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Chapitre 7 : Conclusion générale

« Oui, le Christ est notre paix

et par lui implorons la paix pour le monde entier ! »[1]

On le sait, l’idée que les religions, et surtout les religions monothéistes, sont sources de violence est récurrente. On a mis, de nombreuses fois en évidence, que la prétention à la vérité, une vérité qui échappe à toute délibération, l’affirmation communautariste et le prosélytisme introduisaient un risque de violence dans une société démocratique qui a perdu son sens. L’attachement à l’Un mettrait en péril la diversité. Mais, nous avons vu, et les faits le confirment, que les religions polythéistes ou asiatiques, souvent présentées comme iréniques, sont aussi susceptibles de dérives et peuvent justifier bien des débordements.

Dès lors, peu accepteraient d’emblée la conclusion à laquelle est arrivé un spécialiste comme Jan Assmann : « la violence relève du champ de la politique, et non de la religion, et une religion qui s’empare de la violence reste figée dans le domaine du politique et manque sa véritable fonction dans ce monde. »[2]

Une voix protestante s’élève pour nous rappeler que l’image de Dieu est souvent polluée par la politique mais que la Croix restitue le vrai sens de Dieu.⁠[3]

S’appuyant sur l’histoire des guerres de religion, William Cavanaugh fait un pas de plus et conclut que « la construction de l’État fut peut-être la cause la plus significative des violences », non pas parce que l’État « n’était pas encore sécularisé » mais parce qu’on a assisté « non pas à une séparation entre la religion et la politique, mais plutôt à une substitution de la religion de l’Église, par la religion de l’État ».⁠[4] Par ailleurs, Cavanaugh se pose la question de savoir pourquoi le discours sur la violence religieuse qu’il a présentée comme un mythe, a tant de succès en Occident ? Sa réponse est claire : ce mythe est utile. d’une part, il « sert au niveau national à marginaliser les discours et pratiques qui sont appelés « religieux », en particulier ceux qui ont trait aux Églises chrétiennes et, en particulier en Europe, aux groupes musulmans » et « contribue à renforcer l’adhésion officielle à un ordre social séculier ainsi qu’à l’État-nation qui le garantit. » d’autre part, « dans le domaine des affaires étrangères, ce mythe contribue à présenter les ordres sociaux non-occidentaux et non-séculiers comme étant irrationnels et enclins à la violence » et « sert également à justifier la violence « séculière » qui se manifeste à l’encontre des acteurs « religieux ». Leur violence irrationnelle devrait être contrée par une violence « rationnelle » pour éventuellement « les forcer à acquérir cette rationalité supérieure. »[5]

d’une manière plus générale, Paul Valadier⁠[6] fait remarquer très justement que « toute institution est porteuse de violence ». Si toute âme croyante peut être tentée par le fanatisme à cause de sa proximité avec l’absolu⁠[7], il faut bien constater qu’à l’époque contemporaine, « l’État souverain qui se targue d’être protecteur des libertés et garant de la sécurité publique peut devenir la pire menace sur le citoyens, notamment à travers une surveillance de plus en plus serrée de l’espace public et les intrusions dans la vie privée que les techniques modernes rendent possibles. » Or cet État voué à la sécurité et à la protection, avec tous ses moyens, non seulement est impuissant « à juguler les violences sociales de toutes sortes » (trafics, malversations, chômage, terrorisme), mais, qui plus est, légalise démocratiquement et encourage des « violences muettes » (avortement, euthanasie). De sorte que les libertés sont aujourd’hui bien plus menacées par les États que par les religions et, en tout cas, par le christianisme. Les religions sont même la cible d’un « athéisme agressif et violent » qui les accuse, sans guère d’honnêteté intellectuelle, de toutes les tares et de toutes les fautes historiques passées et présentes.⁠[8]

On peut aller plus loin encore et affirmer que dans le langage contemporain, le mot « fondamentalisme » qui est devenu l’injure suprême, la condamnation irrémédiable qui exclut le mouvement religieux auquel on l’associe, est le signe d’une ignorance. Comme l’a fait remarquer un observateur : « le terme de fondamentalisme est un produit du monde des medias par lequel, au fond, on voudrait dissimuler sa méconnaissance d’un comportement religieux radical et des causes spécifiquement régionales de l’origine de la violence, et surtout même sa méconnaissance du phénomène religieux. »[9]

En tout cas, pour nous en tenir au christianisme dans sa version catholique, la doctrine a évolué dans le bon sens, celui de la paix. Partie d’un pacifisme absolu intenable, vu les exigences de la charité, elle a élaboré, dans un monde livré à la barbarie, la théorie de la guerre juste qui a représenté, dans l’histoire de la pensée humaine, un progrès incontestable qui marque aujourd’hui encore les institutions civiles et sert souvent de base aux codes militaires.⁠[10]

Elle a pris définitivement ses distances avec ces guerres qui se sont faites et se font au nom de Dieu⁠[11] de même qu’elle a abandonné toute prétention à détenir La Vérité⁠[12] et le prosélytisme plus ou moins envahissant ou contraignant.⁠[13]

Les souverains pontifes contemporains, depuis Benoît XV et surtout à partir de la deuxième guerre mondiale ont tellement insisté sur les moyens d’établir une vraie paix durable et la condamnation de toute violence qu’on peut se demander si la théorie de la guerre juste fait encore partie intégrante du trésor doctrinal de l’Église.

Le théologien allemand Dietmar Mieth fait un distinguo intéressant entre l’éthique chrétienne de la paix, appelée « éthique primaire » ou encore « grande éthique » et l’ « éthique de la légitime réplique violente à la violence » qu’on peut appeler « éthique secondaire » ou « petite éthique ». Pour lui, « la crédibilité d’une « petite » éthique de la légitime défense est liée à l’action visiblement solidaire se référant de façon normative à la « grande » éthique de la paix et, par là, à la lutte et à la résistance contre l’injustice ».⁠[14]

Autrement dit, et l’évolution de l’enseignement de l’Église le montre, la notion de « guerre juste » n’a de sens qu’à l’intérieur d’une théologie de la paix de plus en plus affirmée si bien que la notion de « guerre juste », à l’intérieur de ce cadre contraignant, elle-même a évolué. Elle s’est progressivement restreinte à la légitime défense⁠[15] mais en associant la possibilité d’une intervention humanitaire.

Mais, malgré cette réduction, nous avons vu que beaucoup de chrétiens, y compris les derniers souverains pontifes, continuent de souligner la contradiction inhérente à l’expression « guerre juste ». L’emploi de la violence pour mettre fin à la violence interpelle la conscience qui se donne le Christ comme modèle. L’expression « guerre juste » choque bon nombre de nos contemporains parce qu’elle associe un adjectif positif et le mot guerre qui évoque malheurs et destructions.⁠[16] La guerre est un mal mais peut-être dans certaines circonstances est-elle un moindre mal ? Peut-on toujours rester sans réaction face à une agression ? N’y a-t-il que la guerre pour y faire face ? L’emploi des armes ne risque-t-il pas d’entraîner des maux encore plus graves ? Telles sont les questions que l’on peut se poser et auxquelles il a été traditionnellement répondu depuis saint Augustin. Mais ces réponses sont-elles toujours pertinentes ? La guerre, comme ultime recours pour une juste cause, est-elle toujours acceptée comme elle le fut jadis ?

La légitime défense est entendue habituellement comme légitime auto-défense. Mais peut-on rester indifférent lorsqu’un peuple trop faible pour se défendre subit destructions, massacres, déportation, génocide ? La réponse morale est simple : il faut prêter assistance au peuple en danger comme on prête assistance aux personnes en danger.

Peut-être un changement de vocabulaire serait-il opportun. Au lieu de parler de « guerre juste », ne pourrait-on populariser l’expression « pacification juste » ? Cette proposition faite par le théologien baptiste Glen Stassen a l’avantage d’inclure « l’attention à la prévention des conflits et la tâche de construire une communauté après le conflit. »[17]. Ce qui précisément correspond bien à la perspective dans laquelle la pensée de l’Église s’insère.

Reste tout de même un problème : entre l’effort de prévention de la guerre et la construction de la paix après le conflit, n’y a-t-il pas nécessité d’une intervention même armée en vue de la pacification ? Cette intervention armée pour raison humanitaire se heurte évidemment au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État et du respect des frontières.⁠[18], en 1948, est reconnu certes le principe de souveraineté, corollaire du principe de non-ingérence, mais qui peut être limité, à certaines conditions, si un État met en péril la paix internationale. Le droit d’ingérence (et non pas le devoir d’ingérence) est aussi évoqué mais comme ultime solution.
   En même temps, on constatait que la coopération économique, la mondialisation de l’économie, de la culture et de l’information, les institutions internationales, les organisations intergouvernementales ou non gouvernementales, la défense des droits de l’homme relativisaient de plus en plus la souveraineté telle qu’elle avait été définie au départ. Que dire alors de la construction d’entités régionales telle que celle de l’Europe ?
   Comme le disait déjà le cardinal SUHARD (Lettre pastorale Essor ou déclin de l’Église, in La Pensée Catholique, 1947, pp. 1-3) : « La crise qui ébranle le monde dépasse largement les causes qui l’ont provoquée [la guerre\]… Quelque chose est mort, sur la terre, qui ne se relèvera pas. La guerre prend alors son vrai sens : elle n’est pas un entracte, mais un épilogue. Elle marque la fin d’un monde… Mais du coup, l’ère qui s’inaugure après elle prend figure de prologue : préface au drame du monde qui se fait… Le malaise présent n’est ni une maladie, ni une décadence du monde. C’est une crise de croissance… Cette crise est une crise d’unité… Depuis qu’il existe, c’est la première fois que le monde est « un » et qu’il le sait. » Le sens croissant de l’unité du genre humain est un facteur qui favorise le cheminement vers la paix. ]

A ce point de vue, fait remarquer Joseph Mulburn Thompson, le droit voire le devoir d’ingérence humanitaire trouve plus aisément sa justification dans la vision chrétienne. En effet, dit la doctrine sociale de l’Église, « la souveraineté de l’État se situe dans le cadre cosmopolite du principe de solidarité et est conditionnée par le devoir de l’État d’assurer er de promouvoir les droits humains fondamentaux. Le pape Jean-Paul II décrit la solidarité comme « la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun ; c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun, parce que tous, nous sommes vraiment responsables de tous » (SRS 38). […] Dans ce cadre, des violations notoires des droits de l’homme appellent sûrement une réaction de la communauté humaine. La souveraineté de l’État est une valeur réelle mais relative d’un point de vue chrétien. »[19] Et devrait être le cas d’un point de vue purement humain comme on le constate dans les réactions des gens au spectacle des injustices, des malheurs et des horreurs qui infestent le monde.

L’intervention décidée multilatéralement au niveau international⁠[20] serait aussi plus facilement acceptable peut-être si, au lieu d’être présentée, comme le font certains pacifistes, comme une violence contre une autre violence, elle était une manifestation de force et même de la vertu de force, don du saint Esprit, qui ne peut être dissociée des vertus de prudence, de justice, de tempérance en vue du bien commun.⁠[21]

On peut dès lors concevoir l’intervention pacificatrice, l’intervention humanitaire⁠[22], même armée, dans le cadre des règles établies jadis pour la « guerre juste ». On peut aller jusqu’à dire que c’est dans la pensée de saint Thomas sur le tyrannicide⁠[23] et dans celle de Vitoria sur le rôle de la communauté internationale qui, par l’entremise des princes, soutient la « juste guerre » que se situe l’origine de ce qui deviendra le droit d’intervention ou d’ingérence dont on attribue en général la paternité à Grotius⁠[24] et à Vattel écrivant que « toute puissance étrangère est en droit de soutenir un peuple opprimé qui lui demande assistance »[25].

On dira que l’emploi des armes n’est justifié que s’il s’agit d’un ultime recours, « une fois épuisées toutes les possibilités de règlement pacifique »[26] ;

qu’il faut respecter le principe de proportionnalité en évitant que les conséquences de l’intervention soient pires que celles entraînées par l’agression.⁠[27]

Que seule l’autorité légitime, gardienne du bien commun, peut décider de recourir aux armes. Aujourd’hui, c’est l’ONU qui apparaît comme cette autorité légitime universelle.⁠[28] C’est pour ce rôle qu’elle a été créée, un rôle qu’elle ne remplit pas toujours n’ayant pas les moyens nécessaires ou étant paralysée par le fameux droit de veto attribué aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité⁠[29].

Que soit respecté le principe de discrimination entre combattants et non-combattants. Ce « jus in bello » est d’ailleurs passé dans l’ordre juridique⁠[30]. Le crime de guerre le plus courant est de ne faire aucune distinction, aucune « discrimination » entre combattants et non-combattants.⁠[31]

Même si parfois, des princes chrétiens ou des prélats ont célébré le sacrifice des hommes au combat, Pie XII, lui a bien affirmé que « toute apothéose de la guerre est à condamner comme une aberration de l’esprit et du cœur. Certes, la force d’âme et la bravoure jusqu’au don de la vie, quand le devoir le demande, sont de grandes vertus, mais vouloir provoquer la guerre parce qu’elle est l’école des grandes vertus et une occasion de les pratiquer devrait être qualifié de crime et de folie. »[32]

Même si l’Église se réfère aujourd’hui encore aux principes de la « guerre juste » comme dans le Catéchisme de l’Église catholique[33], l’expression n’est plus guère employée sinon avec de grandes réserves. Le changement le plus important réside dans le fait que l’on parle davantage de limitation que de légitimation. Déjà en 1938, le P. Yves de La Brière sj écrivait en faisant allusion au Manifeste de Fribourg publié en 1931: « Divers théologiens contemporains inclinent à croire que, dans la condition actuelle des choses, il n’existe plus guère d’hypothèse moralement admissible où un État pourrait, de lui-même, recourir à la force des armes par application de la doctrine traditionnelle de la guerre juste. »[34] En 1944, Pie XII déclarait que « la théorie de la guerre comme moyen apte et proportionné de résoudre les conflits internationaux est désormais dépassée. »[35] Et Jean XXIII confirmait : « il devient humainement impossible de penser que la guerre soit, en notre ère atomique, le moyen adéquat pour obtenir justice d’une violation de droits. »[36] Il est clair que la guerre ne peut même plus, entant que telle, se justifier qu’en « ultime recours ». Tous les moyens doivent être mise en œuvre pour régler les conflits sans recourir aux armes. Il faut faire « guerre à la guerre »[37] et s’engager résolument dans la voie de la non-violence. Rappelons que le Concile Vatican II loue « ceux qui, renonçant à l’action violente pour la sauvegarde des droits, recourent à des moyens de défense qui, par ailleurs, sont à la portée même des plus faibles, pourvu que cela puisse se faire sans nuire aux droits et aux devoirs des autres ou de la communauté »[38]. « Il est absolument nécessaire, poursuit l’Église, que les différends entre nations ne soient pas résolus par la guerre, mais que soient trouvés d’autres moyens conformes à la nature humaine ; que soit favorisée en outre l’action non-violente et que chaque nation reconnaisse légalement l’objection de conscience et lui donne un statut. »[39] Pour Jean-Paul II, l’effondrement des régimes communistes en 1989 est dû à « l’action non-violente d’hommes et de femmes qui, alors qu’ils avaient toujours refusé de céder au pouvoir de la force, ont su trouver dans chaque cas la manière efficace de rendre témoignage à la vérité. »[40]

A propos de l’importance que prend aujourd’hui la limitation par rapport au souci de légitimation qui était jadis prépondérant, Michaël Walzer écrit que « les guerres justes sont des guerres limitées, menées conformément à un ensemble de règles destinées à éliminer, autant qu’il se peut, l’usage de la violence et de la contrainte à l’encontre des populations non-combattantes »[41].

Ces règles sont les principes universels de dignité, d’égalité, de liberté, de vie qui inspirent les droits de l’homme et ce sont aussi les critères classiques qui ont permis d’évaluer le caractère « juste » de la guerre. Toutefois, ces critères de juste cause ou de proportionnalité, dans le contexte contemporain⁠[42], sont difficiles à évaluer et doivent être reformulés vu la puissance des moyens qui peuvent être utilisés. C’est pourquoi l’auteur insiste sur la limitation non seulement des moyens mais aussi des objectifs : « la limitation de la guerre est le début de la paix »[43]. Mais l’idéal serait, bien sûr, d’éviter toute violence en cherchant ensemble à résoudre les conflits par des moyens non-violents. Un premier pas serait le changement de vocabulaire que nous avons suggéré.

En tout cas rien dans les discours des derniers papes ne peut justifier l’accusation portée contre le christianisme d’aujourd’hui d’être fauteur de guerre. Au contraire, nous sommes en présence du plus formidable plan de paix qui interpelle l’individu comme les sociétés et qui propose la force spirituelle nécessaire à son accomplissement. De plus, les réflexions de Paul sur les « autorités »⁠[44] doivent aussi nous inciter à penser qu’on ne peut simplement confier à l’État la mission de pacification car l’État « porte le glaive ». C’est la mission des chrétiens en priorité et de tous les hommes de bonne volonté car comme le dit Joseph Comblin : « L’État est un sauveur temporaire »[45] on pourrait même dire aléatoire. Chantal Delsol⁠[46] constatant que, dans nos pays, la « guerre juste » est identifiée à la guerre légale, fait remarquer que la « certitude d’apercevoir en face de nous un mal qu’il faut absolument empêcher ne nous conférera jamais le droit de contraindre ». La guerre d’ingérence ne sera jamais légale, dit-elle. Même l’ONU et les autres instances internationales ne pourront jamais légitimer les guerres. Elles donnent « l’illusion de l’objectivité » mais en réalité, il ne peut y avoir de « norme positive » dans la mesure où le « seuil de l’intolérable » est toujours discutable. La guerre d’ingérence ne peut être qu’une décision de conscience qui pourra toujours paraître arbitraire.⁠[47] Elle ne peut se réclamer de l’universalité du droit, des droits de l’homme notamment aujourd’hui car elle est toujours située dans le temps, dans l’espace par des hommes particuliers. La guerre d’ingérence est une guerre menée contre le mal : c’est donc une guerre morale qui, vu « l’incertitude des limites du bien et du mal […] relève du discernement d’acteurs singuliers, devant un événement lui aussi singulier ». Elle est un acte moral et politique qui ne peut se « couvrir de l’aval du droit ».⁠[48]

A propos des « guerres morales » justement, Monique Canto-Sperber, s’appuyant sur l’exemple des guerres menées aujourd’hui contre des États non démocratiques, notamment l’Irak, souligne leurs dangers : ce sont, pour elles, des guerres sans fin qui confondent les faits et les valeurs. Leurs principes sont faussement exclusifs et absolus. Elles n’ont pas une vision claire des conséquences et se justifient par les événements ultérieurs. Leurs partisans sont intolérants vis-à-vis des opinions dissidentes. Enfin, ces guerres « tendent à effacer la culpabilité morale qu’il y a à se servir de la violence ».⁠[49]


1. Message Urbi et orbi pour Pâques 2013 in DC n° 2511, juillet 2013, p. 14.
2. ASSMANN Jan, Violence et monothéisme, Bayard, 2009, p.169. Benoît XVI du temps où il était encore le cardinal Ratzinger, a analysé brièvement la thèse défendue par Jan Assmann dans un autre livre Moïse l’Égyptien, Un essai d’histoire de la mémoire, Aubier, 2001). Assmann y confronte deux Moïse mythiques : Moïse l’Hébreu et Moïse l’Égyptien. Le premier établit la « distinction mosaïque » entre le vrai (Israël) et le faux (Égypte), qui fonde le judaïsme comme une contre-religion excluant ce qui lui est antérieur et extérieur, c’est-à-dire le paganisme, l’idolâtrie. A partir de ce moment, toutes les religions monothéistes deviennent des contre-religions. Moïse l’Égyptien, quant à lui, « est médiateur de ces oppositions » : il ouvre la possibilité symbolique qu’il y ait du vrai en Égypte et permet, selon Assmann, l’abolition souhaitable de la « distinction mosaïque » qui peut être source de violence. RATZINGER J. fait remarquer que les polythéismes ne sont pas exemptes de violences et que l’Égypte elle-même « n’était pas un pays de belle liberté et de paix, mais une « maison d’esclaves », un pays d’oppression et de guerres. » La question du vrai et du faux appartient à bien des traditions religieuses et philosophiques en dehors de la sphère d’influence du judaïsme. (Foi, vérité tolérance, Parole et Silence, 2005, pp. 232 et svtes).
3. DERMANGE François, Toute-puissance divine et toute-puissance politique : une symétrie ambigüe, in Dieu est-il violent ? sous la direction de Daniel Mangerat, Bayard, 2008, pp. 103-116.
4. CAVANAUGH William, Le mythe de la violence religieuse, Ed. de l’Homme Nouveau, 2009, p. 275.
5. Id., p. 360. L’auteur donne comme exemple la justification de la politique belliqueuse des États-Unis notamment après le 11 septembre. Cette attitude simpliste a occulté les responsabilités des mêmes États-Unis dans l’apparition du fondamentalisme musulman parfois provoqué, encouragé soutenu et qui est un projet politique moderne.
6. P. VALADIER P. sj, Monothéismes, théocratie et violence, Regards théologico-politique, in Monothéisme et violence, Trajectoires n° 24, Lumen vitae, 2012, pp.126-129.
7. A ce point de vue, tous les auteurs sont d’accord. La sociologue HERVIEU-LEGER Danièle rappelle qu’« il n’y a pas d’activité humaine qui n’offre pas, d’une manière ou d’une autre, une face dangereuse ». (Les religions en procès, in Les religions, menace ou espoir pour nos sociétés ?, Semaines sociales de France, Bayard, 2009, p. 31). On peut lire aussi BIANCHI Enzo et KEPEL Gilles, Au cœur du fondamentalisme, Bayard, 2009, ou encore le dossier Au-delà du fondamentalisme, in Communio, tome XXVI, n° 6, novembre-décembre 2001.
8. L’auteur cite le cas du philosophe et essayiste allemand SLOTERDIJK Peter qui dans La folie de Dieu. Du combat des trois monothéismes, Libella-Maren Sell, 2008, prétend dénoncer les excès des trois monothéismes. N’oublions pas non plus que les idéologies se présentent parfois comme des religions séculières et nourrissent une intolérance destructrice. Le communisme et le nazisme en ont fourni de terribles illustrations mais, à l’heure actuelle, un terrorisme intellectuel se nourrit d’individualisme, de libertarisme, d’ « écologisme profond » et de cette idéologie nouvelle qu’est la théorie du « gender ». Peut-on aujourd’hui en toute liberté contester les lois sur l’avortement, l’euthanasie, le prétendu « mariage » de personnes de même sexes, etc. ?
9. Axel Michaels, indologiste, cité par Mgr HENRICI Peter, évêque auxiliaire de Coire (Suisse) dans son article Y a-t-il un fondamentalisme catholique ?, in Communio, tome XXVI, n° 6, novembre-décembre 2001, p. 27.
10. Cf. Annexe V.
11. « … à supposer que l’on ait atteint la vérité -et c’est toujours d’une manière limitée et perfectible-, on ne peut jamais l’imposer. Le respect de la conscience d’autrui, dans laquelle se reflète l’image même de Dieu (cf. Gn 1, 26-27), permet seulement de proposer la vérité aux autres, auxquels appartient ensuite la responsabilité de l’accueillir. Prétendre imposer à d’autres par la violence ce que l’on considère comme la vérité signifie violer la dignité de l’être humain et, en définitive, outrager Dieu dont il est l’image. C’est pourquoi le fanatisme fondamentaliste est une attitude radicalement contraire à la foi en Dieu. » (Message pour la Journée mondiale de la paix, 1er janvier 2002). « …tuer au nom de Dieu est un blasphème et une perversion de la religion » (JEAN-PAUL II, Discours au Corps diplomatique, 10 janvier 2002).
12. « La fidélité à l’homme exige la fidélité à la vérité qui, seule, est la garantie de la liberté (cf ; Jn 8, 32) et de la possibilité d’un développement humain intégral. C’est pour cela que l’Église la recherche, qu’elle l’annonce sans relâche et qu’elle la reconnaît partout où elle se manifeste. Cette mission de vérité est pour l’Église une mission impérative. Sa doctrine sociale est un aspect particulier de cette annonce : c’est un service rendu à la vérité qui libère. Ouverte à la vérité, quel que soit le savoir d’où elle provient, la doctrine sociale de l’Église est prête à l’accueillir. Elle rassemble dans l’unité les fragments où elle se trouve souvent disséminée et elle l’introduit dans le vécu toujours nouveau de la société des hommes et des peuples » (BENOÎT XVI, Caritas in veritate (CV), 2009, n° 9). Cette réflexion concerne certes la doctrine sociale mais elle peut être élargie à la recherche de la vérité par la raison comme en témoignent de nombreux textes du Concile Vatican II : la vérité doit être cherchée selon la manière propre à la personne humaine et à la nature sociale de l’homme par libre recherche, enseignement, éducation, par le dialogue où les uns exposent aux autres la vérité qu’ils ont trouvée ou pensent avoir trouvée, afin de s’aider mutuellement dans la conquête de la vérité (DH 3). En cultivant les disciplines et les arts, l’homme contribue à ouvrir la famille humaine aux valeurs du vrai, du bien et du beau (GS 57). L’expérience des siècles, le progrès des sciences, les richesses culturelles ouvrent des voies nouvelles à la vérité (GS 44). Il est bon de chercher ensemble la vérité et la solution des problèmes moraux de la vie privée et sociale (GS 16) et de retenir des différents systèmes philosophiques ce qui se révèle être vrai, tout en reconnaissant les limites de la connaissance humaine (PO 15). Et dans l’ordre de la foi, la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec douceur (DH 1). Certes, le Christ est la voie, la vérité et la vie mais des éléments de vérité subsistent en dehors des structures de l’Église catholique (LG 8). Les différentes religions apportent un rayon de la vérité qui illumine tout homme (NA 2). Clément d’Alexandrie, à propos du paganisme gréco-latin comme à) propos du judaïsme repérait des « semences de vérité ». A propos des religions non-chrétiennes : « L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions et elle exhorte même ses fils pour que, avec prudence et charité… tout en témoignant de la foi et de la vie chrétienne, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent en elles » (NA 2). On peut lire sur ce sujet : GEFFRE Claude op, De Babel à Pentecôte. Essais de théologie interreligieuse, Cogitatio fidei, n° 147, Cerf, 2006 ou, du même, Les richesses spirituelles des autres religions, in Cahiers saint Dominique, n° 293, septembre 2008.
13. « Celui qui pratique la charité au nom de l’Église ne cherchera jamais à imposer aux autres la foi de l’Église. Il sait que l’amour, dans sa pureté et dans sa gratuité, est le meilleur témoignage du Dieu auquel nous croyons et qui nous pousse à aimer. Le chrétien sait quand le temps est venu de parler de Dieu et quand il est juste de Le taire et de ne laisser parler que l’amour. Il sait que Dieu est amour (cf. 1 Jn 4,8) et qu’il se rend présent précisément dans les moments où rien d’autre n’est fait sinon qu’aimer. Il sait – pour en revenir à la question précédente – que le mépris de l’amour est mépris de Dieu et de l’homme, et qu’il est la tentative de se passer de Dieu. Par conséquent, la meilleure défense de Dieu et de l’homme consiste justement dans l’amour. La tâche des Organisations caritatives de l’Église est de renforcer une telle conscience chez leurs membres, de sorte que, par leurs actions – comme par leurs paroles, leurs silences, leurs exemples –, ils deviennent des témoins crédibles du Christ ». (BENOÎT XVI, Deus caritas est, 2005, 31c).
14. L’intervention humanitaire est-elle un moyen de lutte contre le génocide ou une dissimulation sophistique de la violence inhérente aux systèmes globaux de domination ?, in Concilium n° 290, 2001, pp. 7-10. D. Mieth est professeur de théologie éthique sociale à l’université de Tübingen.
15. « On ne saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisées toutes les possibilités de règlement pacifique, le droit de légitime défense… Mais faire la guerre pour la juste défense des peuples est une chose, vouloir imposer son empire à d’autres nations en est une autre » (GS 79, 4)
16. Cf. P. MELLON Christian sj, Secrétaire national de Justice et paix France in Peut-on encore parler de « guerre juste » ? sur http://www.assomption.org.
17. MILBURN THOMPSON Joseph, Intervention humanitaire, juste pacification et Nations Unies, in Concilium, n° 290, 2001, pp. 93-95. L’auteur est un philosophe américain, professeur d’études religieuses.
18. C’est le traité de Westphalie en 1648 qui a établi la notion de souveraineté territoriale comme doctrine de non-ingérence dans les affaires d’autres nations. En droit international et en principe donc, tous les États sont égaux et indépendants. En réalité cette souveraineté n’a jamais été absolue. Bien des États ont été influencés voire contrôlés par de grandes puissances. De plus, les dérives impérialistes, nationalistes et totalitaires du XXe siècle en particulier ont conduit les théoriciens à réfléchir aux moyens de limiter ces dérives.
   Ainsi, dans la Charte de l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Organisation_des_Nations_unies[Organisation des Nations unies
19. Op. cit., pp. 95-96.
20. Pour WALZER Michaël, soumises à une évaluation morale collective, elles sont légitimes « pour assister des mouvements sécessionnistes, pour contrebalancer les interventions antérieures d’autres puissances, et pour sauver des populations menacées de massacres. » ( Guerres justes et injustes, Belin, 1999, p. 164). Michael Walzer est un philosophe américain, spécialiste de l’éthique sociale, professeur émérite de « l’Institute for Advanced Study » à Princeton.
21. Bruguès, p.182, écrit que « la vertu cardinale de la force régule ce que la psychologie moderne appelle l’agressivité. Elle forge en nous une fermeté de l’âme qui nous permet de lutter contre la peur, la crainte, les obstacles qui se dressent sur notre route, et de supporter les maux, les souffrances et les tristesses qui nous assaillent. » Cf. aussi JEAN-PAUL II, Audience du 15 novembre 1978. Elle l’aptitude à s’affirmer tout en se dominant, dit le diplomate CURIEN Gilles (cf. Indispensable vertu de force, Cerf, 1993). On peut dire aussi qu’elle écarte les obstacles qui empêchent la volonté d’obéir à la raison.
22. L’ingérence humanitaire peut certes être un masque. Ainsi, SOWLE CAHILL Lisa, dénonce l’intervention des États-Unis dans le Golfe (Koweit et Irak). Non seulement, des intérêts pétroliers américains étaient en jeu mais, de plus, cette guerre a eu « des effets dévastateurs, mortels et durables, pour l’infrastructure sociale » (La tradition chrétienne de la guerre juste, Tensions et développement, in Le retour de la guerre juste ? in Concilium, n° 290, 2001, p. 90). L’auteur est professeur de théologie, ancienne présidente de la Société de théologie catholique d’Amérique et de la Société d’éthique chrétienne.
23. L’autorité publique ou une autorité supérieure peut destituer le tyran et le condamner à mort comme malfaiteur.
24. De jure belli ac pacis, Livre II, chap. XXV, VII, 2.
25. Le droit des gens ou principes de la loi naturelle, appliqués à la conduite et aux affaires des Nations et des Souverains, Washington, Carnegie, 1916, vol. I, livre II, chap. IV, § 56, p. 298.
26. GS 79, 4.
27. PIE XII (DC 1953, col. 1413) dira à propos des armes nucléaires : « Lorsque les dommages entraînés par la guerre ne sont pas comparables à ceux de l’injustice tolérée, on peut avoir l’obligation de subir l’injustice. » Et Jean-Paul II à propos de la première guerre du Golfe alors qu’il s’agit bien d’une cause juste : « Le recours à la force pour une cause juste n’est admissible que si celui-ci est proportionnel au résultat que l’on veut obtenir et en soupesant bien les conséquences de l’action militaire. » (Discours aux ambassadeurs, 12-1-1991)
28. Cf. JEAN XXIII : « De nos jours, le bien commun universel pose des problèmes de dimensions mondiales. Ils ne peuvent être résolus que par une autorité publique dont le pouvoir, la constitution et les moyens d’action prennent eux aussi des dimensions mondiales, et qui puisse exercer son action sur toute l’étendue de la terre. C’est donc l’ordre moral lui-même qui exige la constitution d’une autorité publique de compétence universelle. » (PT, 137). Et dans GS 79, 4, on lit : le droit de légitime défense concédé aux États ne vaut qu’« aussi longtemps… qu’il n’y aura pas d’autorité internationale et disposant de forces suffisantes. »
29. Actuellement : Russie, États-Unis, Chine, Royaume-Uni, France.
30. Les conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels de 1977 codifient les règles du droit dans les conflits armés. Selon le statut de la Cour pénale internationale, le crime de guerre qui en est l’une des violations, se caractérise entre autre par le fait de lancer des attaques délibérées contre la population civile en général ou contre des civils qui ne prennent pas directement part aux hostilités ; contre des biens civils qui ne sont pas des objectifs militaires ; en sachant qu’elle causera incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux civils, ou des dommages aux biens de caractère civil, ou des dommages excessifs, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu.
31. A ce point de vue, les évêques américains (1983) (Le défi de la paix, DC 1983, p. 732) ont attiré l’attention sur une difficulté aujourd’hui : « Dans la guerre moderne, la mobilisation des forces ne comprend pas seulement le secteur militaire, mais aussi, pour une part importante, les secteurs politique, économique et social. Il n’est pas toujours facile de déterminer qui est directement impliqué dans un « effort de guerre » et à quel degré ». Néanmoins, ils affirment : « Même dans la définition la plus large, on ne peut raisonnablement considérer comme combattants des catégories entières d’êtres humains comme les écoliers, les personnes hospitalisées, les personnes âgées, les malades, les ouvriers de l’industrie produisant des articles non directement liés à des fins militaires, les agriculteurs et bien d’autres. » De là découle la condamnation du terrorisme et des destructions massives comme celles de Dresde, Hiroshima ou Nagasaki. Le concile l’affirme :
   « Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation. » (GS 80).
32. Discours au XVIe Congrès de médecine militaire, 19-10-1953.
33. Cf. Annexe IV.
34. La BRIERE Yves de, Le droit de juste guerre, Pedone, 1938, p. 182.
35. Radiomessage, 24-12-1944.
36. PT, 127.
37. PIE XII, Radiomessage, 24-12-1944.
38. GS 78, 5.
39. Justicia in mundo, Synode 1971, 65.
40. CA III, 23.
41. WALZER Michaël, Guerres justes et injustes, Belin, 1999, p. 13. On en trouve un résumé sous la plume de Cécile Renouard, religieuse de l’Assomption sur www.assomption.org Né en 1935, M. Walzer est professeur de philosophie politique à Princeton.
42. Pensons à la menace nucléaire. Pensons au terrorisme : « La terreur, écrit Walzer, est la forme totalitaire de la guerre et de la politique. Elle outrepasse les limites morales au-delà des quelles aucune borne ne semble possible » (op. cit., p. 283).
43. Id., p. 444.
44. Rm 13. 
45. Op. cit., II, p. 63.
46. La grande méprise, Justice internationale, gouvernement mondial, guerre juste…, Contretemps-La table ronde, 2004, pp. 153-171.
47. Au point de départ de sa réflexion, Chantal Delsol cite le jugement porté par Jacques Ellul en août 1947, sur le procès de Nuremberg (in Verbum Caro, vol. I, n° 3). Les démocraties, à cette occasion, ont prétendu incarner le droit face aux totalitarismes alors qu’elles agissaient au nom d’une décision politique toujours sujette à l’arbitraire : « Nuremberg n’a de procès que le nom, car il n’entre dans aucun cadre juridique. Les crimes au nom desquels ici on juge et punit, […] n’appartiennent pas à la catégorie juridique mais morale, et le tribunal nie ce principe élémentaire du droit criminel : Nullum crimen, nulla poena, sine lege ».
   L’auteur appelle aussi à la rescousse CONSTANT Benjamin (1767-1830) qui écrit à propos des guerres menées par la France à son époque : « L’on avait inventé, durant la révolution française, un prétexte de guerre inconnu jusqu’alors, celui de délivrer les peuples du joug de leur gouvernement, qu’on supposait illégitime et tyrannique. Avec ce prétexte on a porté la mort chez des hommes, dont les uns vivaient tranquilles, sous des institutions adoucies par le temps et l’habitude, et dont les autres jouissaient, depuis plusieurs siècles, de tous les bienfaits de la liberté. Epoque à jamais honteuse, où l’on vit un gouvernement perfide graver les mots sacrés sur ses étendards coupables, troubler la paix, violer l’indépendance, détruire la prospérité de ses voisins innocents, en ajoutant au scandale de l’Europe par des protestations mensongères de respect pour les droits de l’homme et de zèle pour l’humanité ! La pire des conquêtes, c’est l’hypocrisie, dit Machiavel, comme s’il avait prédit notre histoire. » (De l’esprit de conquête et de l’usurpation dans leurs rapports avec la civilisation européenne (1814), ch. VIII, p. 105).
48. Myriam Revault d’Allones, montre que le concept de « guerre juste » présupposait, à l’origine, « l’idée d’une République chrétienne universelle et le fait qu’à l’Église soit dévolue une autorité politique ». Les faits, à l’époque moderne, ont poussé à trouver un autre « horizon normatif » et ce fut la philosophie de l’Histoire qui devint la référence : la guerre juste se fit « au nom du nouveau contre l’ancien, du futur contre le passé, de la vertu contre les vices du despotisme ». Aujourd’hui, troisième étape, « il semble que l’horizon de l’humanité et des « droits de l’homme » se soit maintenant substitué - au titre de nouvelle normativité, d’instance suprême méta-empirique - aux principes unificateurs de la théologie puis de la philosophie de l’histoire ». Mais, note l’auteur, comme l’a montré Monique Canto-Sperber, « une moralisation directe de la politique entraîne une sorte de « fondamentalisme » des droits de l’homme et une relative confusion entre les droits de l’homme comme être politique et les droits moraux. ». On ne peut pas, conclut-elle, inscrire le concept d’humanité « dans l’horizon s’une universalité surplombante, sans qualités et a-politique. » (L’idée de guerre juste a-t-elle encore un sens ?, in La guerre et l’Europe, sous la direction de DILLENS Anne-Marie, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2001, pp. 125-141). M. Revault d’Allones est professeur à l’Université de Rouen. Dans le même ouvrage collectif, Olivier Corten, à partir des guerres qui se sont déroulées en Europe depuis 1990 et des déclarations ambigües ou contradictoires qui se sont manifestées à cette occasion, montre bien le flou dans lequel on se trouve aujourd’hui face à cette référence à la « guerre juste » : « Dans certains cas, on semble en revenir à une conception légitimiste du XIXe siècle, les États européens s’autoproclamant les seuls juges de ce qui est juste, et les seuls susceptibles d’incarner et de défendre les valeurs de la « communauté internationale. Dans d’autres, les responsables politiques européens paraissent refuser de tirer les conséquences de cette conception, devant la crainte que se multiplient demain des guerres peut-être « morales », mais certainement meurtrières. Ils réaffirment alors la nécessité de maintenir un régime juridique basé sur la nécessité de respecter des procédures qui prennent acte de la diversité des positions politiques, éthiques et philosophiques qui caractérise toujours les relations internationales aujourd’hui. » (La référence au droit international comme justification du recours à la force : vers une nouvelle doctrine de la « guerre juste » ?, in La guerre et l’Europe, op. cit., pp. 93-94). O. Corten est chargé de cours à l’Université libre de Bruxelles, spécialiste du droit international. L’Assemblée générale des Nations-Unies a beau travailler à la définition de la guerre d’agression, elle ne pourra jamais circonscrire juridiquement la réalité toujours mouvante, complexe et imprévisible. (Cf. Charte des Nations-Unies, art 39, 41, 42 et Résolution 3.314 du 14-12-1974).
49. Le bien la guerre et la terreur, Plon, 2005, pp. 292-301. M. Canto-Sperber est philosophe, membre du Comité national d’éthique, en France.

⁢i. qu’espérer ? Que faire ?

Simone Goyard-Fabre, au terme de son étude et se référant encore à Kant, reconnaît, d’une part, qu’« il n’est certes pas absurde de tenter d’instaurer la paix par le droit » et qu’ « on ne saurait mésestimer les efforts accomplis en ce sens par les instances internationales » mais elle ajoute aussitôt que « jamais les hommes, quels que soient les progrès du droit international et quelle que soit leur bonne volonté, ne parviendront à arracher l’Idée de la paix à son ordre nouménal. […] La « Constitution politique parfaite » sous laquelle l’Idée de paix livre sons sens est an-historique ; il n’en existera jamais de « réalisation » hic et nunc. C’est pourquoi la paix n’est pas une réalité prochaine de l’histoire : elle est un devoir-être […]. »⁠[1]

Chantal Delsol, de son côté, termine son étude en citant fort opportunément Las Casas qui s’interrogeait sur l’unique manière d’évangéliser le monde. Il excluait la force et en appelait à la conscience.⁠[2]

L’enseignement de l’Église nous invite à travailler à la paix, c’est notre « devoir-être »⁠[3], en commençant par nous-mêmes et en rayonnant de proche en proche dans toute notre vie sociale par le dialogue.

Comme la violence est de plus en plus décriée à travers le monde peut-être en raison même de sa permanence et de ses manifestations sanglantes diffusées à travers tous les continents, ne serait-ce pas le moment de travailler à l’établissement et à la diffusion d’une éthique universelle, d’une culture de la paix qui pourrait se bâtir sur les fondements pacifiques du christianisme : fraternité des hommes, solidarité, justice, pardon ? Danièle Hervieu-Léger fait remarquer que « la doctrine sociale de l’Église est précisément un lieu tout à fait intéressant pour essayer d’analyser comment historiquement au sein du catholicisme, une tentative pour articuler la capacité d’autorité éthique dans une société et un monde de plus en plus sécularisés s’est élaborée et construite. » Pour elle, la doctrine sociale de l’Église s’inscrit bien dans « la recherche d’une offre synthétique et éthique renouvelée du religieux vers une société dans laquelle le religieux n’est plus le principe organisateur de la vie sociale. »[4]

De plus, il y a dans nombre de religions non chrétiennes des éléments qui peuvent en principe être rapprochés de la notion chrétienne de « guerre juste » et qui pourraient servir de base à un dialogue en vue d’une « juste pacification ». John Francis Burke relève que dans le bouddhisme « il est permis de faire la guerre s’il y a une cause juste et que l’on a tenté tous les autres moyens pour résoudre le conflit. […] En même temps, le bouddhisme insiste sur une transvaluation des valeurs où chacun réalise une conscience animée par le non-désir, la non-haine et la non-violence. Dans cette orientation plus pacifiste, le dirigeant bouddhiste idéal est victorieux par la persuasion morale, non par la force. » Dans la philosophie confucéenne, « la force est le dernier recours pour résoudre des conflits mais elle doit être ordonnée par les principes de la justice. […] Si chaque personne s’efforce d’être bienveillante, la société parviendra à un état de paix. » Le recours à la force est aussi prévu dans la taoïsme « s’il n’y a pas d’autre solutions ni choix, mais qu’elle reste un piètre choix ». Quant à  la notion juive de shalôm, elle « insiste sur la plénitude et sur une harmonie entre les vivants et s’apparente à l’insistance bouddhiste sur la non-violence et à l’accentuation taoïste sur la non-affirmation. […] En même temps, la tradition juive permet aussi la guerre dans le cas de légitime défense et spécialement de défense d’Israël. ⁠[5] […] En ce qui concerne le caractère complet du shalôm, même si l’on poursuit une guerre juste, c’est dans l’espoir de s’acheminer vers la réalisation de l’âge messianique où prévaudront l’harmonie et la justice […]. » Même la notion de djihad⁠[6], dans l’islam, on le sait se réfère d’abord et surtout au combat intérieur. Le djihad, dans ce sens, « cherche une paix intérieure profonde en luttant contre la tentation humaine de dominer et de manipuler l’environnement et les autres êtres humains. Ce djihad est très proche dans sa visée des orientations pacifistes et non-violentes des autres traditions religieuses. […] On ne peut comprendre le djihad en dehors de l’insistance islamique sur l’établissement d’un ordre social universel juste, conforme au modèle de justice de Dieu, tel qu’il est contenu dans les traditions abrahamiques du judaïsme, du christianisme et de l’islam »

Ce rapide tour d’horizon permet à l’auteur de mettre en rapport les différentes religions évoquées et de risquer une synthèse. En effet, « essentiellement, en matière de guerre et de paix, il y a des traditions en concurrence dans chacune des religions ci-dessus mentionnées. d’un côté, il y a la tradition de la guerre juste, non seulement dans le christianisme, dans le judaïsme et dans le sens extérieur du djihad islamique, mais aussi dans la défense bouddhiste de la force employée pour une cause juste, de la défense confucéenne de la force comme dernier recours pour régler les conflits et dans l’acceptation taoïste du choix inférieur de la force quand toutes les autres options semblent épuisées. d’un autre côté, il y a dans chaque religion une tradition qui opte pour une conscience pacifique cherchant à transformer le conflit qui marque trop souvent l’interaction sociale : le pacifisme chrétien, la transvaluation bouddhiste des valeurs, la bienveillance confucéenne, le shalôm juif et le sens intérieur du djihad islamique. »

L’auteur conclut : « Ainsi, une éthique mondiale de la paix implique qu’on fasse passer la poussée violente du premier ensemble de notions à travers le sens non violent du second, essentiellement pour mettre en question la violence justifiée de chaque tradition en partant des normes de chacune. Les aspects non violents de chaque héritage proposent aussi une base d’où partir pour engager un dialogue interreligieux sur les moyens d’obtenir un monde de justice et de paix. […] Une éthique interreligieuse de paix mondiale peut ouvrir la voie à des politiques mondiales non violentes qui franchissent les frontières et ne durcissent pas »[7] Sans syncrétisme mais dans la recherche d’une unité dans la diversité. N’est-ce pas l’esprit d’Assise ?

Il apparaît, au terme de cette longue réflexion, que les religions et, en particulier, la religion chrétienne, dans la ligne définie, loin d’être une menace pour la paix du monde⁠[8], sont un espoir.⁠[9]

Un espoir qui passe donc par la formation morale⁠[10] ou, mieux, puisque la violence ignore les frontières, par la discussion morale, par le dialogue : « La discussion morale, écrit, Monique Canto-Sperber, est requise pour critiquer l’illimitation de la violence contemporaine qui s’incarne de manière redoutable dans le terrorisme. »[11] Pour pacifier à partir de valeurs communes. Et, à ce point de vue, les chrétiens, ces « hommes nouveaux », doivent être en première ligne puisque « la première contribution du christianisme est une conscience de fraternité et de solidarité entre tous les hommes. »[12]

La non-violence à laquelle il faut tendre, est non seulement une exigence de la foi chrétienne mais aussi de la nature humaine. François Vaillant⁠[13], montre, en philosophe moraliste, que la violence qui est une manifestation de non-sens doit être surmontée par la non-violence qui est appelée par la raison. Non seulement pour que la vie soit bonne, pour que le bien commun s’épanouisse, un état non-violent est nécessaire mais pour y parvenir, les moyens eux-mêmes doivent être non-violents suivant cette règle de bon sens : « les moyens doivent être proportionnés et appropriés à la fin parce qu’ils sont les voies vers la fin, et en quelque sorte la fin elle-même en devenir. Si bien qu’employer des moyens intrinsèquement mauvais pour atteindre une fin intrinsèquement bonne est une bévue et un non-sens. »[14] Une vie non-violente exige la collaboration des trois vertus cardinales : la justice qui demande que tout homme soit traité comme une fin et non comme un moyen, que je traite autrui comme moi-même, le courage ou mieux la vertu force nécessaire à l’établissement de la justice et la tempérance car il n’y a ni justice, ni force, ni non-violence sans la maîtrise de soi. Dans le concret de la vie, l’application de la non-violence animée des trois vertus citées est l’œuvre de la prudence. Ainsi présentée, la non-violence est une vertu qui s’acquiert, qui se propose et qui doit animer la vie de tous les jours comme la vie politique si celle-ci veut être morale

L’auteur ajoute encore que la non-violence ne peut être confondue avec le pacifisme⁠[15] ou l’antimilitarisme. « Les pacifistes rêvent de supprimer les armées pour supprimer les guerres, mais à la question : « Comment se défendre contre un oppresseur ? », ils restent muets. L’erreur du pacifisme est de penser qu’en supprimant les armées, on supprimerait les conflits entre les nations, ce qui est illusoire. La seule vérité du pacifisme est de dénoncer les horreurs de la guerre auxquelles l’histoire nous a trop habitués. Mais son erreur fondamentale est d’être incapable de garantir et de promouvoir la paix dans le monde de violence qui est le nôtre. »[16] L’auteur prêche pour une défense civile non-violente, pour une « défense juste » plutôt que pour une guerre juste et renvoie pour plus de détails à la Lettre des évêques américains de mai 1983.⁠[17]. La résistance non-violente […] peut prendre de nombreuses formes en fonction de ce qu’on appelle une situation donnée […]. Les citoyens seraient entraînés aux techniques de non-soumission et de non-coopération pacifiques dans le but d’empêcher un envahisseur ou un gouvernement non-démocratique d’imposer sa volonté. Une résistance non-violente efficace exige la volonté d’un peuple et peut demander autant de patience et de sacrifice de la part de ceux qui la pratiquent qu’on en demande aujourd’hui pour la guerre et la préparation de la guerre […]. La défense populaire irait au-delà de la solution des conflits pour aller jusqu’à la synthèse fondamentale des croyances et des valeurs. Pratiquement, l’objectif n’est pas seulement d’éviter de faire du mal ou de porter tort à une créature mais, plus positivement, de rechercher le bien de l’autre […]. Il n’est pas inutile de souligner que ces principes sont parfaitement compatibles avec la doctrine chrétienne […] et doivent faire partie de toute théologie chrétienne de la paix […]. Des raisons pratiques aussi bien que spirituelles exigent que l’on considère sérieusement la non-violence comme possibilité d’action. » (op. cit., pp. 270-271).
   L’auteur cite aussi l’étude réalisée, en France, en 1984 par MELLON Chr., MULLER J.-M. et SEMELIN J., La dissuasion civile, Fondation pour les études de défense nationale. Il reprend aussi la réaction d’un général, Dominique Chavannat, qui était, à l’époque, directeur de l’Ecole polytechnique, qui écrivait à propos de cette étude : « La thèse développée dans La dissuasion civile est capitale et restera sans doute un jalon essentiel de la réflexion sur la défense […]. Cette étude prouve qu’un changement de climat est intervenu et qu’il est désormais possible de voir les tenants de thèses considérées jusqu’ici comme inconciliables dialoguer sans polémiquer, rechercher ensemble ou conjointement toutes les voies permettant de sauvegarder le bien commun. » (id., p. 271). ]

A la veille de la seconde guerre mondiale, Gaston Fessard se livre à une brève mais très intéressante analyse du pacifisme.⁠[18]

Dans un premier temps, il constate que l’amour de la paix « a sa source en une fraternité universelle », idée introuvable avant le Christ. Et cet amour de la paix a été renforcé après les horreurs de la première guerre mondiale, guerre entre nations majoritairement chrétienne, guerre que les « forces spirituelles » n’ont pu empêcher. C’est pourquoi des théologiens se sont employés à montrer que toute guerre est injuste, que le recours à la légitime défense ne se justifie plus quand le recours à l’arbitrage et que, de toute façon, « la défense d’un droit n’est légitime que dans la mesure où elle se sert de moyens proportionnés au mal à empêcher ou à réparer. » L’existence d’institutions internationales et les catastrophes engendrées par cette guerre ont conforté cette thèse. Thèse renforcée par l’idée que le sacrifice des objecteurs de conscience pourrait rétablir la paix. Il est donc injuste de qualifier l’objecteur de conscience de lâche. Au contraire, prêt au sacrifice, il se montre courageux et généreux dans cette attitude.

Toutefois, objecte le P. Fessard, il est vain de penser que le sacrifice du pacifiste changerait la donne. Au contraire, il affaiblirait ceux qui défendent la juste cause et encore, il n’est pas sûr que le pacifiste aura l’occasion de s’offrir en martyr. Peut-être sera-t-il emprisonné ou fusillé avant de pouvoir témoigner physiquement. Par ailleurs, ne témoigne-t-il pas « d’un certain désintéressement à l’égard de [son] prochain immédiat ? » Peut-il « prétendre exercer la charité envers tous en commençant par y manquer envers quelques-uns ? »

Il n’est pas question d’abandonner l’idéal de paix mais le pacifiste ne se sacrifie pas à un idéal, il sacrifie son prochain à une « idole ». Il manque de « réalisme moral » indifférent aux moyens, la fin étant sauve. Il manque aussi de réalisme social et politique en se donnant en exemple alors « qu’entre nations comme entre individus règne d’abord la loi de la lutte pour la vie. »

Est-il possible concrètement de séparer le civil et le militaire, entre la participation à la vie de mes concitoyens et la collaboration à la défense de la patrie ? Avant la guerre, « qui fabrique l’objet le plus pacifique permet çà un autre de fabriquer l’objet moins pacifique » et en temps de guerre, tout emploi civil libérera un soldat. Logiquement, le pacifiste devrait se replier égoïstement sur lui-même ! Et cela au nom de la charité ! Mais de plus, son retrait favorise l’injuste et le violent dont il devient complice. Le pacifiste devient l’ennemi de la paix d’autant plus qu’il s’associera avec d’autres aux motivations moins élevées, voire antichrétiennes, révolutionnaires. « Sous prétexte d’amour envers [le] prochain le plus éloigné », le pacifiste « manque de charité envers le plus proche ».

« Dans la réalité spirituelle et politique, l’attitude pacifiste est contrainte de renier son idéal et de produire le contraire même de ce qu’elle promet. Elle est condamnée à être pour soi comme pour les autres ennemie de la paix. »


1. La construction d la paix ou Le travail de Sisyphe, Vrin, 1994, p.249.
2. Op. cit., p. 171.
3. A propos du « devoir de la paix » de tout chrétien, lire ROUGE Michel et GUERAND Michel, Gagner la guerre ou réussir la paix ?, Parole et Silence, 2004, 109-113.
4. Les religions en procès, in Semaines sociales de France, Les religions, menace ou espoir pour nos sociétés, Bayard, 2009, pp. 37-38. Nous ne sommes toutefois pas d’accord avec l’auteur lorsqu’elle écrit que la réflexion sur la « violence politique de la religion n’a de sens qu’à partir du moment où la distinction du politique et du religieux est au moins posée dans le corps social. Pour qu’il y ait altercation, affrontement, compromis, il faut bien que l’on puisse distinguer les instances. Or cette distinction n’a pas de sens dans toutes les sociétés dans lesquelles ce que nous appelons dans notre jargon « la différenciation des institutions » n’étant pas du tout opérée, la culture, la religion, la famille, l’économie étant totalement intriquées, le type de problèmes que nous évoquons ici ne se pose pas. On ne peut s’interroger sur le problème du danger public de la religion qu’à partir du moment où un type d’équilibre entre institutions différenciées est en place et potentiellement menacé par la volonté d’un terme ou l’autre de l’emporter sur l’autre. » (id., p. 35) Nous pensons au contraire que la paix civile a plus de chances de s’établir et perdurer si les deux pouvoirs sont bien distincts avec des tensions possibles certes si l’un des deux protagonistes manque à sa vocation, par exemple lorsque le pouvoir laïc verse dans le laïcisme ou lorsqu’un groupe religieux cherche à contrôler le pouvoir. Mais, dans le pays où religion et politique se confondent, est institutionnalisée une violence interne faite aux consciences et aux groupes religieux exogènes. Le système totalitaire est tout le contraire d’un système pacificateur à moins que l’on considère que la coercition est le meilleur chemin vers la paix !
5. « La pensée rabbinique, elle aussi, distingue entre les guerres obligatoires et défensives : les premières sont celles commandées par Dieu, comme dans le cas de la conquête de Canaan, les secondes sont celles qui sont livrées pour des raisons de défenses, comme les guerres du roi David. »
6. Le djihad, dit l’auteur, a superficiellement rapport, extérieurement, avec la guerre juste contre les infidèles, jadis dans leurs croisades, et avec la défense de la communauté quand elle est menacée. Et même dans ce sens, la guerre n’est justifiée que pour « se défendre ou défendre la nation ; pour venir en aide à d’autres qui souffrent de la persécution ; pour appeler d’autres peuples au message de Dieu. » Il y a aussi un « jus in bello » : « la guerre doit viser les combattants et non les non-combattants ; éviter la destruction excessive et les tactiques cruelles ; chercher à sauver autant de vies que possible ; n’être qu’un moyen de repousser l’oppresseur, non une fin en soi. »
7. La dimension interreligieuse. Une éthique de paix mondiale, in Concilium, op. cit., pp. 57-67. J. F. Burke est un spécialiste américain en sciences politiques, professeur et conseiller dans diverses universités catholiques et organismes religieux.
8. Au contraire, « elles sont de nos jours plutôt soumises à l’humiliation de la critique, aussi du rejet méprisant du catholicisme en Europe à travers le déni de nos racines et les accusations rémanentes quoique paresseuses d’avoir été la source de nos maux (colonialisme, esclavagisme, répression morale, antiféminisme…). » VALADIER Paul, Monothéismes, théocratie et violence, Regard théologico-politique, in BENCHEIKH Soheib et alii, Monothéisme et violence, Trajectoires-Lumen Vitae, 2012, p.127.
9. On ajoutera dans la formation des consciences, la découverte ou la redécouverte de la vertu de force qui, bien interprétée est  créatrice du droit et n’est pas à confondre avec la violence. C’est un thème qui a été développé par le P. FESSARD G. dans Pax Nostra, Examen de conscience international, Grasset 1936 et Autorité et Bien commun, Aubier, 1944. On trouvera un résumé de cette pensée in SALES Michel, La force, créatrice du droit dans l’histoire selon le Père Fessard, Communio, n° XXIII, 5, septembre-octobre 1998, pp. 56-73. Tout ce numéro de la revue Communio est consacré à la vertu de force. On peut reprendre bien sûr saint Thomas (IIa IIae, qu. 123-140) ou deux prolongements modernes très engagés dans l’actualité : De CORTE Marcel, La vertu de force contre la violence révolutionnaire et Gustave Thibon, La violence au service de la liberté in Actes du Congrès de Lausanne, VII, Force et violence, 29, 30 avril, 1er mai 1972, pp. 11-25 et pp. 101-121.
10. BARTH Karl, La guerre et la paix, Labor et Fides, décembre 1951.
11. Op. cit., p. 349.
12. COMBLIN J., Théologie de la paix, I, Principes, Editions universitaires, 1960, p.305. Voir aussi Karl Barth, op. cit..
13. La non-violence, Essai de morale fondamentale, Cerf, 1990, pp. 211-239. Fr Vaillant, dominicain, rédacteur en chef de la revue Alternatives Non-violentes
14. MARITAIN J., L’homme et l’État, PUF, 1965, p. 49, cité in VAILLANT Fr., op. cit., p. 214.
15. On peut lire MOUNIER Emmanuel,  Les équivoques du pacifisme , in Esprit, février 1949, pp. 184 et svtes (aussi in Les certitudes difficiles, Seuil, 1951, pp. 369-389). Il montre que le souhait de « paix à tout prix » sous-entend « ma vie à tout prix ». Cette prise de position découle de sa conception de l’homme : « une personne n’atteint sa pleine maturité qu’au moment où elle s’est choisi des fidélités qui valent plus que la vie. » (Le personnalisme, Les Presses universitaires de France, 1949. Collection : Que sais-je ?, p. 68.).
   Intéressant aussi le livre du dissident russe BOUKOVSKY Vladimir, Les pacifistes contre la paix, Nouvelle lettre aux Occidentaux, Robert Laffont, 1982: « Jamais au grand jamais, la paix n’a été sauvée par le désir hystérique de survivre à n’importe quel prix. Elle n’a jamais été promue par la répétition de scies faciles et de slogans en toc. » (pp. 123-124).
   On se souvient aussi de TOLSTOÏ qui s’inscrit dans un mouvement pacifiste chrétien qui réduit le christianisme à une vie fondée sur le Sermon sur la Montagne, antiétatique presque anarchiste (Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous, 1893, ch. 10)
16. VAILLANT Fr., op. cit., p. 262.
17. Il en cite quelques extraits : « Les moyens non-violents de résistance au mal méritent d’être bien plus étudiés et examinés qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent […
18. Le pacifisme ennemi de la paix, in Pax nostra, Examen de conscience international, Grasset, 1936, pp. 11-22.