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Chapitre 3 : L’entre-deux guerres

… ce que tous Nos efforts tendront à réaliser,
c’est la paix du Christ par le règne du Christ
— PIE XI
Ubi arcano, 1922.

Nous avons entendu les angoisses de Benoît XV durant les premières années de l’entre-deux guerres, conscient que la paix n’a pas gagné les cœurs. Deux mois, presque jour pour jour, avant sa mort⁠[1], il déclare devant le Consistoire : « Nous le constatons avec douleur et angoisse, la paix, décrétée en un acte solennel, n’a nullement apporté avec elle la paix des cœurs, et presque toutes les nations, principalement en Europe, sont encore en proie aux déchirements de graves conflits » et il estime  ces « antagonismes si aigus que pour les apaiser », les volontés humaines ne suffiront pas⁠[2] mais « qu’il est chaque jour plus nécessaire qu’intervienne le Dieu de miséricorde, dans les mains de qui sont la force et la puissance, la grandeur et l’empire de toutes choses. »

Cette après-guerre, pour le Pape, est un « chaos universel » à cause de deux choses : l’erreur et la haine⁠[3] qui subsistent.⁠[4]

Et effectivement, malgré les efforts et quelques succès de la Société des nations, la cause de la paix ne va pas progresser⁠[5]. Pire, la guerre a creusé des failles où de nouvelles idéologies meurtrières vont s’engouffrer.⁠[6]

Par ailleurs, les efforts des mouvements pacifistes d’avant la grande guerre que nous avons évoqués plus haut ont été balayés par la guerre. Après le conflit, c’est en Allemagne que le mouvement va reprendre. Puis en France avec Marc Sangnier⁠[7] qui veut réconcilier l’Allemagne et la France. Mais l’avènement du nazisme va de nouveau mettre fin à ces efforts.⁠[8]

Il n’empêche que des théologiens vont s’engager dans une réflexion novatrice qui confirme et prolonge la position adoptée par Benoît XV.


1. 22 janvier 1922.
2. Benoît XV précise : « Nous ne prétendons pas qu’il faille omettre ou négliger aucun des remèdes, aucune des mesures utiles que conseillent la sage raison et l’expérience. Travailler au bien commun en recourant à ces remèdes et à ces mesures est le rôle spécial des chefs de gouvernement, qui, au surplus,  n’ont pas le droit de ne se fier qu’à ces moyens et de ne point se préoccuper du secours d’en-haut. »
3. 21 novembre 1921.
4. En 1920, le cardinal Mercier se réjouit que la Société d’Etudes religieuses publie l’encyclique Ad beatissimi (1er novembre 1914) parce que « les événements tragiques qui bouleversaient le monde empêchèrent le peuple fidèle de prêter [à cette encyclique] toute l’attention qu’elle méritait ». Ainsi, ajoute l’Archevêque, les fidèles « apprendront à connaître les angoisses qui remplissaient le cœur du Successeur de Pie X […]  ; ils apprécieront sa paternelle sollicitude pour toutes les brebis de son bercail. Ils entendront la voix du docteur suprême dénoncer les erreurs et les vices dont souffre notre époque, et rappeler les règles imprescriptibles qui président à la vie individuelle comme au bon ordre de la société ». Enfin et surtout, « l’encyclique […] leur révèlera le cœur aimant du Saint-Père dans le pressant appel qu’il adresse à ses ouailles à pratiquer la charité du Maître, appel qui constitue l’idée maîtresse et le programme de son glorieux pontificat. » le cardinal Mercier terminait son message en souhaitant « que cette encyclique fût aux mains de tous les catholiques. » (Lettre de S.E. le Cardinal Mgr Mercier, Société d’Etudes religieuses, 25 décembre 1914)
5. Pensons à la controverse entre la Tchécoslovaquie et la Pologne à propos de Cieszyn en 1919, à celle qui oppose la Pologne et la Lituanie à propos de Vilnius en 1920, à la guerre entre la Russie et la Pologne en 1920, à l’invasion de la Ruhr en 1923 par la Belgique et la France, à l’invasion de Corfou par les troupes italiennes en 1923, à l’invasion de la Mandchourie par les Japonais en 1931, à la guerre entre la Bolivie et le Paraguay en 1932. Acceptée en 1926 par la SDN, l’Allemagne d’Hitler la quitte en 1933 alors que les puissances occidentales restent passives face au militarisme montant de l’Allemagne. L’Union soviétique acceptée en 1934 est exclue en 1939 suite à son invasion de la Finlande. En 1935, l’Abyssinie est envahie par les Italiens et en 1936 se déclare guerre civile espagnole où interviendront l’Italie, l’Allemagne et les Brigades internationales.
6. Pour l’historien juif américain d’origine allemande, MOSSE George L. (1918-1999), dans son livre _De la Grande Guerre au totalitarisme : la brutalisation des sociétés européennes,_ Hachette littératures, 1999 (la version originale a été publiée 10 ans plus tôt aux USA), la Première Guerre mondiale, guerre totale par excellence, a laissé les sociétés européennes en état de « brutalisation » d’ « ensauvagement ». De quoi s’agit-il ? De « la banalisation et l’intériorisation de la violence de guerre ». Si les fascismes se sont nourri de « la désagrégation d’une certaine civilisation libérale et tolérante », la guerre de 14-18 a donné naissance à « des liturgies politiques capables de galvaniser les masses, toujours vers le pire ». C’est ce que Mosse appelle « la nationalisation des masses » due à la « brutalisation » qui est « l’une des composantes fondamentales » du totalitarisme. Non seulement, on a assisté depuis la révolution française à « la radicalisation du combat sur les champs de bataille » mais aussi à « la banalisation de la mémoire de la mort de masse en une déréalisation de son drame » : « d’une part, la littérature, les cimetières militaires (devenus « jardins de héros » où la beauté de la nature cache le hideux de la mort), les monuments aux morts, les cartes postales, les jouets, les objets les plus triviaux ou le cinéma disent la glorification du combat de l’homme viril qui fait le sacrifice christique de sa personne pour la vie et la résurrection de sa patrie ; d’autre part, toutes ces représentations aseptisent la mort insupportable, la banalisent : les héros deviennent au moins autant d’objets de commerce que de pèlerinage. Ainsi une religion civique se met en place grâce à la mort de masse, et elle finit par la recouvrir. » (BECKER Annette, in Annales, Histoire, Sciences sociales, 2000, vol. 55, n° 1, pp. 181-182).
7. 1873-1950. Animateur du journal et du mouvement Le Sillon qui prône un catholicisme démocratique, républicain et social. Pie X dans Notre charge apostolique (25-8-1910) condamne les idées erronées que le mouvement diffuse sur l’autorité, la liberté, l’égalité, la démocratie, la fraternité, la dignité humaine, l’Église. Après la guerre Marc Sangnier abandonne la politique et milite pour la cause pacifiste.
8. Le nazisme est le produit de nombreuses influences et composantes idéologiques dont certaines remontent au XIXe siècle. Il rassemble racisme, antisémitisme, eugénisme, socialisme, pangermanisme, néo-paganisme transportés par des auteurs divers. Il a même trouvé un soutien intellectuel dans la philosophie de Martin Heidegger, appelé dès les années trente « le métaphysicien du nazisme » (cf. THIELEMANS H. sj, Existence tragique, La métaphysique du nazisme, in Nouvelle Revue théologique, n° 6, juin 1936, pp. 561-579).
   Il s’est nourri aussi de la situation catastrophique dans laquelle se trouvait l’Allemagne après la guerre, ruinée et surpeuplée, humiliée et dépecée par les clauses territoriales, militaires, économiques, financières et morales du traité de Versailles (1919) si sévère que le Sénat américain refusa de le ratifier désavouant le président Wilson. La même année, le célèbre économiste John Maynard Keynes qui avait fait partie de la délégation anglaise et dont la position conciliante n’avait pas été suivie publie, à compte d’auteur, un livre très critique, Les Conséquences économiques de la paix dans lequel il compare le Traité de Versailles à une « paix carthaginoise ». Pour lui, les réparations de guerre étaient trop élevées, insupportables pour l’Allemagne et nourriraient un ressentiment dangereux pour l’avenir. L’année suivante, c’est l’historien français Jacques Bainville (1879-1936) qui, dans Les conséquences politiques de la paix dénonce le Traité. Tout en se distançant de Keynes qu’il juge trop favorable à l’Allemagne, il prévoit que celle-ci ne respectera pas le Traité. Il décrit même, avec beaucoup de lucidité, ce qui va se passer : l’annexion de l’Autriche par le Reich, la crise des Sudètes avec la Tchécoslovaquie et un pacte germano-russe contre la Pologne.
   Il n’est donc pas étonnant de trouver en tête du  Programme en 25 points du Parti ouvrier allemand national-socialiste, proclamé le 24 février 1920 par Adolf Hitler et qui réclame : « la constitution d’une Grande Allemagne, réunissant tous les Allemands sur la base du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. […] l’égalité des droits du peuple allemand au regard des autres nations, l’abrogation des traités de Versailles et de Saint-Germain Traité de 1919 aussi qui démantèle l’ancien empire austro-hongrois. […] de la terre et des colonies pour nourrir notre peuple et résorber notre surpopulation. » (Points 1, 2 et 3).
   De plus, militarisme et esprit de revanche se sont conjugués très tôt dangereusement. Erich Ludendorff (1865-1937) qui fut général en chef des armées allemandes de 1916 à 1918 et l’apôtre de la guerre totale en utilisant à outrance la flotte sous-marine, est l’un des grands propagandistes de la fameuse thèse du « coup de poignard dans le dos » selon laquelle l’armée allemande, invaincue sur le terrain, a été trahie par les politiciens de l’arrière. S’il soutint dans les années 20 Adolph Hitler, il s’en sépara assez vite. Mais Dans son livre La guerre totale, publié en 1935, s’appuyant sur l’expérience de la Première Guerre mondiale, il remet en cause la primauté du politique sur le militaire prônée par Clausewitz. Il affirme que l’« esprit du peuple » s’exprime au plus haut point par la guerre, lorsque ses buts lui sont révélés, ce qui doit entraîner la soumission de tous au militaire, et justifie des mesures violentes contre les opposants à la guerre (juifs, Église catholique et socialisme).

⁢i. Don Sturzo

En 1928 est publiée une Déclaration signée par le P. Rostworowski  (Pologne), Don Luigi Sturzo (Italie), Henri Demulier (France), Franz Keller (Allemagne), P. F. Stratman (Allemagne), John Ude (Autriche) qui veulent montrer, dans le contexte contemporain, l’impossibilité d’une guerre juste : « Aujourd’hui où la guerre est devenue un système de destruction anonyme et de massacre généralisé, sans aucune finalité de justice distributive, avec les moyens atroces en complète opposition à la fin prétendument poursuivie, il n’y a plus de distinction morale fondamentale entre agression et défensive ; d’ailleurs dès que celle-ci commence à s’exercer, elle s’identifie criminellement à l’attaque (…). Autrement dit, une « guerre juste » est aujourd’hui impossible. Et même si elle était possible, on ne pourrait pas l’admettre, par suite de son caractère apocalyptique, indigne de l’homme (…). Par conséquent le refus du service militaire devient un devoir objectif pour tout catholique voulant rester fidèle à l’enseignement de Jésus et conscient de la criminelle absurdité de la guerre. »[1]

Parmi les signataires, Don Luigi Sturzo⁠[2]. En 1918, il participe à la fondation du Parti populaire italien, précurseur de la démocratie-chrétienne, aux côtés notamment d’http://fr.wikipedia.org/wiki/Alcide_De_Gasperi[Alcide De Gasperi]. Mais, en raison de son opposition au fascisme, il doit partir en exil. Il publie alors de nombreux ouvrages, notamment L’Italie et le fascisme (1926), La communauté internationale et le droit de guerre (1929), La société : sa nature et ses lois (1936), Politique et morale (1938) et L’Église et l’État (1939). On peut lire : MORELLI Anne, La contestation par Don Sturzo d’un « droit à la guerre », in Théologies de la violence, op. cit., pp. 71-80 ; MINOIS Georges, L’Église et la guerre, Fayard, 1994, pp. 399-401.] va se distinguer particulièrement en publiant notamment, en 1929, La communauté internationale et le droit de guerre[3],

Don Sturzo considère que la guerre n’est pas une fatalité à laquelle il faut imposer des limites comme la théologie s’est efforcée de le faire dans les siècles précédents. La théorie de la guerre juste est une théorie caduque non seulement parce que toute guerre est justifiable et qu’il s’est trouvé, à travers l’histoire, des théologiens pour s’y employer mais aussi parce que la guerre a changé de nature : « La théologie ne doit pas s’en tenir à la casuistique d’autrefois, établie au temps où des armées de fortune marchandaient la victoire, afin de limiter le nombre de morts, et où les monarques démunis d’argent se bornaient à des escarmouches ou rencontres qu’ils qualifiaient batailles. Je ne veux pas dire que la guerre était alors un jeu, mais les guerres de ces temps-là n’étaient pas comparables à celles d’aujourd’hui. »[4]

C’est dans une communauté internationale inorganisée que la guerre a été utilisée pour régler les conflits. Ce n’est pas une réglementation des conflits mais l’organisation de la communauté internationale qui devrait parvenir à éradiquer la guerre ce qui implique l’établissement d’une autorité internationale et une relativisation des notions de patrie et de nation.

Cette vision est-elle utopique ? Don Sturzo ne compte pas naïvement sur la simple efficacité des structures à mettre en place. Encore faut-il les animer. Telle est la mission spécifique du christianisme qui doit aider à la lutte contre l’égoïsme, la volonté de puissance et la perversité qui se cachent au fond de nos cœurs et qui nous poussent à la violence : « Contre les pessimistes qui pensent que la guerre est un héritage fatal de l’humanité déchue et qu’il est impossible à l’homme de s’en libérer, il faut affirmer que la force du christianisme n’est pas épuisée. Si, parmi les populations chrétiennes, on a pu vaincre l’esclavage, la polygamie, la vengeance entre familles, il n’et pas contraire, mais conforme à l’esprit du Christ de tendre aussi à vaincre la guerre. »[5] Malheureusement, la pensée chrétienne est étouffée.

En 1932 toutefois, un groupe de théologiens publie, à Fribourg, en Suisse, une déclaration qui reprend les idées de Don Sturzo : « Bien que la société internationale ne jouisse pas encore de l’autorité qui pourrait être sienne, tant par la nature même des choses qu’en vertu du consentement des hommes, il est toutefois évident que, revêtue des formes du droit positif, elle se trouve déjà consolidée par de nombreux instruments juridiques et politiques destinés à établir un ordre humain et la paix. Dans ces conditions, la guerre qu’un État déclencherait de sa propre autorité, sans avoir recours préalablement aux institutions juridiques existantes ne saurait être une procédure légitime. »[6]

La théorie de la guerre juste présente donc une faiblesse congénitale et paraît inadaptée surtout aux temps présents. Restent l’idée d’une organisation internationale de plus en plus nécessaire indissociable de l’évangélisation indispensable pour animer les structures possibles.


1. Cité in COMBLIN J., op. cit., p. 46.
2. 1871-1959. Ce prêtre exerça des responsabilités politique dans sa ville natale et dans sa province, tout en jouant un rôle important dans l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Action_catholique[Action catholique
3. Il est publié en anglais. En 1931, il paraîtra en français et seulement en 1954 en italien.
4. Don STURZO, Politique et morale, in DC, 1960, col. 237.
5. Id..
6. Paix et guerre, in Les documents de la vie intellectuelle, Fribourg, février 1932, p. 41.

⁢ii. Et Pie XI ?

[1]

Elu le 6 février 1922, le nouveau Pape publie, le 23 décembre⁠[2] l’encyclique Ubi arcano, dans laquelle se trouve tout le programme de son pontificat.⁠[3] d’emblée Pie XI s’inscrit dans la ligne tracée par son prédécesseur : « L’état de choses n’a pas changé qui a préoccupé, durant tout son pontificat […], il est donc logique que Nous fassions Nôtres ses initiatives et ses vues en ce qui concerne ces questions ». L’élément le plus préoccupant est que « ni les individus, ni la société, ni les peuples n’ont encore, après la catastrophe d’une pareille guerre, retrouvé une véritable paix ; la tranquillité active et féconde que le monde appelle n’est pas encore rétablie ». Et de citer ces paroles des prophètes « qui s’appliquent et conviennent merveilleusement à notre époque : « Nous attendions la paix et nous n’avons rien obtenu de bon ; le temps du remède, et voici la terreur[4] ; le temps de la guérison, et voici l’épouvante »[5]. « Nous attendions la lumière, et voici les ténèbres […] ; le jugement, et il n’y en a pas ; le salut, et il s’est éloigné de nous ».⁠[6] En fait, « dans tous les pays qui ont participé à la dernière guerre, les vieilles haines ne sont point tombées encore ; elles continuent de s’affirmer ou sournoisement dans les intrigues de la politique comme dans les fluctuations du change, ou sur le terrain découvert de la presse quotidienne et périodique ; elles ont même envahi des domaines qui, de par leur nature, sont fermés aux conflits aigus, tels que l’art et la littérature. » Les pays vaincus accusent les vainqueurs de les opprimer et dépouiller, et les vainqueurs se traitent entre eux en ennemis. Même les pays qui n’ont pas participé au conflit sont accablés. La crise est générale et s’aggrave « d’autant plus que les multiples échanges de vues auxquels les hommes politiques ont procédé jusqu’ici, et leurs efforts pour remédier à la situation ont donné un résultat nul, et pire même qu’on ne prévoyait. » Dans cette ambiance menaçante, les nations se sentent obligées de vivre « sur pied de guerre » ruineux et délétère. A l’intérieur de nations, la situation n’est pas meilleure : lutte des classes, grèves, soulèvements, révoltes, répressions, terrorisme, politiques partisanes et intéressées, désagrègent la société. La famille déjà en décadence avant guerre et les églises sont bouleversées par la guerre. Faut-il s’étonner que les âmes soient « devenues inquiètes, aigries et ombrageuses », que la paresse, l’insubordination, l’impudeur et la misère s’étendent ? Bref, le chaos s’installe, « l’humanité semble retourner à la barbarie ».⁠[7] Pascendi de la même année où il énumère les tares du modernisme : agnosticisme, immanentisme, évolutionnisme, subjectivisme, relativisme]

Comment expliquer un tel bouleversement ? La réponse est dans l’Évangile : « Tous ces maux procèdent du dedans »[8], la paix, en effet, « n’a pas été gravée dans les cœurs. » Au contraire, des années de haine ont occulté la dignité de la personne humaine et fait du prochain « un étranger et un ennemi ». Seuls comptent la force et le nombre. Seuls comptent les biens terrestres que l’on se dispute à l’envi, dédaignant les biens éternels. L’apôtre jacques avait donc raison d’écrire : « d’où viennent les guerres et les conflits parmi vous ? N’est-ce pas de vos convoitises ? »[9] Le Souverain Pontife développe cette idée : « C’est à ces convoitises déréglées, se dissimulant, pour donner le change, sous le voile du bien public et du patriotisme, qu’il faut attribuer sans contredit les haines et les conflits qui s’élèvent périodiquement entre les peuples. Cet amour même de sa patrie et de sa race, source puissant de multiples, vertus et d’actes d’héroïsme lorsqu’il est réglé par la loi chrétienne, n’en devient pas moins un germe d’injustices et d’iniquités nombreuses si, transgressant les règles de la justice et du droit, il dégénère en nationalisme immodéré. Ceux qui tombent dan cet excès oublient, à coup sûr, non seulement que tous les peuples, en tant que membres de l’universelle famille humaine, sont liés entre eux par des rapports de fraternité et que les autres pays ont droit à la vie et à la prospérité, mais encore qu’il n’est ni permis ni utile de séparer l’intérêt de l’honnêteté : la justice fait la grandeur des nations, le péché fait le malheur des peuples⁠[10]. » Pourquoi donc, au fond, la paix est-elle absente ? La Parole de Dieu nous révèle que : « Ceux qui abandonnent le Seigneur seront réduits à néant »[11] Et Jésus nous a avertis : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire »[12], « celui qui ne recueille point avec moi dissipe »[13]. Quels que soient les efforts des hommes, s’ils se séparent de Dieu, s’ils l’excluent de la vie publique, de la société, de la famille, de l’éducation, les « germes de discorde » éclosent en guerre et la guerre par sa cruauté renforce les haines.

Quels remèdes apporter à tant de maux si graves ? La réponse du pape est lucide et précise : « Il y a bien peu à attendre d’une paix artificielle et extérieure qui règle et commande les rapports réciproques des hommes comme ferait un code de politesse ; ce qu’il faut, c’est une paix qui pénètre les cœurs, les apaise et les ouvre peu à peu à des sentiments réciproques de charité universelle. Une telle paix ne saurait être que la paix du Christ […]. »⁠[14] Il n’y a pas d’autre paix. Il nous a révélé que nous étions tous frères⁠[15], que nous devions nous aimer les uns les autres et porter les fardeaux les uns des autres⁠[16]. Certes, « la paix est œuvre de justice »[17] mais « encore cette justice ne doit-elle pas adopter une brutale inflexibilité de fer ; il faut qu’elle soit dans une égale mesure tempérée par la charité ». Or, la charité est une « vertu qui est essentiellement destinée à établir la paix entre les hommes ». Et, comme le montre Paul, la Rédemption est « moins une œuvre de justice -elle l’est certes- qu’une œuvre divine de réconciliation et de charité ». Le Christ est notre paix « puisque, en même temps que dans sa chair il satisfaisait sur la croix à la justice divine, il tuait en lui-même les inimitiés, réalisant la paix[18], et en lui réconciliait les hommes et le monde avec Dieu. » Saint Thomas le confirme : « la paix véritable et authentique est plus de l’ordre de la charité que de la justice, cette dernière ayant mission d’écarter les obstacles à la paix tels que les torts, les dommages, tandis que la paix est proprement et tout spécialement un acte de charité ».

Comment cette paix s’établit-elle ? En s’attachant d’abord aux « réalités spirituelles et éternelles »[19], par « la persévérance et la fermeté d’âme », en mettant « un frein aux convoitises ». En reconnaissant en Dieu, le Créateur et le Maître du monde, on respectera l’ordre, la loi et l’autorité, la dignité de la personne humaine, la pureté des mœurs, le sacrement de mariage et la sainteté de la famille.

C’est la mission de l’Église catholique d’apporter ces remèdes par son enseignement pour pacifier le monde et conjurer « les menaces imminentes de nouvelles guerres ». « Il ne saurait y avoir aucune paix véritable -cette paix du Christ si désirée- tant que tous les hommes ne suivront pas fidèlement les enseignements, les préceptes et les exemples du Christ, dans l’ordre de la vie publique comme de la vie privée ; il faut que, la famille humaine régulièrement organisée, l’Église puisse enfin, en accomplissement de sa divine mission, maintenir vis-à-vis des individus comme de la société tous et chacun des droits de Dieu. »[20]

Selon la formule de Paul, il faut donc « tout restaurer dans le Christ »[21], les individus, les familles, les sociétés. En effet, « le jour où États et gouvernements se feront un devoir sacré de se régler, dans leur vie politique, au-dedans et au dehors, sur les enseignements et les préceptes de Jésus-Christ, alors, mais alors seulement, ils jouiront à l’intérieur d’une paix profitable, entretiendront des rapports de mutuelle confiance, et résoudront pacifiquement les conflits qui pourraient surgir. »

Cette restauration ne peut être purement une œuvre civile mais surtout une œuvre d’Église⁠[22].

Dans ce travail de restauration, le Souverain Pontife va prendre sa part⁠[23].

Le 7 avril 1922, il avait encouragé la Conférence internationale de la Paix bien conscient du danger des haines persistantes qui « tournent au désavantage des peuples vainqueurs eux-mêmes et préparent pour tous un bien redoutable avenir ; […] la meilleure garantie de tranquillité n’est pas une forêt de baïonnettes, mais la confiance mutuelle et l’amitié. »[24]

d’année en année, il constate que la paix ne s’établit toujours pas et s’inquiète de plus en plus : « l’Europe même est en proie à de multiples et graves calamités. Sur le continent et dans les îles importantes, des nations très florissantes jadis et foyers rayonnants de civilisation, s’épuisent en des combats fratricides qui causent aux une et aux autres des pertes incalculables, et menacent dès maintenant d’entraîner l’ensemble de l’Europe et par voie de conséquence l’humanité tout entière. »[25] Et si l’on n’écoute pas le pape, « ce qui nous est et sera toujours possible, c’est de supplier le Dieu de la paix de rétablir et d’affermir sa paix dans tous les esprits, d’inspirer à tous des sentiments de justice et de charité, et de les amener peu à peu à la conclusion d’ententes amicales. »[26]

Attaché cependant à combattre le mal à la racine, il va dénoncer les sources de la violence tout particulièrement dans les idéologies à la mode et à la lumière des événements dramatiques qui vont se dérouler durant tout son pontificat en Russie⁠[27], en Allemagne⁠[28], au Mexique⁠[29], en Italie⁠[30] et en Espagne⁠[31], tous pays où les chrétiens sont d’une manière ou d’une autre persécutés ou discriminés⁠[32], où la religion est étouffée : « Le monde presque entier est à présent fortement agité par des dissidences, des erreurs et des théories nouvelles qui semblent donner à notre époque un caractère d’exceptionnelle importance historique.

La doctrine et la vie chrétiennes sont elles aussi en péril dans bien des parties du monde. Des idées douteuses ou entièrement malhonnêtes qui, il y a quelques années, n’étaient que chuchotées dans certains cercles avides d’innovations, sont aujourd’hui prêchées sur les toits et ouvertement mises à exécution. La décadence des mœurs privées et publiques a mené à l’érection, en beaucoup de lieux, de funestes symboles de la révolte contre la Croix du Christ. […] seule l’auguste et intègre doctrine chrétienne peut revendiquer pleinement les droits et les libertés de l’homme parce que ce n’est qu’elle qui reconnaît à la personne humaine sa valeur et sa dignité. C’est pourquoi les catholiques, illuminés sur la nature et les qualités de l’homme, sont nécessairement les champions de ses légitimes droits et de ses légitimes libertés, et protestent au nom de Dieu contre la fausse doctrine qui tente de dégrader la dignité de l’homme, en l’asservissant au bon plaisir d’une tyrannie néfaste ou en le détachant cruellement du reste de la famille humaine, comme ils rejettent aussi au nom de Dieu toute doctrine sociale qui traite l’homme comme un simple instrument matériel dans la compétition économique ou dans la lutte des classe. »[33]

Que ce soit contre le bolchevisme, le racisme, le nationalisme, l’étatisme⁠[34], « le mal essentiel est le même : la divinisation d’une collectivité sociale, raciale ou politique »[35] au détriment de la dignité humaine et le Saint Père précise, pour que tous sachent qu’elle appartient à tous les hommes sans discrimination quelconque : « la dignité humaine consiste en ceci : que tous font une seule grande famille, le genre humain, la race humaine »[36].

Et tout cela n’est pas qu’une querelle d’idées mais une question de vie ou de mort dans la lutte entre le bien et le mal. « En face de l’armée du mal, qui, par ses méthodes de haine, de violence, d’oppression des consciences, de méconnaissance de la dignité de l’âme humaine, poursuit avec acharnement la lutte contre tout ce qui rappelle le nom chrétien, en face de ces forces déchaînées qui travaillent à soulever les hommes les uns contre les autres au risque de provoquer des cataclysmes sanglants », il n’y a qu’une armée, celle qui ne dispose que d’une seule arme, celle de la charité du Christ.⁠[37]

Le Saint Père se rend compte que les responsables des nations et peut-être les nations elles-mêmes ne l’écoutent plus.

Reste la prière : « Que les peuples s’entredéchirent de nouveau, que sur terre, sur mer et dans les airs, tous les moyens soient mis en œuvre pour le massacre et la destruction totale, ce serait un crime si monstrueux et un tel accès de folie que Nous ne croyons nullement qu’on puisse en arriver là […] Que s’il se trouve quelqu’un -ce qu’à Dieu ne plaise et Nous avons confiance que cela n’arrivera pas- qui ose méditer et préparer un tel fléau, Nous ne pourrions Nous empêcher de renouveler au Dieu tout-puissant cette prière : Seigneur, dissipez les peuples qui veulent la guerre ».⁠[38]

Son Radio-message de Noël 1936, alors qu’il est déjà malade, est marqué du même souci : « Cette année, la divine bonté Nous permet de contribuer aux prières, aux œuvres, aux sacrifices de tous par l’expérience personnelle de la souffrance, qui jusqu’ici Nous avait étonnamment épargné. » Il prie le Seigneur d’accepter « cette offrande que Nous lui faisons et qui veut être, maintenant et toujours, en pleine conformité avec sa très sainte volonté, pour sa gloire aujourd’hui plus sataniquement que jamais combattue, pour la conversion de tous les égarés, pour la paix et pour le bien de l’Église tout entière, et d’une façon toute particulière pour l’Espagne très éprouvée et qui, pour cela même, Nous est très chère. »

Tous les fidèles sont invités à implorer le Ciel, dernier recours contre la guerre qui menace : « Tandis que des millions d’hommes vivent dans l’anxiété devant l’imminent danger de guerre et devant la menace de massacres et de ruines sans exemple, Nous accueillons dans Notre cœur paternel le trouble de tant de Nos fils et Nous invitons évêques, clergé, religieux » fidèles à s’unir à Nous dans la prière la plus confiante et la plus insistante pour la conservation de la paix, dans la justice et dans la charité. Que le peuple fidèle recoure, encore une fois, à cette puissance désarmée, mais invincible de la prière afin que Dieu, dans les mains de qui est le sort du monde, soutienne chez tous les gouvernants la confiance dans les voies pacifiques de loyaux pourparlers et d’accords durables et inspire à tous, en harmonie avec les paroles de paix souvent répétées, des sentiments et des œuvres aptes à la favoriser et à la fonder sur les bases sûres du droit et des enseignements évangéliques.

Reconnaissant, au delà de toute expression, de toutes les prières qu’ont faites et que font encore pour Nous les fidèles de tout le monde catholique, Nous offrons de tout cœur cette vie que, grâce à ces prières, le Seigneur nous a accordée et pour ainsi dire renouvelée : Nous offrons pour le salut, pour la paix du monde le don inestimable d’une vie déjà longue, soit que le Maître de la vie et de la mort veuille Nous l’enlever, soit qu’il veuille, au contraire, prolonger plus encore les journées de labeur de l’ouvrier affligé et fatigué.

Nous avons d’autant plus la confiance de voir Notre offrande acceptée avec bienveillance qu’elle est faite conjointement à la mémoire liturgique du doux et héroïque martyr saint Wenceslas, et qu’elle va préluder à la fête du saint Rosaire, à la célèbre supplique, au mois consacré au saint rosaire, pendant lequel redoubleront dans tout le monde catholique, comme Nous le recommandons aussi vivement, la ferveur et l’assiduité à cette dévotion qui a déjà obtenu de si grandes et si bienfaisantes interventions de la Très Sainte Vierge dans les destinées de l’humanité troublée. »[39]

Les hommes n’ont pas entendu ou ils n’ont pas écouté les paroles les avertissements de Benoît XV et de Pie XI. Et quand ils les ont écoutés, ils les ont mal compris ou n’ont pas voulu les comprendre. Nous l’avons vu pendant et après la guerre de 1914-1918. Nous le constatons encore à la veille de la guerre de la seconde guerre mondiale.⁠[40]


1. 1857-1939. Pape de 1922 à 1939. On peut trouver tous les textes cités ici et bien d’autres sur le site www.liberius.net.
2. Pie XI explique qu’il n’a pu publier plus tôt cette encyclique à cause d’ « empêchements successifs » qui « y ont mis obstacle » et qu’il énumère.
3. Outre le problème des relations internationales, on voit, dans ce document, le souci du Souverain Pontife pour la famille, qui se manifestera, en 1930 par l’encyclique Casti connubii ; pour l’éducation chrétienne à laquelle il consacrera Divini illius magistri (1929) ; pour la question sociale qui sera abordée dans Quadragesimo anno (1931) et Caritate Christi compulsi (1932).
4. Jr 8, 15.
5. Jr 14, 19.
6. Is 54, 9-11.
7. Le pape dénonce le matérialisme et « une sorte de modernisme moral, juridique et social ». Il fait allusion au modernisme religieux critiqué par Pie X qui, dans la constitution apostolique Lamentabili sane exitu (1907), condamne formellement 65 propositions dites «  modernistes », rappelées dans l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Encyclique[encyclique
8. Mc 7, 23.
9. Jc 4, 1.
10. Pr 14, 34.
11. Is 1, 28.
12. Jn 15, 5.
13. Lc 11, 23.
14. Pie XI y reviendra dans l’encyclique Fin dal primo momento du 23 décembre 1922 et développera longuement ce thème dans l’encyclique Quas primas du 11 décembre 1925, consacrée précisément à la royauté spirituelle du Christ. On y lit notamment cette profession de foi : « Si les princes et les gouvernants légitimement choisis étaient persuadés qu’ils commandent bien moins en leur nom propre qu’au nom et à la place du divin Roi, il est évident qu’ils useraient de leur autorité avec toute la vertu et la sagesse possibles. Dans l’élaboration et l’application des lois, quelle attention ne donneraient-ils pas au bien commun et à la dignité humaine de leurs subordonnés !
   Alors on verrait l’ordre et la tranquillité s’épanouir et se consolider ; toute cause de révolte se trouverait écartée ; tout en reconnaissant dans le prince et les autres dignitaires de l’État des hommes, comme les autres, ses égaux par la nature humaine, en les voyant même, pour une raison ou pour une autre, incapables ou indignes, le citoyen ne refuserait point pour autant de leur obéir quand il observerait qu’en leurs personnes s’offrent à lui l’image et l’autorité du Christ Dieu et Homme.
   Alors les peuples goûteraient les bienfaits de la concorde et de la paix. Plus loin s’étend un royaume, plus il embrasse l’universalité du genre humain, plus aussi -c’est incontestable- les hommes prennent conscience du lien mutuel qui les unit. Cette conscience préviendrait et empêcherait des conflits ; en tout cas, elle adoucirait et atténuerait leur violence. Pourquoi donc, si le royaume du Christ s’étendait de fait comme il s’étend en droit à tous les hommes, pourquoi désespérer de cette paix que le Roi pacifique est venu apporter sur la terre ? »
15. Mt 23, 8.
16. Jn 15, 12 et Ga 6, 2.
17. Is 32, 17.
18. Ep 2, 14.
19. « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? » (Mt 16, 26).
20. « … le règne du Christ établit et fait épanouir une certaine égalité de droits et de dignité entre les hommes, tous ennoblis du sang précieux du Christ ; et ceux qui paraissent commander aux autres doivent en droit et en fait, à l’exemple du Christ Seigneur lui-même, être les administrateurs des biens communs, et par suite les serviteurs de tous les serviteurs de Dieu, principalement des plus humbles et des plus pauvres. »
   Pie XI n’en confond pas pour autant les pouvoirs temporel et spirituel : « Certes l’Église ne se reconnaît point le droit de s’immiscer sans raison dans la conduite des affaires temporelles et purement politiques, mais son intervention est légitime quand elle cherche à éviter que la société civile tire u n prétexte de la politique, soit pour restreindre de toute manière les biens supérieurs d’où dépend le salut éternel des hommes, soit pour nuire aux intérêts spirituels par des lois et des décrets iniques, soit pour porter de graves atteintes à la divine constitution de l’Église, soit enfin pour fouler aux pieds les droits de Dieu lui-même dans la société. »
21. Ep 1, 10.
22. « …il n’est point d’institution humaine en mesure d’imposer à toutes les nations une sorte de code international, adapté à notre époque, analogue à celui qui régissait au moyen âge cette véritable Société des Nations qui s’appelait la chrétienté. Elle aussi a vu se commettre en fait beaucoup trop d’injustices ; du moins la valeur sacrée du droit demeurait incontestée, règle sûre d’après laquelle les nations avaient à rendre leurs comptes.
   Mais il est une institution divine capable de garantir l’inviolabilité du droit des gens ; une institution, qui, embrassant toutes les nations, les dépasse toutes, qui jouit d’une autorité souveraine et du glorieux privilège de la plénitude du magistère, c’est l’Église du Christ : seule elle se montre à la hauteur d’une si grande tâche grâce à sa mission divine, à sa nature, à sa constitution même, et au prestige que lui confèrent les siècles ; et les vicissitudes mêmes des guerres, loin de l’amoindrir, lui apportent un merveilleux épanouissement. »
23. Pour connaître mieux l’action de Pie XI pendant cette période mouvementée, on peut lire SAINT-DENIS André, Pie XI contre les idoles, Plon, 1939. L’auteur, dès avant la guerre, montre la pertinence des interventions de Pie XI. Plus près de nous, est précieux aussi le livre de JARLOT Georges, Pie XI doctrine et action 1922-1939, Università Gregoriana Editrice, 1973. Voir aussi l’annexe à la fin de ce volume.
24. Lettre autographe à l’archevêque de Gênes, 7 avril 1922. Il développe le même thème dans une autre Lettre autographe à son Secrétaire d’État, le 29 avril 1922.
25. Allocution consistoriale, 23 mai 1923.
26. Id..
27. Dès juillet 1922, inquiet du sort matériel des populations russes, il prescrit une souscription générale en leur faveur (Lettre apostolique aux patriarches, primats, archevêques et évêques de l’univers catholique, 10 juillet 1922). Il revient sur cette aide nécessaire le 11 décembre de la même année dans son Allocution consistoriale et encore le 24 mars 1924 (Allocution consistoriale où il dénonce aussi l’incarcération de nombreux prêtres et religieux dont l’archevêque Cieplak, puis le 18 décembre 1924 dans une nouvelle Allocution consistoriale). Puis, sur le fond, sur l’idéologie communiste, il publie l’encyclique Divini redemptoris, 19 mars 1937.
28. Cf. Encyclique Mit brennender Sorge, 14 mars 1937.
29. Encycliques Iniquis Afflictisque, 18 novembre 1926 ; Acerba animi 29/9/1932 ; Firmissimam constantiam (No es muy conocida) 28 mars1937.
30. Inquiet du désordre intérieur, il invite de revenir au Christ et rappelle l’enseignement de Léon XIII (Lettre apostolique aux évêques d’Italie, 6 août 1922 puis celle du 28 octobre 1922 et encore l’Allocution consistoriale du 24 mars 1924). Sur l’idéologie fasciste, on retiendra l’allocution Misericordia Domini, du 20 décembre 1926 et encyclique Non abbiamo bisogno du 29 juin 1931. On peut aussi rappeler la condamnation (22 juin 1934) par la Sacrée Congrégation du Saint-Office des œuvres du catholique Giovanni Gentile proche de Mussolini, auteur notamment du Manifeste des intellectuels fascistes (1925) ou encore celle du livre de G. Cogni, Il Razzismo (Décret du 19 juin 1937).
31. Encyclique Dilectissima Nobis du 3 juin 1933. Le Souverain Pontife précise bien que son intervention n’est pas motivée par un changement de régime : « Notre parole ne s’inspire nullement, comme quelques-uns l’affirment faussement, de sentiments d’hostilité à l’égard de la nouvelle forme 'de gouvernement de l’Espagne, ni d’aversion envers les autres changements politiques qui s’y sont récemment accomplis.
   Il est évident pour tous que l’Église catholique, sans s’attacher à une forme de gouvernement plutôt qu’à une autre, pourvu que soient sauvegardés et protégés les droits de Dieu et de la conscience chrétienne, ne fait aucune difficulté pour s’accorder avec toutes les institutions civiles, qu’elles aient la forme royale ou républicaine, qu’elles soient sous le pouvoir aristocratique ou populaire.
   La preuve en est, pour ne parler que des faits les plus récents, dans les nombreux traités et Concordats, comme on les appelle, qui ont été signés en ces derniers temps, de même dans les rapports qui interviennent nécessairement entre le Saint-Siège et les divers États, sans excepter aussi ceux qui, après la dernière grande guerre, ont abandonné leur régime monarchique pour adopter le gouvernement républicain.
   Bien plus, jamais ces Républiques — tant dans leurs institutions que dans leurs aspirations à une juste grandeur et prospérité de la nation, — jamais, disons-Nous, ces Républiques n’ont, sans nul doute souffert aucun dommage, ni du fait des relations amicales nouées avec ce Siège apostolique, ni du fait des conventions qu’elles ont eu l’idée, en conformité des nécessités du temps, de conclure et d’observer avec une confiance réciproque, concernant les affaires des sociétés ecclésiastique et civile ».
   On peut aussi lire le discours La vostra presenza (14 septembre 1936) adressé aux réfugiés espagnols en Italie. Pie XI dénonce massacres, profanations, destructions, dénonce l’action de forces subversives responsables de la persécution mais condamne la guerre -« chose si terrible et inhumaine »- et plus encore la guerre entre frères et pire encore, la guerre entre frères dans le Christ ! La bénédiction accordée à la fin du discours, « au-dessus de toute considération politique terrestre » s’étend aux défenseurs de Dieu et de la religion, des droits et de la dignité des consciences et aussi « aux autres » « qui sont pourtant et resteront toujours Nos fils » malgré « des actes et des méthodes extrêmement odieux et cruellement persécuteurs ». Le Pape s’engage à prier pour eux.
32. Le pape n’en oublie par pour autant les autres victimes des idéologies. Lire l’annexe 1 à la fin du volume. 
33. Lettre aux évêques des États-Unis à l’occasion du cinquantenaire de la Catholic University of America, 21/9/1938.
34. Et même le totalitarisme défini en ces termes par le Pape lui-même: « L’Église professe et enseigne une doctrine qui marque les justes rapports entre collectivité et individu. Certainement (c’est l’évidence même), du fait des nécessités de la vie, de sa naissance à sa mort, l’individu a besoin de la collectivité : pour vivre, pour développer sa vie. Mais il n’est pas vrai que la collectivité soit elle-même une personne, une personne indépendante, parlant en son propre nom. Non, la science comme l’ignorance, la science comme la vertu sont le propre de l’individu. Aussi, quand on parle de l’âme de la collectivité, c’est une manière de dire qui a bien son fondement dans la réalité, mais qui demeure une abstraction. Et la collectivité ne peut exercer aucune fonction personnelle qu’à travers les individus qui la composent : c’est l’évidence, mais une évidence qui, de nos jours, n’est plus reconnue dans bien des milieux. On dit trop un peu partout, d’une façon ou d’une autre — et on s’est habitué à entendre dire, — que tout doit appartenir à l’État, rien à l’individu. Oh ! chers Fils, quelle fausseté dans cette expression : elle va d’abord contre les faits, car si l’individu est réellement dépendant à ce point de la société, la société, d’autre part, ne serait rien sans les individus, sinon une pure abstraction. Mais il y a des arrière-pensées bien graves, et ceux qui disent : tout à la collectivité, disent aussi que la collectivité est quelque chose de divin, et alors, voici l’individu divinisé, mais d’une façon nouvelle : c’est une espèce de panthéisme social. Voilà, chers Fils, la leçon que le catéchisme élémentaire nous enseigne. C’est l’ennemi de l’homme qui a dit : eritis sicut dei. Vous savez tout ce que cette phrase voulait dire et comment elle s’est traduite dans la tragédie des siècles qui se sont succédé dans la vie de la pauvre humanité pécheresse.
   On dit ainsi : tout doit être à l’État, et voici l’État totalitaire, comme on le nomme. Rien sans l’État, tout à l’État. Mais il y a là une fausseté si évidente qu’il est étonnant que des hommes, par ailleurs sérieux et doués de talents, la disent et l’enseignent aux foules. Car comment l’État pourrait-il être vraiment totalitaire, donner tout à l’individu et tout lui demander, comment pourrait-il tout donner à l’individu pour sa perfection intérieure — car il s’agit de chrétiens, — pour la sanctification et la glorification des âmes ? Dès lors, combien de choses échappent aux possibilités de l’État dans la vie présente et en vue de la vie future, éternelle ! »
(Discours adressé aux membres du pèlerinage de la Confédération française des travailleurs chrétiens (C. F. T. C.) à l’audience du 18 septembre 1938, à Castel-Gandolfo).
   Déjà en 1925, il disait : « La liberté a certainement ses droits, et l’Église, en raison de sa mission, ne peut faire autrement que de les défendre et de les revendiquer. Mais, par sa doctrine et sa constitution, elle est totalement hostile soit à la licence, à l’anarchie engendrée par les erreurs, absolument destructives de la société humaine et déjà condamnées, du libéralisme et du socialisme ; soit à toute conception politique qui voit dans le pays ou l’État une fin ultime et se suffisant à elle-même ; avec une pareille doctrine, l’État en arrive aussitôt, par une sorte de fatalité, à ruiner et anéantir les droits des particuliers, avec les non moins tristes et cruelles conséquences qu’il est facile d’imaginer. » (Allocution consistoriale, 14 décembre 1925).
35. SAINT-DENIS André, Pie XI contre les idoles, Plon, 1939, p. V.
36. Allocution du 28/7/1938.
37. Lettre à H. de Vergès, président général de la Société de saint Vincent de Paul 6 janvier 1939.
38. Allocution consistoriale 1er avril 1935.
39. Message radiodiffusé en plusieurs langues, adressé par le Saint-Père, le 29 septembre 1938, fête de la Dédicace de saint Michel archange, aux fidèles de l’Église catholique et au monde entier.
40. On peut s’arrêter un instant aux interventions de Pie XI lors de la guerre d’Ethiopie en 1935-1936. Le 28 mai 1935, pressentant cette guerre, Pie XI déclarait : « Nous ne voulons ajouter que très peu de mots […] pour dire que Nous espérons encore, et que Nous espérons toujours dans la paix du Christ, et que, quoi qu’il en soit, Nous nourrissons l’espoir qu’il ne se produira rien qui ne soit suivant la vérité, suivant la justice et suivant la charité. » (Décret sur l’héroïcité des vertus de Justin de Jacobis).  Le 27 août 1935, un mois avant l’invasion italienne (le 3 octobre), après avoir demandé de nouveau que l’on prie pour la paix, Pie XI profite de l’actualité pour rappeler quelques principes classiques de doctrine : « A l’étranger, on parle d’une guerre de conquête, d’une guerre offensive : voilà une supposition qui déconcerte. Une guerre qui ne serait que de conquête serait évidemment injuste… Nous ne voulons pas penser à une guerre injuste : Nous ne pouvons pas envisager sa possibilité et Nous l’écartons délibérément.
   De l’autre côté, en Italie, on dit qu’il s’agirait d’une guerre juste, parce qu’une guerre de défense pour assurer les frontières contre des dangers continuels et incessants, une guerre devenue nécessaire pour l’expansion d’une population qui augmente de jour en jour, une guerre entreprise pour défendre ou assurer la sécurité matérielle d’un pays, une telle guerre se justifierait par elle-même.
   Il est vrai […] que si ce besoin d’expansion peut exister, s’il existe aussi la nécessité d’assurer par la défense la sécurité des frontières, Nous ne pouvons que souhaiter qu’on puisse arriver à résoudre toutes les difficultés par d’autres moyens qui ne soient pas la guerre. Comment ? Il n’est évidemment pas facile de le dire, mais Nous ne croyons pas que ce soit impossible. Il faut étudier cette possibilité. Une chose Nous semble hors de doute : si le besoin d’expansion est un fait dont il faut tenir compte, le droit de défense a des limites et des modérations qu’il doit garder, afin que la défense ne soit pas coupable. » (Allocution à des infirmières du monde entier).
   Le 31 août,  l’Osservatore romano fait une mise au point étant donné que le long message du pape a été publié partiellement et partialement de telle sorte qu’il paraissait justifier la politique de Mussolini et blâmer la SDN : « La pensée du pape est claire. Le besoin d’expansion n’est pas un droit en soi, c’est un fit dont il faut tenir compte. La défense au contraire, est un droit. Elle donne, elle confère immédiatement le droit, cela est certain, mais l’exercice de ce droit n’est pas sans faute, si certaines limites et certaines modérations ne sont pas observées. Cela revient à dire que le besoin d’expansion ne peut à lui seul justifier la recherche, l’effort en vue d’obtenir ce que l’on estime nécessaire, même contrairement au droit éventuel d’autrui. Au contraire, la défense peut se justifier à elle seule et s’identifier avec le droit, mais à condition qu’il n’y ait pas excès de défense, ce que tous les codes du monde condamnent. »
   Cette manipulation du message a visiblement déprimé Pie XI, puisque le 20 décembre 1935, il avoue : « Nous ne voulons surtout point Nous arrêter ici aux rivalités guerrières qui plongent dans une anxiété continuelle, non seulement l’Europe et l’Afrique, mais l’univers tout entier. Nous tenons d’autant plus à garder cette réserve que, parmi, tant d’incertitudes des hommes et des événements, il est à craindre que Nos paroles, quelles qu’elles soient, ne soient pas bien comprises ou qu’elles soient même ouvertement détournées de leur sens. » (Consistoire secret).