millénaire, l’Église en annonçant à l’Europe l’Évangile de Jésus-Christ, découvre chaque fois mieux, avec joie, les valeurs communes, soit chrétiennes, soit juives, par lesquelles nous nous reconnaissons comme frères et auxquelles se réfèrent l’histoire, la langue, l’art, la culture des peuples et des nations de ce continent. »[105]

Jean-Paul II insiste aussi sur le devoir de respecter les « croyants des autres religions » et de dialoguer avec eux.⁠[106]

Et c’est très logiquement qu’en de nombreuses occasions, Jean-Paul II va demander une « nouvelle évangélisation » de l’Europe, une « seconde évangélisation » pour « reconstruire les consciences à la lumière de l’Évangile du Christ, cœur de la civilisation européenne »[107]. Une réévangélisation est nécessaire⁠[108] pour revivifier les racines, leur offrir un socle et une justification fondamentaux : « l’évangélisation du continent européen » est certes un « thème complexe, extrêmement complexe » qui doit être abordé « dans un esprit de collaboration fraternelle avec les représentants des Églises et communautés avec lesquelles nous ne sommes pas en pleine unité ». On ne peut éluder la question : « pour l’Europe se pose […] le problème de l’« autoévangélisation » […]. L’Église doit toujours s’évangéliser. L’Europe catholique et chrétienne a besoin de cette évangélisation. Elle doit s’évangéliser elle-même. »[109] La raison a été évoquée plus haut : « Peut-être nulle part ailleurs n’apparaissent aussi clairement que dans notre continent les courants de la négation de la religion, de la « mort de Dieu », de la sécularisation programmée, de l’athéisme militant organisé. »[110] Nous vivons une « crise de la culture dans la mort ou l’affaiblissement des valeurs idéales communes et des principes éthiques et religieux obligatoires pour tous ».⁠[111] Hier, comme aujourd’hui, l’évangélisation est donc nécessaire et sans doute suivant les mêmes vecteurs : « De l’œuvre des saints est née une civilisation européenne fondée sur l’Évangile du Christ et a surgi un ferment pour un authentique humanisme imprégné de valeurs éternelles, tandis que s’enracinait par ailleurs une œuvre de promotion civile sous le signe et dans le respect du primat du spirituel. La perspective ouverte alors par la fermeté de ces témoins de la foi est toujours actuelle et constitue la route idéale pour continuer à construire une Europe pacifique, solidaire, vraiment humaine, et pour dépasser les oppositions et contradictions qui risquent de bouleverser la sérénité des individus et des nations ».⁠[112]

L’action à entreprendre peut se développer à deux niveaux. d’une manière générale, il faut : « faire naître de nouvelles impulsions et de nouvelles forces pour un renouveau global de l’Europe, au plan spirituel, moral et politique, sur un terrain idéal où elle pourrait remplir de manière responsable et efficace la mission spirituelle qui lui revient aujourd’hui au sein de la communauté des peuples ». Et le Pape de préciser : « la mission spirituelle de l’Europe est la mission des Européens et […] sa mission chrétienne est celle des chrétiens d’Europe ».⁠[113] Ce distinguo confirme ce que nous avions pensé précédemment : l’adjectif « spirituel » peut être considéré comme un synonyme de « moral » et, dans ce cas, tous les hommes de bonne volonté, tous les « Européens » doivent se mobiliser. Les chrétiens qui doivent collaborer sans crainte avec tous les « Européens » conscients de l’enjeu, ont une mission identique avec, en plus, une spécificité qui est, dans la mesure du possible, d’ouvrir à la foi c’est-à-dire au seul vrai fondement et à la justification ultime de cette quête « spirituelle » : « les chrétiens peuvent en définitive - personnellement ou, mieux encore, associés à ceux qui ont les mêmes idées qu’eux - apporter les valeurs et les convictions dont ils vivent, en collaboration avec des hommes ayant d’autres visions du monde, en vue de créer un État et une société dignes de l’homme et contribuer ainsi de manière décisive au renouvellement intérieur de l’Europe tout entière. »[114] Tous ont une mission et plus particulièrement « les penseurs, les scientifiques, les artistes, les explorateurs, les inventeurs, les chefs d’État, les apôtres et les saints ».⁠[115]

La nouvelle évangélisation implique un renouveau culturel : « A la veille du troisième millénaire, la mission apostolique de l’Église l’engage à une nouvelle évangélisation où la culture revêt une importance primordiale. […] le nombre de chrétiens augmente mais, dans le même temps, s’accentue la pression d’une culture sans ancrage spirituel. La déchristianisation a engendré des sociétés sans référence à Dieu. Le reflux du marxisme-léninisme athée comme système politique totalitaire en Europe est loin de résoudre les drames qu’il a provoqués en trois quarts de siècle. Tous ceux que ce système totalitaire a touchés d’une manière ou d’une autre, ses responsables et ses partisans comme ses opposants les plus irréductibles, sont devenus ses victimes. Ceux qui ont sacrifié à l’utopie communiste leur famille, leurs énergies et leur dignité prennent conscience d’avoir été entraînés dans un mensonge qui a très profondément blessé la nature humaine. les autres retrouvent une liberté à laquelle ils n’ont pas été préparés et dont l’usage reste hypothétique, car ils vivent dans des conditions politiques, sociales et économiques précaires, et connaissent une situation culturelle confuse, avec le réveil sanglant des antagonismes nationalistes. […] Le vide spirituel qui mine la société est d’abord un vide culturel, et c’est la conscience morale, renouvelée par l’Évangile du Christ, qui peut vraiment le combler. »⁠[116]

L’unité dans la diversité

« Faire l’Europe », ce sont des « racines » communes, redécouvertes et revivifiées mais c’est aussi une manière de faire l’unité dans la diversité, « sans nivellement appauvrissant »[117],

de construire un ensemble où les nations gardent aussi leur âme, leurs racines particulières, « une vaste communauté diverse mais unie ».⁠[118]

Il s’agit de respecter « le caractère original de chaque région, mais en retrouvant dans ses racines un esprit commun »[119] .

Fils de la Pologne qui a résisté à l’uniformité communiste, il sait le prix et la force d’une personnalité culturelle, de la « nation » comme il l’a montré dans son Discours à l’Unesco⁠[120]. Il ne s’agit en aucun cas d’une réhabilitation du nationalisme : Jean-Paul II, comme ses prédécesseurs, a dénoncé « les nationalismes exagérés au lieu de l’authentique amour de la patrie »[121]. Mais il a constaté que « la violation des droits de l’homme va de pair avec la violation des droits de la nation, avec laquelle l’homme est uni par des liens organiques, comme une famille agrandie ».⁠[122] « On ne peut comprendre l’homme en dehors de cette communauté qu’est la nation, il est naturel qu’elle ne soit pas l’unique communauté, toutefois elle est une communauté particulière, peut-être la plus intimement liée à la famille, la plus importante pour l’histoire spirituelle de l’homme. »[123].

Vu l’importance de cette nation, dans la construction européenne, s’imposent « les questions essentielles : comment accéder à une fraternité élargie, sans rien perdre des traditions valables propres à chaque pays ou région ? Comment développer les structures de coordination sans diminuer la responsabilité à la base ou dans les corps intermédiaires ? Comment permettre aux individus, aux familles, aux communautés locales, aux peuples d’exercer leurs droits et leurs devoirs, en s’ouvrant, à l’intérieur de cette Communauté européenne et face au reste du monde, en particulier au reste de l’Europe et aux pays les plus démunis, à un bien commun plus large et à une plus grande harmonie ? »[124]

Appliquant le vieux et sacré principe de subsidiarité⁠[125], il faut  »…​accéder à une fraternité élargie, sans rien perdre des traditions valables propres à chaque pays ou région […] développer les structures de coordination sans diminuer la responsabilité à la base ou dans les corps intermédiaires […] permettre aux individus, aux familles, aux communautés locales, aux peuples d’exercer leurs droits et leurs devoirs »[126] . La diversité est précieuse et légitime et, dans le cas de l’Europe, elle renvoie à un substrat identique, au fond chrétien.⁠[127] Certes, et « plus que jamais l’Europe a besoin de retrouver son identité spirituelle, incompréhensible sans le christianisme. » Mais, « le christianisme n’est pas quelque chose qui vient en supplément, quelque chose d’étranger à la conscience européenne : à cette conscience qui constitue le tissu conjonctif profond et véritable du Vieux Continent, sous-jacent à la légitime diversité des peuples, des cultures et des histoires. le christianisme, l’annonce de l’Évangile, est à l’origine de cette conscience, de cette unité spirituelle. »[128]

La preuve est faite, en Europe, qu’« une multiplicité d’ethnies peut coexister sur un territoire limité, […] les tensions ainsi créées stimulent la créativité, donnant lieu à une unité dans la multiplicité ». Une fois encore, « ce qui a permis au continent européen de trouver cette unité dans la multiplicité, c’est avant tout la propagation d’une seule et même foi chrétienne » grâce aux missionnaires et aux pèlerins. « La Communauté culturelle du continent européen, qui continue à exister en dépit de toutes les crises et scissions, ne s’explique pas, si on fait abstraction de la teneur du message chrétien. Amalgamé à la spiritualité antique, celui-ci forme un patrimoine commun auquel l’Europe doit sa richesse et sa vigueur, l’épanouissement des arts et des sciences, de la formation et de la recherche, de la philosophie et de la spiritualité. Dans le contexte des croyances chrétiennes, la vision chrétienne de l’homme a marqué d’une façon toute particulière la civilisation européenne. La conviction de ce que l’homme a été créé à l’image de Dieu et qu’il a été racheté par Jésus-Christ, fils de Dieu, a solidement enraciné dans l’histoire du salut la considération et la dignité de la personne humaine, le respect du droit de la personne humaine au libre épanouissement dans la solidarité avec les autres hommes. Il était donc logique que les droits généraux de l’homme aient été formulés et proclamés d’abord en Occident. »[129]

En bref, « le christianisme a été pour notre Continent un facteur primordial d’unité entre les peuples et les cultures et de promotion intégrale de l’homme et de ses droits. »[130] Cette capacité manifestée par le christianisme de créer l’unité dans la diversité reste indispensable et urgente à une époque « caractérisée par une nouvelle phase du processus d’intégration européenne et par sa forte évolution dans un sens multi-ethnique et multi-culturel ».⁠[131]

Malgré les conflits sanglants et les crises spirituelles, « on doit affirmer que l’identité européenne est incompréhensible sans le christianisme et que c’est précisément en lui que se trouvent ces racines communes qui ont permis la maturation de la civilisation d’un continent, de sa culture, de son dynamisme, de son esprit d’entreprise, de sa capacité d’expansion constructive, y compris dans les autres continents ; en un mot, tout ce qui constitue sa gloire.[…] Et de nos jours encore, l’âme de l’Europe reste unie car, en plus de son origine commune, elle possède des valeurs chrétiennes et humaines identiques, comme la dignité de la personne humaine, le sens profond de la justice et de la liberté, l’application au travail, l’esprit d’initiative, l’amour de la famille, le respect de la vie, la tolérance et le désir de coopération et de paix, toutes valeurs qui la caractérisent ».⁠[132] La diversité des opinions n’'est pas un obstacle à la recherche d’une unité : « Nous chrétiens, proclamons ouvertement l’Évangile de Jésus-Christ, mais nous n’imposons notre foi ou nos convictions à personne. Nous reconnaissons qu’il n’y a pas d’unanimité sur la façon dont les droits de l’homme se fondent philosophiquement. Néanmoins nous sommes tous appelés à défendre tout être humain, sujet de droits inaliénables et à travailler parmi nos contemporains, pour obtenir un consentement unanime sur l’existence et la substance de ces droits humains. »⁠[133] Et l’Église a un rôle capital à jouer : « l’Église ne peut renoncer à proclamer la vérité sur le caractère intégral des valeurs humaines fondamentales, car si l’on ne retient que certaines d’entre elles, cela peut miner les fondements de l’ordre social. Même les Etas pluralistes ne peuvent pas renoncer aux normes éthiques dans leur législation et dans la vie publique, spécialement lorsque le bien essentiel qu’est la vie de l’homme depuis le moment de sa conception jusqu’à sa mort naturelle exige une protection ».⁠[134]

Jean-Paul II va même plus loin. En parlant de l’Europe devant le Corps diplomatique, il rappelle ce qu’il était écrit dans Gaudium et spes[135] « Comme, de par sa mission et sa nature, l’Église n’est liée à aucune forme particulière de culture, ni à aucun système politique, économique ou social, par cette universalité même, elle peut être un lien très étroit entre les différentes communautés humaines et entre les différentes nations, pourvu que celles-ci lui fassent confiance et lui reconnaissent en fait une authentique liberté pour l’accomplissement de sa mission. »[136] On peut en conclut que même si le christianisme n’avait pas été le substrat historique de l’Europe, il aurait par nature été l’instrument idéal de l’unification. Dès lors, il aurait un rôle semblable à jouer sur les autres continents ou régions du monde en quête de regroupement, comme dans l’ensemble de la planète.

L’Europe ouverte sur le monde

Revenons à la question initiale : « pourquoi faire l’Europe ? ». Pour en faire une citadelle ? Un univers protégé et clos ?⁠[137]

Tel n’était pas l’esprit des fondateurs. Konrad Adenauer déclarait en avril 1951: « le pool charbon-acier n’est constitué ni pour séparer l’Europe du reste du monde, ni pour étendre l’égoïsme national à des limites continentales ».

Jean-Paul II rappelle un grand principe :  »…​il y a un bien commun de la communauté internationale que les pays d’Europe doivent aussi rechercher, avec courage, sens de l’équité et désintéressement…​ »⁠[138]. La vocation de l’Europe, conformément à son passé, est claire : l’Europe doit continuer à se montrer ouverte et exemplaire. »[139] En effet, elle « a un rôle à jouer dans les événements humains du troisième millénaire : elle qui a tant contribué au progrès humain au cours des siècles passés pourra être demain encore un phare lumineux de civilisation pour le monde, si elle sait puiser à nouveau, dans la concorde et l’harmonie, à ses sources originaires : le meilleur humanisme classique, élevé et enrichi par la Révélation chrétienne. »[140] Il invite donc l’Europe, par exemple, à s’ouvrir « aux pays les plus démunis, à un bien commun plus large et à une plus grande harmonie […] »⁠[141] d’ailleurs, « l’Europe a le sentiment vague, presque inconscient, qu’elle a des obligations envers les peuples qui la composent et le reste de la famille humaine. Pour relever le défi de remplir ses obligations, l’Europe a besoin de redécouvrir son identité la plus profonde. Elle a besoin de surmonter toute répugnance ; quelle qu’elle soit, pour reconnaître le patrimoine commun et la civilisation de ses peuples, divisés comme ils le sont par des frontières physiques, politiques et idéologiques, mais unis par les liens d’une culture qui, véritablement, les embrasse tous. »[142]

Cet appel à l’ouverture et à l’attention au reste du monde n’oblitère pas le mal que l’Europe a pu commettre à travers l’histoire dans certaines parties du monde mais il n’empêche qu’elle a joué aussi un rôle positif qu’elle peut poursuivre : « Pendant des siècles, l’Europe a joué un rôle considérable dans les autres parties du monde. On doit admettre qu’elle n’a pas toujours mis le meilleur d’elle-même dans sa rencontre avec les autres civilisations, mais personne ne peut contester qu’elle a fait partager heureusement beaucoup des valeurs qu’elle avait longuement mûries. » Sa mission est d’« animer et favoriser les rapports Nord-Sud. Il y a, en effet, dans le cadre de la solidarité universelle, une responsabilité de l’Europe à l’égard de cette partie du monde. » Ne serait-ce que dans l’accueil des immigrés et des réfugiés.⁠[143]

Dans trois domaines, l’Europe « devrait reprendre un rôle de phare dans la civilisation mondiale » : « d’abord, réconcilier l’homme avec la création » c’est-à-dire « préserver l’intégrité de la nature ». « Ensuite, réconcilier l’homme avec son semblable », c’est-à-dire s’accepter les uns les autres dans la diversité et être accueillant à l’étranger, au réfugié, comme on vient de le rappeler. « Enfin, réconcilier l’homme avec lui-même », c’est-à-dire « travailler à reconstituer une vision intégrée et complète de l’homme et du monde » contre les « cultures du soupçon et de la déshumanisation », en faveur d’une vision de la science, de la technique, de l’art qui « n’excluent pas, mais appellent la foi en Dieu ».⁠[144] Il n’y a là nulle arrogance de la part des chrétiens. Lorsqu’ils défendent et proposent les richesses de leur passé qui sont les richesses de leur présent, leur volonté est de servir pour le mieux-être de leurs contemporains.⁠[145]

Les dossiers urgents

A l’intérieur, l’Europe devrait, dans le cadre général de la protection des droits de l’homme, se consacrer prioritairement à la santé de la famille. Le devoir de l’Église étant évidemment de veiller sur le mariage⁠[146] et la famille : « Ce devoir premier de l’Église doit s’exprimer clairement dans une culture européenne encore marquée par des valeurs humaines et chrétiennes authentiques, mais trop souvent obscurcies par des déviations dues soit à des conceptions erronées, soit à un laisser-aller moral. »[147] Il faut « redonner à la famille sa valeur », déstabilisée qu’elle est par des facteurs économiques, des « conceptions qui dévalorisent l’amour ». Il faut rendre à la famille « sa valeur d’élément premier dans la vie sociale » , veiller à sa stabilité, y assurer l’accueil de la vie, le respect de la vie de la conception « jusqu’aux stades ultimes de la maladie ou aux états les plus graves d’obscurcissement des facultés mentales », le respect aussi de la filiation naturelle. « La famille comme telle, rappellera la pape, est un sujet de droits » et il est souhaitable que l’Institution place « des bornes d’ordre éthique à l’action de l’homme sur l’homme ».⁠[148]

d’autres chantiers importants attendent les Européens : ils ont à « promouvoir la dignité de tous les travailleurs » et la solidarité, réagir à la crise de l’emploi, lutter contre les zones de pauvreté.⁠[149]

L’éducation est un autre chantier à ne pas négliger : il faut favoriser le progrès de l’éducation « dans le cadre de la vérité intégrale de l’homme », préserver, « transmettre, confier, les témoins d’une culture vivante, les œuvres, les découvertes et les expériences qui ont progressivement contribué à façonner l’homme en Europe. »[150]

La tristesse du Pape

Jean-Paul II ne s’est-il pas fait quelques illusions et n’a-t-il pas été déçu par l’évolution de l’Europe ? Illusion lorsqu’il affirme que « l’Europe, par nécessité, cherche à redéfinir son identité par-delà les systèmes politiques et les alliances militaires. Et elle redécouvre un continent de culture, une terre irriguée par la foi chrétienne millénaire et, en même temps, nourrie d’un humanisme séculier, traversé par des courants contradictoires. »[151]

S’il a pu se réjouir du déclin « de la division de l’Europe et du monde en deux camps idéologiques opposés », de la course aux armements, de « l’enferment du monde communiste en une société close », force est, pour le Saint-Père, de constater que des maux dénoncés au début de son pontificat, persistent parfois sous une autre forme⁠[152] et gangrènent encore le continent après la chute du communisme.⁠[153] Certes, « un demi-siècle de séparation a pris fin », les deux parties de l’Europe sont réunies mais, lucide, il dira : « on a vu, et parfois d’une manière très douloureuse, que la récupération du droit à l’autodétermination et l’élargissement des libertés politiques et économiques ne sont pas suffisants pour la reconstruction de l’unité européenne ». Le pape évoque non seulement l’ancienne Yougoslavie mais aussi l’Albanie et « l’énorme poids » qui pèse sur les sociétés qui se sont libérées du communisme. « Il ne doit pas advenir qu’après la chute d’un mur, visible, un autre le remplace, celui-là invisible, pour continuer à diviser notre continent : le mur qui passe à travers le cœur des hommes. C’est un mur fait de peur et d’agressivité, de manque de compréhension pour les hommes d’origine différente, de couleur de peau différente, de convictions religieuses différentes. C’est le mur de l’égoïsme politique et économique, de l’affaiblissement de la sensibilité en ce qui concerne la valeur de la vie humaine et la dignité de tout homme. Même les succès indiscutables de la période récente dans les domaines économique, politique et social ne cachent pas l’existence de ce mur. Son ombre s’étend sur toute l’Europe. Le but ultime qu’est l’unité authentique du continent européen est encore lointain. »[154]

Il se rend compte que « rien n’est jamais définitivement acquis. […] Des rivalités séculaires peuvent toujours resurgir, des conflits entre minorités ethniques s’enflammer de nouveau, des nationalismes s’exacerber. Voilà pourquoi, il est nécessaire qu’une Europe, conçue comme une « communauté de nations », s’affermisse sur la base des principes si opportunément adoptés à Helsinki, en 1975, par la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) ». Malheureusement : « les démocraties occidentales n’ont pas su user de la liberté conquise naguère au prix de durs sacrifices. On ne peut que regretter l’absence délibérée de toute référence morale transcendante dans la gestion des sociétés dites « développées ». A côté d’élans généreux de solidarité, d’un souci réel de la promotion de la justice et d’une préoccupation constante du respect effectif des droits de l’homme, force est de constater la présence et la diffusion de contre-valeurs telles que l’égoïsme, l’hédonisme, le racisme et le matérialisme pratique. »⁠[155]

Dans l’ensemble de l’Europe, en 1992, il déplore la persistance de « divisions exaspérées », la « résurgence de certains nationalismes », la « tentation du repli sur soi » et « un processus de développement qui fait de la concurrence la loi suprême ». Alors que l’on croyait que la construction européenne était un gage de paix, une nouvelle guerre a éclaté en ex-Yougoslavie !⁠[156] Quelques semaines plus tard, devant le Corps diplomatique, il brosse un bien triste portrait du continent alors que fait encore rage la guerre en Bosnie-Herzégovine : « Toute l’Europe en est humiliée. Ses institutions déconsidérées. Tous les efforts de paix des années récentes sont comme anéantis. Après le désastre des deux dernières guerres mondiales qui avaient germé en Europe, il avait été convenu que plus jamais les États ne prendraient les armes et n’en favoriseraient l’usage pour résoudre leurs différends internes ou mutuels. la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) a même élaboré des principes et un code de conduite, adoptés par consensus par tous les États participants. Or, sous nos yeux, ces principes et les engagements qui en découlent sont systématiquement transgressés. le droit humanitaire, conquête laborieuse de ce siècle, n’est plus respecté. les principes les plus élémentaires régissant la vie en société sont bafoués par de véritables hordes qui sèment la terreur et la mort. Comment ne pas songer […] à ces enfants à tout jamais marqués par le spectacle de tant d’horreur ? A ces familles séparées et jetées sur les routes, dépossédées et sans ressources ? A ces femmes déshonorées ? A ces personnes enfermées et maltraitées dans des camps que l’on croyait à jamais disparus ? […] La communauté internationale devrait montrer davantage sa volonté politique de ne pas accepter l’agression et la conquête territoriale par la force, ni l’aberration de la « purification ethnique ». Et ce n’est pas tout ! Il constate que « l’Europe [est] tiraillée entre l’intégration communautaire et la tentation de la désintégration nationaliste et ethnique…​ »⁠[157]. Un an plus tard, rien n’a changé en ex-Yougoslavie et le Pape dénonce avec force les guerres fratricides, « le racisme et le nationalisme les plus primitifs », les « tortionnaires sans morale ». Revenant encore sur les « nationalismes exacerbés », il rappellera l’encyclique Mit brennender Sorge en disant : « nous nous trouvons face à un nouveau paganisme ».⁠[158]

Le Pape avouera même sa « détresse » devant la guerre en ex-Yougoslavie, les exactions et les déportations qu’elle entraîne toujours alimentées par le nationalisme et le racisme.⁠[159]

Il n’y a pas que la guerre qui met à mal le rêve européen : « le développement économique et le processus d’intégration européenne, qui semblaient devoir s’étendre progressivement, ont subi de douloureux temps d’arrêt, alors que se faisait toujours plus pesante, dans toute l’Europe, la plaie du chômage. »⁠[160]

Et, d’une manière générale, Jean-Paul II relèvera encore que l’Europe « est traversée, en notre siècle, par de forts courants de « contre-évangélisation ». Même si ces courants ont aujourd’hui diminué dans leur forme la plus radicale, ils n’ont pas complètement cessé d’agir, surtout dans le domaine des principes, y compris d’une façon systématique. »⁠[161] L’homme européen, [est] largement tenté par le relativisme et une permissivité qui finissent par supprimer toute frontière objective entre le bien et le mal, étouffant la voix même de la conscience ».⁠[162]

Il déplore « la tendance à séparer les droits humains de leur fondement anthropologique - c’est-à-dire de la vision de la personne humaine originaire de la culture européenne - est fondamentale. » Et que dire de la « tendance à interpréter les droits uniquement dans une perspective individualiste, en faisant peu de cas du rôle de la famille comme « noyau fondamental de la société » (Déclaration universelle des Droits de l’Homme, art. 16). » A ce point de vue, « il est également paradoxal que, d’un côté, le besoin de respecter les droits humains soit fortement affirmé alors que, d’autre part, le plus fondamental d’entre eux - le droit à la vie - est nié. » Le Conseil de l’Europe a éliminé « la peine de mort de la législation de la grande majorité de ses États-membres ». Le pape, « tout en se réjouissant de cette noble conquête et dans l’attente qu’elle s’étende au reste du monde, […] forme des vœux fervents afin que l’on parvienne au plus tôt à comprendre également qu’une grave injustice est commise lorsqu’une vie innocente n’est pas sauvegardée dans le sein de la mère. » ⁠[163]

Le pape dira⁠[164] sa « tristesse » devant « la résolution approuvée par le Parlement européen » : « Elle n’a pas simplement pris la défense des personnes à tendances homosexuelles, refusant d’injustes discriminations à leur égard. Sur ce point, l’Église elle aussi est d’accord, et même elle l’approuve, elle le fait sien, car toute personne est digne de respect. Ce qui n’est pas admissible moralement, c’est l’approbation juridique de la pratique homosexuelle ».⁠[165]

Autre sujet de déception pour le pape : l’absence de référence officielle à Dieu. « L’Union européenne a entrepris de formuler une « Charte des droits fondamentaux » et cet effort est une tentative de synthétiser d’une manière nouvelle, au début du nouveau millénaire, les valeurs fondamentales dont doit s’inspirer le « vivre-ensemble » des peuples européens. L’Église a suivi avec une vive attention les diverses phases de l’élaboration de ce document. A ce propos, je ne peux pas cacher ma déception de ce qu’aucune référence à Dieu n’ait été insérée dans le texte de la Charte, à Dieu en qui se trouve la source suprême de la dignité de la personne humaine et de ses droits fondamentaux. On ne peut oublier que ce fuit la négation de Dieu et de ses commandements qui créa, au siècle passé, la tyrannie des idoles, qui s’est exprimée par la glorification d’une race, d’une classe, de l’État, de la nation, d’un parti, à la place de la glorification du Dieu vivant et vari. C’est bien à la lumière des malheurs qui se sont déversés sur le XXe siècle que l’on comprend combien les droits de Dieu et de l’homme s’affirment ou tombent ensemble. »[166]

L’espoir, malgré tout

Mais il ne perdra jamais courage ni espoir devant les malheurs et les trahisons de l’Europe qui, malgré tout, qu’elle le veuille ou non, reste marquée par le christianisme.⁠[167] Inlassablement, jusqu’à sa mort, il réaffirmera la nécessité vitale des valeurs qui ont fait l’Europe et qui doivent la « faire ».⁠[168]

Devant le déchirement de l’ex-Yougoslavie, il indiquera le chemin de la paix : « Certes il convient de reconnaître les aspirations légitimes des personnes et des peuples à la liberté ; mais il est urgent que, aujourd’hui comme hier, tous prennent conscience de leurs devoirs autant que de leurs droits, et qu’ils donnent la priorité à la solidarité pour la construction d’une véritable société de nations. » La « réconciliation » est toujours possible à partir de « valeurs morales et religieuses »[169] Il rappellera que « C’est la force de l’Europe de pouvoir unir des peuples, dans le respect légitime des souverainetés nationales et des cultures spécifiques, par la coopération dans les multiples domaines de la vie commune, ainsi que dans le développement de la solidarité et de la charité. En s’engageant résolument dans cette voie, l’Europe ouvrira la voie à une ère de paix sur l’ensemble du continent. »[170]

Devant la déliquescence morale de l’Europe, la mission sera de « mettre courageusement en évidence les normes morales qui expriment dans les situations concrètes de la vie la vérité sur l’homme, créé à l’image de Dieu : ce n’est que par leur respect intégral qu’il est possible de parvenir à une authentique liberté et à une solidarité effective. » Il est important de « donner un espace adéquat, dans la nouvelle évangélisation, à l’enseignement social de l’Église ». C’est « une exigence toujours plus urgente. »⁠[171] Alors que l’avortement et l’euthanasie se banalisent en Europe, le Pape affirmera: « un des objectifs de mon pontificat est de construire une « culture de la vie » destinée à s’opposer à la « culture de la mort » « .⁠[172]

Plus précisément encore, Jean-Paul II expliquera la nécessité de réfléchir aux principes fondamentaux car « la recherche de la liberté, de la vérité et de la communion […] constitue, comme l’a dit la Déclaration finale du Synode (n° 4), « l’aspiration la plus profonde, la plus ancienne et durable de l’humanisme européen […]. «  Les rapports entre liberté et vérité, et entre liberté et solidarité, ne doivent pas être conçus en termes d’antithèses réciproques, comme cela s’est trop souvent passé et se passe encore dans la culture européenne, mais d’intime connexion et de nécessaire corrélation. On ne peut jamais perdre de vue le principe et le centre vivant de la vérité, de la liberté et de la communion, qui est la personne de Jésus-Christ. »[173] C’est à ce niveau-là que l’évangélisation doit porter son effort : « C’est l’heure de la vérité pour l’Europe. les murs se sont écroulés, les rideaux de fer n’existent plus, mais le défi sur le sens de la vie et la valeur de la liberté demeure plus fort que jamais dans l’intimité des intelligences et des consciences. » A ce niveau-là, les consciences comme les cultures peuvent s’éveiller et révéler les richesses qu’elles contiennent. le christianisme jouant ici le rôle de révélateur : « Toute rencontre authentique de l’Évangile avec une culture déterminée comprend un processus de purification et de développement qui en révèle, au fur et à mesure que le temps s’écoule, les potentialités cachées. »[174]

Jean-Paul II s’inscrit aussi en faux contre la tendance du « monde » à vouloir confiner le message chrétien ou, plus largement, religieux, dans la sphère privée⁠[175]. Il faut, au contraire, redécouvrir « la dimension communautaire et publique de la foi. Puisse ne pas se renouveler l’erreur de ceux qui, voulant construire un monde sans Dieu, n’ont réalisé qu’une société contre l’homme. Dans ce but, l’apport de tous les croyants est nécessaire, pour que, par un effort commun, ils soient les témoins de la primauté de Dieu dans leur vie et qu’ils proclament par tous les moyens que « si le Seigneur ne construit pas la maison, c’est en vain que peinent les maçons » (Ps 126, 1). »[176]

A des hommes politiques chrétiens, il rappellera l’exemple des fondateurs. La foi chrétienne a été « la source du courage de ceux qu’on appelle les pères de l’Europe, dont quelques-uns ont appartenu à votre famille politique ». Il leur fallait « une vison profonde de l’homme et de la société, et un courage hors du commun pour proposer à leurs peuples -qu’ils soient sortis de la guerre vainqueurs ou vaincus - d’établir des relations nouvelles placées sous le signe d’une compréhension mutuelle et d’adopter un idéal européen, tout en soulignant l’importance pour chaque homme d’appartenir à une nation ». Pour poursuivre leur œuvre, « le dialogue et l’estime réciproque sont essentiels à la construction de la paix du continent et au dynamisme de chaque nation. » Ce qui « exige beaucoup d’efforts et de sacrifices de la part des différentes nations de l’Union. » En effet, « l’édification de l’Union européenne suppose avant tout le respect de toute personne et des différentes communautés humaines, faisant droit à leurs dimensions spirituelle, culturelle et sociale. » Il ne faut pas oublier que « les chrétiens ont largement contribué à former la conscience et la culture européennes ». Et « si l’Europe se construit en écartant la dimension transcendante de la personne, en particulier si elle refuse de reconnaître à la foi au Christ et au message évangélique leur force d’inspiration, elle perd une grande partie de son fondement. lorsque la symbolique chrétienne est bafouée et lorsque Dieu est écarté de la construction humaine, cette dernière est fragilisée, ca elle manque de bases anthropologiques et spirituelles. En outre, sans référence à la dimension transcendante, la démarche politique se réduit souvent à une idéologie. A l’inverse, ceux qui ont une vision chrétienne de la politique sont attentifs à l’expérience personnelle de la foi en Dieu chez leurs contemporains ; ils inscrivent leur démarche dans un projet qui place l’homme au centre de la société et ils ont conscience que leur engagement est un service de leurs frères, dont ils sont responsables devant le Maître de l’histoire.[…] L’amour d’autrui suscite des attitudes fraternelles et des relations solides entre les personnes et les peuples, pour que les principes du bien commun, de la solidarité et de la justice conduisent à un partage équitable du travail et des richesses, à l’intérieur de l’Union comme avec les pays qui ont besoin d’aide ; il faut une motivation spirituelle généreuse pour que l’Europe reste un continent ouvert et accueillant, et pour que la dignité de nos frères ne soit pas bafouée, car la raison d’être de la société est de permettre à chacun de mener « une vie véritablement humaine » (Jacques Maritain, L’homme et l’État, p.11). »⁠[177]

Il ne faut pas compter seulement sur les moyens humains : « Il est donc urgent qu’un grand mouvement de prière traverse les communautés ecclésiales du continent européen, en s’opposant au vent du sécularisme qui promeut et privilégie les moyens humains, l’efficacité à tout prix et une vision pragmatique de la vie. »⁠[178]

On ne fera jamais l’Europe sans la nouvelle évangélisation souhaitée depuis le début du pontificat, une réévangélisation profonde et respectueuse qui touche les consciences et les sociétés : Il n’y aura pas d’unité de l’Europe tant qu’elle ne sera pas fondée sur l’unité de l’esprit. Ce fondement très profond de l’unité fut apporté à l’Europe et renforcé tout au long des siècles par le christianisme avec son Évangile, sa compréhension de l’homme et sa contribution au développement de l’histoire des peuples et des nations. cela ne signifie nullement que le christianisme veuille s’approprier l’histoire. L’histoire de l’Europe est en effet un grand fleuve dans lequel se versent de nombreux affluents, et la diversité des traditions et des cultures qui la forment est sa grande richesse. les fondements de l’identité de l’Europe sont construits sur le christianisme. Et le manque actuel d’unité spirituelle de l’Europe vient principalement de la crise de cette autoconscience chrétienne. » C’est le Christ qui « a révélé à l’homme sa dignité » Il en est aussi le « garant ». Les saints patrons de l’Europe, les missionnaires⁠[179] ont introduit cette révélation dans la culture européenne : « Cette Bonne Nouvelle, les murs des églises, des abbayes, des hôpitaux et des universités la redisent. les livres, les sculptures et les peintures la proclamaient, les poésies et les œuvres des compositeurs l’annonçaient. C’est sur l’Évangile que reposaient les fondements de l’unité spirituelle de l’Europe.[…] Sans le Christ, il est impossible de comprendre l’homme. Aussi le mur qui se dresse aujourd’hui dans les cœurs, le mur qui divise l’Europe, ne sera-t-il pas abattu sans un retour à l’Évangile. Sans le Christ, en effet, il n’est pas possible de construire une unité durable. On ne peut la faire en se séparant des racines à partir desquelles les pays de l’Europe ont grandi, en se séparant de la grande richesse culturelle des siècles passés. Comment peut-on construire une « maison commune » pour toute l’Europe si elle n’est pas construite avec les briques que sont les consciences des hommes, cuites au feu de l’Évangile, unies par le lien d’un amour social solidaire, fruit de l’amour de Dieu ? »[180]

Le travail qui reste à accomplir est immense : ce qui reste à accomplir: « ne laisser aucune nation, pas même la moins puissante, en dehors de l’ensemble » ; « le renforcement des institutions démocratiques, le développement de l’économie, les coopérations internationales n’atteignent leur vrai but que s’ils garantissent une prospérité suffisante pour que l’homme puisse développer toutes les dimensions de sa personnalité […] créer les conditions d’une généreuse solidarité qui n’abandonne aucun citoyen au bord de la route, de permettre à chacun d’accéder à la culture, de reconnaître et de mettre en pratique les plus hautes valeurs humaines et spirituelles, de professer et de partager ses propres convictions religieuses. En avançant le long de ces voies, le continent européen renforcera sa cohésion, se montrera fidèle à ceux qui ont jeté les bases de sa culture et répondra à sa vocation séculaire dans le monde. »[181] Et encore : faire « obstacle aux réseaux occultes qui veulent profiter du grand marché européen pour blanchir l’argent de toute sorte de trafics qui sont indignes de l’homme, en particulier dans le domaine de la drogue, du commerce des armes et de l’exploitation des personnes, spécialement des femmes et des enfants. Les ressources, les richesses et les fruits de la croissance sur le continent, doivent pouvoir être affectés avant tout aux plus pauvres dans les différents pays, aux nations qui ont besoin de se développer davantage et qui sont actuellement encore marquées par les conséquences de la régression économique et des fluctuations des marchés financiers. » Les défis ne manquent pas : « la lutte contre le chômage, la protection de l’environnement », etc. Surtout « que la construction européenne ne soit pas d’abord une communauté d’intérêt, mais une communauté fondée sur des valeurs et sur la confiance mutuelle, plaçant l’homme au centre de tous les combats. » Pour cela, « développer toujours davantage chez nos contemporains une conscience européenne qui, prenant en compte les racines des peuples, les mobilisent pour qu’ils constituent une communauté de destin, grâce à une volonté politique qui s’attache à unir les peuples.. Une telle perspective ne pourra advenir que si l’on privilégie une vison globale de l’homme et de la société […​.] ».⁠[182]

Plus radicalement, il est indispensable de « réaffirmer le caractère non absolu des institutions politiques et des pouvoirs publics, précisément en raison de l’' « appartenance » prioritaire et innée de la personne humaine à Dieu. » Sans cela, « on risquerait de légitimer les orientations du laïcisme et de la sécularisation agnostique et athée qui conduisent à l’exclusion de Dieu et de la loi morale naturelle dans les divers domaines de l’existence humaine. » « La coexistence civile » en serait menacée « Doivent également être reconnus et sauvegardés l’identité spécifique et le rôle social de l’Église et des confessions religieuses. » Il faut donc « réagir à la tentation d’édifier la coexistence européenne en excluant la contribution des communautés religieuses, la richesse de leur message, de leur action et de leur témoignage : cela ôterait, entre autres, au processus de construction européenne des énergies importantes pour la fondation éthique et culturelle de la coexistence civile. »[183]

L’Europe demain

Dans un de ses derniers discours, Jean-Paul II nous livre son rêve d’Europe : « « Quelle est l’Europe dont on devrait rêver aujourd’hui ? […] une Europe sans nationalismes égoïstes, dans laquelle les nations sont considérées come les centres vivants d’une richesse culturelle qui mérite d’être protégée et promue au bénéfice de tous. […] une Europe dans laquelle les conquêtes de la science, de l’économie et du bien-être social ne sont pas orientées vers un consumérisme privé de sens, mais sont aux service de chaque homme dans le besoin et de l’aide solidaire pour les pays qui cherchent à atteindre l’objectif de la sécurité sociale. […] une Europe dont l’unité se fonde sur la véritable liberté. la liberté de religion et les libertés sociales murissent comme des fruits précieux sur l’humus du christianisme. Il n’ya pas de responsabilité sans liberté : ni devant Dieu, ni devant les hommes. […] une Europe unie grâce à l’engagement des jeunes » à condition que la famille se présente « comme une institution ouverte à la vie et à l’amour désintéressé […]. Une famille dont les personnes âgées font également partie intégrante en vue de ce qui est le plus important : la transmission active des valeurs et du sens de la vie. […] une entité politique, mais plus encore spirituelle, dans laquelle les hommes politiques chrétiens de tous les pays agissent dans la conscience des richesses humaines que la foi porte en elle […]. » ⁠[184]


1. L’Union s’élargit vers le sud avec l’adhésion de la Grèce en 1981, puis de l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Espagne[Espagne
2. Devant le Conseil de l’Europe, Jean-Paul II saluera « la première Assemblée parlementaire internationale constituée dans le monde ». (Discours du 8 octobre 1988, in DC n° 1971, 6 novembre 1988, pp. 1000-1005). Il saluera aussi d’autres institutions européennes comme autant de modèles : « la Cour et la Commission forment une réalité judiciaire unique en droit international et soient devenues un modèle que d’autres organisations régionales dans le mode s’efforcent d’imiter. Ces deux institutions témoignent que les nations membres du Conseil de l’Europe reconnaissent non seulement que les droits de l’homme et les libertés fondamentales prennent le pas sur les États qui ont pour tâche de veiller à ce qu’ils soient respectés mais que ces droits transcendent les frontières nationales elles-mêmes ». Ces doits impliquent « un ensemble de valeurs sous-jacentes que le Conseil appelle à juste titre le « patrimoine commun » d’idéaux et de principes des nations de l’Europe. » (Allocution devant la Cour européenne des droits de l’homme, 8 octobre 1988, in DC n° 1971, 6 novembre 1988, pp. 1004-1005).
3. Le Pape prend acte de toute cette évolution et s’en réjouit mais jamais il n’oublie que l’essentiel est au-delà ou en-deçà de ces réformes et structures: « Le passage à la monnaie unique et l’élargissement vers l’Est vont sans doute offrir à l’Europe - c’est en tout cas notre désir le plus cher - la possibilité de devenir de plus en plus une communauté de destin, une véritable « communauté européenne ». Cela suppose évidemment que les nations qui, la composent sachent concilier leur histoire avec un même projet, pour permettre à tous de se considérer comme des partenaires égaux, soucieux uniquement du bien commun. les familles spirituelles qui ont tant apporté à la civilisation de ce continent -je pense bien sûr au christianisme - ont un rôle qui me paraît de plus en plus décisif. Face aux problèmes sociaux qui maintiennent de larges franges des populations dans la pauvreté, face aux inégalités sociales qui sont un ferment d’instabilité chroniques ou face aux jeunes générations à la recherche de références dans un monde souvent incohérent, il est important que les Églises puissent proclamer la tendresse de Dieu et l’appel à la fraternité […​]. » (Discours au Corps diplomatique, 11 janvier 1999, in DC, n° 2197, 7 février 1999, 101-104).
4. Il estime que sa mission est de travailler au rapprochement des deux parties de l’Europe : « Le Christ ne veut-il pas, l’Esprit Saint ne dispose-t-il pas que ce pape polonais, ce pape slave, manifeste justement maintenant l’unité spirituelle de l’Europe chrétienne qui, débitrice des deux grandes traditions de l’ouest et de 'est, professe grâce aux deux « une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous » (Ep 4, 5-6), le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ ? » (Homélie à Gniezno, 3 juin 1979, DC n° 1767, 1er juillet 1979, p. 612).
5. A côté de saint Benoît. Jean-Paul II insistera sur l’apport de st Benoît et de ses fils à la civilisation européenne dans son Homélie lors de la célébration des vêpres à l’abbaye de Pannonhalma (Hongrie), 6 septembre 1996, in DC, n° 2145, 6 octobre 1996, pp. 818-820.
6. Lettre apostolique Egregiae virtutis, 31 décembre 1980. Cf. également l’homélie prononcée le 14 février 1985 à l’Ouverture du « Jubilé » des apôtres des Salves, in DC n° 1893, 7 avril 1985, pp. 367-369 ; la lettre encyclique Slavorum Apostoli, 2 juin 1985, in DC n°1900, 21 juillet 1985, pp.717-728 ; l’homélie prononcée pour la clôture du jubilé des saints Cyrille et Méthode, 14 février 1985, in DC n° 1908, 15 décembre 1985, pp. 1153-1155 ; la Lettre apostolique Euntes in mundum, à l’occasion du millénaire du baptême de la Rus’ de Kiev, 25 janvier 1988, in DC n° 1960, 17 avril 1988, pp. 383-390. Sts Cyrille et Méthode représentent les « deux immenses traditions » qui forment ensemble l’Europe chrétienne. (Homélie de la messe dans la basilique de Velehrad (Tchéquie), 22 avril 1990, in DC n° 2007, 3 juin 1990, pp. 550-552).
   Déjà le 7 juillet 1952, en la fête précisément de Saints Cyrille et Méthode, Pie XII adressait à tous les peuples de Russie une lettre apostolique déjà citée. Il y évoque le temps où « la chrétienté orientale et l’occidentale étaient unies sous l’autorité du Pontife romain, comme Chef Suprême de toute l’Église ». Dans son Radio-message de Noël 1950, il affirmait déjà : « Orient et Occident ne représentent pas des principes opposés, mais participent à un commun héritage ».
7. Lettre apostolique Spes aedificandi, 1er octobre 1999. (Voir aussi l’homélie prononcée le même jour, in DC n° 2213, 7 novembre 1999, pp. 931-933).
8. Jean-Paul II précise à propos de sainte Brigitte: « En la désignant comme co-patronne de l’Europe, j’entends faire en sorte que la sentent proche d’eux non seulement ceux qui ont reçu la vocation à une vie de consécration spéciale, mais aussi ceux qui sont appelés aux occupations ordinaires de la vie laïque dans le monde et surtout à la haute et exigeante vocation de former une famille ». Catherine Sienne qui connut « un parcours rapide de perfection entre prière, austérité et œuvres de charité », elle déploya une extraordinaire activité apostolique, résolvant, en Italie et à travers l’Europe, des conflits temporels et religieux, invitant hommes princes et ecclésiastiques de quelque niveau qu’ils soient à la réforme des mœurs. Quant à Edith Stein, sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, « non seulement elle passa sa vie dans divers pays d’Europe, mais par toute sa vie d’intellectuelle, de mystique, de martyre, jeta comme un pont entre ses racines juives et l’adhésion au Christ, s’adonnant avec une intuition sûre au dialogue avec la pensée philosophique contemporaine et, en fin de compte, proclamant par son martyre les raisons de Dieu et de l’homme face à cette honte épouvantable qu’est la « Shoah ». Elle est devenue ainsi l’expression d’un pèlerinage humain, culturel et religieux qui incarne le cœur insondable de la tragédie et des espoirs du continent européen. » (Id.)
9. « nous n’avons pas manqué, mes prédécesseurs et moi-même, de donner notre appui à la réalisation du grand projet de rapprochement et de coopération des États et des peuples de l’Europe. » (Discours aux présidents des Parlements de l’Union européenne, 23 septembre 2000, in DC, 2234, 15 octobre 2000, pp. 861-862).
10. Exhortation apostolique post-synodale, 28 juin 2003.
11. Question posée par BERT Thierry in Communio, n° XV, 3-4, mai-août 1990, pp18-56.
12. Discours à une Commission parlementaire du Conseil de l’Europe, 17 mars 1988, in DC n° 1961, 1er mai 1988, pp. 440-441. Jean-Paul II met en évidence le « grand intérêt avec lequel l’Église, et particulièrement le Saint-Siège, suit les efforts pour donner à l’Europe une nouvelle conscience et une nouvelle forme à partir de son riche héritage historique et face aux défis décisifs de notre temps. » (Allocution aux membres du Cercle Bergedorf, 17 décembre 1984, in DC n°1890 17 février 1985, pp. 226-227). Ce cercle de discussion allemand (Bergedorfer Gesprächskreis) a été fondé par l’industriel K.A. Körber (1909-1992) et réunit régulièrement des politiciens de haut rang et des experts internationaux dans diverses grandes villes d’Allemagne, d’Europe et d’ailleurs. Ce cercle s’intéresse non seulement à la politique allemande mais aussi internationale et a consacré certains de ses travaux à l’Europe. On y a vu Willy Brandt, Jacques Delors ou encore Angela Merkel. Actuellement, les discussions portent sur la politique étrangère allemande et européenne dans trois régions : l’Asie, l’Europe et le Moyen-Orient. Plus de 3000 dirigeants politiques, des responsables gouvernementaux et des experts d’Europe, d’Asie, du Moyen-Orient et les États-Unis ont participé à plus de 150 cercles Bergedorf.
(cf. http://www.koerber-stiftung.de/internationale-politik/bergedorfer-gespraechskreis/portraet.html).
13. Et tout particulièrement les hommes d’Église aujourd’hui comme l’atteste le rassemblement régulier de tous les évêques d’Europe pour réfléchir à l’avenir du continent. Lors d’une de ces réunions, Jean-Paul II souligne le symbole fort offert par ce symposium qui, lui-même « fait apparaître un visage original de l’Europe et allume une espérance pour toute l’Europe ». Il « atteste, en effet, la vocation de l’Europe à la fraternité et à la solidarité de tous les peuples qui la composent depuis l’Atlantique jusqu’à l’Oural. » (Allocution au Symposium des évêques, le 5 octobre 1982, in DC n° 1842, 19 décembre 1982, pp. 1152-1154.
14. Discours à un Congrès culturel européen, 21 avril 1986, in DC n° 1919, 1er juin 1986, pp. 533-534.
15. Allocution aux membres du Cercle Bergedorf, 17 décembre 1984, DC n°1890 17 février 1985, pp. 226-227.
16. Discours au Conseil des Conférences épiscopales d’Europe (CCEE), 19 décembre 1978.
17. L’« Acte européen » à Saint-Jacques-de-Compostelle, 9 novembre 1982, in DC n° 1841, 5 décembre 1982, pp1128-1130.
18. Lettre aux présidents des Conférences épiscopales d’Europe, 2 janvier 1986, in DC, n° 1912, 16 février 1986, pp. 183-184.
19. Allocution au Symposium des évêques 5 octobre 1982, in DC n° 1842, 19 décembre 1982, pp. 1152-1154.
20. Discours à une Commission parlementaire du Conseil de l’Europe, 17 mars 1988, in DC n° 1961, 1er mai 1988, pp. 440-441.
21. Discours sur la crise de l’Occident et la mission spirituelle de l’Europe, 12 novembre 1981, in DC 6 décembre 1981, n° 1819, pp. 1056-1057.
22. Allocution aux présidents des Parlements de la Communauté européenne, 26 novembre 1983, in DC n° 1865, 1er janvier 1984, pp. 7-8. « La puissance économique dont dispose l’Europe en fait une des régions favorisées dans le monde, malgré les problèmes réels qu’elle connaît. Cette situation crée une responsabilité dans les relations Nord-Sud où la justice humaine s’impose également. » (Discours aux représentants des institutions européennes à Luxembourg, 15 mai 1985, in DC n° 1898, 16 juin 1985, pp. 653-658).
23. Allocution aux membres du Cercle Bergedorf, 17 décembre 1984, DC n°1890 17 février 1985, pp. 226-227. « Le monde a besoin d’une Europe qui devienne à nouveau consciente de ses fondements chrétiens et de son identité, et en même temps soit prête à modeler, à partir de là, son propre présent et son propre avenir. L’Europe a été le premier continent auquel le christianisme a été confié en profondeur et qui a ainsi fait l’expérience d’un essor spirituel et culturel irremplaçable. » Discours sur la crise de l’Occident et la mission spirituelle de l’Europe, 12 novembre 1981, DC 6 décembre 1981, n° 1819, pp. 1056-1057.
24. Allocution aux membres du Cercle Bergedorf, 17 décembre 1984, DC n°1890 17 février 1985, pp. 226-227.
25. Id..
26. Lettre apostolique Egregiae virtutis, 31 décembre 1980, DC n° 1801, 1er février 1981, p. 110: « L’Europe, dans son ensemble géographique, est, pour ainsi dire, le fruit de l’union de deux courants de tradition chrétienne auxquels s’ajoutent aussi deux formes de cultures diverses, mais en même temps profondément complémentaires ». L’une « plus logique et plus rationnelle », l’autre « plus mystique et plus intuitive ». L’Europe a « « deux poumons » - l’Orient et l’Occident - sans lesquels l’Europe ne pourrait respirer. » (Discours aux cardinaux et à la Curie romaine, 22 décembre 1989, in DC n° 1999, 4 février 1990, pp. 103-107).
27. Beaucoup se sont interrogés sur l’origine de cette expression. Plusieurs l’ont attribuée à Mikhaïl Gorbatchev qui l’a employée dans un discours, le 6 juillet 1989, devant le Conseil de l’Europe. Mais le journal Le Monde, le 9 octobre 2003, s’est livré à une enquête qui relève que « les plus érudits au Vatican assurent que le premier à avoir jamais employé l’expression de « maison commune européenne » est l’ancien maire de Florence, M. Giorgio La Pira, haute figure du catholicisme italien canonisé de son vivant, qui, devant Krouchtchev en 1960, avait eu cette formule : « Il n’y aura pas de vraie maison commune pour l’homme en Europe, s’il n’y a pas aussi, dans votre cité, de maison pour Dieu. » » (http://www.lemonde.fr/europe/article/2003/10/09/jean-paul-ii-et-mikhail-gorbatchev_337444_3214.html). Pourtant, dans La Libre Belgique du 14 mars 1991, le journaliste français Paul Collowald qui fut directeur général de l’information à la Commission européenne et au parlement européen de même que directeur de cabinet du président du Parlement européen Pierre Pfimlin (1984-1987), révélait que, lors d’un discours prononcé le 12 juin 1961, à Hanovre, le chancelier Konrad Adenauer avait déclaré : « Notre objectif est que l’Europe devienne une grande maison pour tous les Européens, une maison de la liberté. » poussant plus loin ses investigations, le journaliste découvrit que, déjà en avril 1951, Konrad Adenauer, venu à Paris pour la signature du traité CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) avait parlé du « jour pas si éloigné où les peuples pourront s’unir dans une maison commune qui porte le nom très vénéré d’Europe. »
   Il semble sûr évidemment que Gorbatchev et Adenauer ne donnaient le même sens à l’expression « maison commune ». Ainsi l’ambassadeur d’URSS à Bruxelles, Félix Petrovitch Bogdanov dans une conférence intitulée « La maison commune européenne » (dans le cadre des « Conférences de Bruxelles », le lundi 19 mars 1990), précisa que la vraie dimension de la maison commune allait de Vladivostock à San Francisco ! De son côté, Mme Natalia Doubinina, de l’Institut de l’Europe et de l’Académie des sciences, interrogée sur la « maison commune », dans le cadre d’un colloque (« Réalités européennes du présent », 5 et 6 octobre 1990) expliqua avec beaucoup de loyauté intellectuelle que le concept de M. Gorbatchev restait un « cadre », volontairement encore très vague, et que cette nouvelle approche constituait essentiellement, à ce stade, un « appel aux Européens ». (link:http://www.cvce.eu/obj/"la_maison_commune_recherche_de_paternite"_dans_la_libre_belgique_14_mars_1991- fr-c8fbc2d3-a88c-46c4-8507-88138ddbf926.html).
28. Discours aux cardinaux et à la Curie romaine, 22 décembre 1989, in DC n° 1999, 4 février 1990, pp. 103-107.
29. Homélie prononcée pendant la messe à Gniezo (Pologne), le 3 juin 1979, in DC, n° 1767, 1er juillet 1979, pp. 610-612. le 3 juin 1997, à Gniezo, de nouveau, Jean-Paul II présentera cette homélie comme le programme de son pontificat : « Aujourd’hui, dix-huit ans plus tard, il nous faudrait revenir à cette homélie de Gniezo qui, en un certain sens, est devenue le programme de mon pontificat. Mais elle fut avant tout une humble lecture des desseins de Dieu concernant les vingt-cinq dernières années de notre millénaire. » Enfin, « un demi-siècle de séparation a pris fin » (Homélie à Gniezno lors de la célébration du millénaire de saint Adalbert, 2 juin 1997, in DC n° 2164, 20 juillet 1997, pp. 664-667).
30. Le 5 avril 1979.
31. Discours devant le parlement européen, 11 octobre 1988.
32. Homélie au sanctuaire marial de Covadonga (Espagne), 20 août 1989, in DC n° 1991, 1er octobre 1989, pp. 843-845.
33. C’est l’« Acte européen » à Saint-Jacques-de-Compostelle, 9 novembre 1982 (in DC n° 1841, 5 décembre 1982, pp. 1128-1130) qui a été la cible de critiques. Pourquoi cette importance accordée à Compostelle ? Parce que Compostelle « a été dans le passé un centre d’attraction et de convergence pour l’Europe et toute la chrétienté. C’est pourquoi j’ai voulu rencontrer ici les éminents représentants des organismes européens, des évêques et des organisations du continent. » (L’« Acte européen » à Saint-Jacques-de-Compostelle, le 9 novembre 1982, in DC n° 1841, 5 décembre 1982, pp1128-1130). Et voici le cœur de cet « appel » : « je lance vers toi, vieille Europe, un cri plein d’amour : Retrouve-toi toi-même. Sois toi-même. Découvre tes origines. Avive tes racines. Revis ces valeurs authentiques qui ont rendu ton histoire glorieuse, et bienfaisante ta présence sur les autres continents. Reconstruis ton unité spirituelle, dans un climat de plein respect des autres religions et des libertés authentiques. Rends à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Ne t’enorgueillis pas de tes conquêtes au point d’en oublier leurs éventuelles conséquences négatives. Ne te laisse pas abattre par la perte quantitative de ta grandeur dans le monde, ou par les crises sociales et culturelles qui te touchent aujourd’hui. Tu peux être encore un phare de civilisation et de progrès pour le monde. les autres continents te regardent et attendent aussi de toi la réponse que saint Jacques a donnée au Christ : « Je le peux ».(Id.) Cet appel très mal perçu par certains : sous la direction de LUNEAU René avec la collaboration de LADRIERE Paul, a été publié un livre intitulé Le rêve de Compostelle, Vers la restauration d’une Europe chrétienne ? (Centurion, 1999). Né en 1932, le Père dominicain René Luneau a vécu longtemps en Afrique et a professé à l’Institut catholique de Paris. Paul Ladrière est un sociologue, né en 1927. Dans ce livre, les auteurs s’inquiètent du projet de « nouvelle évangélisation de l’Europe » telle que la conçoit du moins Jean-Paul II. Ils émettent des « réserves » « à la fois sur la conception que le pape se fait de l’identité européenne et de son histoire […​] et sur le pessimisme radical de son jugement sur la « modernité » du monde […​]. » (p. 17). Ils soulignent l’ « autoritarisme » manifesté dans la mise en œuvre de cette évangélisation (p. 20), « la situation conflictuelle » dans laquelle se trouve l’Église (p. 21) dont une partie est mal à l’aise face à « cette mobilisation générale » (p. 36) et le fait que le projet de réévangélisation ne prend pas « suffisamment en compte la réalité présente du monde et plus encore les bouleversements démographiques, éthiques, économiques, culturels » à venir (p. 22). Pour R. Luneau, la vision que le pape a de l’Europe heurte certains chrétiens non-européens dont les peuples ont eu à souffrir l’emprise européenne. de plus, l’Europe moderne « n’est pas née de la chrétienté elle-même mais de son éclatement » ( p. 39). La sécularisation dénoncée par la Pape, historiquement n’est pas nécessairement un mal ; qui plus est, pour beaucoup de chrétiens, la sécularisation « marque un temps bénéfique de la maturité de l’homme » (p 47). d’une manière générale, l’Europe occidentale n’est pas aussi pervertie qu’on le dit. En bref, Jean-Paul II est fort proche de Pie XII, marqué lui-même par Vladimir Soloviev et le messianisme polonais (cf. MICHEL Patrick, Messianisme polonais et histoire contemporaine, in Le rêve de Compostelle, op. cit., pp. 52-67. P. Michel est sociologue et politologue).
   V. Soloviev est un philosophe et un poète russe (1853-1900) qui donnait à la Pologne la mission de servir le catholicisme. Jean-Paul II cite son nom parmi d’autres auteurs in Discours aux membres d’un Colloque international, 6 novembre 1981, ( DC n° 1819, 6 décembre 1981, p. 1055).
34. L’« Acte européen » à Saint-Jacques-de-Compostelle, le 9 novembre 1982, in DC n° 1841, 5 décembre 1982, pp. 1128-1130.
35. A Strasbourg, le 11 octobre 1988, in DC n° 1971, pp. 1043-1046. Dans ce discours, Jean-Paul II explique les principes d’une saine laïcité qui s’exprime dans la distinction des pouvoirs, distinction qui offre un espace de liberté à la conscience éclairée comme à la religion. Constatant qu’il existe une « tension constante » entre croyants et agnostiques ou athées, il montre que « devant cette diversité des points de vue, la fonction la plus élevée de la foi est de garantir également à tous les citoyens le droit de vivre en accord avec leur conscience et de ne pas contredire les normes de l’ordre moral naturel reconnues par la raison. » Principe bien établi dans la déclaration Dignitatis humanae: « c’est dans l’humus du christianisme que l’Europe moderne a puisé le principe - souvent perdu de vue pendant les siècles de « chrétienté » - qui gouverne le plus fondamentalement sa vie publique […​] « . Dans la relative autonomie de la conscience et de la religion, il n’est « plus possible d’idolâtrer la société […​] La société, l’État, le pouvoir politique appartiennent au cadre changeant et toujours perfectible de ce monde […​]. La vie publique, le bon ordre de l’État reposent sur la vertu des citoyens, qui invite à subordonner les intérêts individuels au bien commun, à ne se donner et à ne reconnaître pour loi que ce qui est objectivement juste et bon. Déjà les anciens Grecs avaient découvert qu’il n’y a pas de démocratie sans assujettissement de tous à la loi, et pas de loi qui ne soit fondée sur une norme transcendante du vrai et du juste. Dire qu’il revient à la communauté religieuse, et non à l’État, de gérer « ce qui est à Dieu », revient à poser une limite salutaire au pouvoir des hommes, et cette limite est celle du domaine de la conscience, des fins dernières, du sens ultime de l’existence, de l’ouverture sur l’absolu, de la tension vers un achèvement jamais atteint, qui stimule les efforts et inspire les choix justes. » Est donc dangereuse « l’exclusion de Dieu de la vie publique, de Dieu comme ultime instance de l’éthique et garantie suprême contre tous les abus du pouvoir de l’homme sur l’homme. » Ainsi, depuis près de deux mille ans, « l’Europe offre un exemple très significatif de la fécondité culturelle du christianisme qui, de par sa nature, ne peut être relégué dans la sphère privée. » Dès lors,
   « si le substrat religieux et chrétien de ce continent devait en venir à être marginalisé dans son rôle d’inspirateur de l’éthique et dans son efficacité sociale, c’est non seulement tout l’héritage du passé européen qui serait nié, mais c’est encore un avenir digne de l’homme européen -[…​] de tout homme européen, croyant ou incroyant - qui serait compromis. »
36. « Sans céder à aucune tentation de nostalgie, et en ne se contentant pas non plus d’une reproduction mécanique des modèles du passé, mais en s’ouvrant aux nouveaux défis présents, il faudra donc s’inspirer, avec une fidélité créative, des racines chrétiennes qui ont marqué l’histoire européenne. » (Message aux participants au Congrès européen « Vers une constitution européenne ? », 20 juin 2002, in DC n° 2283, 5 janvier 2003, pp. 22-24).
37. « La marginalisation des religions, qui ont contribué et contribuent encore à la culture et à l’humanisme dont l’Europe est légitimement fière, me paraît être à la fois une injustice et une erreur de perspective ? reconnaître un fait historique indéniable ne signifie pas du tout méconnaître l’exigence moderne d’une juste laïcité des États, et donc de l’Europe. » (Discours au corps diplomatique, janvier 2002). La principale opposition à la reconnaissance des « racines chrétiennes de l’Europe » vient de « la prédominance , au sein de l’Union, « d’une certaine conception de la laïcité d’inspiration française » (La Convenzione europea, in La Cività cattolica, 20 avril 2001, p. 110, citée in CHENAUX, op. cit., p. 202.)
   « Face aux différentes solutions possibles de ce « processus » européen complexe et important, l’Église » n’a pas « qualité pour exprimer une préférence de l’une ou l’autre solution institutionnelle ou constitutionnelle » et respecte « l’autonomie légitime de l’ordre démocratique (CA 47).[…​] Dans le même temps, […​] elle ne peut rester indifférente face aux valeurs qui inspirent les divers choix institutionnels. » (Message aux participants au Congrès européen « Vers une constitution européenne ? », 20 juin 2002, in DC n° 2283, 5 janvier 2003, pp. 22-24).
38. Id..
39. Homélie à l’occasion du XVe centenaire de la naissance de saint Benoît, 23 mars 1980, in DC n° 1784, 20 avril 1980, p.354.
40. Homélie cathédrale de Spire (Allemagne), 4 mai 1987.
41. Discours aux représentants des institutions européennes à Luxembourg, 15 mai 1985, in DC n° 1898, 16 juin 1985, pp. 653-658.
42. Discours au Conseil fédéral du « Mouvement européen », 28 mars 1987, in DC n° 1941, 7 juin 1987, pp. 596-598.
43. « les aspects politiques et économiques sont au premier plan de l’actualité, mais il serait vraiment réducteur d’en rester là. Les laïcs chrétiens qui prennent part à la construction européenne peuvent y apporter la dimension morale et spirituelle sans laquelle beaucoup d’espoirs seraient rendus vains. » (Discours aux évêques français de la région « Ouest », 14 février 1992, in DC n° 2047, 5 avril 1992, pp. 303-305).
44. L’« Acte européen » à Saint-Jacques-de-Compostelle, le 9 novembre 1982, in DC n° 1841, 5 décembre 1982, pp1128-1130. A plusieurs reprises, Jean-Paul II renverra ses auditeurs à cet « acte européen » (Cf. Discours aux représentants du monde de la culture à Florence, 18-19 octobre 1987, in DC n° 1931, pp. 19-23).
45. Jean-Paul II cite parmi eux : Jean Monnet, Robert Schuman, Alcide de Gasperi, Konrad Adenauer, Winston Churchill, Paul-Henri Spaak.
46. Discours au siège de la Communauté économique européenne à Bruxelles, 20 mai 1985, in DC n° 1899, 7 juillet 1985, pp. 694-697. Le Pape se réjouira de l’entrée en vigueur du « Marché unique » qui « va hâter le processus de l’intégration européenne ». L’Europe « sera celle de la libre association de tous ses peuples et de la mise en commun des multiples richesses de sa diversité.[…​] Une Europe unie […​] sera en mesure, plus encore que par le passé, de consacrer ressources et énergies nouvelles à la grande tâche du développement des pays du tiers-monde, spécialement ceux qui entretiennent déjà avec elle des liens traditionnels. » A ce point de vue, Jean-Paul II considérera la « Convention de Lomé » « à bien des égards exemplaire ». (Discours au Parlement européen à Strasbourg, 11 octobre 1988, in DC n° 1971, pp. 1043-1046). La convention de Lomé est un accord de coopération commerciale signé le 28février 1975 entre la CEE et 46 pays d’https://fr.wikipedia.org/wiki/Afrique[Afrique
47. Allocution lors du « Regina Coeli » à Ravenne, 11 mai 1986, in DC n° 1924, pp. 636-637. « L’Europe n’est pas une entité abstraite, ni seulement un marché ou un espace de libre circulation, c’est avant tout une communauté d’hommes. Il n’y a pas de communautés sans le sentiment d’une communauté de destin. C’est à la poursuite du destin de l’Europe, qui est aussi celui de l’homme et de la civilisation humaine, que l’Église désire apporter sa contribution spécifique. » (Discours à l’aéroport de Bâle-Mulhouse, 11 octobre 1988, in DC, n° 1971, 6 novembre 1988, p1049-1050).
48. Discours au parlement européen à Strasbourg, 11 octobre 1988, in DC n° 1971, pp. 1043-1046.
49. Discours aux représentants du monde de la culture, aux étudiants et aux représentants des Églises non catholiques, 21 avril 1990, in DC n° 2007, 3 juin 1990, pp. 545-549.
50. JP II a fait longuement l’histoire de ce continent avec ses lumières et ses ombres relevées époque par époque : c’est une « histoire terrible et belle »,dira-t-il. Il l’a décrite que l’Europe « prenne une conscience plus claire de ce qu’elle est, de ce que porte sa mémoire collective d’un passé log et tumultueux, pour ne pas subir son destin comme le produit du hasard, mais construire librement son avenir comme un projet. Et ce projet ne peut que se fonder sur les héritages de l’histoire. En les considérant, il faut se garder d’en exalter les lumières sans y voir les pans d’ombre, et, si l’on explore les zones obscures, de renier ce qu’ont apporté de solide et de bon les siècles précédents. » (Discours au siège de la Communauté économique européenne à Bruxelles, 20 mai 1985, in DC n° 1899, 7 juillet 1985, pp. 694-697).
51. Monseigneur Lustiger qui fut créé cardinal par Jean-Paul II en 1983,évoque « un fantôme » qui « plane sur l’Europe et son passé, la mauvaise conscience d’une réussite éclatante qui contredit les principes mêmes grâce auxquels elle a pu s’accomplir : l’affirmation de la liberté qui se change en volonté de domination, la recherche de l’égalité qui engendre l’asservissement, la proclamation de la fraternité, source de tant de luttes sanglantes et de divisions sans espoir. » Il rappelle que la domination été le destin de l’Europe : « la domination des maîtres et la violence faite aux esclaves » qui aboutit à une « idéologie de race ». La révolte des esclaves devenue « idéologie de classe ». Deux guerres mondiales. Le combat de l’Est et de l’Ouest. L’enrichissement des uns qui appauvrit les autres. « Voici qu’à présent, comme épuisée de violence, elle ne donne plus que parcimonieusement la vie. L’Europe meurtrie tarit les sources de la vie. la fécondité de l’amour se trouve attaquée et les fruits de l’amour avortent. […​] La violence des maîtres et des esclaves, l’enrichissement des riches et l’appauvrissement des pauvres se redoublent dans la détresse du couple humain dont l’amour est sans la vie et la vie sans amour. Domination et séduction se disputent l’homme et la femme dans une Europe plus inquiète de survivre que de payer le prix de la vie. » (Les conditions spirituelles d’un avenir pour l’Europe, Allocution à Bonn, 8 octobre 1981, in DC, n° 1817, 1er novembre 1981, pp. 981-982).
52. Au XVIe siècle, « l’Europe commença à subir un changement qui entraîna une modification profonde de sa physionomie. Son unité, déjà fragile et instable, commença à connaître un irrésistible déclin. » (Allocution aux promoteurs d’un Congrès pour le Ve centenaire de Luther, 24 mars 1984, in DC n° 1874, 20 mai 1984, pp. 506-507).
53. Allocution aux « Vêpres européennes », Vienne, 10 septembre 1983, in DC, n° 1860, 16 octobre 1983, pp. 917-918.
54. Jean-Paul II dénonce les dérives où les chrétiens « ont eu leur part » : individualisme, égoïsme, nationalisme, racisme, totalitarismes, matérialisme pratique. (Discours devant le Conseil de l’Europe, 8 octobre 1988, in DC n° 1971, 6 novembre 1988, pp. 1000-1005). Le lecteur qui souhaiterait davantage de précisions sur l’histoire de l’évangélisation de l’Europe, ses ombres et ses lumières, peut lire le Discours à la réunion de préparation au Synode des évêques d’Europe, 5 juin 1990, in DC n° 2010, 15 juillet 1990, pp. 684-688. On y trouve une histoire de l’évangélisation de l’Europe avec ses ombres et ses lumières, puis le passage du théocentrisme à l’athéisme et enfin les tragédies du XXe siècle.
55. « l’hédonisme d’une société de consommation permissive » (Discours au VIIe Symposium des évêques d’Europe, 17 octobre 1989, in DC n° 1994, 19 novembre 1989, pp. 1020-1022).
56. Jean-Paul II dénoncera la « technicisation croissante des moments fondamentaux de la vie », la légalisation de l’avortement qui mène à estimer que le légal est licite. (Discours au VIIe Symposium des évêques d’Europe, 17 octobre 1989, in DC n° 1994, 19 novembre 1989, pp. 1020-1022).
57. L’« Acte européen » à Saint-Jacques-de-Compostelle, le 9 novembre 1982, in DC n° 1841, 5 décembre 1982, pp1128-1130. Jean-Paul II rappellera que « des lignes de division traversent le continent entre l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud ». (Allocution au Symposium des évêques, le 5 octobre 1982, in DC n° 1842, 19 décembre 1982, pp. 1152-1154.
58. Discours aux membres d’un Colloque international sur « Les racines chrétiennes communes des nations européennes », 6 novembre 1981, in DC n° 1819, 6 décembre 1981, pp. 1054-1056.
59. Discours à un Congrès culturel européen, 21 avril 1986, in DC n° 1919, 1er juin 1986, pp. 533-534. Jean-Paul II reviendra à de multiples reprises sur les maux dont souffre l’Europe actuelle : la surabondance des biens, la consommation, le modèle familial mis à mal, le mariage dénaturé par le subjectivisme et l’individualisme, la dénatalité, le vieillissement démographique, l’avortement. L’homme européen est « sécularisé », « tellement engagé dans la tâche d’édifier la cité terrestre qu’il a perdu de vue ou même qu’il exclut volontairement la « cité de Dieu. […​] L’individu veut recevoir seulement de sa propre raison autonome ses fins, ses valeurs, la signification de sa vie et de son activité », il devient conformiste et solitaire, oublieux de son histoire. Or, « l’amnésie de son propre acte de naissance et de son propre développement organique est toujours un risque et peut même conduire à l’aliénation ». ( Discours du Pape aux participants au Symposium, 11 octobre 1985, in DC n° 1906, 17 novembre 1985, pp. 1083-1087.) Il dira encore : « En Europe, continent « chrétien », le sens moral s’affaiblit, le mot même de « commandement » est souvent récusé. Au nom de la liberté, les normes sont récusées, l’enseignement moral de l’Église est ignoré. » (JEAN-PAUL II, Homélie au stade de la Meinau, 8 octobre 1988, in DC n° 1971, 6 novembre 1988, pp. 1016-1019).
60. Homélie pour la clôture du Synode pour l’Europe, 23 octobre 1999.
61. Allocution aux évêques polonais, 5 juin 1979.
62. « Les hommes et les femmes de ce vieux continent à l’histoire si tourmentée ont besoin de reprendre conscience de ce qui fonde leur identité commune, de ce qui demeure comme leur vaste mémoire partagée. […​]
   « L’identité européenne n’est pas une réalité facile à cerner. Les sources lointaines de cette civilisation sont multiples, venant de la Grèce et de Rome, des fonds celtes, germaniques et slaves, du christianisme qui l’a profondément pétrie ». Il y a, en effet, en Europe, une grande diversité de langues, de cultures, de traditions juridiques. (Discours devant le Conseil de l’Europe, 8 octobre 1988, in DC n° 1971, 6 novembre 1988, pp. 1000-1005).
63. « Quel est cet héritage ? Pensons un moment aux valeurs fondamentales de notre civilisation : la dignité de la personne, le caractère sacré de la vie, le rôle central de la famille, l’importance de l’instruction, la liberté de pensée, de parole et de profession de ses propres convictions ou de sa propre religion, la protection légale des individus et des groupes, la collaboration de tous pour le bien commun, le travail compris comme participation à l’œuvre même du Créateur, l’autorité de l’État gouverné à la foi par les lois et la raison. Ces valeurs appartiennent au trésor culturel de l’Europe, un trésor qui est le résultat de longues réflexions, de débats et de souffrances. Elles représentent une conquête spirituelle de raison et de justice qui fait honneur aux peuples d’Europe qui cherchent à mettre en pratique, dans le domaine temporel, l’esprit chrétien de fraternité enseigné par l’Évangile.
   Les universités devraient être le lieu spécial pour donner lumière et chaleur à ces convictions qui sont enracinées dans le monde gréco-romain, et qui ont été enrichies et élevées par la tradition judéo-chrétienne. C’est une telle tradition qui a développé une idée plus haute de la personne humaine vue comme image de Dieu, rachetée par le Christ et appelée à un destin éternel, dotée de droits inaliénables et responsable du bien commun de la société. les débats théologiques relatifs à la double nature du Christ ont permis l’élaboration d’un concept de la personne humaine qui est la pierre d’angle de la civilisation occidentale.
   L’individu a été de cette façon placé dans un ordre naturel de la création avec des conditions et des exigences objectives. la position de l’homme n’est plus confiée au caprice des gouvernants et des idéologies, mais s’appuie sur une loi naturelle universelle objective. »
   ( Discours à l’université d’Uppsala (Suède), 9 juin 1989, in DC n° 1988, 16 juillet 1989, pp. 700-703).
64. Jean-Paul II - est-ce une surprise ? - inscrit son action en continuité avec ses prédécesseurs et Paul VI notamment : « J’ai eu la chance de participer au Symposium de 1975 et d’y prononcer une conférence. Je désire rappeler au moins quelques-unes des pensées qu’avait alors exprimées Paul VI en nous recevant. Il s’agissait de pensées regardant l’Europe, son héritage chrétien et son avenir chrétien. Il nous invitait à « réveiller l’âme chrétienne de l’Europe où s’enracine son unité » ; à purifier et à ramener à leur source les valeurs évangéliques encore présentes mais comme désarticulées, axées sur des objectifs purement terrestres ; à réveiller et fortifier les consciences à la lumière de la foi prêchée à temps et à contre temps ; à faire converger leur flamme par dessus toutes les barrières ». (Discours au Conseil des Conférences épiscopales d’Europe (CCEE), 19 décembre 1978.
65. Le pape renvoie à GS 37.
66. Allocution au Symposium des évêques, 5 octobre 1982, in DC n° 1842, 19 décembre 1982, pp. 1152-1154.
67. Selon Ysabel de Andia, « l’image des « racines », préférée à celle de « source », indique bien cette pénétration ou cette fondation du christianisme dans la « terre » dont il emprunte le suc. d’autre part le pluriel marque la multiplicité des « points de pénétration » du christianisme dans cette terre. » (Les racines chrétiennes de l’Europe, in Communio, XV, 3-4, mai-août 1990, p. 99, note 17).
68. Le 11 octobre 1988.
69. Il y reviendra très souvent. Quelques exemples: « Quand on regarde les 2000 ans écoulés, on ne peut pas ne pas voir un dessein de Dieu dans le fait que l’Europe, bien qu’elle n’ait pas été le lieu du premier Avènement du Christ, est cependant le continent où le christianisme s’est le plus profondément enraciné.[…​] « Depuis lors, le christianisme s’est situé aux racines mêmes de l’Europe, qui est devenue ainsi le continent « missionnaire » par excellence. » (Lettre au président du CCEE, 1er septembre 1993, in DC n° 2080, 17 octobre 1993, pp. 879-880). « Depuis 2000 ans, le christianisme a enfoncé ses racines dans les nations de notre continent et il est devenu le germe salvifique de la vie, de la culture et de la civilisation européennes. Cela ne vaut pas seulement pour le passé. S’il est vrai que la civilisation européenne, spécialement la civilisation moderne, a eu de multiples racines, il n’en est pas moins vrai qu’elle a grandi avant tout à partir de racines chrétiennes ». En témoignent « les œuvres de la culture et de l’art, présentes partout, mais aussi par le témoignage de nombreux saints et bienheureux […​]. » (Homélie lors de la messe au sanctuaire marial de Lorette, 10 septembre 1995, in DC n° 2124, 15 octobre 1995, pp. 870-873).
70. Cf. Europe, la voie romaine, Criterion/Idées, 1992 ou l’article Le christianisme comme forme de la culture européenne, in Communio, n° XXX, 3, mai-juin 2005, qui reprend brièvement les idées développées dans l’ouvrage cité.
71. Le christianisme comme forme de la culture européenne, op. cit., p. 41.
72. La Lituanie n’a été touchée par le christianisme qu’à la fin du XIVe siècle.
73. R. Brague s’indigne du refus de mentionner dans le Préambule du Traité constitutionnel, l’héritage chrétien. Il appelle à la rescousse un spécialiste américain du droit européen, qui, « juif observant », s’est plaint de cette négligence : WEILER J. H., Une Europe chrétienne. Une excursion, Cerf, 2004. Pour l’auteur, ce refus est clairement idéologique. d’une part, les Européens croient connaître le christianisme mais en fait ne le connaissent pas et d’autre part « l’idéologie du progrès héritée des Lumières » considérant que ce qui est passé est mal cherche à « punir » ce passé subsistant qu’est le christianisme. (op. cit., pp. 42-43).
74. L’auteur fait allusion au célèbre ouvrage de HUNTINGTON Samuel, Le choc des civilisations et la refondation de l’ordre mondial, O. Jacob, 1997.
75. C’est le cas du bouddhisme par rapport au védisme, de l’hindouisme par rapport au bouddhisme, du judaïsme par rapport au paganisme, de l’islam par rapport au judaïsme et au christianisme.
76. Op. cit., p. 46.
77. Même le paganisme est assumé, non seulement les langues, latin et grec, mais aussi l’art comme on le voit, par exemple, lors de la Renaissance. Jean-Paul II dira que le christianisme a intégré « l’héritage gréco-romain, la culture des peuples germaniques et celle des peuples slaves, en donnant vie à un esprit commun européen à partir de la variété ethnique et culturelle ». (Allocution au Symposium des évêques, 5 octobre 1982, in DC n° 1842, 19 décembre 1982, pp. 1152-1154).
78. Op. cit., p. 48.
79. Aux membres du Cercle Bergedorf.
80. L’Église doit faire cette proposition « car non seulement elle dispose encore de beaucoup de moyens, mais ses fils ont eu tant de possibilités de connaître ce qui est juste et bon, de se former l’esprit et le cœur, de savoir le prix de la vie et de la liberté, de puiser aux sources de l’amour que le christianisme leur a révélé ! Oui les nations du monde sont en droit d’en attendre une aide particulière. » (Allocution aux présidents des Parlements de la Communauté européenne, 26 novembre 1983, in DC n° 1865, 1er janvier 1984, pp. 7-8). L’Église a toujours eu la prétention de former de bons citoyens or, « les institutions, à elles seules, ne feront jamais l’Europe, ce sont les hommes qui la feront ». (Discours aux membres du Parlement européen, 5 avril 1979). « Sans sortir de la compétence qui est la sienne », l’Église considère « comme son devoir d’éclairer et d’accompagner les initiatives développées par les peuples qui vont dans le sens des valeurs et des principes qu’elle se doit de proclamer, attentive aux signes des temps qui invitent à traduire dans les réalités changeantes de l('existence les requêtes permanentes de l’Évangile. « L’Église ne peut se désintéresser « de la construction de l’Europe, elle qui est implantée depuis des siècles dans les peuples qui la composent et les a un jour portés sur les fonts baptismaux, peuples pour qui la foi chrétienne est et demeure l’un des éléments de leur identité culturelle ». (Discours au parlement européen à Strasbourg, 11 octobre 1988, in DC n° 1971, pp. 1043-1046).
81. Le Pape aura l’occasion de développer longuement la rencontre entre la culture grecque (littérature, philosophie, art) et le christianisme : « L’inculturation de l’Évangile dans le monde grec demeure un exemple pour toute inculturation », dira-t-il. Il ajoutera (en rappelant l’inscription au fronton du Temple de Delphes : « connais-toi toi-même ») que l’Europe doit se connaître elle-même : « Cette connaissance d’elle-même se réalisera seulement si elle explore de nouveau les racines de son identité, racines qui plongent profondément dans l’héritage hellénique classique et dans l’héritage chrétien, qui conduisirent à la naissance d’un humanisme fondé sur la ; perception que toute personne humaine est créée dès son origine à l’image et à la ressemblance de Dieu. » ( Discours au Président de la république hellénique, 4 mai 2001, in DC, n° 2248, 20 mai 2001, pp. 455-457).
82. Plus tard, il élargira encore les racines culturelles qui vont « de l’esprit de la Grèce à celui du monde romain ; des apports des peuples latins, celtes, germaniques, slaves et hongro-finnois, à ceux de la culture juive et du monde islamique. Ces divers facteurs ont trouvé dans la tradition judéo-chrétienne une force capable de les harmoniser, de les consolider et de les promouvoir » (Message aux participants au Congrès européen « Vers une constitution européenne ? », 20 juin 2002, in DC n° 2283, 5 janvier 2003, pp. 22-24).
83. Allocution aux membres du Cercle Bergedorf, 17 décembre 1984, DC n°1890 17 février 1985, pp. 226-227.
84. Allocution au Symposium des évêques, 5 octobre 1982, in DC n° 1842, 19 décembre 1982, pp. 1152-1154.
85. Dans quel sens faut-il prendre le mot « spirituel » souvent utilisé par Jean-Paul II ? Dans son Allocution à l’abbaye du Mont Cassin, le 18 mai 1979, Jean-Paul II après avoir déclaré que la « foi chrétienne […​] est l’âme et l’esprit de l’Europe » et souhaité « que le programme de vie de l’Europe et de tous soit les béatitudes ! » ajoute : « …​si nous considérons toute la recherche actuelle d’une plus grande unité entre les pays d’Europe, nous espérons que cela conduira aussi à prendre plus profondément conscience des racines - qui sont spirituelles, chrétiennes - parce que, si l’on veut construire une maison commune, il faut aussi creuser des fondations plus profondes. il ne suffit pas de fondations superficielles. Et ces fondations plus profondes […​] sont toujours « spirituelles ». Prions pour que la recherche d’une Europe plus unie soit basée sur le fondement spirituel de la tradition bénédictine, chrétienne, catholique, c’est-à-dire universelle. » S’il est certain que ce sont des hommes de foi qui ont planté les « racines », s’il est certain qu’une foi commune est garante, en principe, d’une profonde unité, le mot « spirituel » comme le mot « spiritualité » n’impliquent pas nécessairement la foi. Le dictionnaire en témoigne. Si « spirituel » peut désigner ce « qui concerne l’âme en tant qu’émanation et reflet d’un principe supérieur (divin) », il peut aussi être pris dans un sens moral et, dans ce cas, s’opposer à ce qui est concret, matériel, et désigner même ce qui relève de la raison. De même, « spiritualité » peut évoquer un « ensemble des croyances, des exigences qui concernent la vie de l’âme, le mysticisme religieux » mais aussi, plus simplement, renvoyer à une « aspiration aux valeurs morales ». (Robert) Ainsi parle-t-on de « spiritualité laïque », de « médiation laïque » (Cf. par exemple, COMTE-SPONVILLE André, Introduction à une spiritualité sans Dieu. L’esprit de l’athéisme, Albin Michel, 2006 ; ou encore : RIFFLET Jacques, Peut-il exister une spiritualité laïque ?, Cahiers d’éducation permanente, Dossier n° 2010-029-005 ; FERRY Luc, La révolution de l’amour. Pour une spiritualité laïque, J’ai lu, 2011 ; etc.).
86. Tel est le début du Statut du Conseil de l’Europe adopté à Londres le 5 mai 1949: « Les Gouvernements du Royaume de Belgique, du Royaume de Danemark, de la République française, de la République irlandaise, de la République italienne, du Grand-Duché de Luxembourg, du Royaume des Pays-Bas, du Royaume de Norvège, du Royaume de Suède et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.
   Persuadés que la consolidation de la paix fondée sur la justice et la coopération internationale est d’un intérêt vital pour la préservation de la société humaine et de la civilisation ;
   Inébranlablement attachés aux valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun de leurs peuples et qui sont à l’origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable ;
   Convaincus qu’afin de sauvegarder et de faire triompher progressivement cet idéal et de favoriser le progrès social et économique, une union plus étroite s’impose entre les pays européens qu’animent les mêmes sentiments ;
   Considérant qu’il importe dès maintenant, en vue de répondre à cette nécessité et aux aspirations manifestes de leurs peuples, de créer une organisation groupant les États européens dans une association plus étroite,
   Ont en conséquence décidé de constituer un Conseil de l’Europe comprenant un Comité de représentants des gouvernements et une Assemblée Consultative, et, à cette fin, ont adopté le présent Statut: […​] »
   (http://conventions.coe.int/Treaty/fr/Treaties/Html/001.htm). JPII rappelle à plusieurs reprises l’engagement des pères fondateurs affirmant que les valeurs spirituelles et morales sont « la source véritable de la liberté individuelle, de l’indépendance politique et de l’autorité de la loi » (Message pour les 50 ans du Conseil de l’Europe, 5 mars 1999, in DC n° 2206, 20 juin 1999, pp. 553-554).
87. Discours devant le Conseil de l’Europe, 8 octobre 1988, in DC n° 1971, 6 novembre 1988, pp. 1000-1005.
88. « Dans les libres débats, les discussions ou les votes sur ces importantes questions , il ne s’agit pas seulement de refléter les mœurs ou les opinions communes de vos électeurs, et pas davantage d’en décider arbitrairement, ni même de suivre nécessairement et toujours la ligne d’un parti, mais de se référer, j’ose dire, de se soumettre à des valeurs qui fondent la vie en société et son authentique progrès, de chercher en conscience le véritable bien, selon des convictions éthiques bien établies et un sens aigu des responsabilités, je veux dire de toutes les suites de vos décisions. Il s’agit en définitive de savoir quelle qualité de société on va promouvoir.
   L’Europe que vous représentez correspond à des pays de longue tradition chrétienne. On pourrait même dire que, pour la plupart, leur histoire nationale s’est presque confondue jusqu’ici avec l’histoire chrétienne. (Allocution aux présidents des Parlements de la Communauté européenne, 26 novembre 1983, in DC n° 1865, 1er janvier 1984, pp. 7-8).
89. R.
90. Devant une autre assemblée, tout aussi pluraliste, Jean-Paul II citera: « le respect des droits fondamentaux de la personne » ; des institutions « au service de l’homme, […​] l’homme dans son intégralité » sans « nivellement ». (Discours aux membres du parlement européen, 5 avril 1979). Les valeurs sont marquées du sceau du christianisme: « L’histoire de l’Europe et de chacun de ses peuples est imprégnée de l’action de la foi chrétienne et du respect de la dignité de l’homme, qui a été créé à l’image de Dieu et a été racheté par le sang du Christ. La responsabilité personnelle, l’attention à la liberté, le respect de la vie, l’estime du mariage et de la famille ont été des modèles vitaux. » (Discours sur la crise de l’Occident et la mission spirituelle de l’Europe, 12 novembre 1981, in DC 6 décembre 1981, n° 1819, pp. 1056-1057).
   d’une manière générale, il affirmera la primauté du droit « Devant les tentations de la puissance, face à des conflits d’intérêts malheureusement inévitables, il revient au doit d’exprimer et de défendre l’égale dignité des peuples et des personnes. » Et plus particulièrement, l’Église défend et défendra « les valeurs primordiales du respect de la vie à toutes les étapes, les biens inaliénables de l’institution familiale, l’exercice des droits humains fondamentaux, la liberté de conscience et de pratique religieuse, l’épanouissement de la personne dans une libre communion avec ses frères. » (Discours aux représentants des institutions européennes à Luxembourg, 15 mai 1985, in DC n° 1898, 16 juin 1985, pp. 653-658.)
91. Discours devant le Conseil de l’Europe, 8 octobre 1988, in DC n° 1971, 6 novembre 1988, pp. 1000-1005.
92. Allocution aux présidents des Parlements de la Communauté européenne, 26 novembre 1983, in DC n° 1865, 1er janvier 1984, pp. 7-8. « La sauvegarde des droits de l’homme » : « ne pas oublier qu’elle [l’Union européenne] est le berceau des idées de personne et de liberté, et que ces idées lui sont venues de sa longue imprégnation par le christianisme. » « Les droits de l’homme ne peuvent être des revendications contre la nature même de l’homme. Ils ne peuvent qu’en découler. » Pourquoi ? « Selon la pensée de l’Église, la personne est inséparable de la société humaine dans laquelle elle se développe. En créant l’homme, Dieu l’a inséré dans un ordre de relations qui lui permettent de réaliser son être. Cet ordre, nous l’appelons l’ordre naturel, qu’il appartient à ; la raison d’explorer de manière toujours plus explicite. » (Discours aux présidents des Parlements de l’Union européenne, 23 septembre 2000, in DC, 2234, 15 octobre 2000, pp. 861-862).
93. Allocution lors du « Regina Coeli » à Ravenne, 11 mai 1986, in DC n° 1924, pp. 636-637.
94. Le « soin de l’héritage culturel et religieux » peut relever du « devoir de mémoire » dont on fait, à raison, grand cas aujourd’hui.
95. Discours au Parlement européen, 11 octobre 1988.
96. Allocution aux membres de la Commission de la Cour européenne, 12 décembre 1984, in DC n°1867, 5 février 1984, pp. 147-148.
97. Il est clair que Jean-Paul II a été marqué par l’horreur de la guerre et la menace d’une troisième guerre mondiale. Pour y échapper, une seule issue : le « chemin de Compostelle ». Relisons son acte de foi. « Si l’Europe est une, et elle peut l’être dans le respect dû à toutes ses différences, y compris celles des divers systèmes politiques ; si l’Europe se remet à penser dans la vie sociale, avec la vigueur contenue dans certaines affirmations de principes comme celles de la déclaration universelle des droits de l’homme, de la Déclaration européenne des droits de l’homme, de l’Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe ; si l’Europe recommence à agir, dans la vie plus spécifiquement religieuse, avec la connaissance et le respect dus à Dieu, fondement de tout droit et de toute justice ; si l’Europe ouvre de nouveau les portes du Christ et n’a pas peur d’ouvrir à sa puissance de salut les frontières des États, les systèmes économiques et politiques, les vastes domaines de la culture, de la civilisation et du développement […​] son avenir ne sera pas dominé par l’incertitude et la crainte, mais s’ouvrira au contraire à une nouvelle période de vie, aussi bien intérieure qu’extérieure, bénéfique et décisive pour le monde constamment menacé par les nuages de la guerre et par la possibilité d’un holocauste nucléaire. » (L’« Acte européen » à Saint-Jacques-de-Compostelle, 9 novembre 1982, in DC n° 1841, 5 décembre 1982, pp1128-1130).
98. Lettre apostolique Spes aedificandi, 1er octobre 1999.
99. Johan Huizinga (1872-1945) ;, historien néerlandais auteur, entre autres de La crise de la civilisation, 1935.
100. Oswald Spengler (1880-1936), philosophe allemand, son œuvre majeure est Le déclin de l’Occident (1918-1922).
101. « Si l’homme n’est pas à l’image de Dieu et ne renvoie à personne d’autre qu’à lui-même, quelle valeur a-t-il, pourquoi travaille-t-il et vit-il ? » (Discours du Pape aux participants au Symposium, 11 octobre 1985, in DC n° 1906, 17 novembre 1985, pp. 1083-1087).
102. Discours aux membres d’un Colloque international sur « Les racines chrétiennes communes des nations européennes », 6 novembre 1981, in DC n° 1819, 6 décembre 1981, pp. 1054-1056.
   On peut associer à la réflexion de Jean-Paul II celle du cardinal DANNEELS sur les « valeurs ». Dans une conférence, l’archevêque de Malines-Bruxelles présente MOULIN Léo comme le « coauteur » de cette conférence où il a utilisé les articles Croyance et non-croyance, (Secrétariat pour les non-croyants (Cité du Vatican, XIX, 2, 1984), Image de notre temps : la personnalité narcissique, (Revue générale, août-septembre 1982) ; Forces et faiblesses de la société européenne, in Colloque Des dieux et des hommes. Le resurgissement du religieux dans le monde contemporain, Centre d’étude sur l’actuel et le quotidien, 12-13 mars 1985). Avec l’aide donc de son ami agnostique, G. Danneels analyse les athéismes et leurs faiblesses puis les valeurs humaines et leurs « toxines » : « Cet humanisme européen, désormais, n’est que rarement fondé dans une vision chrétienne du monde, où Dieu est le Créateur et le garant suprême des valeurs. Le point de référence qu’est l’Absolu fait défaut. Or, sans ce point de référence, sans ce lien avec l’Absolu transcendant, les valeurs et les idées humanistiques européennes laissées à elles-mêmes, sécrètent tout naturellement des « toxines » qui empoisonnent lentement le tissu vivant et dont certaines peuvent être mortelles. » Et de cardinal de dénoncer la reconnaissance de droits qui peut dériver en individualisme, licence, anarchie et narcissisme. Il déplore que l’égalité débouche sur une « utopie niveleuse » ; que l’amour de la patrie devienne nationalisme ou régionalisme dans l’oubli des autres nations ; que l’État devient État-providence ; que le progrès aboutisse à refuser toute limite ; que l’amour de la paix puisse aboutir à la « tolérance de l’intolérable » et au nihilisme ; etc.. Et paraphrasant peut-être Gilbert Keith Chesterton qui écrivait que le monde moderne est plein d’anciennes vertus chrétiennes devenues folles (Orthodoxie,III, 1908), le cardinal affirme que « toutes les valeurs européennes, longtemps portées par la foi en Dieu, mais désormais désaliénées et redevenus la propriété de l’homme, ont produit et produisent de plus en plus de toxines qui les rendent folles, faute d’un point de vue de référence situé au-dehors et au-dessus de l’homme. […​] Les crises que nous connaissons sont les enfants légitimes de ses valeurs motrices, mais surchauffées et débranchées de leur source ; les « toxines » qui nous empoisonnent sont dans la logique même - de notre génie - devenu déréglé et même fou. […​] Nous ne pouvons guère espérer guérir grâce à quelque doctrine extérieure étrangère à nos valeurs : le résultat serait son rejet ou notre dénaturation. Mais nous ne pouvons pas non plus guérir par une sorte d’Homéopathie - par l’évolution même de notre maladie : car le cancer ne peut s’autoguérir ! Alors, y a-t-il un autre espoir pour les valeurs européennes en crise que celui de retrouver la source : l’Absolu transcendant ? Mais l’homme peut-il le faire de ses propres forces ? » (L. Moulin) » (Conférence du cardinal Godfried Danneels, archevêque de Malines-Bruxelles lors du VIe Symposium des évêques d’Europe (7-11 octobre 1985) ; in DC n° 1906, 17 novembre 1985, pp. 1068-1078.)
103. Lettre apostolique Spes aedificandi, 1er octobre 1999.
104. Allocution aux promoteurs d’un Congrès pour le Ve centenaire de Luther, 24 mars 1984, in DC n° 1874, 20 mai 1984, pp. 506-507. « Pour contribuer à l’unification de l’Europe et pour lui annoncer de façon renouvelée l’Évangile de Jésus-Christ, les chrétiens doivent être de plus en plus unis afin que « le Règne de Dieu vienne ». (Rencontre avec les protestants d’Alsace, 9 octobre 1988, in DC n° 1971, 6 novembre 1988, pp 1024-1025). « L’avenir de l’Europe, dira-t-il encore, sera pénétré d’une prodigieuse vitalité spirituelle, si l’hédonisme et le matérialisme pratique sont surmontés et si sont aussi brisées les barrières qui séparent les disciples du Rédempteur. Unité dans l’Église, et entre tous ceux qui croient au Christ : c’est là le devoir qui s’impose aux chrétiens pour construire l’Europe nouvelle du troisième millénaire. » (Message de Noël 1990, in DC n° 2020, 20 janvier 1991, p. 52).  »…​mon désir fervent et mon espoir permanent que les divisions religieuses dans la famille européenne pourront être surmontées, particulièrement au moment où l’Église est engagée dans un dialogue fructueux avec les autres communautés religieuses, qui ont également apporté leur contribution au riche héritage culturel et spirituel de l’Europe ». ( Message pour les 50 ans du Conseil de l’Europe, 5 mars 1999, in DC n° 2206, 20 juin 1999, pp. 553-554).
105. Rencontre avec la communauté israélite, 9 octobre 1988, in DC n° 1971, 6 novembre 1988, pp. 1027-1028. « La réconciliation avec les juifs fait donc partie des devoirs fondamentaux des chrétiens en Europe. » (Discours lors de la rencontre avec les autorités et le Corps diplomatique, 20 juin, 1998, in DC, n° 2186, 19 juillet 1998, pp. 688-690).
106. Discours devant le Conseil de l’Europe, 8 octobre 1988, in DC n° 1971, 6 novembre 1988, pp. 1000-1005.
107. Audience générale du 12 octobre 1988, in DC, n° 1971, 6 novembre 1988, p. 1051.
108. Jean-Paul II parle de « l’urgente nécessité d’une œuvre de profonde réévangélisation ». En effet, « le christianisme qui, un temps, a offert à l’Europe en formation les valeurs idéales sur lesquelles bâtir sa propre unité, a aujourd’hui la responsabilité de revitaliser de l’intérieur une civilisation qui montre des symptômes d’une préoccupante décrépitude. » Pourquoi réévangéliser ? Le pape cite Pascal : « Non seulement nous connaissons Dieu à travers Jésus-Christ, mais nous ne nous connaissons nous-même que par Jésus-Christ, et ce n’est que par lui que nous connaissons la vie et la mort. En dehors de Jésus-Christ, nous ne savons pas ce que sont la vie et la mort, Dieu, nous-même. » (Pensées, n° 548) et GS 22: « En réalité,, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné…​ Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. » (Discours au VIIe Symposium des évêques d’Europe, 17 octobre 1989, in DC n° 1994, 19 novembre 1989, pp. 1020-1022).
109. « l’Église, dira le pape, est appelée à donner une âme à la société moderne […​]. Et cette âme, l’Église doit l’infuser, non pas d’en haut et d’en dehors, mais de l’intérieur, se faisant proche de l’homme d’aujourd’hui ». Elle doit « proposer une nouvelle synthèse créatrice entre Évangile et vie. […​] Il faut être conscient de l’importance de greffer l’évangélisation renouvelée sur ces traces communes de l’Europe. » Dans ce travail de réévangélisation adaptée à la vie contemporaine et respectueuse des racines, le concile Vatican II prend tout son sens. Il « représente le fondement et la mise en route d’une œuvre gigantesque d’évangélisation du monde moderne ». (Discours du Pape aux participants au Symposium, 11 octobre 1985, in DC n° 1906, 17 novembre 1985, pp. 1083-1087).
110. Allocution au IVe Symposium des évêques d’Europe, 20 juin 1979.
111. Discours sur la crise de l’Occident et la mission spirituelle de l’Europe, 12 novembre 1981, in DC 6 décembre 1981, n° 1819, pp. 1056-1057.
112. Homélie à l’inauguration de la Chapelle épiscopale hongroise, 8 octobre 1980.
113. Discours sur la crise de l’Occident et la mission spirituelle de l’Europe, 12 novembre 1981, in DC 6 décembre 1981, n° 1819, pp. 1056-1057. « L’Europe est en train de se constituer comme « union ». L’Église a une contribution spécifique à y apporter ; non seulement les chrétiens peuvent s’unir à tous les hommes de bonne volonté pour travailler à la construction de ce grand projet, mais plus encore ils sont invités à en être en quelque sorte l’âme, en montrant le véritable sens de l’organisation de la cité terrestre. On ne peut donc envisager l’Europe seulement comme un marché d’échanges économiques ou un espace de libre circulation d’idées, mais d’abord et avant tout comme une communauté véritable de nations qui veulent lier leurs destinées, pour vivre ne frères, dans le respect des cultures et des démarches spirituelles qui ne peuvent cependant se situer en dehors du projet commun ou en opposition avec lui. En même temps, le renforcement de l’union au sein du Continent rappelle aux Églises et Communautés ecclésiales qu’elles ont elles-mêmes à faire un pas supplémentaire sur la voire de l’unité. » (Message à l’Assemblée plénière du Conseil des Conférences épiscopales d’Europe à Bruxelles, 16 octobre 2000, in DC, n° 2236, pp. 959-960).
114. Id..
115. L’« Acte européen » à Saint-Jacques-de-Compostelle, le 9 novembre 1982, in DC n° 1841, 5 décembre 1982, pp1128-1130. « Les difficultés auxquelles fait face aujourd’hui le vieux Continent doivent inciter les chrétiens à rassembler leurs forces, à redécouvrir leurs origines et à raviver les valeurs authentiques qui en ont cimenté l’unité spirituelle et qui ont alimenté la flamme brillante d’une civilisation où tant d’autres nations de la terre ont puisé. » (Lettre aux présidents des Conférences épiscopales d’Europe, 2 janvier 1986, in DC, n° 1912, 16 février 1986, pp. 183-184). Les universités ont un rôle important à jouer : « la vocation spécifique des universités européennes […​] est de maintenir vivants l’idéal d’une instruction libérale et les valeurs universelles qu’une tradition culturelle, marquée par le christianisme, enrichit avec un savoir supérieur […​]. Nos sociétés doivent vivre dans un contexte pluraliste qui requiert le dialogue entre tant de traditions spirituelles dans une nouvelle recherche d’harmonie et de collaboration. mais il est néanmoins essentiel pour l’université, comme institution, de faire constamment référence à l’héritage intellectuel et spirituel qui a façonné notre identité européenne au cours des siècles. » (Discours à l’université d’Uppsala (Suède), 9 juin 1989, in DC n° 1988, 16 juillet 1989, pp. 700-703). Dès les XIIIe et XIVe siècles les universités ont acquis une grande importance. C’est l’époque « où prend forme l’« humanisme » comme synthèse très heureuse entre le savoir théologique, le savoir philosophique et les autres sciences. Synthèse impensable sans le christianisme et donc sans l’œuvre séculaire d’évangélisation accomplie par l’Église dans la rencontre avec les multiples réalités ethnique et culturelles du continent.[…​] Cette mémoire historique est indispensable pour fonder la perspective culturelle de l’Europe d’aujourd’hui et de demain, […​] la nouvelle Europe na peut se projeter dans l’avenir sans puiser à ses racines […​]. » (Discours aux participants au Symposium « Université et Église en Europe », 19 juillet 2003, in DC n° 2298, 7-21 septembre 2003,n pp. 784-785). « La construction d’une nouvelle Europe, a besoin d’hommes et de femmes doués d’une sagesse humaine, d’un sens aigu de discernement, ancré dans une anthropologie allant de pair avec l’expérience personnelle de la transcendance divine. » (Discours à la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (COMECE), 30 mars 2001, in DC n° 2247, 6 mai 2001, pp. 403-404).
116. (Discours à l’Assemblée plénière du Conseil pontifical pour la Culture, 10 janvier 1992, in DC n° 2044, 16 février 1992, pp. 157-159). Tous ces thèmes sont repris dans son Discours au Conseil des Conférences épiscopales d’Europe, 16 avril 1993, in DC n° 2073, 6 juin 1993, pp. 501-503.
117. Discours au Conseil fédéral du « Mouvement européen », 28 mars 1987, in DC n° 1941, 7 juin 1987, pp. 596-598.
118. Discours aux évêques français de la région « Ouest », 14 février 1992, in DC n° 2047, 5 avril 1992, pp. 303-305.
119. Discours devant le Conseil de l’Europe, 8 octobre 1988, in DC n° 1971, 6 novembre 1988, pp. 1000-1005. « L’Union européenne […​] s’engage à préserver la diversité culturelle, et en même temps à garantir les valeurs et les principes auxquels les pères fondateurs étaient attachés et qui constituent leur patrimoine commun. » Le pape rappelle que s’il y a un bien commun nationale, il y a aussi « un bien commun continental et même universel ». (Discours aux présidents des Parlements de l’Union européenne, 23 septembre 2000, in DC, 2234, 15 octobre 2000, pp. 861-862).
120. 12 juin 1980. « Cette insistance sur les droits de la nation, commente Philippe Chenaux, n’avait d’autre but que de libérer l’autre Europe de la tutelle du communisme et de mettre fin à l’absurde division de l’Europe issue de la guerre » (op. cit., p. 182).
121. RH, n° 15.
122. RH, n° 17.
123. Homélie à Varsovie, 2 juin 1979.
124. Aux membres du Parlement européen, le 5 avril 1979.
125. « Le fécond principe de subsidiarité », dira le Pape, principe de plus en plus invoqué par l’Europe « Il est une invitation à répartir les compétences entre les différents niveaux d’organisation politique d’une communauté donnée, par exemple régional, national, européen, en ne transférant aux niveaux supérieurs que celles auxquelles les niveaux inférieurs ne sont pas en mesure d faire face pour le service du bien commun. » (Discours aux présidents des Parlements de l’Union européenne, 23 septembre 2000, in DC, 2234, 15 octobre 2000, pp. 861-862).
126. Discours aux membres du Parlement européen, 5 avril 1979. Respecter les cultures nationales est impératif « mais il y a une urgence, non moins grande, à favoriser un consensus constructif sur les valeurs éthiques qui orientent la société […​] l’Europe ne peut renier ses racines chrétiennes ; elle est invitée à les redécouvrir, à en vivre, à en témoigner. C’est le meilleur service qu’elle puisse rendre à l’humanité. Elle y trouvera ce qui a forgé son identité, marqué la plus grande part de son histoire, ce qui caractérise encore sa culture au-delà des contestations. car il importe de bien fonder, et de promouvoir dans les comportements et dans les institutions, le sens de la vie humaine, le respect de la vie à toutes les étapes de l’existence, l’importance des relations familiales dans une union stable et généreuse, le respect des droits fondamentaux y compris de la liberté de conscience et de pratique religieuse, l’accueil des travailleurs et des immigrés, la possibilité de dépasser les repliements sur soi égoïstes, l’esprit de conciliation et de collaboration, la recherche d’une justice authentique, inséparable de la charité, les bases d’une civilisation de l’amour, l’acceptation d’une fin transcendante qui donne un sens à la vie et à la mort. » (Discours au Conseil fédéral du « Mouvement européen », 28 mars 1987, in DC n° 1941, 7 juin 1987, pp. 596-598).
127. « L’histoire de la formation des nations européennes va de pair avec celle de leur évangélisation » (L’« Acte européen » à Saint-Jacques-de-Compostelle, le 9 novembre 1982, in DC n° 1841, 5 décembre 1982, pp1128-1130.
128. Discours aux participants d’un Symposium sur la pastorale du mariage et de la famille en Europe, 26 novembre 1983, in DC n° 1844, 16 janvier 1983, pp. 92-93. « Notre continent européen dans son ensemble a besoin d’un processus créatif de renouveau pour une Europe unie. L’Église peut fournir une contribution importante à cette œuvre de médiation et de compréhension. la foi chrétienne est une force vive qui dépasse les frontières de par ses origines dans tous les pays d’Europe. […​] l’Église et l’Europe […​] ont fait route en commun pendant des siècles et gardent l’empreinte d’une même histoire. L’Europe a été tenue sur les fonts baptismaux par le christianisme, et les nations européennes dans leur diversité ont incarné l’existence chrétienne. Dans leur rencontre elles se sont enrichies mutuellement et se sont conféré des valeurs qui sont devenues non seulement l’âme de la culture européenne, mais le patrimoine de l’humanité tout entière. C’est cette identité chrétienne et cette unité intérieure qu’il s’agit de redécouvrir en commun et de faire fructifier à nouveau pour l’'avenir du continent et du monde. L’Église s’efforce de fournir sa contribution pour atteindre ce but par les efforts renouvelés de nouvelle évangélisation des peuples européens. » (Discours aux responsables politiques à la Hofburg (Autriche), le 23 juin 1988, in DC n° 1967, 7-21 août 1988).
129. Allocution aux « Vêpres européennes », Vienne, 10 septembre 1983,in DC, n° 1860, 16 octobre 1983, pp. 917-918
130. Homélie pour la clôture du Synode pour l’Europe, 23 octobre 1999). Dans l’encyclique Redemptor hominis (4 mars 1979) n° 17, Jean-Paul II souligne le lien entre le bien commun et les droits, (notamment le droit à la liberté religieuse) et montre, à ce point de vue, le rôle de l’autorité publique : « L’Église a toujours enseigné le devoir d’agir pour le bien commun et, ce faisant, elle a éduqué aussi de bons citoyens pour chaque État. Elle a en outre toujours enseigné que le devoir fondamental du pouvoir est la sollicitude pour le bien commun de la société ; de là dérivent ses droits fondamentaux. Au nom de ces prémisses relatives à l’ordre éthique objectif, les droits du pouvoir ne peuvent être entendus que sur la base du respect des droits objectifs et inviolables de l’homme. ce bien commun, au service duquel est l’autorité dans l’État, ne trouve sa pleine réalisation que lorsque tous les citoyens sont assurés de leurs droits. […​] Parmi ces droits, on compte à juste titre le droit à la liberté religieuse à côté du droit à la liberté de conscience. […​] Cependant, en vertu de ma charge, je désire, au nom de tous les croyants du monde entier, m’adresser à ceux dont dépend de quelque manière l’organisation de la vie sociale et publique, en leur demandant instamment de respecter les droits de la religion et de l’activité de l’Église. On ne demande aucun privilège, mais le respect d’un droit élémentaire. la réalisation de ce droit est l’un des tests fondamentaux pour vérifier le progrès authentique de l’homme en tout régime, dans toute société, système ou milieu. »
131. Id.. « Les Européens ne peuvent se résigner à la division de leur continent. […​] Pour bâtir leur unité, les Européens ont besoin de retrouver une meilleure cohésion. Un grand projet ne peut aboutir qu’appuyé par l’apport original de chacun au service de la communauté. » (Discours au siège de la Communauté économique européenne à Bruxelles, 20 mai 1985, in DC n° 1899, 7 juillet 1985, pp. 694-697.)
132. L’« Acte européen » à Saint-Jacques-de-Compostelle, le 9 novembre 1982 in DC n° 1841, 5 décembre 1982, pp1128-1130. « L’anomalie des divisions qui se sont implantées à l’intérieur de l’Europe s’accroît encore quand on oublie que l’unité européenne est de caractère spirituel beaucoup plus que politique. pour sa plus grande part, elle s’enracine dans les valeurs chrétiennes et dans l’humanisme qui en découle. […​] si l’Europe veut retrouver son unité fondamentale, elle doit revenir aux valeurs que le christianisme a fait surgir dans la société et la culture européenne dès ses débuts. » (Discours à une Commission parlementaire du Conseil de l’Europe, 17 mars 1988, in DC n° 1961, 1er mai 1988, pp. 440-441)
133. Discours à l’université d’Uppsala (Suède), 9 juin 1989, in DC n° 1988, 16 juillet 1989, pp. 700-703.
134. Discours au Corps diplomatique (Varsovie), 8 juin 1991, in DC n° 2032, 21 juillet 1991, pp. 693-695. « En pèlerinage sur les routes du temps, l’Église a étroitement lié sa mission à notre Continent, plus qu’à aucun autre. Le visage spirituel de l’Europe s’est formé grâce aux efforts des grands missionnaires et au témoignage des martyrs. Il s’est formé dans les églises au prix d’une grande abnégation et dans les centres de vie contemplative, dans le message humaniste des universités. Appelée à la sollicitude envers la croissance spirituelle de l’homme en tant qu’être social, l’Église a apporté à la culture européenne un ensemble unique de valeurs. Elle a été toujours convaincue qu’' « une authentique politique culturelle doit viser l’homme dans sa totalité, c’est-à-dire dans toutes ses dimensions personnels, sans oublier les aspects éthiques et religieux » (Message au Directeur général de l’UNESCO, à l’occasion de la Conférence sur les politiques culturelles, 24 juillet 1982). Comme la culture européennes serait restée pauvre, sui l’inspiration chrétienne lui avait fait défaut !
   C’est pour cela que l’Église met en garde contre une réduction de la vision de l’Europe qui la considère uniquement sous des aspects économiques et politiques, comme elle met en garde contre un regard acritique prônant un modèle de vie consumériste.
   Si nous voulons que la nouvelle unité de l’Europe soit durable, nous devons construire sur les valeurs spirituelles qui furent jadis à sa base, en prenant en considération la richesse et la diversité des cultures et des traditions de chaque nation. Telle, en effet, doit être la grande Communauté Européenne de l’Esprit. Ici aussi, je renouvelle l’appel que j’ai adressé au vieux Continent : « Europe, ouvre tes portes au Christ ! ». » (Discours aux deux Chambres du Parlement de la république de Pologne, 11 juin 1999, in DC n° 2208, 18 juillet 1999, pp. 670-674).
135. GS 42.
136. Discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 13 janvier 1990, in DC n° 2000, 18 février 1990, pp. 155-159.
137. Surtout qu’ « en ce moment de crise, l’Europe pourrait être tentée de se replier sur elle-même en négligeant momentanément les liens qui l’unissent au vaste monde ». Au contraire, elle est invitée « à se hausser à la dimension de sa vocation historique ». (Discours au Conseil pontifical de la Culture, 12 janvier 1990, in DC n° 2000, 178 février 1990, pp. 153-155).
138. Discours à des parlementaires catholiques européens, 10 novembre 1983, in DC n° 1865, 1er janvier 1984, pp. 5-7.
139. Discours à M. Georges Santer, nouvel ambassadeur du Luxembourg, 16 décembre 2004, in DC n° 2328, 16 janvier 2015, pp. 56-58. « Ce n’est que si nous reconnaissons la grandeur de notre histoire chrétienne et en appliquons les valeurs durables dans nos activités modernes que nous réussirons, Européens spirituellement unis, à offrir au monde un message de libération qui rende l’avenir attirant pour les hommes et les peuples, tout en les aidant à se construire un avenir digne de l’homme et à surmonter leurs épreuves. » (Homélie devant la cathédrale de Spire, 4 mai 1987, in DC n° 1941, 7 juin 1987, pp. 588-591).
140. Allocution de l’Angélus sur le Mont Chétif, 7 septembre 1986, in DC n° 1926, 19 octobre 1986, pp. 890-891. L’Europe a le « devoir de s’intéresser aux autres régions du monde » (Discours au Conseil fédéral du « Mouvement européen », 28 mars 1987, in DC n° 1941, 7 juin 1987, pp. 596-598). « L’Europe a encore une grande responsabilité dans le monde. A cause de son histoire chrétienne, la vocation de l’Europe est celle de l’ouverture et du service pour la famille humaine tout entière. Un défi majeur de notre temps est précisément le développement de tous les peuples dans le respect total de leurs cultures et de leur identité spirituelle ? Notre génération a encore beaucoup à faire si elle veut éviter le reproche historique de ne pas avoir lutté de tout son cœur et de toute son intelligence pour détruire la misère de tant de millions de nos frères et sœurs. » (Discours à l’université d’Uppsala (Suède), 9 juin 1989, in DC n° 1988, 16 juillet 1989, pp. 700-703).
141. Discours aux membres du parlement européen, 5 avril 1979. « Chacun a conscience désormais que la vie d’un continent, aussi féconde que soit sa culture, ne saurait aujourd’hui se fermer à l’apport des autres : on pense aux civilisations développées en dehors de l’influence chrétienne ; on pense également aux autres régions du monde où s’est épanouie la culture d’inspiration chrétienne, souvent enrichie au contact d’autres groupes ethniques. l’ouverture aux autres fait partie des composantes essentielles d’un esprit formé par la tradition chrétienne ; les Européens ont le devoir de la vivre dans le respect fraternel de tous les hommes ; il entre dans leur vocation de développer le sens de l’universel. » Comme « les ressources sont inégalement partagées entre les hommes fondamentalement égaux, […​] la solidarité s’impose ». Le Pape rappelle « les responsabilités des peuples qui ont reçu beaucoup, pour qu’ils s’unissent et parlent d’une seule voix en faveur de la paix. » (Discours au siège de la Communauté économique européenne à Bruxelles, 20 mai 1985, in DC n° 1899, 7 juillet 1985, pp. 694-697). le pape souhaite que les Églises d’Europe apportent une « contribution concrète à la construction de la « nouvelle Europe », ouverte à la solidarité universelle ». (Discours au Conseil des Conférences épiscopales d’Europe, 16 avril 1993, in DC n° 2073, 6 juin 1993, pp. 501-503).
142. Discours à une Commission parlementaire du Conseil de l’Europe, 17 mars 1988, in DC n° 1961, 1er mai 1988, pp. 440-441. « L’Europe ne peut pas penser qu’à elle-même et se refermer à l’intérieur de ses frontières et dans son bien-être. L’Europe est appelée à servir le monde, en particulier ses régions les plus pauvres et oubliées […​]. Il n’est pas possible de construire une maison européenne commune sans se soucier du bien général de l’humanité.[…​] La nouvelle évangélisation confère une âme à l’Europe et aide le continent à ne plus vivre pour lui-même dans les limites de ses frontières, amis à construire une humanité plus humaine, respectueuse de la vie, et à manifester une présence généreuse sur la scène mondiale. » (Message aux participants à la rencontre œcuménique (catholiques, évangéliques, orthodoxes et anglicans) « Miteinander für Euopa » à Stuttgart, 6 mai 2004, in DC n° 2317, 4 juillet 2004, pp. 603-604). Et il le répétera : « il ne sera possible d’édifier une Europe nouvelle, une maison commune européenne, sans se préoccuper de toute la planète, bien commun de l’humanité. On pourrait dire que la condition pour que l’Europe puisse bâtir son avenir, c’est d’être capable de regarder au-delà de ses frontières, surtout vers l’immense hémisphère sud, devenu depuis des décennies le terrain où naissent les conflits les plus nombreux et où pèse l’injustice d’une manière qui n’est plus supportable. » (Lettre au cardinal Edward I. Cassidy (président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens), 10 septembre 1992, in DC n° 2062, 20 décembre 1992, pp. 867-868).
143. Discours devant le Conseil de l’Europe, 8 octobre 1988, in DC n° 1971, 6 novembre 1988, pp. 1000-1005. L’Europe a des « devoirs inéluctables à l’égard des peuples les plus pauvres du monde. » (Lettre au président du CCEE, 1er septembre 1993, in DC n° 2080, 17 octobre 1993, pp. 879-880). « L’histoire du continent européen se confond, depuis des siècles, avec l’histoire de l’évangélisation. L’Europe n’est pas vraiment un territoire clos ou isolé ; elle s’est construite en allant, au-delà des mers, à la rencontre d’autres peuples, d’autres cultures, d’autres civilisations. Cette histoire indique une exigence : l’Europe ne saurait se replier sur elle-même. Elle ne peut ni ne doit se désintéresser du reste du monde, elle doit au contraire garder pleine conscience que d’autres pays, d’autres continents, attendent d’elle des initiatives audacieuses, pour offrir aux peuples les plus pauvres les moyens de leur développement et de leur organisation sociale, et pout édifier un monde plus juste et plus fraternel. » (Message à l’Assemblée plénière du Conseil des Conférences épiscopales d’Europe à Bruxelles, 16 octobre 2000, in DC, n° 2236, pp. 959-960).
144. Discours au parlement européen à Strasbourg, 11 octobre 1988, in DC n° 1971, pp. 1043-1046.
145. « Personne ne veut considérer l’universalisation de ce patrimoine [le christianisme] comme une victoire ou bien comme une confirmation de sa propre supériorité. Professer certaines valeurs, cela signifie seulement s’engager à coopérer à la construction d’une véritable communauté humaine universelle : une communauté qui ne connaît plus de lignes de séparation entre des mondes différents.
   Il dépendra aussi de nous, chrétiens, que l’Europe, avec ses aspirations terrestres, se referme sur elle-même, dans ses égoïsmes, renonçant à sa vocation et à son rôle historique, ou bien qu’elle retrouve son âme dans la culture de la vie, de l’amour et de l’espérance. » (Discours lors de la rencontre avec les autorités et le Corps diplomatique, 20 juin 1998, in DC, n° 2186, 19 juillet 1998, pp. 688-690).
146. A ce point de vue, sa position est claire: « l’institution matrimoniale […​] ne peut être mise sur le même plan que de simples associations ou unions, et celles-ci ne peuvent bénéficier des droits particuliers liés exclusivement à la protection de l’engagement conjugal et de la famille, fondée sur le mariage, comme communauté de vie et d’amour stable, fruit du don total et fidèle des conjoints, ouverte à la vie. » (Discours au Congrès des responsables politiques et législateurs d’Europe, 23 octobre 1998, in DC n° 2193, 6 décembre 1998, pp. 1001-1003).
147. Discours aux participants d’un Symposium sur la pastorale du mariage et de la famille en Europe, 26 novembre 1983, in DC n° 1844, 16 janvier 1983, pp. 92-93. « L’Europe peut et doit travailler à défendre partout la dignité de l’homme, dès sa conception, à améliorer encore davantage ses conditions d’existence en œuvrant en faveur d’un juste partage des richesses, en donnant à tous les hommes une éducation, qui les aidera à devenir des acteurs de la vie sociale, et un travail, qui leur permettra de vivre et de subvenir aux besoins de leurs proches. A ce propos, il importe aussi de rappeler à temps et à contretemps la place et la valeur inestimable du lien conjugal et de la famille, qui ne peuvent être mis sur un pied d’égalité avec d’autres types de relation, sous peine de déstructurer fortement le tissu social et de rendre de plus en plus fragiles les enfants et les jeunes. » (Message à l’Assemblée plénière du Conseil des Conférences épiscopales d’Europe à Bruxelles, 16 octobre 2000, in DC, n° 2236, pp. 959-960).
148. Discours devant le Conseil de l’Europe, 8 octobre 1988, in DC n° 1971, 6 novembre 1988, pp. 1000-1005.
149. Id.. « Inévitablement , les pays les plus riches devront consentir des sacrifices concrets pour réduire peu à peu le déséquilibre inhumain qui existe actuellement en Europe au niveau de la prospérité. IL y faut une aide spirituelle pour mener de l’avant la construction des structures démocratiques et leur renforcement, et pour promouvoir une culture de la politique et les justes conditions d’un État de droit. Pour cet effort, l’Église propose comme orientation sa Doctrine sociale…​ » (Discours lors de la rencontre avec les autorités et le Corps diplomatique, 20 juin 1998, in DC, n° 2186, 19 juillet 1998, pp. 688-690).
150. s devant le Conseil de l’Europe, 8 octobre 1988, in DC n° 1971, 6 novembre 1988, pp. 1000-1005.
151. Discours au Conseil pontifical de la Culture, 12 janvier 1990, in DC n° 2000, 178 février 1990, pp. 153-155.
152. L’Europe a retrouvé ses deux poumons mais « contrairement à la communauté d’esprit que l’on attendait, on peut noter de nouvelles divisions et de nouveaux conflits. » (Discours aux deux Chambres du Parlement de la république de Pologne, 11 juin 1999, in DC n° 2208, 18 juillet 1999, pp. 670-674).
153. Discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 13 janvier 1990, in DC n° 2000, 18 février 1990, pp. 155-159. La chute du mur n’a pas tout réglé, loin s’en faut : « Depuis lors, bien des euphories se sont volatilisées, et bien des espérances ont été déçues. Se remplir les mains uniquement de biens matériels, alors que le cœur de l’homme demeure vide parce qu’il n’a pas découvert le sens de la vie, cela ne suffit pas. l’homme n’en a pas toujours conscience et, souvent, préfère les distractions superficielles à la véritable joie intérieure. mais il doit finalement constater que l’on ne peut pas vivre seulement de pain et de jeux. » (Discours lors de la rencontre avec les autorités et le Corps diplomatique, 20 juin 1998, in DC, n° 2186, 19 juillet 1998, pp. 688-690).
154. Homélie à Gniezno (Pologne) lors de la célébration du millénaire de saint Adalbert, 2 juin 1997, in DC n° 2164, 20 juillet 1997, pp. 664-667.
155. Discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 13 janvier 1990, in DC n° 2000, 18 février 1990, pp. 155-159.
156. Lettre au cardinal Edward I. Cassidy (président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens), 10 septembre 1992, in DC n° 2062, 20 décembre 1992, pp. 867-868.
157. Discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 16 janvier 1993, in DC n° 2066, 21 février 1993, pp. 152-157.
158. Discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 15 janvier 1994, in DC, n° 2088, 20 février 1994, pp.153-158.
159. Discours au Conseil des Ministres de la Conférence sur la sécurité et la Coopération en Europe, 30 novembre 1993, in DC n° 2086, 16 janvier 1994.
160. Lettre au président du CCEE, 1er septembre 1993, in DC n° 2080, 17 octobre 1993, pp. 879-880.
161. Allocution aux présidents des Conférences épiscopales européennes, 1er décembre 1992, in DC n° 2064, 17 janvier 1993. « Il existe aujourd’hui de forts courants de « contre-évangélisation », qui cherchent à saper les racines chrétiennes de notre civilisation et menacent ainsi d’assécher la source principale de l’humanisme européen. » (Lettre au président du CCEE, 1er septembre 1993, in DC n° 2080, 17 octobre 1993, pp. 879-880). (CCEE: Conseil des Conférence épiscopales d’Europe).
162. Lettre au président du CCEE, 1er septembre 1993, id.. « Il semble que dans l’Europe d’aujourd’hui se fasse encore plus forte la tentation du scepticisme et de l’indifférence devant l’effondrement des repères moraux fondamentaux de la vie personnelle et sociale. » (Discours aux représentants du monde de la culture, des sciences et des arts à Sofia (Bulgarie), 24 mai 2002, in DC n° 2272, 16 juin 2002, pp. 574-576).
163. Discours aux participants à la Conférence interministérielle pour le 50e anniversaire de la Convention européenne des Droits de l’homme, 3 novembre 2000, in DC n° 2237, 3 décembre 2000, pp. 1013-1014. » Malgré de nombreux et nobles efforts, le texte élaboré pour la « Charte européenne » n’a pas satisfait les justes attentes de beaucoup. Plus particulièrement, la défense des droits de la personne et de la famille aurait pu être affirmée avec plus de courage. En effet, la préoccupation que l’on nourrit pour que ces droits, qui ne sont pas toujours compris et respectés de lanière adéquate, soient défendus, est plus que justifiée. En de nombreux États européens, ils sont menacés, par exemple, par une politique favorable à l’avortement, presque partout légalisé, par une attitude toujours plus « possibiliste » en ce qui concerne l’euthanasie et, tout dernièrement, par certains projets de lois en matière de technologie génétique, qui ne sont pas suffisamment respectueux de la qualité humaine de l’embryon. Il ne suffit pas d’employer de grands mots pour exalter la dignité d la personne, si celle-ci est ensuite gravement violée par les normes mêmes du dispositif juridique. » (Message à l’occasion du 1200e anniversaire du couronnement de Charlemagne, 14 décembre 2000, in DC, n°2241, 4 février 2001, pp. 108-109).
164. Allocution lors de l’Angélus du 20 février 1994, in DC, n° 2091, 3 avril 1994, pp. 307-308.
165. Résolution sur l’égalité des droits des homosexuels et des lesbiennes dans la Communauté Européenne, Parlement Européen - 8 février 1994. Le Parlement européen fait des recommandations qui doivent assurer le respect des personnes homosexuelles et leur protection contre les discriminations mais - et c’est ici que le pape s’insurge : « considère que cette recommandation devrait, tout au moins, chercher à mettre un terme à […​]
   -l’interdiction faite aux couples homosexuels de se marier ou de bénéficier de dispositions juridiques équivalentes ; la recommandation devrait garantir l’ensemble des droits et des avantages du mariage, ainsi qu’autoriser l’enregistrement des partenariats
   - toute restriction au droit des lesbiennes et des homosexuels d’être parents ou bien d’adopter ou d’élever des enfants. » (n°14). »
166. Message à l’occasion du 1200e anniversaire du couronnement de Charlemagne, 14 décembre 2000, in DC, n°2241, 4 février 2001, pp. 108-109. « L’union du monde européen en une seule entité civile, sans qu’il y ait pour les peuples perte de leur propre conscience, de leurs traditions et de leur identité nationale, telle a été l’intuition des pionniers. Cependant, la tendance naissante à transformer certains pays d’Europe en des États sécularisés sans aucune référence à la religion constitue une régression et une négation de leur héritage spirituel. Nous sommes appelés à intensifier nos efforts pour que l’unification de l’Europe puisse réaliser. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que les racines de l’Europe et que son âme chrétienne puissent être gardées intactes. » (Déclaration commune du Pape Jean-Paul II et de S.B. Christodoulos, 4 mai, 2001, in DC, n° 2248, 20 mai 2001, pp. 463-464). « […​] vers le milieu du dernier millénaire a commencé un processus de sécularisation, qui s’est particulièrement développé à partir du XVIIIe siècle, qui a prétendu exclure Dieu et le christianisme de toutes les expressions de la vie humaine.
   Le point d’arrivée de ce processus a souvent été le laïcisme et le sécularisme agnostique et athée, c’est-à-dire l’exclusion absolue et totale de Dieu et de la loi morale naturelle de tous les milieux de la vie humaine. On a ainsi relégué la religion chrétienne dans les limites de la vie privée de chacun. N’est-il pas significatif de ce point de vue, que l’on ait ôté de la Charte de l’Europe toute référence explicite aux religions et, donc, également au christianisme ? J’ai exprimé mon regret devant ce fait, que j’estime anti-historique et offensant pour les Pères de l’Europe nouvelle […​]. » (Allocution à la Fondation Alcide de Gasperi, 23 février 2002, in DC, n° 2267, 7 avril 2002, pp. 301-302).
167. « La culture, l’art, l’histoire et l’époque actuelle de l’Europe ont été et sont encore modelés par le christianisme d’une manière telle qu’il n’existe pas, pas même aujourd’hui, d’Europe complètement sécularisée ou foncièrement athée. En témoignent non seulement les églises et les monastères en de nombreux pays européens, les chapelles et les calvaires érigés le long des routes européennes, les prières et les chants chrétiens dans toutes les langues de l’Europe. » (Discours lors de la rencontre avec les autorités et le Corps diplomatique, 20 juin 1998, in DC, n° 2186, 19 juillet 1998, pp. 688-690). « Il est donc nécessaire de se garder d’une vision du Continent qui ne prenne en compte que les aspects économiques et politiques, ou qui se laisse aller sans réflexion critique à des modes de vie inspirés par un consumérisme indifférent aux valeurs de l’esprit. Si l’on veut donner une stabilité durable à la nouvelle unité européenne, il est nécessaire de veiller à ce qu’elle s’appuie sur les fondements éthiques qui en furent autrefois la base, laissant en même temps un espace aux richesses et aux diversités des cultures et des traditions qui caractérisent les différentes nations. » (Discours devant le Parlement européen, 14 novembre 2002, in DC n° 2281, 1er décembre 2002, pp. 1003-1006).
168. Le « vieux » continent a besoin de Jésus-Christ pour ne pas perdre son âme, et ce qui l’a rendu grand dans le passé et qui ; le propose aujourd’hui encore à l’admiration des autres peuples. En effet, c’est ne vertu du message chrétien que se sont affirmées dans les consciences les grandes valeurs humaines de la dignité et de l’inviolabilité de la personne, cde la liberté de conscience, de la dignité du travail et du travailleur, du droit de chacun à une vie digne et sûre, et donc de la participation aux biens de la terre, destinés par Dieu à la ,jouissance de tous les hommes.
   Sans doute, d’autres forces en dehors de l’Église ont également contribué à l’affirmation de ces valeurs et parfois, les catholiques eux-mêmes, freinés par des situations historiques négatives, ont été lents à reconnaître des valeurs qui étaient chrétiennes, même sui elles étaient malheureusement coupées de leurs racines religieuses. Ces valeurs, l’Église les propose à nouveau aujourd’hui à l’Europe avec une vigueur renouvelée, car l’Europe risque de tomber dans le relativisme idéologique et de céder au nihilisme moral, en déclarant parfois bien ce qui est mal, et mal ce qui est bien. » (Allocution à la Fondation Alcide de Gasperi, 23 février 2002, in DC, n° 2267, 7 avril 2002, pp. 301-302).
   « Celui qui veut travailler activement à l’édification d’une authentique unité européenne ne peut pas faire abstraction de ces données historiques dont l’éloquence est incontestable. […​] Pour retrouver son identité profonde, l’Europe ne peut pas ne pas revenir à ses racines chrétiennes […​]. » (Discours aux représentants du monde de la culture, des sciences et des arts à Sofia (Bulgarie), 24 mai 2002, in DC n° 2272, 16 juin 2002, pp. 574-576).
   « Il est important que l’Europe, enrichie au cours des siècles grâce au trésor de la foi chrétienne, confirme ses origines et ravive ces racines. » (Discours aux cardinaux et à la Curie romaine, 22 décembre 2003, in DC n° 2306, 17 janvier 2004, pp. 71-74).
169. Discours au Conseil des Ministres de la Conférence sur la sécurité et la Coopération en Europe, 30 novembre 1993, in DC n° 2086, 16 janvier 1994. Devant « la fragilité de la paix » et « le danger des nationalismes exacerbés », il y a « la nécessité d’ouvrir de nouvelles perspectives d’accueil et d’échanges, mais aussi de réconciliation, entre les personne, les peuples et les nations européennes. » (Message à l’Assemblée plénière du Conseil des Conférences épiscopales d’Europe à Bruxelles, 16 octobre 2000, in DC, n° 2236, pp. 959-960).
170. Allocution lors de la réception du nouvel ambassadeur de France, 13 novembre 1995, in DC n° 2128, 17 décembre 1995, pp. 1072-1077.
171. Lettre au président du CCEE, 1er septembre 1993, in DC n° 2080, 17 octobre 1993, pp. 879-880. « L’histoire de l’Europe est liée au christianisme depuis deux millénaires On peut même dire que le renouveau culturel est venu de la contemplation du mystère chrétien, qui permet de porter un regard plus profond sur la nature et la destinée de l’homme, ainsi que sur l’ensemble de la création. Même si tous les Européens ne se reconnaissent pas chrétiens, les peuples du Continent sont cependant profondément marqués par l’empreinte évangélique, sans laquelle il serait bien difficile de parler d’Europe. C’est dans cette culture chrétienne, qui constituent nos racines communes, que nous trouvons les valeurs capables de guider notre pensée, nos projets et notre action. […​] Les frontières entre les États se sont ouvertes ; il ne faudrait pas que de nouvelles barrières s’érigent entre les hommes et que de nouvelles inimitiés surgissent entre les peuples, à cause d’idéologies. la recherche de la vérité doit être le moteur de toute démarche culturelle et de relations de fraternité au sein du Continent. Cela suppose le respect plénier de la personne humaine et de ses droits, à commencer par la liberté de parole et la liberté religieuse. Pour cela, il importe de donner à nos contemporains une véritable éducation fondée sur les valeurs essentielles, spirituelles, morales, civiques. » (Discours aux participants du IIe Symposium présynodal européen, 14 janvier 1999, in DC, n° 2199, 7 mars 1999, pp. 206-207).
172. Discours lors de la rencontre avec les autorités et le Corps diplomatique, 20 juin 1998, in DC, n° 2186, 19 juillet 1998, pp. 688-690. Il s’agit là d’une mission fondamentale y compris sur le plan social et politique car, d’une manière générale, « on juge le degré de civilisation d’une nation à la sensibilité qu’elle montre pour ses membres les plus faibles et les plus malheureux, et par son effort pour promouvoir leur réhabilitation et leur pleine insertion dans la vie sociale. » (Discours à la population de Zagreb (Croatie), le 2 octobre 1998, in DC, n° 2192, 15 novembre 1998, pp. 972-973).
   Jean-Paul II mettra en garde les peuples de l’Est récemment entrés dans l’Union européenne contre les faux espoirs et les invitera à participer à la construction européenne en restant fidèles à leurs racines propres. En entrant dans les structures européennes, les Roumains doivent bien distinguer « les valeurs positives et négatives de la société occidentale » : attention à la consommation et à l’individualisme « le peuple roumain fera bien de se rappeler qu’il n’a pas seulement quelque chose à recevoir, mais qu’il possède également un riche héritage spirituel, culturel et historique à offrir au bénéfice de l’humanité et de la vitalité du continent tout entier. » « savoir conserver une ferme adhésion aux valeurs chrétiennes. » (Discours aux évêques de Roumanie en visite ad limina, 1er mars 2003, in DC n° 2292, 18 mai 2003, pp. 467-469). A propos des pays de l’ancien « bloc de l’Est » qui vont entrer dans les structures européennes, il dira qu’ils « ont une grande mission à accomplir sur le Vieux Continent ». Le pape conscient que les opposants sont nombreux , salue leur « sollicitude à l’égard de la défense de l’identité culturelle et religieuse » de leur pays et partage « leurs inquiétudes sur la répartition économiques des forces » mais « la Pologne toujours constitué une part importante de l’Europe […​], elle ne peut pas aujourd’hui abandonné cette communauté » malgré les difficultés car elle « constitue une famille de nations fondée sur une tradition chrétienne commune. L’entrée dans les structures de l’Union européenne, avec des droits égaux à ceux des autres pays, est pour notre nation et pour les autres nations slaves voisines, l’expression d’une justice historique et peut, d’autre part, constituer un enrichissement pour l’Europe. » Les croyants ont « le devoir d’une construction active de la communauté de l’esprit sur la base des valeurs qui ont permis de survivre à des décennies d’efforts visant à introduire de manière programmée l’athéisme. » (Discours aux pèlerins venus pour deux canonisations, 19 mai 2003, in DC n° 2295, 6 juillet 2003, pp. 622-624). Aux Slovaques, il dira : « …​apportez à la construction de l’identité de la nouvelle Europe, la contribution de votre riche tradition chrétienne. Ne vous contentez pas seulement de la recherche d’avantages économiques. En effet, une grande richesse peut également engendrer une grande pauvreté. Ce n’est qu’en édifiant même avec des sacrifices et de difficultés, une société qui respecte la vie humaine sous toutes ses formes, qui promeuve la famille comme lieu d’amour réciproque et de croissance de la personne, qui recherche le bien commun et soit attentive aux exigences des plus faibles, que l’on aura la garantie d’un avenir fondé sur des bases solides et riche de biens pour tous. » (Discours à l’arrivée à Bratislava (Slovaquie), 11 septembre 2003, in DC n° 2299, 5 octobre 2003, pp. 852-853).
173. Lettre au président du CCEE, 1er septembre 1993, in DC n° 2080, 17 octobre 1993, pp. 879-880.
174. Discours à Maribor (Slovénie) au monde de la science et de la culture, 19 mai 1996, in DC n° 2140, 16 juin 1996, pp. 560-563.
175. « La marginalisation des religions, qui ont contribué et contribuent encore à la culture et à l’humanisme dont l’Europe est légitimement fière, me paraît être à la fois une injustice et une erreur de perspective. » (Discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 10 janvier 2002, in DC n° 2263, 3 février 2002, pp. 104-106).
176. Message au Symposium des évêques d’Europe, 22 octobre 1996, in DC, n° 2150, 15 décembre 1996, pp. 1053-1054.
177. Discours à des députés du Parti populaire européen (démocrate-chrétien) du Parlement européen, 6 mars 1997, in DC, n° 2157, 6 avril 1997, pp. 302-304. « Ceux qui ont le devoir de prendre des décisions politiques et sociales dans leurs nations sont appelés à fonder leur démarche essentiellement sur les valeurs anthropologiques et morales, et non sur le progrès technique qui, en lui-même, n’est ni un critère de moralité ni un critère de légalité. » (Discours au Congrès des responsables politiques et législateurs d’Europe, 23 octobre 1998, in DC n° 2193, 6 décembre 1998, pp. 1001-1003).
178. Discours aux participants au Congrès sur les vocations en Europe, 9 mai 1997, in DC, n° 2163, 6 juillet 1997, pp. 605-606.
179. Ainsi, saint Adalbert (vers 956-997) un des patrons de la Pologne est aussi, dit Jean-Paul II, « un grand Patron de notre continent » (id.). « Né en Bohême, à une époque qui suivit de peu celle où Cyrille et méthode commencèrent l’évangélisation des slaves, Adalbert sut, à l’exemple de ces illustres prédécesseurs, unir les traditions spirituelles de l’Orient et de l’Occident. Après s’être formé à Magdebourg, prêtre puis évêque à Prague, il connut aussi la Rome des Papes et pavie ; il fut pèlerin en France, il alla à Mayence et devint l’ami de l’empereur Otton III, avant d’accomplir sur ultime mission sur les rives de la Baltique. » (Message aux sept chefs d’État présents à Gniezno, 3 juin 1997, in DC, n° 2164, 20 juillet 1997, p. 668).
180. Homélie à Gniezno (Pologne) lors de la célébration du millénaire de saint Adalbert, 2 juin 1997, in DC n° 2164, 20 juillet 1997, pp. 664-667. Toutes les confessions chrétiennes sont invitées à collaborer. Jean-Paul II invite les orthodoxes à collaborer à la fois pour défendre ensemble les « valeurs évangéliques » mais aussi en vue d’un resserrement des « relations ecclésiales entre orthodoxes et catholiques » (Discours à une délégation du Saint-Synode de l’Église orthodoxe serbe 6 février 2003, in DC n° 2290, 20 avril 2003, pp. 399-400). Lors d’une rencontre œcuménique (entre catholiques, évangéliques, orthodoxes et anglicans), il rappellera que « dès le début, le Saint-Siège a soutenu l’intégration européenne » et insistera sur le fait que « l’affirmation valable et durable d’une telle union exige de se référer au christianisme comme facteur d’identité et d’unité » (Discours à l’occasion de la remise du prix international Charlemagne de la Ville d’Aix-la-Chapelle, 24 mars 2004) ». Il invitera les participants à « dépasser le nationalisme égoïste » et à « voir dans l’Europe une famille de peuples, riche d’une multiplicité de cultures et d’expériences historiques, mais, dans le même temps, unie dans une sorte de destin commun. » (Message aux participants à la rencontre œcuménique (catholiques, évangéliques, orthodoxes et anglicans) « Miteinander für Euopa » à Stuttgart, 6 mai 2004, in DC n° 2317, 4 juillet 2004, pp. 603-604).
181. Message aux sept chefs d’État présents à Gniezno, 3 juin 1997, in DC, n° 2164, 20 juillet 1997, p. 668-669. Ailleurs, il précisera comment réaliser l’unité de l’Europe dans la diversité, « …​de l’Atlantique à l’Oural, de la Mer du Nord à la Méditerranée » : « Pour édifier la nouvelle Europe, il faut beaucoup de mains, mais surtout beaucoup de cœurs qui ne battent pas seulement pour la carrière et pour l’argent, mais au contraire pour Dieu au nom de l’homme ; […​] la ferme volonté de respecter la dignité de tout homme et d’accepter la vie sans réserve dans toutes ses formes et à toutes ses phases. En effet, parmi les richesses du patrimoine chrétien, c’est avant tout le concept de l’homme qui a exercé une influence profonde sur la culture européenne.
   Pour projeter de construire de manière adéquate une maison, il faut un instrument de mesure adéquat. Celui qui ne connaît pas la mesure, manque aussi son objectif. Les architectes de la Maison européenne disposent de l’image de l’homme que le christianisme a inculquée dans l’antique culture du Continent, jetant les bases de la créativité et de la performance dont le niveau est tant admiré par tous. Le concept de l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu n’est donc pas une antique pièce de musée, mais représente la base d’une Europe moderne sur laquelle les multiples pierres de construction des diverses cultures, peuples et religions peuvent être tenues unies pour l’édification du nouvel édifice. Sans ce critère de mesure, la Maison européenne actuellement en construction risque de s’affaisser et de ne pas durer. » (Discours d’arrivée à Salzbourg, 19 juin 1998, in DC, n° 2186, 19 juillet 1998, p. 684).
182. Discours à l’ambassadeur de France près le Saint-Siège, 10 juin 2000, in DC, n° 2230, 16 juillet 2000, pp. 663-665. En bref, la tâche des hommes politiques est de « dégager le consensus nécessaire pour inscrire parmi ses plus hauts idéaux la protection de la vie, le respect de l’autre, le service mutuel et une fraternité sans exclusion. » (Discours aux présidents des Parlements de l’Union européenne, 23 septembre 2000, in DC, 2234, 15 octobre 2000, pp. 861-862).
183. La pape insistera (id): « il est urgent et nécessaire » que les croyants argumentent et montrent que l’apport de ces valeurs est « bénéfique pour tous », qu’elles constituent « un fondement solide ». Durant l’année 2003, il reviendra à de nombreuses reprises sur ces valeurs, dans ses discours aux ambassadeurs de Suède (17 mai), de Roumanie (1er juin), de France (27 juin) de Grèce,(2 septembre), de Slovénie (5 septembre), de Grande-Bretagne (7 septembre) d’Allemagne (12 septembre), de Hongrie (24 octobre), de Belgique (31 octobre) (Cf. DC n° 2283, 5 janvier 20013, pp. 24-28) ; de même à l’ambassadeur de la république tchèque, 28 avril 2003, ( DC n° 2297, 3 et 17 août 2003, pp. 734-735). Il n’abandonnera même pas l’espoir de voir la référence à Dieu un jour inscrite dans les textes fondateurs : « …​l’Église catholique est convaincue que l’Évangile du Christ, qui a constitué un élément unificateur des peuples européens au cours de nombreux siècles, continue à demeurer aujourd’hui encore une source inépuisable de spiritualité et de fraternité. En prendre acte tourne à l’avantage de tous et reconnaître explicitement dans le Traité [il s’agit du Traité constitutionnel de l’Union européenne] les racines chrétiennes de l’Europe devient pour le Continent la garantie principale de l’avenir. » (Allocution lors de l’Angélus du 24 août 2003, in DC n° 2299, 9 octobre 2003, pp. 845-846). « …​que l’Europe, dans les instances compétentes, reconnaisse ses propres racines chrétiennes, qui sont en mesure d’assurer aux citoyens du Continent une identité qui ne soit pas éphémère ou purement fondée sur des intérêts politiques et économiques, mais bien sur des valeurs profondes et impérissables. Les fondements éthiques et les idéaux qui furent à la base des efforts pour l’unité européenne sont encore plus nécessaires aujourd’hui, si l’on désire offrir une stabilité au profil institutionnel de l’Union européenne. » (Discours à M. G. Balboni Acqua, nouvel ambassadeur d’Italie près le Saint-Siège, 9 janvier 2004, in DC n° 2311, 4 avril 2004, pp. 301-302).
184. Discours aux membres du Directoire du prix Charlemagne, 25 mars 2004, in DC n° 2313, 2 mai 2004, pp. 413-414.

⁢b. Faisons le point

L’Église encourage tous les efforts consentis pour réaliser une union européenne. Cette union ne peut se réaliser que dans le respect et la réanimation de ses racines profondément marquées par le christianisme qui a joué le rôle de catalyseur des diversités culturelles du continent. Comme le dit justement Rémi Brague, le christianisme a été la forme de la culture européenne et le reste, de par sa nature. Il ne s’agit pas d’une restauration du passé d’autant moins qu’il n’est pas sans ombres. Pour que le christianisme puisse jouer son rôle dans le respect des différentes composantes nationales et philosophiques, il est cependant indispensable que soient reconnues un ensemble de valeurs éthiques fondamentales. Et c’est sur ce point que l’Europe aujourd’hui dérape. La seule solution pour que le rêve européen garde sa consistance, est de ré-évangéliser le continent, c’est-à-dire de procéder à l’inculturation de l’évangile, gardant tout ce qu’il peut y avoir de positif dans les visions du monde en présence mais en préservant jalousement le minimum humain, les droits objectifs et irrépressibles de la personne.

⁢c. Benoît XVI (2005-2013)

Durant le pontificat de Jean-Paul II, le cardinal Joseph Ratzinger a développé toute une réflexion fort intéressante sur l’Europe, son état et les conditions de son unité. Une réflexion qui complète et approfondit certaines prises de position du Souverain Pontife.

qu’est-ce que l’Europe ?

[1]

Pour le cardinal, l’idée d’Europe surgit « de manière plus accentuée aux moments où les peuples que l’on unissait sous ce vocable commun étaient menacés. »⁠[2] Ce qui est vrai pour le XXe siècle marqué par deux guerres mais aussi, dans le passé, par la menace turque. Pour l’auteur, « ce n’est que dans le cas où le concept d’ « Europe » représente une synthèse de réalité politique et d’idéalisme éthique qu’il peut devenir une force déterminante pour l’avenir. »[3] Comment définir l’Europe ?

On peut dans un premier temps la définir négativement en disant ce qu’elle n’est pas, quelles sont les conceptions qui lui sont contraires. Tout d’abord, les conceptions qui prônent un retour en arrière, à un état qu’on pourrait appeler pré-européen et principalement l’Islam⁠[4] ou encore une certaine nostalgie du « monde sauvage » d’avant la christianisation comme en témoigne aussi le national-socialisme préférant la « belle sauvagerie germanique » à « l’aliénation judéo-chrétienne ».⁠[5] A l’opposé, des conceptions se présentent comme post-européennes : il s’agit surtout du rationalisme qui rejette Dieu dans le privé et qui l’a remplacé par la nation, puis par le prolétariat et aujourd’hui par le « ventre ». Cette voie conduit à la disparition de la « société de droit » et finalement à la tyrannie⁠[6]. C’est contre cette Europe-là que l’Islam réagit. Enfin, le marxisme est la « troisième forme de refus (et la plus imposante) de la figure historique de l’Europe. » Le marxisme unit la raison moderne et le dynamisme d’Israël laïcisé et prétend mener l’Histoire à son accomplissement.⁠[7].

Ceci dit, quelles sont alors les « composantes positives de la notion d’Europe » ? Le cardinal Ratzinger en cite quatre : les héritages grec, chrétien, latin et moderne, indissociables et nécessaires. De la Grèce, l’Europe a hérité de « la différence entre le bien et les biens, qui implique un droit de la conscience ainsi qu’un rapport mutuel entre ratio et religio. » A quoi s’ajoute la démocratie « liée à l’ « eunomie »[8], à la validité du droit juste » et qui « ne peut demeurer démocratie qu’au sein d’une telle relation. La démocratie n’est donc jamais uniquement une domination de la majorité. le mécanisme d’établissement des majorités doit se soumettre à la mesure du règne commun du nomos, de ce qui est intrinsèquement droit, c’est-à-dire des valeurs qui obligent la majorité elle-même. » S’appuyant ensuite sur l’évangile de Jean⁠[9] et les Actes des apôtres⁠[10], le cardinal met en exergue le cheminement des apôtres de Jérusalem à Rome et affirme que « le christianisme est […] la synthèse œuvrée en Jésus-Christ entre la foi d’Israël et l’esprit grec. » Rome va devenir le cœur d’une Europe qui coïncide « avec l’Occident, c’est-à-dire avec le domaine de la culture et de l’Église latine »[11].

A cela s’ajoute « l’esprit de l’époque moderne ». Même s’il comporte plus d’ambigüités que les héritages précédents, celui-ci ne peut « en aucun cas nous conduire à un refus de la modernité »[12]. Est à mettre en évidence « la séparation entre la foi et la loi ». « Dans ce fécond dualisme État-Église, les valeurs humaines fondamentales, selon la vision chrétienne du monde, rendent possible une société humaniste libre dans laquelle sont garantis le droit de la conscience aussi bien que les droits fondamentaux de l’homme », de même que « l’autonomie responsable de la raison. » Encore faut-il ne pas oublier « les racines et le fondement vital de l’idée de liberté » et « continuer à fonder la raison sur le respect de Dieu et des valeurs morales fondamentales qui proviennent de la foi chrétienne. »

En fonction de ces quatre héritages, l’Europe ne peut être réduite, sous peine de décadence, à « une simple centralisation des compétences économiques ou législatives », « à une technocratie dont l’unique règle serait l’accroissement de la consommation. » Tout d’abord, si l’on veut que l’Europe, en vue de la paix, non seulement dépasse le « culte de la nation », ait le sens du partage des biens et s’ouvre au monde, elle doit veiller au « contrôle du pouvoir par le droit », inviolable, régulé « d’après la morale ». Toutefois, et c’est le deuxième point, « il ne demeurera à la longue aucune possibilité de survie pour l’État fondé sur le droit, si le dogme athée évolue vers sa forme radicale » c’est-à-dire si « la foi est tolérée comme une opinion privée » car, « dans ce sens précisément, on ne la tolère pas dans ses éléments constitutifs. » En effet, « la démocratie ne peut fonctionner que si la conscience joue son rôle. Or, cette dernière devient absolument muette quand elle n’est pas orientée vers la mise en œuvre des valeurs morales fondamentales du christianisme, actualisables même sans confessionnalisme chrétien, et même dans le contexte d’une religion non chrétienne. » Il ne peut, , en effet, être question d’« une contrainte de foi. » Troisièmement, « la reconnaissance publique du respect de Dieu comme le fondement de l’ethos et du droit, impliquent que l’on se refuse à considérer la nation ou la révolution mondiale comme summum bonum. » Si des institutions supranationales sont nécessaires, il ne s’agit pas d’ériger une « super-nation » Doivent être exclus et le centralisme et le particularisme au profit d’une « unité dans la pluralité ». Cet objectif peut être atteint par « des institutions et des forces culturelles et religieuses qui ne soient pas des émanations de l’État. »[13] Quant au marxisme dur et pur, la leçon est claire, il instaure une tyrannie où « le droit et l’éthique sont manipulables et la liberté transformée en son contraire. »

Enfin, l’Europe se construira sur « la reconnaissance et la protection de la liberté de conscience, des droits de l’homme, de la liberté de la science » tels qu’ils ont été définis et fondés.

De quoi souffre l’Europe aujourd’hui ?

Le cardinal souligne « Les deux péchés de l’Europe à l’époque moderne ».⁠[14]

d’une part, le nationalisme[15] et, d’autre part, le totalitarisme de la raison technique et la destruction de la conscience morale. Ce péché-ci, « déjà sous-jacent dans les formes extrêmes du nationalisme », lie « la foi dans le progrès, la domination absolue de la civilisation économique et technique et la promesse d’une humanité nouvelle, du royaume messianique » issu d’un messianisme politique s’entend.⁠[16] Le marxisme a bien illustré cela mais « cette combinaison est réelle dans le monde occidental sous des formes moins rigoureuses. »[17] . L’Europe, « depuis le siècle de la Renaissance et de manière plus poussée depuis le siècle des Lumières, a développé cette rationalité scientifique qui, non seulement à l’époque des découvertes aboutit à l’unité géographique du monde, à la rencontre des continents et des cultures, mais qui, maintenant et plus profondément, grâce à la culture technique rendue possible par la science, imprime sa marque sur le monde entier, et même, en un certain sens, l’uniformise. Et dans le sillage de cette forme de rationalité, l’Europe a développé une culture qui, d’une manière jusque là inconnue de l’humanité, exclut Dieu de la conscience publique, soit en le niant purement et simplement, soit en jugeant son existence indémontrable, incertaine, et donc relevant du domaine des choix subjectifs, une donnée de toute façon sans pertinence pour la vie publique. »[18] Dieu absent ou exclu, disparaît avec lui la prééminence de l’éthique. Ainsi, « la prépondérance du progrès technique va de pair avec la destruction des grandes traditions morales sur lesquelles reposaient les sociétés anciennes ».⁠[19]

En effet, « la morale appartient à une sphère tout à fait différente, elle disparaît en tant que catégorie en soi, et elle doit être retrouvée d’une autre façon, dans la mesure où, malgré tout, elle s’avère nécessaire sous une forme ou sous une autre. dans un monde fondé sur le calcul, c’est le calcul des conséquences qui détermine ce qu’il convient de considérer comme moral ou pas. Et ainsi disparaît la catégorie du bien, telle qu’elle a été clairement mise en évidence par Kant. Rien en soi n’est bien ou mal, tout dépend des conséquences que l’action peut laisser prévoir. » Cette conception est « la contradiction sans conteste la plus radicale non seulement du christianisme mais également des traditions religieuses et morales de l’humanité ». Cet affrontement entre deux cultures opposées donne « son caractère à l’Europe » et explique « la radicalité des tensions auxquelles notre continent doit faire face »[20] car, bousculant une culture inspirée par le christianisme, se lève « une civilisation de la mort » où règnent drogue et terrorisme. ⁠[21]

Quels remèdes ?

Face à cette idéologie, tout d’abord, « nous devons apprendre à nous séparer du mythe des eschatologies à l’intérieur de l’histoire », « le mythe du progrès […] gaspille les forces d’aujourd’hui pour un lendemain imaginaire et ne sert ainsi ni l’un ni l’autre. » Toute civilisation est mortelle, « personne ne peut construire la forme éternelle, parfaite de l’humanité. L’avenir reste toujours ouvert parce que la vie en commun des hommes est toujours placée sous le signe de la liberté humaine, toujours sujette aux défaillances. » Le rôle du politique n’est pas d’organiser « un monde meilleur qui adviendra un jour ou l’autre, il a la responsabilité de veiller à ce que le monde soit bon aujourd’hui, afin de pouvoir l’être aussi demain. » En somme, L’espoir d’une sorte de « paradis terrestre » « consiste à vouloir libérer l’homme de sa liberté et non pas pour la liberté ». « L’État n’est pas le Royaume de Dieu. »

Deuxièmement, il faut affirmer « la suprématie de l’éthique sur la politique ». « L’action politique, placée sous le signe du mythe du progrès méconnaît […] la liberté de l’homme » remplacée « par les lois de l’histoire » et « révèle en même temps son caractère amoral. » Le fondement d’une politique humaine ne peut être que la justice non pas définie par une majorité mais « par des critères moraux universels » qui ne sont pas engendrés par l’État mais qui nourrissent des convictions qui montrent « à l’État le chemin à suivre ». Autrement dit encore, la justice, fondement de l’État, « est plus que la régulation des intérêts particuliers », elle « doit se soumettre à un critère universel. » Concrètement, l’intérêt national doit être subordonné à l’intérêt de l’humanité : « une universalité européenne vraie ne peut se réaliser que si chaque État se dépasse lui-même », s’ouvre « à l’ensemble de l’humanité. »

Enfin, reste à définir ce qui est bon pour tous, le bien « derrière et au-dessus des biens. » L’idée d’un tel bien , l’Europe ne se l’est pas donnée mais elle l’a reçue « d’une plus ancienne tradition : les Dix Commandements » : « ils fondent la quintessence de ce qui, au début des temps modernes, a été formulé sous le concept des droits de l’homme, lesquels fondent la distinction entre un État qui accepte ses propres limites et un État totalitaire. » A cet endroit⁠[22], le cardinal Ratzinger cite Robert Spaemann : « Si l’Europe n’exporte pas sa foi, la croyance que - pour citer Nietzsche - « Dieu est la vérité et que la vérité est divine », alors elle exporte inévitablement son incroyance, c’est-à-dire la conviction que la vérité, le droit et le bien n’existent pas…​ Sans l’idée de l’absolu, l’Europe n’est plus qu’un concept géographique. Un nom, du reste, pour désigner le lieu d’origine de l’abolition de l’homme. »[23] Et donc l’Europe doit continuer à « exporter sa technique et sa rationalité. mais si elle ne fait que cela, elle détruit les grandes traditions morales et religieuses de l’humanité, elle détruit les fondements de l’existence et soumet les autres à une légalité qui la détruira à son tour. […] Avec la rationalité elle doit également en transmettre l’origine intime, le fondement vrai - la reconnaissance du logos comme fondement de toutes choses, le regard sur la vérité qui est aussi critère du bien. » ⁠[24]

En somme, « la grandeur de l’Europe repose sur une sagesse dans laquelle la raison n’oublie pas, au-delà de toute quête et de toute science, son bien le plus haut : être la faculté du divin. »⁠[25]

qu’a pensé le cardinal Ratzinger du débat sur le Préambule de la Constitution européenne⁠[26] où finalement furent évoqués les « héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe ».

La formule noie l’héritage chrétien parmi un ensemble de traditions non identifiées alors que c’est historiquement et incontestablement le christianisme qui a formé l’essentiel de la culture européenne.⁠[27]

Les rédacteurs du Préambule ont peut-être craint d’identifier l’Europe avec la religion chrétienne. A quoi le cardinal Ratzinger répond que « le christianisme n’est pas né en Europe, et par conséquent on ne peut pas qualifier de religion européenne la religion du milieu culturel européen. Mais c’est tout de même bien de l’Europe qu’il a, historiquement parlant, reçu sa marque culturelle et intellectuelle la plus féconde, et pour cette raison, il reste intimement lié à l’Europe de façon toute spéciale. »[28] Pour le cardinal, l’exclusion tout d’abord de toute référence à Dieu puis de toute reconnaissance des racines chrétiennes de l’Europe est le fait d’une idéologie laïciste.

Les partisans de l’exclusion ont estimé que, dans la mesure où l’article 52 de la Constitution garantissait les droits institutionnels des Églises, celles-ci pouvaient être rassurées. Position incohérente aux yeux du cardinal car, « …​cela signifie que, dans la vie de l’Europe, celles-ci [les Églises] trouvent leur place dans un contexte de compromis politique, tandis que, dans le contexte des fondements de l’Europe, l’empreinte de leur contenu ne trouve aucunement place. »

Que répondre aussi à l’argument qui prétend que si les références évoquées n’avaient pas été effacées, elles auraient blesseraient la sensibilité des non-chrétiens. Le cardinal réaffirme que ces références renvoient avant tout à « un fait historique que personne ne peut sérieusement nier. » Mais « ce rappel historique fait également référence au présent, du fait que, par la mention des racines, sont indiquées les sources de l’orientation morale qui en dérive, et est donc mis en évidence un facteur d’identité de cette réalité qu’est l’Europe. » Ce facteur d’identité menacerait-il d’autres identités ? Non, ce ne sont pas les bases morales du christianisme qui menacent les Musulmans mais bien « le cynisme d’une culture sécularisée qui nie leurs propres bases religieuses. » Et les Juifs n’auraient-ils pas été blessés ? Non puisque « ces racines elles-mêmes proviennent du mont Sinaï ». Quant à la mention de Dieu, ce n’est pas elle « qui offenserait les fidèles d’autres religions, mais plutôt la tentative de construire la communauté humaine absolument sans Dieu. »

En définitive, « les raisons de ce double refus sont plus profondes que ne le laissent supposer les motifs avancés. Elles présupposent l’idée selon laquelle seule la culture des Lumières radicale, qui a atteint son plein développement dans notre temps, pourrait être constitutive de l’identité européenne. A côté d’elle différentes cultures religieuses avec leurs propres droits respectifs peuvent coexister, mais à condition et dans la mesure où elles respectent les critères de la culture des Lumières et lui soient subordonnées, et seulement dans la mesure où elles le font. »

Ce qui ne signifie pas que cette culture des Lumières ne comporte pas « des valeurs importantes. »[29]

Attardons-nous donc un peu à cette philosophie des Lumières à la fois donc négative et positive.

Jean-Paul II avait aussi évoqué ce qu’il appelle « le drame des Lumières européennes. » « Dans leurs diverses expressions [françaises, puis anglaises et allemandes], les Lumières s’opposèrent à ce que l’Europe était devenue sous l’effet de l’évangélisation. » Elles s’efforcèrent d’exclure le « Dieu-homme, mort et ressuscité […] de l’histoire du continent. Il s’agit d’un effort auquel de nombreux penseurs et hommes politiques actuels continuent de rester obstinément fidèles. » A ce moment, « s’est ouverte la voie vers les expériences dévastatrices du mal qui devaient venir plus tard. »[30]. Il n’empêche que les Lumières européennes « ont eu des fruits positifs comme les idées de liberté, d’égalité et de fraternité, qui sont aussi des valeurs enracinées dans l’Évangile. Même si elles ont été proclamées indépendamment de lui, ces idées révélaient à elle seules leur origine. » Dès lors, « les chrétiens peuvent aller à la rencontre du monde contemporain et engager avec lui un dialogue constructif " d’autant plus nécessaire pour le monde, contrairement à ce que l’on croit aujourd’hui, que « seul le Crist par son humanité révèle totalement le mystère de l’homme. » En effet, comme le concile l’a montré (cf. GS), « la dignité propre de l’homme ne se fonde pas seulement sur le fait d’être homme, mais plus encore sur le fait que, en Jésus-Christ, Dieu s’est fait vrai homme. »⁠[31]

Le cardinal Ratzinger renchérit⁠[32] : « Cette culture des Lumières est définie en substance par les droits de la liberté ; elle part de la liberté comme de la valeur fondamentale à l’aune de quoi tout se mesure. » Dès lors, « ce canon de la culture des Lumières, bien que loin d’être complet, comporte des valeurs dont, en tant que chrétiens, nous ne pouvons pas et ne devons pas nous désolidariser : la liberté du choix religieux, ce qui inclut la neutralité religieuse de la part de l’État ; la liberté d’expression de ses opinions, à condition de ne pas mettre en doute ce principe même ; l’organisation démocratique de l’État, et donc le contrôle parlementaire sur les organismes d’État ; la liberté de formation des partis ; l’indépendance de la magistrature ; et enfin la tutelle des droits de l’homme et l’interdiction des discriminations. »

Où est le problème ? Le problème naît du fait que « la conception mal définie, voire non définie, de la liberté, qui est à la base de cette culture » entraîne des contradictions et limitations de la liberté⁠[33]. « Une idéologie confuse de la liberté conduit à un dogmatisme que l’on découvre comme étant toujours plus hostile à la liberté. » Cette idéologie « affiche une prétention à l’universel, et une conception de soi comme étant complète par elle-même et ne nécessitant pas quelque complément apporté par d’autres facteurs culturels. » On peut citer en exemple le problème de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Voilà un milieu culturel sans racines chrétiennes, influencé par la culture islamique, et un État qui s’est voulu laïc (concept qui a mûri dans l’Europe chrétienne). Selon la culture des Lumières : « seules les normes et le contenu de ladite culture des Lumières peuvent déterminer l’identité de l’Europe, et, par conséquent, tout État qui fait siens de tels critères pourra appartenir à l’Europe. »

Cette attitude pose deux questions : peut-on considérer que « cette culture laïque des Lumières est vraiment la culture, finalement déclarée universelle, d’une raison commune à tous les hommes » ? Est-elle « complète par elle-même, au point de n’avoir besoin d’aucune racine en dehors de soi. » ?

Est-elle « universellement valide » ?

Il est acquis que « la religion ne peut pas être imposée par l’État mais ne peut être accueillie que dans la liberté ; le respect des droits fondamentaux de l’homme, qui sont les mêmes pour tous ; la séparation des pouvoirs et le contrôle du pouvoir. » Toutefois, il n’est pas pensable que « ces valeurs fondamentales, que nous considérons comme généralement valides puissent être réalisées de la même façon quel que soit le contexte historique ». Ainsi, « une totale neutralité religieuse de l’État est à considérer comme une illusion en ce qui concerne la plus grande partie des contextes historiques. »

Par ailleurs, les philosophies modernes des Lumières sont « positivistes, et par là anti-métaphysiques ». Elles ont donc exclu Dieu. Elles sont « basées sur une auto-limitation de la raison positive, qui est adaptée au milieu technique mais qui, au contraire, lorsqu’elle est généralisée, constitue une mutilation de l’homme. » Il ne peut plus y avoir de morale et « le concept même de liberté, qui, de prime abord, pourrait sembler indéfiniment extensible, mène finalement à l’auto-destruction de la liberté. »

N’empêche que « d’importants éléments de vérité » se trouvent dans ces philosophies mais « fondés sur une auto-limitation de la raison » typique de la situation culturelle occidentale moderne, « ils ne sont pas l’expression de cette philosophie qui un jour devrait être valide pour le monde entier. »

De plus, cette philosophie des Lumières « se coupe consciemment de ses propres racines historiques », elle n’a retenu que ce principe : « ce que l’on est capable de faire, on peut aussi le faire » au nom de la liberté « valeur suprême et absolue ». Or, sans norme morale, le « savoir-faire » devient « un pouvoir de destruction », une « oblitération de l’homme ». En témoignent les « magasins » d’organes, les bombes atomiques, le terrorisme.

Cette philosophie se suffit-elle à elle-même ?

Est-elle complète ? Doit-elle rejeter ses racines ? Non ! Elle n’exprime qu’une partie de la raison et donc elle « ne peut être considérée comme entièrement rationnelle. » Elle est donc incomplète et doit être perfectionnée.

Refuser les racines chrétiennes : ce n’est pas « l’expression d’une tolérance qui respecterait de la même façon toutes les cultures » Au contraire, c’est « absolutiser un mode de penser et un mode de vivre qui, entre autres choses, s’opposent radicalement aux différentes cultures historiques de l’humanité. » Quand on parle de « choc des cultures », ce n’est pas « un choc des grandes religions » mais un choc entre « l’émancipation radicale de l’homme vis-à-vis de Dieu, des racines de la vie, et, d’autre part, les grandes cultures religieuses », « les grandes cultures historiques »

Refuser la référence à Dieu : ce n’est pas non plus « l’expression d’une tolérance qui veut protéger les religions non théistes et la dignité des athées et des agnostiques » mais la volonté d’effacer « définitivement Dieu de la vie publique de l’humanité », de le cantonner « au milieu subjectif des cultures résiduelles du passé. » A la source nous trouvons le relativisme qui « devient ainsi un dogmatisme qui croit être en possession de la connaissance définitive de la raison, et en droit de considérer tout le reste comme seulement un stade de l’humanité dépassé et, en conséquence, pouvant être relativisé. »

Le christianisme refuse-t-il en définitive les Lumières et la modernité ? Non. Le christianisme est une « religion selon la raison »[34] et lorsque, trahissant sa nature, elle est devenue « tradition et religion d’État », ce fut « le mérite des Lumières d’avoir proposé à nouveau ces valeurs du christianisme[35] et d’avoir redonné toute sa voix à la raison ».

Il est nécessaire que religion et modernité soient être « prêtes à se corriger » : « Le christianisme doit toujours se souvenir qu’il est la religion du logos », religion de « l’Esprit créateur, de qui provient tout le réel. » « le monde provient de la raison, et […] celle-ci est son critère et son but. » Le monde ne provient pas de l’irrationnel et la religion n’est pas un « sous-produit » comme beaucoup le pensent aujourd’hui. « une raison découlant de l’irrationnel, et qui donc, à la fin des fins, est-elle-même irrationnelle, ne constitue pas une solution à nos problèmes. » Il faut « vivre une foi qui provienne du logos, de la raison créatrice, et qui pour cela est ouverte aussi à tout ce qui est vraiment rationnel. »

« A l’époque des Lumières, on a essayé de comprendre et définir les normes morales essentielles, disant qu’elle seraient valides […] même dans le cas où Dieu n’'existerait pas. » Indépendamment donc des divisions philosophiques ou confessionnelles. C’était possible dans la mesure où subsistaient, résistaient quelques grandes certitudes chrétiennes, ce qui n’est plus le cas. La recherche d’une certitude incontestable « au-delà de toutes les différences, a échoué. » Même Kant n’a pu apporter cette certitude partagée. Au niveau de la raison pure, il nie que Dieu « puisse être connu » mais, en même temps, il présente « Dieu, la liberté et l’immortalité, comme autant de postulats de la raison pratique, sans laquelle, disait-il en toute cohérence avec lui-même, aucun acte moral n’est possible. » N’avait-il pas raison ? ne devrions-nous pas dire : « même qui ne réussit pas à trouver la voie de l’acceptation de Dieu devrait chercher à vivre et à diriger sa vie […] comme si Dieu existait. »[36]

Il est certain que la question européenne a hanté le cardinal Ratzinger. A preuve encore, la publication un peu remaniée, en 2004, en Italie, de deux conférences données l’une à Berlin en 2000 et l’autre à Côme en 2001: L’Europe, ses fondements spirituels, aujourd’hui et demain et Réflexions sur l’Europe[37] où il reprend une question à laquelle il avait déjà répondu précédemment : qu’est-ce que l’Europe ?

L’auteur répond de nouveau : « L’Europe n’est pas un continent que l’on peut nettement saisir en termes de géographie : il s’agit, en réalité, d’un concept culturel et historique. »[38]

Cette culture européenne dont il a déjà analysé précédemment les quatre composantes classiques (grecque, romaine, chrétienne) et moderne (« technico-séculière ») s’est universalisée et a atteint l’Amérique, l’Afrique et l’Asie mais elle semble, en même temps, avoir perdu son âme : « on a l’impression que l’ensemble des valeurs de l’Europe, sa culture, sa foi, tout ce sur quoi repose son identité, que tout cela arrive au bout, et soit mêle déjà sorti de scène. Nous sommes arrivés à l’heure des systèmes de valeurs d’autres mondes : Amérique précolombienne, Islam, mystique d’Asie. A l’heure de sa suprême réussite, l’Europe semble devenue intérieurement vide […]. » De plus, « à cette diminution de ses forces spirituelles fondamentales correspond le fait que, sur le plan ethnique, l’Europe semble en voie de disparition. »[39]

A cet endroit, le cardinal Ratzinger évoque deux diagnostics classiques: celui d’Oswald Spengler⁠[40] et celui d’Arnold Toynbee⁠[41]. Pour le premier, « l’Occident atteint sa période finale et court, inexorablement, vers la mort de ce continent culturel […]. » Pour le second,« l’Occident […] passe par une crise ». Cette crise est la sécularisation, le passage « de la religion au culte de la technique ».⁠[42]

Rejoignant l’analyse de Toynbee, sans pour autant préjuger de l’avenir, le futur Benoît XVI affirme que « le destin d’une société dépend toujours d’une minorité capable de créer. » Quel serait, vis-à-vis de l’Europe, le rôle de cette minorité ? Inscrire dans la future Constitution européenne⁠[43] trois « éléments fondamentaux » : la reconnaissance des droits humains et de la dignité de l’homme comme « valeurs précédant toute juridiction d’État » ; la reconnaissance de la famille basée sur le mariage monogame comme « cellule de formation pour la communauté sociale » ; et enfin, « le respect à l’égard de ce qui, pour l’autre, est sacré, et en particulier le respect pour le sacré au sens le plus élevé, pour Dieu »[44].

La multiculturalité que l’on encourage « passionnément » aujourd’hui, est parfois « abandon et rejet de ce qui est propre, fuite des réalités particulières à l’Europe. » Or, « la multiculturalité ne peut subsister si font défaut, à partir des valeurs propres, certaines constantes communes, certaines données permettant de s’orienter. Elle ne peut certainement pas subsister sans le respect de ce qui est sacré. »[45] Et « ce n’est possible que dans la mesure où le sacré, Dieu, ne nous est pas étranger à nous-mêmes. »[46]

Après la guerre, deux motivations paraissent essentielles à la construction de l’Europe : la recherche d’une identité commune pour établir la paix⁠[47] et l’affirmation d’intérêts communs pour soutenir la concurrence économique des États-Unis, du Japon et de l’Union soviétique entourée de ses satellites et de nombre pays du tiers monde.

Mais, « dans l’essor de la puissance économique de l’Europe - après des orientations originelles, plus éthiques et religieuses - l’intérêt économique devint déterminant, de façon toujours plus exclusive. » Cette accentuation entraîne « une sorte de nouveau système de valeurs » qui ne sont plus absolues mais souvent ambigües qui entraînent de « nouvelles oppressions » de la part des décideurs : « les détenteurs du pouvoir scientifique, et ceux qui administrent les moyens. » Se trouvent menacés : la dignité de la personne humaine, la dignité particulière de l’union de l’homme et de la femme et le respect du sacré.⁠[48]

Devenu pape, sous le nom de Benoît XVI, l’ancien cardinal va continuer de militer en faveur d’un renouveau européen.

Il n’hésitera pas à rappeler l’« Acte européen » de Compostelle⁠[49] s’inscrivant ainsi d’emblée dans la ligne tracée par son prédécesseur.

Pour le Saint Père, la santé de l’Europe dépend de la revitalisation de son fond chrétien⁠[50] qui exclut toutes les tentations laïcistes qui affectent les lois et les mœurs sur tout le vieux continent.

Lors d’un Congrès du Parti populaire européen⁠[51], il déclarera que c’est « en tenant compte de ses racines chrétiennes, [que] l’Europe sera capable de donner une orientation sûre aux choix de ses citoyens et de ses peuples, elle renforcera sa conscience d’appartenir à une civilisation commune et elle consolidera l’engagement de tous dans le but de faire face aux défis du présent en vue d’un avenir meilleur.[…] L’héritage chrétien peut contribuer de manière significative à tenir en échec une culture aujourd’hui amplement diffusée en Europe qui relègue dans la sphère privée et subjective la manifestation des convictions religieuses de chacun. » Cette culture menace « la démocratie elle-même, dont la force dépend des valeurs qu’elle défend (cf. Evangelium vitae, 70). » Le pape n’hésite pas à dénoncer qu’« une certaine intransigeance séculière se révèle ennemie de la tolérance et d’une saine vision séculière de l’État et de la société. C’est pourquoi je me réjouis », ajoute-t-il, « que le Traité constitutionnel de l’Union européenne prévoie une relation organisée et permanente avec les communautés religieuses, en reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique. »[52]

Dans ce cadre, quelle est la mission des Églises ? « les Églises et les communautés ecclésiales interviennent dans le débat public, en exprimant des réserves ou en rappelant certains principes, cela ne constitue pas une forme d’intolérance ou une interférence, car ces interventions ne visant qu’à éclairer les consciences, en les rendant capables d’agir de manière libre et responsable, conformément aux exigences véritables de la justice même si cela peut entrer en conflit avec des situations de pouvoir et d’intérêt personnel. »

Pour l’Église catholique, en particulier, « certains principes qui ne sont pas négociables. parmi ceux-ci, les principes suivants apparaissent aujourd’hui de manière claire :

-la protection de la vie à toutes ses étapes, du premier moment de sa conception jusqu’à sa mort naturelle ;

-la reconnaissance et la promotion de la structure naturelle de la famille - comme union entre un homme et une femme fondée sur le mariage - et sa défense contre les tentatives de la rendre juridiquement équivalente à des formes d’union radicalement différentes qui, en réalité, lui portent préjudice et contribuent à sa déstabilisation, en obscurcissant son caractère spécifique et son rôle social irremplaçable ;

-la protection du droit des parents d’éduquer leurs enfants.

Ces principes ne sont pas des vérités de foi, même s’ils reçoivent !un éclairage et une confirmation de la foi : ils sont inscrits dans la nature humaine elle-même et sont donc commun à toute l’humanité. L’action de l’Église en vue de leur promotion n’est donc pas à caractère confessionnel, mais elle vise toutes les personnes, sans distinction religieuse. Inversement, une telle action est d’autant plus nécessaire que ces principes sont niés ou mal compris, parce que cela constitue une offense contre la vérité de la personne humaine, une blessure grave infligée à la justice elle-même. »[53]

Cette attention portée à l’évolution de l’Europe n’'est-elle pas à relativiser aujourd’hui qu’elle n’est plus qu’une partie d’un monde et non plus le centre du monde ?

Benoît XVI répond : « L’Europe est certainement devenue le cœur du christianisme et de son engagement missionnaire. Aujourd’hui, les autres continents, les autres cultures, entrent avec un poids égal dans le concert de l’histoire du monde. Ainsi s’accroît le nombre de voix de l’Église, et c’est une bonne chose. […] même si l’Europe n’est maintenant qu’une partie d’un tout plus grand, Nous avons encore une responsabilité à cet égard. Nos expériences, la science théologique qui a été développée ici, nos traditions, même les expériences œcuméniques que nous avons accumulées : tout cela est très important même pour les autres continents. »[54]

Et un peu plus tard, il rappellera que « l’Union européenne est devenue, dans le monde, une force économique de premier plan, ainsi qu’un signe d’espérance pour beaucoup. »[55]

Comme Jean-Paul II, Benoît XVI est bien conscient que l’Europe s’éloigne de ce qu’elle devrait être. Pour lui aussi, c’est une cause de grande tristesse. Ainsi, à propos de la dénatalité en Europe, il constate, amer, que « cette Europe semble lasse, elle semble même vouloir se congédier de l’histoire. » Et au fond, comme il le répétera, « le grand problème de l’Occident est l’oubli de Dieu…​ »⁠[56]

Mais le chrétien ne désespère jamais. Même si, sur un plan purement temporel « l’unité reste encore en grande partie à réaliser dans l’esprit et dans le cœur des personnes » ; même si après la chute prometteuse du Rideau de fer, on connut une vive « déception » ; même s’il est « possible de formuler des critiques justifiées vis-à-vis de quelques institutions européennes », il ne faut pas oublier que « le processus d’unification est de toute façon une œuvre d’une grande portée » et « pour les pays d’Europe centrale et orientale un stimulant ultérieur pour consolider chez eux la liberté, l’état de droit et la démocratie.[…] On parle souvent aujourd’hui du modèle de vie européen. On entend par là un ordre social qui conjugue efficacité économique avec justice sociale, pluralité politique avec tolérance, libéralité et ouverture, mais qui signifie aussi maintien des valeurs qui donnent à ce continent sa position particulière. » L’Europe reste une valeur et une promesse mais il ne faut pas se leurrer : « la « maison Europe » […] sera pour tous un lieu agréable à habiter seulement si elle est construite sur une solide base culturelle et morale de valeurs communes que nous tirons de notre histoire et de nos traditions. L’Europe ne peut pas et ne doit pas renier ses racines chrétiennes. Elles sont une composante dynamique de notre civilisation pour avancer dans le troisième millénaire. »

A travers les erreurs et les errements voire les apostasies, quelques signes sont encourageants. « L’Europe, nous le savons, a certainement vécu et souffert aussi de terribles erreurs. Que l’on pense aux rétrécissements idéologiques de la philosophie, de la science et aussi de la foi, à l’abus de religion et de raison à des fond impérialistes, à la dégradation de l’homme par un matérialisme théorique et pratique, et enfin à la dégénérescence de la tolérance en une indifférence privée de références à des valeurs permanentes. Cependant, l’une des caractéristiques de l’Europe est la capacité d’autocritique qui, dans le vaste panorama des cultures mondiales, la distingue et la qualifie. »

Par ailleurs, des leçons de cohérence sont à tirer. Ainsi,« c’est en Europe qu’a été formulé, pour la première fois, le concept des droits humains. » Or, « le droit humain fondamental, le présupposé pour tous les autres droits, est le droit à la vie elle-même. »[57]

Ainsi aussi « fait partie enfin de l’héritage européen une tradition de pensée, pour laquelle un lien substantiel entre foi, vérité et raison est essentiel. »

A cet endroit, le pape cite Jürgen Habermas⁠[58] « un philosophe qui n’adhère pas à la foi chrétienne : « Par l’autoconscience normative du temps moderne, le christianisme n’a pas été seulement un catalyseur. L’universalisme égalitaire, dont sont nées les idées de liberté et de solidarité, est un héritage immédiat de la justice juive et de l’éthique chrétienne de l’amour. Inchangé dans sa substance, cet héritage a toujours été de nouveau approprié de façon critique et de nouveau interprété. Jusqu’à aujourd’hui, il n’existe pas d’alternative à cela. »

L’Europe a donc « une responsabilité unique dans le monde.[…] L’Europe acquerra une meilleure conscience d’elle-même, si elle assume une responsabilité dans le monde qui corresponde à sa tradition spirituelle particulière, à ses capacités extraordinaires et à sa grande force économique. L’Union européenne devrait par conséquent jouer un rôle de meneur dans la lutte contre la pauvreté dans le monde, et dans l’engagement en faveur de la paix. »[59]

En conclusion de ce pontificat, retenons l’idée fondamentale : « L’Europe doit s’ouvrir à Dieu, aller sans peur à sa rencontre, travailler avec sa grâce pour la dignité de l’homme que les meilleures traditions ont découverte : la tradition biblique, fondement d’où sont nées les traditions, classique, médiévale et moderne, les grandes œuvres philosophiques et littéraires, culturelles et sociales de l’Europe.[…] L’Europe de la science et des technologies, l’Europe de la civilisation et de la culture, doit être en même temps l’Europe ouverte à la transcendance et à la fraternité avec les autres continents, ouverte au Dieu vivant et vrai à partir de l’homme vivant et vrai. »[60]


1. Nous suivrons ici un chapitre du livre Église, œcuménisme et politique, Fayard, 1987, pp. 291-310.
2. Op. cit., p. 291.
3. Id., p. 292.
4. L’auteur met surtout en exergue l’absence, en Islam, de distinction entre l’ordre spirituel et l’ordre temporel, qui est une spécificité chrétienne. Le cardinal cite la lettre adressée par le pape Gélase Ier (492-496) à l’empereur Anastase ou mieux encore « son quatrième traité où, face à la typologie byzantine de Melchisédech, il souligne le fait que seul le Christ détient la totalité des pouvoirs: « Celui-ci, en raison de la faiblesse humaine (orgueil !), a séparé, pour la succession des temps, les deux ministères, afin que personne ne s’enorgueillisse » (c. 11). » (Cité in RATZINGER Joseph, L’Europe, ses fondements, aujourd’hui et demain, Editions Saint-Augustin, 2005, p. 16).
5. Église, œcuménisme et politique , op. cit., pp. 295-296.
6. J. Ratzinger cite le théologien protestant Rudolf Bultmann (1884-1976): « Un État non chrétien est possible en principe, mais non un État athée ». (id., p. 298).
7. Id., pp. 298-299.
8. En grec, « eunomia » signifie : « ordre bien réglé, d’où bonne législation, justice, équité, bonne observation des lois, ordre régulier » (BAILLY A., Dictionnaire grec-français, Hachette, 1933).
9. Jn 4, 22: « …​ le salut vient des Juifs » ; et 12, 20-21: « Il y avait quelques Grecs qui étaient montés pour adorer à l’occasion de la fête. Ils s’adressèrent à Philippe qui était de Bethsaïda de Galilée et ils lui firent cette demande : « Seigneur, nous voudrions voir Jésus. » »
10. Ac 2, 10 énumère les peuples présents à Jérusalem lors de la venue du Saint-Esprit, de l’Orient à l’Occident, de l’Asie à Rome, le chemin est tracé : « Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l’Asie, de la Phygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et de la Lybie cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici…​ » ; et 16, 6-10: « Paul et Sylas parcoururent la Phrygie et la région galate, car le Saint-Esprit les avait empêchés d’annoncer la Parole en Asie. Arrivés aux limites de la Mysie, ils tentèrent de gagner la Bithynie, mais l’Esprit de jésus les en empêcha. ils traversèrent alors la Mysie et descendirent à Troas. Une nuit, Paul eut une vision : un Macédonien lui apparut, debout, qui lui faisait cette prière : « Passe en Macédoine, viens à notre secours ! » A la suite de cette vison de Paul, nous avons immédiatement cherché à partir pour la Macédoine, car nous étions convaincus que Dieu venait de nous appeler à y annoncer la Bonne Nouvelle. »
11. « Cet espace latin incluait non seulement les peuples romains mais aussi les peuples germaniques, anglo-saxons et une partie des peuples slaves, en particulier la Pologne. Cette Res publica christiana, que l’Occident chrétien avait conscience de former, n’était pas une construction politique mais un ensemble réel vivant dans l’unité de la culture, dans un « système de droit qui transcende les ethnies et§ les nations, dans les conciles, dans l’établissement des universités, dans la fondation et l’expansion des ordres religieux, et dans la circulation de la vie spirituelle et ecclésiale à partir de Rome, son cœur » (H. Gollwitzer, Europa, Abendland, in J. Ritter, Historisches Wortenbuch der Philosophie, II, Bâle-Stuttgart, 1972, p. 825). » (Op. cit., p. 303).
12. « …​ tentation que l’on peut rencontrer au XIXe siècle dans le médiévisme romantique, et entre les deux guerres mondiales, dans certains milieux catholiques. » (Op. cit., p. 304).
13. J. Ratzinger rappelle qu’au moyen-âge, « saint Anselme de Cantorbury provenait d’Aoste, en Italie, et était abbé en Bretagne et archevêque en Angleterre, que saint Albert le Grand originaire d’Allemagne, pouvait enseigner tout aussi bien à paris qu’à Cologne, et était évêque de Ratisbonne, que saint Thomas d’Aquin a enseigné à Naples, à Paris et à ,Cologne, et Duns Scot en Angleterre, à Paris et à Cologne ». Il ajoute encore que « dans une telle perspective, l’œcuménisme chrétien a aussi une signification européenne. » (Op. cit., p. 309).
14. RATZINGER Cardinal Joseph, Un tournant pour l’Europe ? Diagnostics et pronostics sur la situation de l’Église et du Monde, Flammarion/ Saint-Augustin, 1996, p. 109.
15. Le nationalisme, écrit-il, « n’est que la radicalisation moderne du tribalisme », « une surestimation mythique » de sa propre nation qui a « la prétention de faire valoir dans le reste du monde son propre mode de vie, sa propre puissance » et qui ne craint pas de s’approprier le sacré (Gott mit uns !). Ainsi se trouvent liés d’une certaine manière nationalisme et universalisme. (Id , pp. 109-112).
16. Id., pp. 113-114.
17. Id., p. 114.
18. Discours à Subiaco, à l’occasion de la remise du prix saint Benoît « pour la promotion de la vie et de la famille en Europe », 1er avril 2005, in RATZINGER Cardinal Joseph, Discours et conférences, de Vatican II à 2005, in DC hors-série, 2005, pp. 119-125.
19. Id., p. 116.
20. Discours à Subiaco, à l’occasion de la remise du prix saint Benoît « pour la promotion de la vie et de la famille en Europe », 1er avril 2005 in RATZINGER, Discours et conférences, id..
21. Id., p. 117. Dans une conférence à Berlin, le 28 novembre 2000, le cardinal Ratzinger dénoncera aussi cette « attitude pathologique » de l’Occident qui « ne s’aime plus lui-même » : « si elle veut survivre, l’Europe a besoin de s’accepter à nouveau elle-même, non sans humilité ni critique » (RATZINGER, L’Europe, ses fondements, aujourd’hui et demain, op. cit., p. 36).
22. Id., p. 130.
23. SPAEMANN R., Universalismus oder Eurozentrismus ? in K. Michalski, Europa und die Folgen, 1988, pp. 313-322.
24. RATZINGER, Un tournant pour l’Europe ?, op. cit., pp. 124-130.
25. Id., p. 132.
26. Le texte du préambule de la Constitution européenne adoptée le 18 juin au sommet de Bruxelles et signée officiellement à Rome vendredi 29 octobre par les dirigeants de l’UE dit ceci : Les chefs d’État et de gouvernement des 25 (mentionnés un à un dans le texte),
   « S’inspirant des héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe, à partir desquels se sont développées les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la démocratie, l’égalité, la liberté et l’État de droit,
   Convaincus que l’Europe, désormais réunie au terme d’expériences amères, entend poursuivre cette trajectoire de civilisation, de progrès et de prospérité, pour le bien de tous ses habitants, y compris les plus fragiles et les plus démunis ; qu’elle veut demeurer un continent ouvert sur la culture, sur le savoir, et sur le progrès social ; et qu’elle souhaite approfondir le caractère démocratique et transparent de sa vie publique, et œuvrer pour la paix, la justice et la solidarité dans le monde,
   Persuadés que les peuples de l’Europe, tout en restant fiers de leur identité et de leur histoire nationale, sont résolus à dépasser leurs anciennes divisions, et, unis d’une manière sans cesse plus étroite, à forger leur destin commun,
   Assurés que, 'Unie dans sa diversité' l’Europe leur offre les meilleures chances de poursuivre, dans le respect des droits de chacun, et dans la conscience de leurs responsabilités à l’égard des générations futures et de la Terre, la grande aventure qui en fait un espace privilégié de l’espérance humaine,
   Résolus à poursuivre l’œuvre accomplie dans le cadre des traités instituant les Communautés européennes et du traité sur l’Union européenne, en assurant la continuité de l’acquis communautaire.
   Reconnaissants aux membres de la Convention européenne d’avoir élaboré le projet de cette Constitution au nom des citoyennes et des citoyens et des États d’Europe, Lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs reconnus en bonne et due forme, sont convenus des dispositions qui suivent : « etc..
27. Léo Moulin, tout agnostique qu’il fût, rappelons-nous (tome I), a souligné le caractère résolument révolutionnaire du Livre de la Genèse. « Les valeurs judéo-chrétiennes, écrit-il, sont à n’en pas douter, la source la plus abondante et la plus féconde du passé européen.
   L’homme, créé à part des autres animaux, 'fait à l’image et à la ressemblance de Dieu’ (Gn 1, 26), est supposé jouir des dotes ingeneratae que lui vaut cette ressemblance, à savoir : l’intelligence, la volonté, la puissance, l’autonomie, la responsabilité, la liberté. En d’autres termes, il est considéré comme un être adulte ou, à tout le moins, comme en pouvoir et espérance de le devenir. Il est une personne. A ce titre il a droit au respect de sa dignité et jouit de la possibilité de connaître la vérité et de la dire. C’est là en germe, la doctrine des Droits de l’homme, et l’on comprend pourquoi elle ne pouvait naître et se développer qu’en Europe.
   L’égalité est une autre valeur fondamentale du message judéo-chrétien. Combinée avec les notions de dignité et de liberté, elle mène (encore qu’à long terme) à l’apparition de l’idéal démocratique. » Léo Moulin considère aussi, par exemple, comme un « apport, décisif, du christianisme à la formation de l’Europe : la distinction entre Dieu et César ». Même si « elle n’a pas toujours été observée, tant s’en faut ; mais elle a mis l’Occident, tant bien que mal, à l’abri des systèmes théocratiques et des césaro-papismes, ancêtre des totalitarismes modernes. » (L’Occident n’est pas un accident, in Géopolitique, Hiver 1987-1988, n° 20, pp. 59- 60). Mieux encore, dans son ouvrage Le monde vivant des religieux, Dominicains, Jésuites, Bénédictins…​ Calmann-Lévy, 1964, Léo Moulin montre que les ordres religieux et leurs pratiques constitutionnelles sont à la base de la démocratie moderne, qu’ils ont influencé la rédaction de la Magna Carta (1215) du Bill of Rights (1689) ou encore du Code électoral de 1789.
28. Discours à Subiaco, op. cit..
29. Discours à Subiaco, op. cit.
30. JEAN-PAUL II, Mémoire et identité, Flammarion, 2005, pp. 117-122.
31. Id., pp. 131-139.
32. RATZINGER, L’Europe dans la crise des cultures, in Discours et conférences, op. cit., pp. 119-125.
33. On peut relever l’« opposition entre la volonté de liberté de la femme et le droit à la vie de l’embryon. » ; « l’interdiction de la discrimination peut se transformer peu à peu en une limitation imposée à la liberté d’opinion et à la liberté religieuse. Bientôt il ne sera plus possible d’affirmer que l’homosexualité, selon ce qu’enseigne l’Église catholique, est un désordre objectif dans la structuration de l’existence humaine. Et le fait que l’Église soit convaincue de ne pas avoir le droit de donner l’ordination sacerdotale aux femmes est d’ores et déjà considéré par certains comme contraire à la Constitution européenne. »
34. « Bien que la philosophie, entant que recherche de rationalité - y compris celle de notre foi - ait toujours été l’apanage du christianisme, la voix de la religion avait été exagérément domestiquée. Elle l’était, et c’est le mérite des Lumières d’avoir proposé à nouveau ces valeurs du christianisme et d’avoir redonné toute sa voix à la raison. » (Le cardinal Ratzinger renvoie ici à GS).
35. Religion du logos, religion des persécutés, religion à la recherche de la vérité, du bien, du vrai Dieu, religion universelle, religion de la dignité de tout homme, religion de la liberté de la foi face à l’État.
36. Le cardinal Ratzinger évoque Pascal (le pari). L’approche historique du problème nous renvoie à Sartre (L’existentialisme est un humanisme) et à Guy Haarscher (Philosophie des droits de l’homme).
37. j In L’Europe, ses fondements aujourd’hui et demain, Editions Saint-Augustin, 2005, pp. 11-50.
38. Id., p. 12. A preuve l’espace mouvant qui, à travers le temps, a porté le nom d’Europe. Depuis le pourtour de la Méditerranée jusqu’à la forme d’aujourd’hui en passant par l’empire de Charlemagne, des divisions et subdivisions. Le cardinal Ratzinger met même en question la présentation classique qui définit l’Europe comme allant de l’Atlantique à l’Oural : « fixer l’Oural comme frontière est tout à fait arbitraire », écrit-il. Au-delà de cette chaîne, précise-t-il, nous trouvons « une sorte de substructure de l’Europe ». (id., p. 18).
39. Id., pp. 23-24.
40. 1880-1936. Philosophe allemand, auteur connu surtout par « Le déclin de l’Occident » (1918-1922).
41. 1889-1975. Historien britannique, auteur de « Etude l’histoire » (1934-1961).
42. Op. cit., pp.25-26.
43. Le cardinal Ratzinger nous offre ici le texte d’une conférence prononcée à Berlin le 28 novembre 2000.
44. Le cardinal précise que « la liberté d’opinion rencontre une limite en ce qu’elle ne peut porter atteinte à l’honneur et à la dignité de l’autre ; elle n’est pas liberté de mentir et de détruire les droits humains. »
45. « Pour les cultures du monde, la dimension absolument profane, qui est apparue en Occident, est quelque chose de profondément étranger. Elles en sont persuadées : un monde sans Dieu n’a pas d’avenir. »
46. Op. cit., pp. 32-37.
47. « L’héritage commun - culturel, moral et religieux de l’Europe - devait façonner la conscience des nations et, par cette identité commune de tous les peuples européens, dégager, ouvrir une voie commune vers l’avenir. On était à la recherche d’une identité européenne, qui ne devait pas dissoudre ou nier les identités nationales, mais les unir, sur un plan identitaire supérieur, en une communauté unique de peuples. Il fallait donner toute sa valeur à l’histoire commune comme à une puissance créatrice de paix. Il ne fait aucun doute que, par les pères fondateurs de l’unification européenne, l’héritage chrétien était considéré comme le noyau de cette identité historique avec, évidemment, les différentes formes confessionnelles ; ce qui était commun à tous les chrétiens semblait, de toute façon, reconnaissable, par-delà les frontières confessionnelles, comme force unifiante de l’action dans le monde ; et ne paraissait même pas incompatible avec les grands idéaux moraux du Siècle des Lumières, qui avaient, pour ainsi dire, mis en relief la dimension rationnelle de la donnée chrétienne et qui, au-delà de toutes les antinomies historiques, semblaient directement compatibles avec les idéaux fondamentaux de l’histoire chrétienne d’Europe. » (pp. 40-41).
48. Op. cit., pp. 39-50.
49. Allocution lors de l’Angélus du 24 juillet 2005, in DC n° 2342, 4-18 septembre 2005, pp. 810-811.
50. Benoît XVI rappelle le rôle des universités qui « se développèrent rapidement et jouèrent un rôle important dans le renforcement de l’identité de l’Europe et dans la formation de son patrimoine culturel. » Elles ont encore une mission dans ce sens : « on ne peut oublier la dimension religieuse de l’existence humaine au moment où l’on construit l’Europe du troisième millénaire. le rôle particulier des Universités apparaît alors : dans la situation actuelle, il leur est demandé de ne pas se contenter d’instruire, mais de s’efforcer de jouer aussi un rôle éducatif véritable au service des nouvelles générations, en faisant appel au patrimoine d’idéaux et de valeurs qui ont marqué les millénaires passés. L’Université pourra ainsi aider l’Europe à garder son « âme », en revitalisant ces racines chrétiennes qui l’ont engendrée. » (Discours à un séminaire sur l’héritage culturel des Universités européennes, 1er avril 2006, in DC, n° 2359, 4 juin 2006, pp. 528-529).
51. Ce parti fondé en 1976, regroupe entre autres des partis de tendance démocrate-chrétienne. Il se présente comme « une famille se situant au centre-droit de l’échiquier politique, dont les racines puisent dans l’histoire et la civilisation du continent européen et qui a, dès l’origine, œuvré pour le projet européen ». (Cf. le site EPP)
52. Cf. Traité établissant une constitution pour l’Europe (2004) Article I-52 Statut des églises et des organisations non confessionnelles
   1. L’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres.
   2. L’Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles.
   3. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations.
   Ce traité aurait dû entrer en vigueur le 1er novembre 2006, à condition d’avoir été ratifié par chacun des vingt-cinq États signataires, ce qui n’a pas été le cas. En raison de cet échec, il a été remplacé par un traité modificatif dont le texte a été approuvé par le Conseil européen de Lisbonne le 19 octobre 2007, d’où son nom de traité de Lisbonne.
53. Discours au Congrès du parti populaire européen, 30 mars 2006, in DC n° 2399, 4 juin 2006, pp. 526-528.
54. Entretien avec des journalistes avant son pèlerinage en Bavière, 5 août 2006, in DC, n°2366, 15 octobre 2066, pp. 889-897.
55. Discours au nouvel ambassadeur de Belgique, 26 octobre 2006, in DC, n° 2374, 18 février 2007, pp. 160-161.
56. Discours aux Cardinaux et à la Curie romaine, 22 décembre 2006, in DC, n° 2373, 4 février 2007, pp. 102-109.
57. Et le pape de préciser clairement : « l’avortement ne peut être un droit humain » pas plus que « ce qu’on appelle « l’aide active à mourir » . »
58. Philosophe allemand né en 1929. Parmi ses dernières œuvres, on notera : Entre naturalisme et religion, Les Défis de la démocratie, Gallimard, 2008 ; La constitution de l’Europe, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2012 ; HABERMAS Jürgen et RATZINGER Joseph, Raison et Religion, La dialectique de la sécularisation, , Salvator, 2010.
59. Discours au Corps diplomatique, Vienne, 7 septembre 2007, in DC, n° 2387, 7 octobre 2007, pp. 828-831.
60. Homélie de la messe pour l’Année sainte compostellane, 6 novembre 2010, in DC, n° 2457, 5 décembre 2010, pp. 1044-1046.

⁢d. François

d’emblée le nouveau pape va avoir l’occasion de s’exprimer devant les responsables politiques de cette Europe⁠[1] qui oublie de plus en plus d’où elle vient. Vu le public, ces messages sont particulièrement intéressants et consacrent officiellement la position de l’Église en la matière.

Comme ses prédécesseurs et sans complaisance, François va dresser un portrait sans concession de l’Europe réelle et de ses tares et proposer les remèdes adéquats.

Quelles maladies rongent l’Europe, au sein, ne l’oublions pas, d’« un monde plus complexe, et en fort mouvement. Un monde toujours plus interconnecté et globalisé, et donc de moins en moins « eurocentrique » (PE) ?

Certes, l’Union européenne n’a pas cessé de grandir mais, à cette « Union plus étendue, plus influente, semble cependant s’adjoindre l’image d’une Europe un peu vieillie et comprimée, qui tend à se sentir moins protagoniste dans un contexte qui la regarde souvent avec distance, méfiance, et parfois avec suspicion. » (PE) « une impression générale de fatigue et de vieillissement, d’une Europe grand-mère et non plus féconde et vivante. » (PE) Une « Europe blessée, à cause des nombreuses épreuves du passé, mais aussi à cause des crises actuelles, qu’elle ne semble plus capable d’affronter avec la vitalité et l’énergie d’autrefois. Une Europe un peu fatiguée et pessimiste, qui se sent assiégée par les nouveautés provenant des autres continents. » (CE)

Une Europe où règnent individualisme, indifférence, égoïsme. L’individualisme inspire une « revendication toujours plus grande des droits individuels, qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique, presque comme une « monade », toujours plus insensible aux autres « monades » présentes autour de soi » (PE). L’homme se regarde « comme un absolu » et connaît la solitude, « une des maladies que je vois la plus répandue en Europe », dit le Pape. Solitude des personnes âgées, solitude des jeunes « privés de points de référence et d’opportunités pour l’avenir », solitude des pauvres. (PE) De cet « individualisme indifférent naît le culte de l’opulence, auquel correspond la culture de déchet dans laquelle nous sommes immergés. » (CE), naissent « des styles de vie un peu égoïstes, caractérisés par une opulence désormais insoutenable et souvent indifférente au monde environnant, surtout aux plus pauvres. » (PE) La « prévalence des questions techniques et économiques au centre du débat politique, au détriment d’une authentique orientation anthropologique » nourrit cette « culture du déchet » qui se caractérise par une « mentalité de consommation exagérée » et aussi par l’acceptation de l’avortement et de l’euthanasie. (PE)

A cela s’ajoute la « méfiance des citoyens vis-à-vis des institutions considérées comme distantes, occupées à établir des règles perçues comme éloignées de la sensibilité des peuples particuliers, sinon complètement nuisibles. […] les grands idéaux qui ont inspiré l’Europe semblent avoir perdu leur force attractive, en faveur de la technique bureaucratique de ses institutions. » (PE)

L’Europe souffre aussi, comme le reste du monde d’une paix « trop souvent blessée » car elle est agitée de « tensions ne cessent pas. »[2](CE) Comme le reste du monde, elle connaît le « terrorisme religieux et international » et le « trafic d’armes » (CE).

En fonction de ces maux, quels remèdes proposer devant le Parlement européen ?

Pour retrouver vigueur, l’Europe vieillie, fatiguée, déprimée, « a fortement besoin de redécouvrir son visage pour grandir, selon l’esprit de ses Pères fondateurs. » (PE)

Quel est ce « visage », ou, si l’on préfère, cette identité⁠[3] sur laquelle s’appuyaient les « Pères fondateurs » « qui ont souhaité un avenir fondé sur la capacité de travailler ensemble afin de dépasser les divisions, et favoriser la paix et la communion entre tous les peuples du continent. » (PE) Nous connaissons la réponse : le vrai « visage » de l’Europe est celui d’un profond et authentique humanisme. « Au centre de cet ambitieux projet politique, rappelle François, il y avait la confiance en l’homme, non pas tant comme citoyen, ni comme sujet économique, mais en l’homme comme personne d’une dignité transcendante. » (PE) Ce n’est pas « autour de l’économie, mais autour de la sacralité de la personne humaine, des valeurs inaliénables » (PE) que l’Europe doit se construire.

La « centralité » et la « sacralité » de la personne, de sa dignité, de ses droits inaliénables, trouvent leur « fondement, non seulement dans les événements de l’histoire, mais surtout dans la pensée européenne, caractérisée par une riche rencontre, dont les nombreuses sources lointaines proviennent « de la Grèce et de Rome, de fonds celtes, germaniques et slaves, et du christianisme qui l’a profondément pétrie »[4], donnant lieu justement au concept de « personne ». » (PE)

Le christianisme a précisément révélé que la transcendance de la personne s’articulait sur la relation qu’elle entretenait avec « la terre et le ciel ». Dès lors, « l’avenir de l’Europe dépend de la redécouverte du lien vital et inséparable entre ces deux éléments. Une Europe qui n’a plus la capacité de s’ouvrir à la dimension transcendante de la vie est une Europe qui lentement risque de perdre son âme, ainsi que cet « esprit humaniste » qu’elle aime et défend cependant. » (PE)

Toutefois, face à l’individualisme et à l’exacerbation des droits individuels, il convient de rappeler la nécessité d’associer droit et devoir qui est un concept « aussi essentiel et complémentaire », de « regarder l’homme non pas comme un absolu, mais comme un être relationnel. » La « dimension individuelle, ou mieux, personnelle » doit être reliée « à celle de bien commun » sinon le droit « finit par se concevoir comme sans limites et, par conséquent, devenir source de conflits et de violences. » (PE) Au contraire, en associant droit et devoir, en considérant que nous sommes des êtres relationnels nourris du même bien commun, nous pouvons alors « prendre soin de la fragilité de la personne et des peuples signifie garder la mémoire et l’espérance ; signifie prendre en charge la personne présente dans sa situation la plus marginale et angoissante et être capable de l’oindre de dignité. » (PE)

Ainsi, s’il faut être attentif à « la centralité de la personne humaine », il est impératif de prendre soin aussi de « la famille unie, féconde et indissoluble », de se soucier des institutions éducatives, de l’écologie, de l’emploi, et de l’immigration (PE).

Ce centre humaniste retrouvé, renforcé, « l’Europe peut grandir » selon « les principes de solidarité et de subsidiarité. » (PE) puisqu’« une unité authentique vit de la richesse des diversités qui la composent ». Pour vaincre les tensions, il faut se rappeler que « l’Europe est une famille des peuples » et pour « maintenir vivante la démocratie en Europe » convient « d’éviter les « manières globalisantes » de diluer la réalité : les purismes angéliques, les totalitarismes du relativisme, les fondamentalismes anhistoriques, les éthiques sans bonté, les intellectualismes sans sagesse. » (PE)⁠[5]

Dans ce travail de mémoire et d’espérance, les chrétiens ont évidemment un rôle important à jouer car est « fondamental, non seulement le patrimoine que le christianisme a laissé dans le passé pour la formation socioculturelle du continent, mais surtout la contribution qu’il veut donner, aujourd’hui et dans l’avenir, à sa croissance. Cette contribution n’est pas un danger pour la laïcité des États ni pour l’indépendance des institutions de l’Union, mais au contraire un enrichissement. » (PE)

Pour cela, l’Église doit « entretenir un dialogue profitable, ouvert et transparent avec les institutions de l’Union européenne » car elle peut expliquer qu’« une Europe capable de mettre à profit ses propres racines religieuses, sachant en recueillir la richesse et les potentialités, peut être plus facilement immunisée contre les nombreux extrémismes qui déferlent dans le monde d’aujourd’hui, et aussi contre le grand vide d’idées auquel nous assistons en Occident […]. » (PE)

En somme, il faut « travailler pour que l’Europe redécouvre son âme bonne » et « le rôle de l’âme est de soutenir le corps, d’en être la conscience et la mémoire historique. Et une histoire bimillénaire lie l’Europe et le christianisme. Une histoire non exempte de conflits et d’erreurs, aussi de péchés, mais toujours animée par le désir de construire pour le bien. » (PE)

Devant le Conseil de l’Europe, François va insister longuement de nouveau sur les racines qui constituent son identité et doivent nourrir sa situation « multipolaire » et sa mission « transversale » en vue d’une union forte et d’un rayonnement international.

Pour souligner l’importance fondamentale des « racines », il va se référer à l’image classique de l’arbre⁠[6]]^ : ^ L’Europe « a toujours tendu vers le haut, vers des objectifs nouveaux et ambitieux, animée par un désir insatiable de connaissance, de développement, de progrès, de paix et d’unité. mais l’élévation de la pensée, de la culture, des découvertes scientifiques est possible seulement à cause de la solidité du tronc et de la profondeur des racines qui l’alimentent. Si les racines se perdent, lentement le tronc se vide et meurt et les branches - autrefois vigoureuses et droites - se plient vers la terre et tombent.[…] Pour marcher vers l’avenir, il faut le passé, de profondes racines sont nécessaires et il faut aussi le courage de ne pas se cacher face au présent et à ses défis. »

De quoi se nourrissent donc les racines ? « Les racines s’alimentent de la vérité , qui constitue la nourriture, la sève vitale de n’importe quelle société qui désire être vraiment libre, humaine et solidaire. En outre, la vérité fait appel à la conscience , qui est irréductible aux conditionnements, et pour cela est capable de connaître sa propre dignité et de s’ouvrir à l’absolu, en devenant source des choix fondamentaux guidés part la recherche du bien pour les autres et pour soi et lieu d’une liberté responsable. […] Sans cette recherche de la vérité , chacun devient la mesure de soi-même et de son propre agir, ouvrant la voie à l’affirmation subjective des droits…​ ». C’est la porte ouverte à l’individualisme, à l’indifférence et à l’égoïsme.

« L’Europe doit réfléchir pour savoir si son immense patrimoine humain, artistique, technique, social, politique, économique et religieux est un simple héritage de musée du passé, ou bien si elle est encore capable d’inspirer la culture et d’ouvrir ses trésors à l’humanité entière. » L’Europe, en effet a une responsabilité particulière « dans le développement culturel de l’humanité » à laquelle elle peut apporter beaucoup.

Cette Europe « enracinée » est une Europe « multipolaire ». en effet, elle est constituée « de multiples pôles culturels, religieux et politiques ». Il lui revient de « « globaliser » de manière originale cette multipolarité. » Tel est le « défi » qu’elle doit relever, celui « d’une harmonie constructive, libérée d’hégémonies qui, bien qu’elles semblent pragmatiquement faciliter le chemin, finissent par détruire l’originalité culturelle et religieuse des peuples. »

Comment « globaliser » cette « multipolarité » sinon en pratiquant « la transversalité »[7] de sous-espaces ou de sous-variétés. Elle est en quelque sorte l’opposé de la notion de tangence. Elle intervient aussi dans le monde de l’entreprise. Ici, elle consiste à réunir des compétences bien différentes afin d’imaginer une solution ou résoudre un problème particulier. d’après le contexte, il semble que le pape utilise le mot un peu dans ce sens : la transversalité permet de confronter des approches bien différentes, des domaines, des compétences, des âges différents pour rompre avec un certain conformisme.]. Autrement dit, l’Europe doit être « une Europe en dialogue », même sur le plan « intergénérationnel ». Il est nécessaire que « la transversalité d’opinions et de réflexions soit au service des peuples unis dans l’harmonie. » Car, aujourd’hui, « le dialogue uniquement interne aux organismes (politiques, religieux, culturels) de sa propre appartenance se révèle stérile. » Il vaut mieux risquer « la confrontation fraternelle de la transversalité » pour « conjuguer avec sagesse l’identité européenne formée à travers les siècles avec les instances provenant des autres peuples qui se manifestent à présent sur le continent. »

Dans cette tâche de dialogue, le christianisme a un rôle à jouer: « C’est dans cette logique qu’il faut comprendre l’apport que le christianisme peut fournir aujourd’hui au développement culturel et social européen dans le cadre d’une relation correcte entre religion et société. Dans la vision chrétienne, raison et foi, religion et société sont appelés à s’éclairer réciproquement, en se soutenant mutuellement et, si nécessaire, en se purifiant les unes les autres des extrémismes idéologiques dans lesquelles elles peuvent tomber. la société européenne tout entière ne peut que tirer profit d’un lien renouvelé entre les deux domaines, soit pour faire face à un fondamentalisme religieux qui est surtout ennemi de Dieu, soit pour remédier à une raison « réduite », qui ne fait pas honneur à l’homme. »

Cette collaboration des chrétiens est précieuse dans « le domaine d’une réflexion éthique sur les droits humains » notamment pour tout ce qui touche « à la protection de la vie humaine », car il faut tenir « compte de la vérité de tout l’être humain, sans se limiter à des domaines spécifiques, médicaux, scientifiques ou juridiques. » C’est ensemble que doit s’effectuer « une réflexion dans tous les domaines, afin que s’instaure une sorte de « nouvelle agora », dans laquelle chaque instance civile et religieuse puisse librement se confronter avec les autres, même dans la séparation des domaines et dans la diversité des positions, animée exclusivement par le désir de vérité et par celui d’édifier le bien commun. »

Ainsi, on peut souhaiter « que l’Europe, en redécouvrant son patrimoine historique et la profondeur de ses racines, en assumant sa vivante multipolarité et le phénomène de la transversalité en dialogue, retrouve cette jeunesse d 'esprit qui l’a rendue féconde et grande. »

Ceci dit et redit, on doit se poser cette question : concrètement, que faut-il faire ?

La position de l’Église se confirme de pontificat en pontificat aussi bien sur le plan du diagnostic qu’au point de vue des remèdes. Mais, dans le même temps, l’Europe semble évoluer dans un sens contraire. Elle se déchristianise et de plus en plus de manifestations laïcistes apparaissent dans le champ des autorités civiles⁠[8]. Certes, ici et là, on constate des éléments positifs. Ainsi, des manifestations ou des pétitions montrent que la conscience chrétienne n’est pas éteinte. En contrepoids de l’inquiétante montée de l’Islam, on a eu la satisfaction de voir plus de 400 associations musulmanes provenant de 28 pays du continent, signer la Charte des musulmans d’Europe[9] en faveur d’une intégration positive, de l’égalité entre l’homme et la femme et le rejet du fondamentalisme terroriste. Mais cela suffit-il pour dissiper l’impression de décadence du continent européen ? En 2008, Mario Mauro, vice-président du Parlement européen de 2004 à 2009, estimait que « le vieux continent est en train de perdre son horizon, sa dimension propre. […] La décadence de notre continent est avant tout le résultat d’une crise de notre identité de peuple européen. » Pour lui, le mal vient « du fait que le rapport entre raison et politique est d’une certaine manière détourné de la notion même de vérité. Le compromis qui, à juste titre, est présenté comme le sens de la vie politique même, est aujourd’hui conçu comme une fin en soi. » Or, « sans une idée précise de son identité, l’Europe ne pourra faire aucun pas en avant par rapport aux à […] cinq défis » : la crise démographique, l’immigration, l’élargissement de l’Europe, le développement économique et la politique étrangère commune.⁠[10]

Le discours papal a-t-il un avenir sur le terrain ?

La question vaut pour tous les domaines temporels et nous aurons l’occasion de réfléchir longuement au problème de l’action et de son efficacité dans le dernier volume. Toutefois on peut déjà esquisser une réponse en reprenant la réflexion du cardinal Henri Schwery⁠[11]. A la question « faut-il ré-évangéliser la société, l’Europe ? », il répond qu’il faut d’abord « faire notre deuil du terrain perdu » et qu’il est « inutile de rêver dans l’utopie d’un retour en arrière vers « l’Occident chrétien ». " Ensuite, « nous avons à marcher » non « sans bagages » mais avec « deux trésors, dons de Dieu et preuves de son amour pour les hommes : le Décalogue et l’option préférentielle pour les pauvres. »[12]


1. Il s’agit de deux discours prononcés le 25 novembre 2014, l’un devant le Parlement européen (PE) (in DC, n° 2517, janvier 2015, pp. 89-95) et l’autre devant le Conseil de l’Europe (CE) (in DC n° 2517, janvier 2015, pp. 96-101).
2. A quoi le pape fait-il allusion ? Tensions ethniques: Serbes, Croates et Musulmans en Bosnie-Herzegovine ; au Kosovo et en Macédoine, Moldavie, en Ossétie entre la Russie et la Géorgie, et au Nagorny-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïjan. La Transnistrie moldave (soutenue par la Russie) ; l’Ukraine…​
3. L’Europe doit avoir « conscience de sa propre identité », elle a « le devoir de protéger et de faire grandir l’identité européenne » (PE).
4. JEAN-PAUL II, Discours à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 8 octobre 1988, in DC 1988, n° 1971, pp. 100-1003.
5. A cet endroit, François renvoie à Evangelii gaudium, 231.
6. Il s’agit précisément du peuplier décrit par le poète et prêtre italien Clemente Rebora (1885-https://it.wikipedia.org/wiki/1957[1957).
7. La transversalité est une notion qui n’est pas simple à définir. Elle intervient en mathématique où la propriété de transversalité est un qualificatif pour l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Intersection_(math%C3%A9matiques)[intersection
8. François relève le « défi soulevé par les législations qui, au nom d’un principe de tolérance mal interprété, finissent par empêcher les citoyens d’exprimer librement et de pratiquer de manière pacifique et légitime leurs convictions religieuses. » (Discours devant le Comité conjoint des Églises européennes (CEC) et du Conseil des conférences épiscopales d’Europe (CCEE), 7-5-2015, in O.R. 8 mai 2015). Sur le site de La Croix (mailto : [email protected][[email protected]]), on peut lire ce commentaire : « En Europe, et en particulier en France, mais aussi en Belgique, aux Pays-Bas ou en Allemagne, les débats autour du principe de « laïcité provoquent régulièrement des tensions, ces dernières années, autour de la présence de signes religieux dans l’espace public ou encore de la place de l’enseignement religieux à l’école. »
9. Bruxelles, 10 janvier 2008.
10. Cf. Le christianisme et l’avenir de l’Europe, Zenit, 1er et 3 février 2008. Benoît XVI citait aussi cinq défis : la défense de la vie de l’homme à chacune des ses phases, la protection de tous les droits de la personne et de la famille, la construction d’un monde juste et solidaire, le (respect de la création et le dialogue interculturel et interreligieux. Ce dialogue revêt une importance toute particulière dans un monde pluraliste à condition qu’il soit « authentique » c’est-à-dire qu’il évite de « céder au relativisme et au syncrétisme » et qu’il soit animé « d’un respect sincère pour les autres et d’un esprit de réconciliation et de fraternité. » (Zenit, 9-12-2008)
11. Il fut évêque de Sion (Suisse) de 1977 à 1995.
12. SCHWERY Cardinal Henri, Faut-il restaurer l’Europe ?, Saint-Augustin, 2007, pp. 314-318.