⁢i. Séismes et turbulences

La fin du XXe siècle est une période particulièrement troublée politiquement. Bien des « maisons » sont devenues très instables. L’effondrement des régimes marxistes en Europe a laissé bien des nations désorientées. L’apprentissage de la liberté s’est fait souvent dans les pires difficultés et n’a pas apporté aux populations la stabilité et le bien-être rêvés. Ici ou là, à travers des tentatives démocratiques fragiles et décevantes, les populations ont parfois été prises par la nostalgie de l’ordre ancien. Les communistes, sous quelque étiquette socialiste, sont parfois revenus au pouvoir et des régions entières ont connu la guerre civile⁠[1].

Dans le même temps, les démocraties occidentales révèlent de graves tares : corruption, clientélisme, particratie, népotisme⁠[2], concussion⁠[3], entraves à la justice, etc.. Certains appareils d’État sont noyautés par la maffia. Les populations révoltées ou méfiantes se détournent de la vie politique ou accordent leurs suffrages à des formations extrémistes. Par ailleurs, la fascination d’une économie de marché sans limites ni balises ranime des pratiques sauvages qui disloquent les sociétés sous les yeux de politiques impuissants ou complices..

Dans le tiers-monde, l’anarchie, la dictature et l’exploitation continuent à s’entremêler sur un lit de misère persistante.

Dans cet ébranlement général, le fondamentalisme religieux mobilise des peuples entiers au service d’un ordre divin strict⁠[4] et l’ouverture de la Chine communiste et de la république populaire de Cuba à une économie de marché fait à nouveau rêver d’un marxisme souriant certains esprits désorientés..

L’Europe occidentale, dans la plupart des cas, part plutôt à la recherche d’une « nouvelle citoyenneté », d’une « nouvelle culture politique » qui pourrait « réinventer la démocratie »⁠[5].


1. « …​les anciennes formes de totalitarisme et d’autoritarisme ne sont pas encore complètement anéanties et (…) Il existe même un risque qu’elles reprennent vigueur…​ » (Jean-Paul II, Centesimus annus, n° 29)
2. « Abus qu’un homme en place fait de son crédit, de son influence pour procurer des avantages, des emplois aux membres de sa famille, à ses amis, aux personnes de son parti, de son milieu » (Robert).
3. « Perception illicite par un agent public de sommes qu’il sait ne pas être dues » (Robert).
4. « ...dans certains pays, apparaissent de nouvelles formes de fondamentalisme religieux qui, de façon voilée ou même ouvertement, refusent aux citoyens qui ont une foi différente de celle de la majorité le plein exercice de leurs droits civils ou religieux, les empêchent de participer au débat culturel, restreignent le droit qu’a l’Église de prêcher l’Évangile et le droit qu’ont les hommes d’accueillir la parole qu’ils ont entendu prêcher et de se convertir au Christ » (Id.).
5. Ces expressions sont devenues très familières à la fin du XXe siècle suite aux nombreux « dysfonctionnements et malversations découverts dans la pratique de la justice, dans la gestion des partis, de la santé et des finances publiques (affaires du sang contaminé en France, Agusta et Dassault en Belgique, etc.).

⁢ii. Comment rebâtir ?

Par la voix du prophète Ahia de Silo, le Seigneur dit à Jéroboam : « Tu seras roi d’Israël. et si tu obéis à tous mes ordres, si tu marches dans mes voies, si tu fais le bien à mes yeux en observant mes préceptes et mes commandements comme l’a fait David, mon serviteur, je serai avec toi. Je te bâtirai une maison stable, comme je l’ai fait pour David, et je te donnerai Israël »[1]. Quel est donc ce « bien » à faire pour que la « maison » soit stable ?

Il n’est pas inutile de rappeler quelques principes fondamentaux que nous avons médités dans les chapitres précédents et qui vont éclairer dorénavant les problèmes politiques, sociaux et économiques qu’il nous faut aborder.

N’oublions pas la dignité éminente et l’égalité essentielle des hommes

Une société humaine se fonde sur le respect de la dignité transcendante de tous les hommes, tous créés à l’image et à la ressemblance de Dieu et tous « appelés à la même fin, Dieu lui-même »[2]. Elle se fonde donc sur le respect des droits fondamentaux de toute personne. Ces droits, nous l’avons vu, découlent de la nature même de l’homme. Ils ne dépendent pas de la société. Ils lui sont antérieurs et une société ne peut fonder sa légitimité que sur le respect de ces droits. En ce sens, l’homme est supérieur à la société.

N’oublions pas non plus la sociabilité réclamée par l’inégalité concrète des individus.

L’homme est un être social, par nature, et est donc, d’une certaine manière soumis à la société. Non seulement il a besoin des autres, pour se développer, en fonction de l’inégalité des « talents »⁠[3] mais il doit respecter l’autre, puisqu’il lui est égal en dignité, comme s’il s’agissait de lui-même, attentif à la défense de ses droits légitimes et à la croissance de son humanité. Et l’autre, c’est d’abord le plus faible, le plus petit, le plus démuni⁠[4]. Même l’ennemi, en tant que personne, a droit à une certaine bienveillance⁠[5].

Etre social n’est pas une aliénation puisque « par l’échange avec autrui, la réciprocité des services et le dialogue avec ses frères, l’homme développe ses virtualités » et « répond ainsi à sa vocation »[6].

Ces considérations générales ne sont pas sans conséquences sur le plan politique et il serait vain d’espérer humaniser la société sans en tenir compte. La question n’est pas de savoir d’abord s’il convient de vivre sous tel ou tel régime mais plutôt de connaître les besoins réels de l’homme pour y adapter les structures et les institutions.


1. 1 R 11, 37-38.
2. CEC 1878.
3. Cf. Mt 25, 14-30 ; Lc 19, 11-27. Ste Catherine de Sienne (1347-1380) rapporte ainsi l’intention de Dieu : « Je ne donne pas toutes les vertus à chacun.(…) Il en est plusieurs que je distribue de telle manière, tantôt à l’un, tantôt à l’autre. (…) A l’un, c’est la charité ; à l’autre, la justice ; à celui-ci l’humilité ; à celui-là, une foi vive. (…) Quant aux biens temporels, pour les choses nécessaires à la vie humaine, je les ai distribués avec la plus grande inégalité, et je n’ai pas voulu que chacun possédât tout ce qui lui était nécessaire pour que les hommes aient ainsi l’occasion, par nécessité, de pratiquer la charité les uns envers les autres. (…) J’ai voulu qu’ils eussent besoin les uns des autres et qu’ils fussent mes ministres pour la distribution des grâces et des libéralités qu’ils ont reçues de moi ».(Le Dialogue, 1, 7, cité in CEC n°1202)
4. Cf. « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à Moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). Dans l’Ancien Testament, Dieu, par l’entremise des Prophètes, s’en prend durement à ceux qui malmènent ou méprisent les « petits » : l’opprimé, la veuve, l’orphelin, le pauvre, l’innocent, l’étranger (Is 1, 17 ; Jr 2, 34 ; Am 2, 6-7 ; etc.).
5. Lorsque Caïn, par jalousie, tue son frère Abel, Dieu le maudit et le chasse de la terre fertile. Caïn proteste: « « Ma peine est trop lourde à porter. Vois ! Tu me bannis aujourd’hui du sol fertile, je devrai me cacher loin de ta face et je serai un errant parcourant la terre, mais le premier venu me tuera ! » Le Seigneur lui répondit : « Aussi bien si quelqu’un tue Caïn, on le vengera sept fois », et le Seigneur mit un signe sur Caïn, afin que le premier venu ne le frappât point. » (Gn 4, 13-15). Jean-Paul II commente ce passage et fait remarquer que « meurtrier, il garde sa dignité personnelle et Dieu lui-même s’en fait le garant ». Et de citer St Ambroise : « Comme il y avait eu fratricide, c’est-à-dire le plus grand des crimes, au moment où s’introduisit le péché, la loi de la miséricorde divine devait immédiatement être étendue ; parce que, si le châtiment avait immédiatement frappé le coupable, les hommes, quand ils puniraient, n’auraient pas pu se montrer tolérants ou doux, mais ils auraient immédiatement châtié les coupables. (…) Dieu repoussa Caïn de sa face et , comme il était rejeté par ses parents, il le relégua comme dans l’exil d’une habitation séparée, parce qu’il était passé de la douceur humaine à la cruauté de la bête sauvage. Toutefois, Dieu ne voulut pas punir le meurtrier par un meurtre, puisqu’il veut amener le pécheur au repentir plutôt qu’à la mort ».(De Caïn et Abel, II, 10, 38) (Encyclique Evangelium vitae, 1995)
6. CEC 1880 qui renvoie à GS 25, par 1.

⁢iii. Le problème fondamental

Quand nous pensons à l’homme, deux tendances apparemment contradictoires apparaissent. d’une part il est poussé par un besoin de liberté, une aspiration à l’autonomie qui est le signe le plus sûr de sa transcendance par rapport au reste de la création. Et il se fait qu’il est capable de s’autodéterminer, de choisir entre différents biens et de poursuivre celui qu’il a élu. Mais d’autre part, il a besoin des autres non seulement parce qu’il est incapable de pourvoir seul à tous ses besoins mais aussi parce que les autres lui permettent de grandir. Le petit enfant ne peut développer ses potentialités humaines sans l’assistance de l’autre. Sans l’autre humain, il ne peut acquérir le langage ni développer sa pensée. Quel que soit le patrimoine génétique, quels que soient les dons, ses capacités latentes ne peuvent se réaliser facilement sans un environnement favorable⁠[1]. Il en va de même pour les groupes humains. Une famille peut-elle subvenir seule à tous les besoins de ses membres ? A-t-elle toutes les compétences ? A un niveau très élémentaire, un petit groupe d’individus peut survivre un certain temps en autarcie. Mais, la croissance intellectuelle et, à long terme, la survie ne peuvent être assurées. Un groupe restreint et isolé résistera-t-il longtemps aux maladies, aux catastrophes naturelles, à la consanguinité ? Pourra-t-il progresser dans les différents aspects de la créativité humaine ? Plus l’homme croît ou veut croître, plus il a besoin d’associations et institutions diverses « en vue d’atteindre des objectifs qui excèdent les capacités individuelles »[2].

Le développement de l’homme et des groupes exige donc un certain nombre de conditions très larges si l’on veut donner à chacun le maximum de possibilités pour grandir. Cet « ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection, d’une façon plus totale et plus aisée »[3] constitue le bien commun⁠[4].


1. Cf. GRASSE P.-P. : « L’intelligence même très vive, exige que des circonstances lui donnent l’occasion de se manifester. Le milieu social ne crée pas l’intelligence mais conditionne son développement et son expression. avec un instrument de grande qualité, il fera surgir un chef-d’œuvre, ce qui est tout à fait impossible avec un instrument de qualité médiocre. Qualités intellectuelles innées et milieu interviennent dans la formation de la personnalité et dans la valeur de ses productions. Le milieu social modèle l’Homme mais son action se surajoute aux propriétés structurales du cerveau » ( L’homme en accusation, Albin-Michel, 1980, p. 243). d’autres auteurs accentuent davantage le rôle de la société, comme SKRZYPCZAK J.-Fr., L’inné et l’acquis, Chronique sociale, 1981. Le phénomène des enfants sauvages montre clairement quels dégâts irrémédiables entraîne l’absence d’un milieu humain (cf. MALSON Lucien, Les enfants sauvages, Mythe et réalité, Union générale d’éditions, 1964 (Il est dommage que l’auteur en profite pour nier l’existence d’une nature humaine, comme si celle-ci agissait comme un instinct)..
2. CEC 1882.
3. GS 26, 1.
4. Cette notion est très ancienne. Ainsi, dans l’épître de Barnabé, lit-on : « Ne vivez point isolés, retirés en vous-mêmes, comme si vous étiez déjà justifiés, mais rassemblez-vous pour rechercher ensemble ce qui est de l’intérêt commun » (4, 10). L’enseignement chrétien a privilégié l’expression « bien commun » alors que les politiques modernes invoquent volontiers l’« intérêt général ». La notion de « bien » est considérée comme une notion objective alors que le mot « intérêt » renvoie plutôt à un besoin subjectif et particulier. Comme l’écrit le CEC, « il revient à l’autorité d’arbitrer, au nom du bien commun, entre les divers intérêts particuliers » (n°1908). On peut lire sur cette question : DELSOL Chantal, L’État subsidiaire, P.U.F., 1992, chap. X. Dans le même esprit, CLEMENT M. précise que « l’intérêt est une notion relative », instrumentale, alors que le bien est « une notion qui implique le terme ultime d’un agir. (…) Le bien a raison de fin, de cause finale. » Fin de la vie en société, ce bien n’est pas la simple addition des biens de chacun mais bien du tout plutôt que de tous, comme l’avait déjà compris Aristote (Politique, I, 1-1252a) : « Tout État est une société. Le principe de toute société est l’espoir d’un bien puisque toutes les actions des hommes ont en vue quelque bien. Si donc toutes les sociétés visent à un bien déterminé, celle qui est souveraine entre toutes, renfermant en elle toutes les autres, vise aussi le bien qui est le plus haut de tous. Cette société, l’État, est la société politique » ( in Du bien commun, L’Escalade, 1998, pp. 13-15).

⁢iv. qu’est-ce que le bien commun ?

[1]

Le bien commun comprend les biens spirituels et les biens matériels indispensables, compte tenu des disponibilités réelles de la collectivité concernée, étant bien entendu que « l’ordre des choses doit être subordonné à l’ordre des personnes, et non l’inverse »[2]. Si chaque communauté a un but particulier et possède des règles spécifiques, « la personne humaine est et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions sociales »[3].

Le bien commun suppose donc d’abord le respect de la personne et de sa transcendance, le respect de ses droits objectifs, fondamentaux et inaliénables. Il réclame l’accomplissement des devoirs sociaux et veille à ce que chacun puisse accéder à la nourriture, au vêtement, à un abri, au travail, aux soins de santé, à l’éducation, la culture, l’information, etc.. Il veille aussi au milieu naturel et humain ainsi qu’au patrimoine culturel⁠[4]. Enfin, le bien commun implique également la paix entre les personnes et les groupes et donc la justice et la sécurité.

La notion de bien commun est, par nature très large et, en partie, fluctuante comme le montre bien cette description de Jacques Maritain: « Ce qui constitue le bien commun de la société politique, ce n’est pas seulement l’ensemble des biens ou services d’utilité publique ou d’intérêt national (routes, ports, écoles, etc.) que suppose l’organisation de la vie commune, ni les bonnes finances de l’État, ni sa puissance militaire, ce n’est pas seulement le réseau de justes lois, de bonnes coutumes et de sages institutions qui donnent sa structure à la nation, ni l’héritage de ses grands souvenirs historiques, de ses symboles et de ses gloires, de ses traditions vivantes et de ses trésors de culture. Le bien commun comprend toutes ses choses, mais bien plus encore, et de plus profond et de plus humain: car il enveloppe aussi et avant tout la somme elle-même…​, il enveloppe la somme ou l’intégration sociologique de tout ce qu’il y a de conscience civique, de vertus politiques et de sens du droit et de la liberté, et de tout ce qu’il y a d’activité, de prospérité matérielle et de richesses de l’esprit, de sagesse héréditaire inconsciemment mise en œuvre, de rectitude morale, de justice, d’amitié, de bonheur et de vertu, et d’héroïsme, dans les vies individuelles des membres de la communauté, selon que tout cela est, et dans une certaine mesure, communicable, et se reverse dans une certaine mesure sur chacun, et aide ainsi chacun à parfaire sa vie et sa liberté de personne. C’est tout cela qui fait la bonne vie humaine de la multitude »[5].

Chaque communauté, grande ou petite, possède son bien commun, la famille comme la commune, l’entreprise comme l’école. Mais le rôle propre de l’État est de défendre et promouvoir le bien commun des citoyens et de tous les groupes sociaux. De plus, tous les hommes à travers le monde jouissant de la même dignité et les relations d’interdépendance s’intensifiant, il y a aussi un bien commun universel auquel doivent veiller des organisations appropriées.

Le bien commun rassemble les hommes qui le servent et qui en reçoivent de multiples bienfaits. Comme l’écrit Michael Novak, « la personne libre est destinée à la construction du bien commun ; le bien commun est destiné à la perfection des personnes libres »[6].

Ce bien commun, par nature, dépasse chaque société : il agit un peu comme un idéal qu’il faut sans cesse construire et préserver. Il est un peu à la société ce que la nature est à l’homme. Il comporte, comme nous venons de le voir, un aspect fondamental et universel constitué par la primauté de toute personne humaine, quelles que soient les circonstances, et un aspect évolutif et particulier, tributaire de l’espace et du temps.

Il est universel puisqu’il « est représenté, écrit Riccardo Petrella, par l’existence de l’autre » et que « l’importance primordiale de « l’existence de l’autre » est à la base de toute société et de toute culture, qu’elle soit judéo-chrétienne, islamique, bouddhiste, shintoïste, laïque…​ C’est parce qu’il existe un « toi » (l’altérité) que le « moi » existe. L’existence de l’autre est également une condition nécessaire et indispensable pour et dans le vécu humain et social »[7].

Il est évolutif et doit être sans cesse construit et reconstruit puisque « l’objet du bien commun est la richesse commune, à savoir l’ensemble des principes, des règles, des institutions et des moyens qui permettent de promouvoir et garantir l’existence de tous les membres d’une communauté humaine. Sur le plan immatériel, l’un des éléments du bien commun est constitué par le triptyque reconnaissance-respect-tolérance dans les relations avec l’autre. Sur le plan matériel, le bien commun se structure autour du droit de l’accès juste pour tous à l’alimentation, au logement, à l’énergie, à l’éducation, à la santé, au transport, à l’information, à la démocratie et à l’expression artistique »[8].Sa réalisation est donc tributaire des volontés humaines mais aussi des possibilités offertes par les circonstances où elles s’exercent et de la nature même du type de société auquel on a affaire.

G. Fessard a bien expliqué cette dialectique de l’universel et du particulier, c’est-à-dire du droit et du fait, en précisant que le bien commun est le bien d’une communauté particulière qui s’universalise en communauté du bien. Comme bien de la communauté, il se définit comme « la somme des biens privés et publics, matériels et moraux, qu’intègre une société donnée », autrement dit, sa prospérité objective et concrète. Mais aucune communauté ne peut être close sur elle-même. Elle contredirait, dans ce cas, « le désir de l’être universel qui est en l’homme plus profond encore que cet égoïsme ». Le bien de la communauté s’ouvre à la communauté du bien par « la participation illimitée à tout bien possible qui lui est reconnue sous forme de « droits ». Droits universels, droits de l’homme comme tel »[9]. « La communauté particulière doit inclure dans son « intérêt général » comme le plus général de tous, le respect des droits de l’homme et la réalisation de cette Communauté du bien qui peut se communiquer identiquement à tous: celle-ci deviendra du coup le moyen par lequel s’universalise la Bien de la communauté particulière. Et d’autre part chacun doit user de ses droits universels pour assurer d’abord le bien de sa communauté particulière : celle-ci par là même servira de moyen qui réalise et détermine la Communauté du bien. (…) Cette réciprocité d’action est véritablement l’âme, le nœud vital, le lien substantiel du Bien commun. Aussi, pour être distinguée des deux aspects opposés qu’elle unit, mérite-t-elle d’être appelée Bien de la Communion.

Sous le nom de Bien commun, C’est à ce Bien de la Communion que l’autorité et les membres de la communauté doivent formellement viser  »⁠[10].

« Viser » car la communion n’est jamais acquise une fois pour toutes. En effet, la rencontre nécessaire du particulier et de l’universel génère et explique la perpétuelle tension de la vie politique telle qu’elle s’exprime, par exemple, dans les options des partis en présence en démocratie. Supprimer cette tension c’est verser dans l’anarchie ou la dictature. Le souci de la prospérité ne peut faire l’économie du respect des droits de l’homme et vice versa.


1. Cf. CEC 1905-1912.
2. GS 26, 3.
3. GS 25, 1.
4. Nous reviendrons plus tard au problème de la culture.
5. MARITAIN Jacques, La personne et le bien commun, Desclée De Brouwer, 1947, pp. 45-46.
6. NOVAK Michael, Démocratie et bien commun, Cerf, 1991, pp. 24-25. L’analyse de ce célèbre auteur américain n’est certes pas sans intérêt mais nous ne pouvons souscrire sans réserves à sa volonté de réconcilier le christianisme et le libéralisme. La pierre d’achoppement étant, selon les remarques de Paul VI, que le système libéral « considère les solidarités sociales comme des conséquences plus ou moins automatiques des initiatives individuelles, et non pas comme un but de l’organisation sociale et comme un des critères essentiels selon lesquels apprécier la qualité de cette organisation » (cité par CALVEZ J.-Y. dans sa Lettre-préface à Michael Novak, in NOVAK Michael, Une éthique économique, Les valeurs de l’économie de marché, Cerf, 1982, p. IX).
7. PETRELLA Ricardo, Le bien commun, Eloge de la solidarité, Labor, 1996, Op. cit., p. 13. Riccardo Petrella fut directeur du programme de Prospective et évaluation de la science et de la technologie à la Commission européenne, professeur à l’Université catholique de Louvain et président du Groupe de Lisbonne.
8. Id.
9. FESSARD Gaston, Autorité et bien commun, Aubier, 1944, pp.54-55. Nous reviendrons plus longuement sur la pensée du P. Fessard dans la dernière partie consacrée à l’action politique des chrétiens.
10. Ip., pp. 77-78.

⁢v. L’autorité

Est-il dès lors possible d’imaginer une société sans une forme quelconque d’autorité ? C’est le rêve de l’anarchisme qui, considérant que l’homme est digne d’une confiance absolue et destiné à une liberté totale, déclare que l’obéissance est une abdication et prêche la destruction de l’État⁠[1].

Non seulement les théoriciens anarchistes ou anarchisants⁠[2] furent la cible de la droite comme de la gauche mais la tentative d’instaurer en Catalogne, en 1936, une république anarchiste fut écrasée par les forces communistes en 1937. Nicolas Ivanovitch Boukharine ⁠[3] et E. Preobrajensky⁠[4], dans leur manuel L’A.B.C. du communisme (1919), préconisèrent la « rotation sociale » pour supprimer l’État et éviter la bureaucratie et le fonctionnarisme. Jamais ce principe qui suppose tout de même une autorité organisant la rotation, ne fut mis en pratique et l’URSS a connu, non le dépérissement de l’État mais son hypertrophie. En Chine populaire, en 1966, la révolution culturelle fut lancée par Mao Tsé-toung pour briser l’influence de Liu Chao-chi alors président de la république, renverser les « révisionnistes », fonctionnaires, technocrates et économistes. C’est la jeunesse (les « gardes rouges ») qui fut, avec l’armée, le fer de lance de cette gigantesque contestation des pouvoirs établis⁠[5]. Cette période anarchiste s’acheva en 1968 avec l’installation de comités révolutionnaires à travers toute la Chine, formés de militaires, de gardes rouges et de cadres du parti fidèles à Mao. Dans un premier temps, c’est l’armée qui fut la clé du pouvoir avant de céder la place, de nouveau, au parti reconstruit.

La juste exigence de liberté ne s’oppose pas, au contraire, à l’établissement de l’autorité pas plus d’ailleurs que la juste exigence d’égalité.

« Les sociétés égalitaires, écrit Chantal Delsol, peuvent promouvoir, de grands efforts et de grand mérite, l’égalité des chances, mais elles ne feront pas disparaître les disparités entre les hommes, en dépit du regret de certains. Les sociétés construites autour de l’idéal d’égalité ne suppriment pas l’autorité. d’une part elles la réduisent au fonctionnel, d’autre part, elles la déplacent, et celle-ci vient se loger dans les plis plus ou moins visibles de la relation sociale. En dépit de l’égalitarisme qui caractérise les sociétés modernes, on peut prédire que l’autorité n’est pas vouée à disparaître.

Aucune société ne peut fonctionner sans autorité... »⁠[6]

On peut aller plus loin encore et considérer qu’en démocratie, l’autorité politique suppose l’égalité des citoyens. Aristote l’avait bien remarqué : « …​il existe une forme d’autorité qui s’exerce sur des personnes de même race et des hommes libres ; c’est celle, en effet, que nous désignons du nom d’autorité politique, et que celui qui gouverne doit apprendre en pratiquant lui-même l’obéissance, comme on apprend à commander la cavalerie, ou une armée, ou une division, ou une compagnie, après avoir servi dans la cavalerie ou l’armée, ou dans une division ou une compagnie. Aussi a-t-on raison de dire ceci encore, qu’on ne peut pas bien commander quand on n’a pas soi-même obéi. Et tandis que la vertu d’un gouvernant est différente de celle d’un gouverné, il faut que le bon citoyen ait la science et l’aptitude à la fois de commander et d’obéir, et la vertu d’un citoyen consiste _ avoir la science du gouvernements des hommes libres, dans un sens comme dans l’autre »[7].

Une autorité est toujours nécessaire⁠[8]. Elle coexiste à la société. Son rôle essentiel, écrit G. Fessard, « est d’assurer le développement de l’être social auquel il sert de lien »[9].


1. Cf., par exemple, GODWIN William, Enquiry Concerning the Principles of Political Justice (1793) ; GRAVE Jean, La société future (1895) ; RECLUS Elisée, L’Evolution, la Révolution et l’Idéal anarchique (1898).
2. C’est le cas, par exemple de BAKOUNINE Mikhaïl Alexandrovitch (1814-1876).Il fut influencé par Pierre Joseph Proudhon (1809-1865). Il publie en 1873 L’État et l’anarchie. Opposé à tout pouvoir même révolutionnaire, il rompit avec Marx. De même, Proudhon avait été attaqué par le pouvoir comme par les socialistes, Marx en particulier. Un disciple de Bakounine, le prince Piotr Alexeïevitch Kropotkine (1842-1921), auteur de L’anarchie, sa philosophie, son idéal (1896), s’opposa, dès 1917, aux bolcheviks auxquels « il reprocha d’avoir « enterré » la révolution » » (Mourre).
3. 1888-1938. Après avoir soutenu Staline, il rompt avec le dictateur en 1929. En 1937, il est arrêté et exécuté.
4. 1886-1937. Comme Boukharine, il soutint parfois Staline et parfois s’y opposa. Il fut arrêté et, semble-t-il exécuté, en 1937.
5. Cf. notamment MACCIOCCHI M.-A. De la Chine, Actuels-Seuil, 1974, en particulier, les trois premiers chapitres ; KAROL K.S., La deuxième révolution chinoise, Laffont, 1973, pp. 113-410 ; SCHOOYANS M., La provocation chinoise, Cerf, 1973, pp. 53-75.
6. DELSOL Chantal, L’autorité, Presses universitaires de France, Que sais-je ? 1994, p. 123.
7. Politique, III, 4, 1277b.
8. Pour lutter contre l’angoisse de la mort et pour un mieux-être, explique G. Fessard.
9. Op. cit., p. 14.

⁢a. Pour autant, toute autorité est-elle légitime ?

Même si, comme l’a montré G. Fessard, « …​ à l’origine du lien social que l’autorité a pour mission de faire croître, toujours l’apparition du droit est précédée par le déploiement d’une force charismatique chez le chef né, créatrice et éducatrice chez le père, ou simplement dominatrice chez le maître »[1] ; même si la force reste présente dans toute société par la police et l’armée ; même si l’on s’accorde pour dire que, dans certaines situations extrêmes, l’autorité et la force peuvent se confondre, aucun pouvoir ne peut se fonder moralement sur la violence⁠[2]. « .La force seule ne crée pas le droit »[3]. Un tel pouvoir est contraire, on en conviendra, à la nature de l’homme, à sa liberté et à sa raison.


1. FESSARD G., op. cit., p. 21.
2. Nous étudierons, plus tard, la différence entre la force et la violence.
3. FESSARD G., op. cit., p. 18.

⁢b. La source de l’autorité

La question de la légitimité de l’autorité est importante, notamment pour un chrétien, dans la mesure où nombreux sont les textes qui de manière claire et péremptoire affirment le devoir d’obéissance à l’autorité. Le quatrième commandement qui ouvre la seconde table de la loi⁠[1] : « Honore ton père et ta mère…​ » s’étend « aux devoirs des élèves à l’égard du maître, des employés à l’égard des employeurs, des subordonnés à l’égard de leurs chefs, des citoyens à l’égard de leur patrie, de ceux qui l’administrent ou la gouvernent »[2]. Saint Paul confirme et justifie cette exigence : « Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par Lui. Ainsi, celui qui s’oppose à l’autorité se rebelle contre l’ordre voulu par Dieu, et les rebelles attireront la condamnation sur eux-mêmes »[3].

Sans explication, de tels textes risquent de surprendre ou de choquer tant nous sommes sensibles aujourd’hui aux revendications de la liberté et aux abus ou négligences des autorités⁠[4]. S’il y eut des milieux, à certaines époques, Dieu sait par quel miracle, où l’officier, le magistrat, le maître, le prêtre, le ministre ou le chef d’entreprise était au dessus de tout soupçon, maint scandale contemporain a renversé cette opinion et insinué largement l’idée que toute autorité était en soi suspecte : « tous des profiteurs », entend-on communément.

Or, quand le Christ dit au gouverneur romain Ponce Pilate qui le juge: « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en-haut »[5], il s’appuie sur une tradition testamentaire traduite par la loi mosaïque, comme nous venons de le voir, ou par les Proverbes⁠[6] et corrige une tradition païenne largement répandue. On en trouve témoignage, par exemple, dans l’Iliade où Homère écrit que « le sceptre est à celui qu’il plût au ciel d’élire pour régner sur la foule et lui donner des lois »[7]. Ici, c’est le dépositaire de l’autorité qui a été choisi alors que le Christ parle de l’autorité dont une personne a été investie.

La source de toute autorité est Dieu dans la mesure où Dieu est la seule autorité puisqu’il a tout créé. L’étymologie⁠[8] elle-même établit ce lien. Le latin auctoritas (autorité) est dérivé de auctor (auteur). Le créateur n’a-t-il pas autorité sur son œuvre ? C’est le Créateur qui donne comme mission à l’homme de régner sur la terre, de la soumettre, de donner un nom aux animaux⁠[9]. Dieu délègue donc, pourrait-on dire, quelque chose de son pouvoir aux hommes. Ne sont-ils pas faits à l’image de Dieu et donc investis aussi d’une certaine autorité ?

C’est dans ce sens que l’on dit que l’autorité est naturelle, voulue par Dieu et déléguée aux hommes sous diverses formes, selon leurs fonctions et compétences.

Malgré la diversité des régimes à travers l’histoire, la doctrine de l’Église n’a pas changé en cette matière. faisant bien la distinction entre la source de l’autorité et la personne qui l’exerce.

Saint Jean Chrysostome, dans un commentaire l’épître aux Romains, écrit: « -Il n’y a point de pouvoir qui ne vienne de Dieu. -Que dites-vous ? Tout prince est donc constitué de Dieu ! -Je ne dis point cela puisque je ne parle d’aucun prince en particulier, mais de la chose elle-même, c’est-à-dire de la puissance…​ L’apôtre ne dit pas qu’il n’y a point de prince qui ne vienne de Dieu, mais il dit, en parlant de la chose elle-même, qu’il n’y a point de puissance qui ne dérive de Dieu »[10]. Cette distinction est capitale non seulement parce qu’elle établit une frontière utile entre l’indignité éventuelle de la personne et la dignité de la fonction mais aussi parce qu’elle inanité des querelles qui ont opposé à certains moments de l’histoire les partisans de la royauté, considérée comme seule « divine » et ceux de la démocratie. Léon XIII, par exemple, encore confronté à ces querelles, en France notamment, rappela opportunément l’antique principe : « Ceux qui président au gouvernement de la chose publique peuvent bien être élus par la volonté et le jugement de la multitude. Mais si ce choix désigne le gouvernant, il ne lui confère pas l’autorité de gouverner, il désigne la personne qui en sera investie »[11] ; « Le pouvoir public ne peut venir que de Dieu…​ Tout ce qu’il y a d’autorité parmi les hommes procède de Dieu » « Ces principes ne réprouvent en soi aucune des différentes formes de gouvernement . La souveraineté n’est en soi nécessairement liée à aucune forme politique…​ Bien plus, on ne réprouve pas en soi que le peuple ait sa part plus ou moins grande au gouvernement »[12].

Cette mise au point sera très utile quand nous aborderons le problème du régime politique.


1. Il est intéressant de noter que ce commandement est le seul de la deuxième table à être positif comme le sont les trois commandements ayant trait à Dieu.
2. CEC, 2199.
3. Rm, 13, 1-2.
4. Certaines formules modernes sont pour le moins ambigües. Ainsi en est-il de l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789: « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». Ainsi en est-il aussi et peut-être davantage encore dans ce passage de l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948: « La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics…​ ». On pourrait penser ici, et la plupart des interprètes le pensent, que la Nation ou le peuple sont la source du pouvoir alors qu’il n’est que l’organe possible de sa désignation. A la limite, la Déclaration de 1789 ne reconnaîtrait l’autorité parentale, par exemple, que dans la mesure où elle émanerait de la Nation ! d’une manière générale, la volonté du peuple ne peut être le fondement de l’autorité puisque ces déclarations prétendent reconnaître des droits qui « découlent de la dignité inhérente à la personne humaine » dit le Pacte de 1966 (relatif aux droits civils et politiques), « inaliénables » dit le texte de 1948, « naturels » dit le texte de 1798. Proclamer des droits et faire de la volonté populaire la source de toute autorité et donc de tout droit paraît contradictoire. Si l’on reconnaît des droits à l’homme, ceux-ci ne sont pas attribués ou concédés par quelque assemblée que ce soit. C’est reconnaître implicitement que l’homme jouit par ses droits d’une autorité qu’il porte en lui et qui n’est pas le don d’une communauté ou d’un peuple. Si la volonté du peuple est le seul fondement de l’autorité, même de l’autorité publique, les droits alors ne sont qu’une concession arbitraire, révisable, aléatoire. Ils ne méritent plus les adjectifs inhérents, inaliénables ou naturels. Nous y reviendrons quand nous étudierons le régime démocratique.
5. Jn 19, 11. Cf. également Rm 13, 1: « Il n’ y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par Lui ».
6. « C’est par moi que règnent les rois, que les princes rendent la justice, par moi que gouvernent les magistrats et les princes, à tous les souverains légitimes » (Pr 8, 15-16).
7. II, v. 206-207.
8. Cf. BLOCH O. et WARTBURG W. von, Dictionnaire étymologique de la langue française, PUF,1975.
9. Cf. Gn 1 et 2.
10. Sur l’épître aux Romains, Homélie XXIII a, cité par BASSE B., op. cit., p. 42.
11. Diuturnum illud, 29-6-1881.
12. Immortale Dei, 1-11-1895.

⁢c. La légitimité de l’autorité et ses limites

Bien des réticences face à la notion d’autorité seraient dissipées si l’on prenait la peine d’expliquer le rôle réel de l’autorité.

Les pouvoirs de l’autorité impliquent la responsabilité de ceux qui les exercent. Cette autorité n’est pas discrétionnaire puisqu’elle est reçue : chacun en est redevable à Dieu, comme Adam. Dieu lui a fait confiance dans la gestion du jardin. Mais le premier homme n’a pas respecté les consignes et en subit les conséquences.

L’autorité, précise saint Paul, « est au service de Dieu pour te conduire au bien. (…) elle est ministre de Dieu pour faire justice et exercer une juste colère contre celui qui fait le mal »[1].

Cette affirmation inaugure dans l’histoire une conception révolutionnaire. Jusque là, c’est la force qui était, la plupart du temps, la source de l’autorité et si le chef s’était toujours volontiers présenté comme inspiré, élu par la divinité voire comme dieu lui-même et donc tout-puissant, totalement libre de ses actes, désormais il est investi d’une force dont il est redevable. Tout n’est pas permis. L’autorité reçue de Dieu reste au service de ce Dieu, mesurée par Sa volonté⁠[2]. « Elle est au service de Dieu, dit saint Paul, pour te conduire au bien. Mais si tu fais le mal, crains ; ce n’est pas en vain qu’elle porte l’épée : elle est ministre de Dieu pour faire justice et exercer une juste colère contre celui qui fait le mal »[3]. Dieu est « le souverain des rois de la terre »[4] ?

Comme l’a bien compris B.-H. Lévy⁠[5], dans la conception chrétienne, chaque prince « n’était jamais que la pâle et provisoire lieu-tenant », tenant lieu d’un Autre. « De « droit divin », la monarchie l’était, mais c’était moins la preuve de ses abus que la marque de sa relativité, de l’extrême relativité de son pouvoir par rapport au divin qui lui octroyait le droit de régner ». Et de citer Louis XIV : « La parfaite félicité d’un royaume est qu’un prince soit obéi de ses sujets et que le prince obéisse à la loi » ; ou encore, cette harangue d’Achille de Harlay à Henri III⁠[6]: « Nous avons, Sire, deux sortes de lois, les unes sont les lois et ordonnances des rois, les autres sont les ordonnances du royaume, qui sont immuables et inviolables, par lesquelles vous êtes monté au trône royal. Aussi devez-vous observer les lois de l’état du royaume, qui ne peuvent être violées sans révoquer en doute votre propre puissance et souveraineté ». Si dans ces citations, la « loi » désigne bien la loi de Dieu, elles nous offrent le schéma idéal des rapports d’autorité dans l’ordre politique qu’il soit monarchique ou démocratique comme nous le verrons plus loin.

Les Anciens ont eu peut-être l’intuition de cette nouveauté. N’est-ce pas à cette loi, loi « non écrite » qu’Antigone, dans la tragédie de Sophocle, se réfère pour contester et enfreindre l’ordre injuste de Créon. Elle justifie sa désobéissance à l’édit interdisant la sépulture à son frère rebelle en déclarant : « C’est que Zeus, à mes yeux, n’en était pas l’auteur, et qu’au foyer des dieux souterrains, la justice n’a point de telles lois fait présent aux humains. J’ignorais qu’en vertu de tiennes ordonnances une simple mortelle eût droit de piétiner des principes sacrés, infaillibles, divins, non de ce jour, non point d’hier, mais de tout temps vivantes lois dont nul ne connaît l’origine »[7]. Aristote citera ce passage et commentera : « Une loi commune est celle qui vient de la nature, car il y a un juste et un injuste naturellement universels, que tous les peuples devinent sans qu’il y ait pour cela entre eux ni communication préalable ni convention. C’est là ce que dit littéralement l’Antigone de Sophocle quand elle soutient qu’il est juste d’ensevelir Polynice malgré la défense qui en a été faite, attendu que c’était là un droit de la nature »[8].

Le pouvoir injuste, totalitaire même, dans le langage moderne, naît de l’irrespect de la loi « non écrite », de la loi de Dieu. L’autorité perd sa légitimité lorsqu’elle dénonce son origine divine. B.-H. Lévy l’a bien compris lorsqu’il explique que dans l’Occident chrétien, le Prince était soumis au Souverain (Dieu) tandis que le totalitarisme « est un état du Politique où, pour la première fois, le Prince se prend pour le Souverain. (…) le totalitarisme dit ceci, qu’il est le premier à proférer : il n’y a pas d’instance suprême, où le Prince puise sa raison d’être ; il n’y a pas de souverain absent, à quoi il doive en référer ; c’est lui seul le Souverain, régnant sans borne et sans partage sur le royaume terrestre »[9].

Pour reprendre la distinction établie par B.-H. Lévy, le Prince, dans la tradition chrétienne, ne peut exercer son pouvoir à sa guise. Il est moralement tenu de respecter la volonté du Souverain qui l’a investi de cette autorité. Le plan du Souverain-Dieu s’exprime dans ce que nous appelons le « bien commun ». Il est la seule justification de l’autorité dont il définit les limites et il donne son fondement à la loi⁠[10].

L’autorité est au service du bien commun⁠[11], « médiatrice du bien commun »[12] à condition, bien sûr, que soit reconnue l’égalité fondamentale des hommes⁠[13].

Elle est service. Dieu lui-même ne s’est-il pas fait en Jésus-Christ, serviteur parfait, obéissant jusque dans la mort, qui par son sacrifice rédempteur permet aux autres hommes, dans cet esprit, de grandir au point de devenir fils adoptifs de Dieu ? « Vous le savez, dit Jésus, chez les païens, les chefs leur font sentir leur domination, et les supérieurs font valoir sur eux leur autorité. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous. Bien au contraire, chez vous, celui qui veut être grand sera votre serviteur et celui qui veut être le premier sera votre esclave, tout comme le fils de l’Homme n’est pas venu se faire servir, mais servir et donner sa vie en rançon pour la multitude »[14].

Notons que déjà dans l’Ancien Testament, le titre de « serviteur » est un honneur attribué aux justes, aux prophètes, aux prêtres mais aussi aux rois amis ( David⁠[15]) et même aux rois ennemis (Nabuchodonosor⁠[16]).

Dans la loi de Moïse, le quatrième commandement implique et sous-entend, selon tous les commentateurs, les devoirs de l’autorité, non seulement les devoirs des parents vis-à-vis des enfants⁠[17] mais aussi ceux des autorités civiles qui ne peuvent « commander ou instituer ce qui est contraire à la dignité des personnes et à la loi naturelle »[18]. « Les pouvoirs politiques sont tenus de respecter les droits fondamentaux de la personne humaine »[19].

L’étymologie elle-même peut nous servir en cette matière. Auctor (auteur) qui a donné, nous l’avons vu, le mot auctoritas, dérive du verbe augere (augmenter). L’auctor est donc « celui qui accroît ». En l’occurrence, que fait une véritable autorité sinon augmenter, la dignité, l’humanité, la liberté de celui dont elle a la charge. Les parents apprennent aux enfants à devenir autonomes, les professeurs augmentent les connaissances et les savoir-faire de leurs élèves, l’entrepreneur, l’homme politique, toute personne qui exerce l’autorité a pour mission de faire grandir les autres en humanité. Autrement dit, pour reprendre les termes de G. Fessard⁠[20], « l’autorité aurait pour fondement ultime sa nature même, qui tend à combler l’intervalle où elle se déploie, et le titre qui lui confère le droit de s’imposer serait défini non point par quelque réalité ou règle extérieure, mais par son essence même qui est de se proposer pour fin sa propre fin ». L’autorité a « pour fin - pour perfection, - et mesure de sa légitimité le vouloir de sa propre fin - de sa propre disparition ».

En conclusion

L’autorité s’exerce comme une force morale. Non seulement, elle s’adresse à des hommes libres invités, nous allons le voir, à participer à la réalisation du bien commun mais elle réclame aussi de la part de ceux qui l’exercent un grand sens moral. Pour être service, elle réclame une réelle conversion personnelle.

L’autorité est donc limitée non seulement à son propre domaine d’action mais elle est aussi mesurée par son fondement et par les droits de la personne à qui elle s’adresse.

Le droit de désobéissance

Seule est légitime donc l’autorité au service du bien commun et qui pour l’atteindre, recourt à des moyens licites. C’est cette autorité-là qui mérite respect et obéissance.

Si l’autorité nie et viole les droits de l’homme, « elle se nie et se détruit elle-même »[21], si elle édicte des lois injustes ou contraires à l’ordre moral, elle perd son identité et devient tyrannie. Elle n’oblige plus les consciences⁠[22]. Les citoyens ont « le droit, parfois le devoir d’exercer une juste remontrance sur ce qui leur paraîtrait nuisible à la dignité des personnes et au bien de la communauté »[23]. Qui plus est, « le citoyen est obligé en conscience de ne pas suivre les prescriptions des autorités civiles quand ces préceptes sont contraires aux exigences de l’ordre moral, aux droits fondamentaux des personnes ou aux enseignements de l’Évangile »[24].

Ce refus d’obéissance est justifié par la distinction des pouvoirs dont nous avons parlé précédemment⁠[25] et la priorité à accorder au service de Dieu : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes »[26].

Mais il ne s’agit pas de légitimer toute forme d’insubordination même si celle-ci est justifiée. Le concile Vatican II, notamment a bien précisé que la désobéissance doit être sélective et mesurée : « Si l’autorité publique, débordant sa compétence, opprime les citoyens, que ceux-ci ne refusent pas ce qui est objectivement demandé par le bien commun. Il leur est cependant permis de défendre leurs droits et ceux de leurs concitoyens contre les abus du pouvoir, en respectant les limites tracées par la loi naturelle et le Loi évangélique »[27]. Ceci dit, la résistance à l’oppression pourra même recourir aux armes mais uniquement si les cinq conditions suivantes sont réunies : « 1 - en cas de violations certaines, graves et prolongées des droits fondamentaux ; 2 - après avoir épuisé tous les autres recours ; 3 - sans provoquer des désordres pires ; 4 - qu’il y ait un espoir fondé de réussite ; 5 - s’il est impossible de prévoir raisonnablement des solutions meilleures »[28].

Il est clair, dans la conception chrétienne, que l’autorité n’est pas l’ennemie de la liberté puisqu’on pourrait dire, en employant les mots dans leur sens réel, que le vrai sens de l’autorité est d’être créatrice et protectrice de libertés.

Mais il reste à voir comment concilier pratiquement, d’une part, le bien commun et l’autorité, qui sont des nécessités restrictives et, d’autre part, la liberté, signe de la transcendance de l’homme, qui est aussi une nécessité mais expansive pourrait-on dire dans la mesure où elle tend à élargir sans cesse son domaine et dans la mesure où elle est incontestablement une force, un moteur de progrès personnel, social, culturel, économique.


1. Rm 13, 4.
2. « Le Dieu d’où vient tout pouvoir n’est pas seulement le dieu des philosophes et des savants, mais le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Par une conséquence rigoureuse et immédiate, il devient évident que si tout pouvoir vient de Dieu, tout pouvoir doit, pour mériter le nom d’autorité, retourner à Lui et conduire à Lui, que toute autorité enfin n’accomplit ce retour où s’achève sa croissance qu’en suivant la Voie de « Celui à qui tout pouvoir a été donné dans le ciel et sur la terre » (FESSARD G., op. cit., p. 116).
3. Rm 13, 4.
4. Ap 1, 5.
5. LEVY B.-H. La barbarie à visage humain, op. cit., pp. 164-165.
6. Achille de Harlay (1536-1619), premier président au Parlement de Paris (1582). Henri III (1551-1589).
7. V. 450-457.
8. Rhétorique, I, 13, 2. Notons que fonder la loi naturelle sur l’unanimité est fragile. Montaigne (1533-1592), par exemple, aura beau jeu d’affirmer au vu d’une diversité d’opinions et de pratiques constatées à travers le temps et l’espace, que la « loi naturelle » est une illusion ou plus exactement qu’elle s’est « perdue » à cause de la raison humaine, « vaine » et « inconstante ». « La vérité, écrit-il, doit avoir un visage pareil et universel ». Or, parmi les lois dites naturelles, c’est-à-dire « fermes, perpétuelles et immuables », il n’y en a pas « une seule qui ne soit contredite et désavouée, non par une nation, mais par plusieurs ». Il n’y a donc pas d’« université d’approbation », seul gage, selon l’auteur, de vérité et d’autorité (Apologie de Raymond Sebond, in Essais, II, XII). L’argument sera utilisé aussi par Descartes (1596-1660) pour justifier son scepticisme vis-à-vis de la philosophie : « Je ne dirai rien de la philosophie, sinon qu’elle a été cultivée par les plus excellents esprits qui aient vécu depuis plusieurs siècles, et que néanmoins il ne s’y trouve encore aucune chose dont on ne dispute, et par conséquent qui ne soit douteuse, je n’avais point assez de présomption pour espérer d’y rencontrer mieux que les autres ; et que, considérant combien il peut y avoir de diverses opinions touchant une même matière, qui soient soutenues par des gens doctes, sans qu’il y en puisse avoir jamais plus d’une seule qui soit vraie, je réputais presque pour faux tout ce qui n’était que vraisemblable » (Discours de la méthode, première partie).
   L’erreur de Montaigne est de considérer que la loi naturelle en l’homme devrait agir comme la loi naturelle dans la nature. Or l’homme n’est pas un être programmé. Sa nature se découvre à travers sa culture comme nous l’avons vu précédemment.
9. Op. cit., p. 164.
10. « La souveraineté appartient à la loi et non pas aux volontés arbitraires des hommes » (CA 44 ; CEC 1904). Tel est le principe de ce qu’on appelle l’« État de droit ».
11. Selon saint Thomas, le véritable souverain serait la communauté sociale représentant le bien commun. « Au sein d’une multitude ainsi unifiée, le véritable souverain est « le bien commun ». La fin, est ici comme ailleurs, « causa causarum ». Par conséquent le souverain est la « personnalité sociale » -persona publica- qui incarne le bien commun au-dessus de toutes les variations individuelles. Seule est souveraine la personnalité sociale garante du bien commun. Seuls participent de la souveraineté ceux qui représentent le bien commun » (LAGARDE G. de, La naissance de l’esprit laïc au déclin du Moyen-Age, t. III, Droz, 1942, pp. 108-110).
12. FESSARD G., op. cit., pp. 35-44.
13. « L’universalité du droit fondée sur l’égalité fondamentale des personnes à la base et la justice au sommet, voilà l’élémentaire bienfaisance que l’âme de l’autorité impose au pouvoir du maître » (FESSARD G., op. cit., p. 45).
14. Mt, 20, 25-28.
15. Is. 37, 35 ; Jr. 33, 21.
16. Jr. 25, 9. Dieu n’hésite pas à appeler Cyrus ,le païen, « son oint » (Is 45, 1).
17. Cf. CEC, 2221-2226.
18. CEC 2235.
19. CEC 2237.
20. Op. cit., p. 25.
21. FESSARD G., op. cit., p.56.
22. CEC 1903.
23. CEC 2238.
24. CEC 2242.
25. « Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu » (Mt 22, 21).
26. Ac 5, 29.
27. GS 74, 5.
28. CEC 2243.

⁢vi. La solidarité est l’expression la plus achevée de la sociabilité

On pourrait définir aussi la solidarité comme le lieu moral de la rencontre de l’exigence et de l’autonomie.

La sociabilité ne doit pas rester passive et s’arrêter au respect de l’autre. Elle doit être active pour être productive. Sa vocation réelle est la solidarité qui, comme l’a montré Joseph Tischner⁠[1], doit être une solidarité des consciences. En effet, être solidaire, ce n’est pas dire « nous » ou être « avec » mais c’est pouvoir compter sur l’autre. Encore faut-il qu’il y ait en lui un élément stable qui ne déçoive pas et qui dépasse toutes les structures : cet élément n’est autre que la conscience. On le voit dans la parabole du bon Samaritain⁠[2] qui, selon Tischner toujours, illustre parfaitement la dynamique solidaire : un homme victime de des brigands laisse indifférent un prêtre et un serviteur du Temple passant par là mais il est secouru un « ennemi ».

La communauté culturelle ou politique ne suffit donc pas à créer la solidarité. Encore faut-il que le cœur soit touché, qu’il ait une sensibilité morale suffisamment aigüe pour dépasser tous les clivages extérieurs. Et il l’est ici non à cause d’une maladie ou d’un accident mais à cause d’une violence et d’une injustice. C’est de « ces douleurs imposées » que naît la solidarité la plus profonde : « De qui sommes-nous donc solidaires ? Avant tout, de ceux qui ont été blessés par les hommes et dont la souffrance, contingente et inutile, aurait pu être évitée. Cela n’exclut pas la solidarité pour d’autres, pour tous les hommes qui souffrent. Mais la solidarité pour ceux qui souffrent à cause d’autrui est particulièrement vive, forte et spontanée. » La conscience morale est le fondement de la solidarité⁠[3]et celle-ci crée une communauté qui se distingue de tant d’autres « parce que « pour lui » vient avant « nous » ». A l’image du bon Samaritain, la solidarité est agissante : elle ne se contente pas d’être « avec » par exemple dans une protestation, comme on le voit souvent, mais elle s’efforce de réparer le mal, de soigner, d’aider, de protéger, etc.⁠[4]

Dans cette optique, la responsabilité du politique est d’organiser tout d’abord la société de telle sorte que l’injustice et la méchanceté soient bridées autant que faire se peut et de favoriser l’exercice de la solidarité, âme d’une vie sociale intense⁠[5].

La réflexion de Joseph Tischner est d’autant plus intéressante qu’elle nous permet de dépasser la protestation de certains auteurs⁠[6] qui ont fait remarquer que le mot français « solidarité » avait été abusivement introduit dans la traduction de Gaudium et spes, Populorum progressio et Sollicitudo rei socialis. Il est vrai que le mot solidarité, au sens habituel, est plus pauvre que communion, amitié (Léon XIII), charité sociale (Pie XI), interdépendance, fraternité ou entraide car il n’inclut pas, dans le vocabulaire courant, l’exigence de l’amour qui est fondamentale dans la vision chrétienne. De plus, il risque d’insinuer que la pratique sociale chrétienne se construit sur le partage alors qu’elle va bien plus loin, jusqu’au don.

L’interprétation de Tischner dissipe le malentendu et dépasse les éventuelles manipulations. Nous pouvons donc ainsi avertis nous servir du mot solidarité puisque Jean-Paul II lui-même, en communion de pensée avec J. Tischner, son ami, a maintes fois employé le mot, en français, n’hésitant pas à le dire « évangélique »[7], l’éclairant de citations extraites des Actes des apôtres⁠[8]. En Italie, il l’a défini comme une « attitude de l’âme », « une vertu morale qui naît de la conscience de l’interdépendance naturelle qui lie chaque être humain à ses semblables dans les différentes composantes de son existence: l’économie, la culture, la politique, la religion »[9]. Citant Sollicitudo rei socialis (n°38), il précise que « la solidarité est une « détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun…​ » »[10]. Peut-on imaginer une traduction malveillante de l’Osservatore romano ?

En tout cas, en ce qui concerne Jean-Paul II, l’emploi du mot solidarité a été pensé de longue date. Dans Personne et acte, rédigé au temps où il était encore cardinal Wojtyla, l’auteur établit philosophiquement un lien entre la solidarité, la participation et le « commandement de l’amour ». L’homme solidaire n’accomplit pas seulement la part qui lui revient en raison de son appartenance à une communauté. Il le fait pour le bien commun. Mais, à la racine de la participation et donc de la solidarité, il y a la capacité de participer à l’humanité comme telle de tout homme à quelque communauté qu’il appartienne. La capacité de participer à l’humanité des autres, au delà pu en dépit de leur appartenance à une communauté fait de l’autre mon prochain. Le commandement « Tu aimeras » « exprime ce qui façonne la communauté, mais avant tout il met en lumière ce qui crée une communauté parfaitement humaine »[11] « Le commandement de l’amour détermine la mesure véritable des tâches et des exigences que doit se donner tout homme - les personnes et les communautés - pour que tout le bien inhérent à l’agir et à l’exister « en commun avec d’autres » puisse se réaliser en vérité »[12].

Le Catéchisme⁠[13], de son côté, n’hésite pas à parler du « principe de solidarité » qui « énoncé encore sous le nom d’« amitié » ou de « charité sociale », est une exigence directe de la fraternité humaine et chrétienne » et de citer Pie XII, Summi pontificatus : Une erreur, « aujourd’hui largement répandue, est l’oubli de cette loi de solidarité humaine et de charité, dictée et imposée aussi bien par la communauté d’origine et par l’égalité de la nature raisonnable chez tous les hommes, à quelques peuples qu’ils appartiennent, que par le sacrifice de rédemption offert par Jésus-Christ sur l’autel de la Croix à son Père céleste, en faveur de l’humanité pécheresse. »[14] Comme nous le verrons au chapitre suivant, « la solidarité se manifeste en premier lieu dans la répartition des biens et la rémunération du travail. »[15] Mais « elle suppose aussi l’effort en faveur d’un ordre social plus juste dans lequel les tensions pourront être mieux résorbées, et où les conflits trouveront plus facilement leur issue négociée. »[16]

Nous avons déjà indiqué que la solidarité est le lieu moral de la rencontre de l’autonomie et de l’exigence mais comment, politiquement cette solidarité peut-elle s’exprimer ?


1. In Ethique de la solidarité, Adolphe Ardant-Criterion, 1983, pp. 21-24. J. Tischner, est un théologien et un philosophe polonais, ami de Karol Wojtyla (le futur Jean-Paul II) et de Lech Walesa.
2. Lc 10, 29-37.
3. Cette conscience morale se nourrit, se développe, s’affine. On n’est pas spontanément solidaire. Il faut que s’éduque cette conscience morale. Avec beaucoup de réalisme, Léo Moulin ( Moi…​ et les autres, Petit traité de l’agressivité au quotidien, Labor, pp. 65-68) fait remarquer que « l’altruisme qui, pour certains est inscrit dans les gènes de l’espèce humaine - wishful thinking - résiste peu et mal aux pulsions de l’agressivité, que celle-ci soit collective et générale ou quotidienne et individuelle. Toute l’histoire de notre siècle le prouve abondamment ». Non seulement devons-nous maîtriser notre agressivité, mais aussi notre paresse, notre égoïsme, notre orgueil, notre peur, etc..
4. Rappelons-nous le récit de la Genèse : l’homme reçoit une aide qui lui est semblable : semblable implique l’égalité essentielle, la même dignité. le mot aide indique que l’un ne peut venir seul à bout de l’ouvrage. Il est incomplet et trouve le complément nécessaire chez l’autre. Cette inégalité concrète fonde la solidarité. L’égalité essentielle la rend possible.
5. R. Petrella semble renverser cette proposition en écrivant (Le bien commun, Eloge de la solidarité, op. cit. p. 15) : « Plus la cohésion est forte, plus la solidarité agit en tant que génératrice d’une conscience et d’une pratique de l’intérêt général ». Mais d’où vient la cohésion de cette société ? Pour l’auteur, elle est fondée sur « le sentiment d’appartenir à un groupement humain distinct par le mode de vie, l’habitat, la religion…​ », sur « une volonté de vivre ensemble », selon l’expression d’E. Renan, sur une identité qui, avec le temps, « devient un patrimoine commun sous forme de principes, règles, traditions, institutions, espaces construits ». C’est vrai, en principe, mais à condition que la conscience morale qui est toujours première reste en éveil. La parabole du bon Samaritain montre que l’appartenance ne suffit pas puisque le prêtre et le lévite qui voient le pauvre blessé, prennent l’autre côté de la route et passent tandis que le sang mêlé, méprisé des Juifs, se montre seul secourable.
6. Cf. CARRAUD Vincent, Solidarité ou les traductions de l’idéologie, in Communio, XIV, 5, septembre-octobre 1989, pp. 106-127. Cette analyse très rigoureuse est résumée par LE TOURNEAU Ph., La philosophie sociale de Jean-Paul II, in ONORIO Joël-Benoît d’, Jean-Paul II et l’éthique politique, Editions universitaires, 1992, notamment pp. 86-88.
7. Rencontre avec le monde du travail, Laeken, Belgique, 19 mai 1985, in OR, 11 juin 1985, p. 7.
8. « La multitude qui avait embrassé la foi était une de cœur et une d’esprit…​ Il n’y avait aucun nécessiteux parmi eux » (Ac 4, 32. 34). « Ils étaient fidèles à écouter l’enseignement des Apôtres, à vivre en communion fraternelle, à rompre le pain, à participer aux prières » (Ac 2, 42).
9. Discours aux travailleurs, Rome, 19 mars 1988, in OR, 29 mars 1988, P. 2.
10. Rencontre avec le laïcat, Zimbabwe, 11-9-1988, in OR, 20 septembre 1988, p. 8.
11. WOJTYLA Karol, Personne et acte, Le Centurion,1983, p. 333.
12. Id., p. 335.
13. CEC, n° 1939.
14. Il faut remarquer que la solidarité spirituelle a des conséquences temporelles : (CEC 1942) « En répandant les biens spirituels de la foi, l’Église a, de surcroît, favorisé le développement des biens temporels auquel elle a souvent ouvert des voies nouvelles. Ainsi s’est vérifiée, tout au long des siècles, la parole du Seigneur : « Cherchez d’abord le Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît » (Mt 6, 33) ». Le CEC cite à cet endroit Pie XII, Discours pour le cinquantième anniversaire de Rerum novarum, 1er juin 1941: « Depuis deux mille ans, vit et persévère dans l’âme de l’Église ce sentiment qui a poussé et pousse encore les âmes jusqu’à l’héroïsme charitable des moines agriculteurs, des libérateurs d’esclaves, des guérisseurs de malades, des messagers de foi, de civilisation, de science à toutes les générations et à tous les peuples en vue de créer des conditions sociales capables de rendre à tous possible une vie digne de l’homme et du chrétien. »
15. CEC 1940.
16. Id.

⁢a. Sur le plan personnel, par la participation

C’est un devoir éthique, un « engagement volontaire et généreux de la personne dans les échanges sociaux. Il est nécessaire que tous participent, chacun selon la place qu’il occupe et le rôle qu’il joue, à promouvoir le bien commun. »[1].

Cette participation est inhérente à la dignité humaine et elle est possible pour tous selon leurs capacités et leur situation. Le pouvoir sur la terre n’a pas été octroyé à un homme ou à quelques-uns mais à tous⁠[2].

« La participation se réalise d’abord dans la prise en charge des domaines dont on assume la responsabilité personnelle : par le soin apporté à l’éducation de sa famille, par la conscience dans son travail, l’homme participe au bien d’autrui et de la société »[3]. C’est le premier degré de la participation, le plus fondamental et le plus accessible à tous. Mais il faut aller plus loin. En effet, « les citoyens doivent autant que possible prendre une part active à la vie publique »[4] suivant les modalités offertes par les divers pays. « Il faut louer la façon d’agir des nations où, dans une liberté authentique, le plus grand nombre possible de citoyens participe aux affaires publiques »[5]. C’est pour cette raison , nous allons le voir, que l’Église apprécie la démocratie qui ne peut vivre que par la participation du plus grand nombre de citoyens possible.

Toutefois, il faut nous rendre compte, de nouveau, que la participation requiert deux conditions.

Tout d’abord, on ne peut l’imaginer sans une conversion de tous les partenaires sociaux. Comme l’écrit le catéchisme, « la participation de tous à la mise en œuvre du bien commun implique, comme tout devoir éthique, une conversion sans cesse renouvelée des partenaires sociaux. La fraude et autres subterfuges par lesquels certains échappent aux contraintes de la loi et aux prescriptions du devoir social doivent être fermement condamnés, parce qu’incompatibles avec les exigences de la justice »[6].

Deuxièmement, « il revient à ceux qui exercent la charge de l’autorité d’affermir les valeurs qui attirent la confiance des membres du groupe et les incitent à se mettre au service de leurs semblables. La participation commence par l’éducation et la culture »[7].

Cette participation est indispensable : ce qui est pour l’homme doit être par l’homme. Si l’on veut une société humaine, c’est-à-dire une société qui non seulement respecte la dignité humaine dans tous ses aspects mais se met au service de sa croissance, elle ne peut se construire sans le concours des intéressés. On ne fait pas le bonheur des hommes sans eux ni malgré eux : ce fut l’alibi de tous les pouvoirs totalitaires.


1. CEC, 1913.
2. Selon le cardinal Bellarmin : « Le pouvoir a pour sujet immédiat toute la multitude. en effet, le pouvoir est de droit divin ; mais le droit divin n’a donné ce pouvoir à aucun homme en particulier, donc il l’a donné à la multitude ».(De laïcis, I, III, chap. 6., cité par BASSE B., op. cit., p. 53).
3. CEC, n°1914.
4. CEC, n°1915.
5. GS 31, par. 3.
6. CEC, n° 1916. On peut toutefois rappeler ce qui a été dit plus haut du devoir de désobéissance et évoquer un autre principe que nous étudierons dans le chapitre consacré à la paix et à la guerre : celui de la légitime défense. De même qu’on a le droit et le devoir de refuser d’obéir à un pouvoir qui tenterait de nous faire transgresser les lois de Dieu, on peut imaginer que, dans certaines situations, l’impôt excessif, par exemple, empêche une famille d’éduquer convenablement ses enfants. Dans ce cas, la fraude pourrait être considérée comme un moyen de défense de valeurs supérieures. La tradition chrétienne n’a-t-elle pas reconnu même le recours au vol en cas d’extrême nécessité, comme le rappelle le CEC (n° 2408).
7. CEC, n° 1917. Nous étudierons plus tard cette question. Elle est, bien sûr, capitale. Le catéchisme n’hésite d’ailleurs pas, à cet endroit, de rappeler la formule très forte et très interpellante de Gaudium et spes (31, 3) : « On peut légitimement penser que l’avenir est entre les mains de ceux qui auront su donner aux générations de demain des raisons de vivre et d’espérer ».

⁢b. Sur le plan social, par la subsidiarité

Si tous doivent participer à la réalisation du bien commun qui est lui-même nécessaire à la croissance des personnes et des groupes sociaux, reste à organiser, autant que faire se peut, ce mouvement de va-et-vient dans le respect de la liberté nécessaire au progrès de la personne et de la société et dans le souci de l’autorité indispensable à la construction et au développement de l’unité fondée sur le bien commun.

Dans l’optique chrétienne, c’est précisément le principe de subsidiarité qui a comme tâche de marier liberté (nécessité subjective) et autorité (nécessité objective) en organisant le cadre de la participation. Selon la formule célèbre qui tente de définir l’idéal social : « Toute la liberté possible, toute l’autorité nécessaire »[1].

Notons aussi que « le principe de subsidiarité doit être étroitement relié au principe de solidarité et vice-versa, car si la subsidiarité sans la solidarité tombe dans le particularisme, il est également vrai que la solidarité sans la subsidiarité tombe dans l’assistanat qui humilie celui qui est dans le besoin. »[2]

Le mot « subsidiarité » est inconnu de la plupart des dictionnaires et des encyclopédies de langue française⁠[3]. On connaît, évidemment, l’adjectif « subsidiaire » qui, dans un premier temps, peut nous aider à comprendre ce qu’est la subsidiarité. Dans le langage courant, « subsidiaire » peut avoir plusieurs sens liés : « de réserve », « de renfort » (secours, aides, soutien, assistance) et « qui a un caractère secondaire » (subordonné). On pourrait résumer le tout en disant : est « subsidiaire » ce qui vient en aide à quelque chose de principal⁠[4].

C’est le pape Pie XI qui le premier définira très explicitement ce que l’on appellera désormais le principe de subsidiarité. Le Saint Père, parlant de la réforme des institutions, explique, nous sommes en 1931, qu’il ne faut pas trop espérer de l’intervention de l’État. Certes, « depuis que l’individualisme a réussi à briser, à étouffer presque cet intense mouvement de vie sociale qui s’épanouissait jadis en une riche et harmonieuse floraison de groupements les plus divers, il ne reste plus guère en présence que les individus et l’État » ; mais, ajoute-t-il aussitôt, « cette déformation du régime social ne laisse pas de nuire sérieusement à l’État, sur qui retombent, dès lors, toutes les fonctions que n’exercent plus les groupements disparus, et qui se voit accablé sous une quantité à peu près infinie de charges et de responsabilités ». Tout en reconnaissant que « par suite de l’évolution des conditions sociales, bien des choses que l’on demandait jadis à des associations de moindre envergure ne peuvent plus désormais être accomplies que par de puissantes collectivités », Pie XI fait alors remarquer : « Il n’en reste pas moins indiscutable qu’on ne saurait ni changer ni ébranler ce principe si grave de philosophie sociale : de même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes.

L’objet naturel de toute intervention en matière sociale est d’aider (subsidium afferre) les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber.

Que l’autorité publique abandonne donc aux groupements de rang inférieur le soin des affaires de moindre importance où se disperserait à l’excès son effort ; elle pourra dès lors assurer plus librement, plus puissamment, plus efficacement les fonctions qui n’appartiennent qu’à elle, parce qu’elle seule peut les remplir ; diriger, surveiller, stimuler, contenir selon que le comportent les circonstances ou l’exige la nécessité. Que les gouvernants en soient donc bien persuadés : plus parfaitement sera réalisé l’ordre hiérarchique des divers groupements selon ce principe de la fonction supplétive (hoc « subsidiarii » officii principio) de toute collectivité, plus grandes seront l’autorité et la puissance sociale, plus heureux et plus prospère l’état des affaires publiques. »[5]

Dans ce texte qui va servir de référence aux souverains pontifes ultérieurs, il apparaît clairement que ce principe de subsidiarité que les traducteurs appellent encore « principe de la fonction supplétive » a un aspect négatif et un aspect positif⁠[6]. En effet, il s’agit de laisser aux collectivités « inférieures » les tâches qu’elles peuvent assumer (aspect négatif de non ingérence) et de n’intervenir que pour les aider (aspect positif d’ingérence)⁠[7]. Comme l’écrit A. Utz, « le principe de subsidiarité n’est donc pas un principe d’entraide, mais un principe de discrétion et de réserve dans toute l’activité sociale, où les interventions doivent se limiter au strict nécessaire. Exprimé en termes positifs, ce principe impose à chacun le devoir d’assumer personnellement ses responsabilités et de remplir personnellement sa tâche. Et puisque le personnel prime sur le social et le collectif, ce même droit (et ce même devoir) de responsabilité et d’action personnelles sont reconnus de la même manière aux sociétés plus restreintes. »[8]

Notons aussi que l’emploi du mot « inférieur » est malheureux comme nous le constaterons en décrivant schématiquement l’organisation subsidiaire. Si l’on représente le corps social sous la forme d’une pyramide, le rang le plus « inférieur » est occupé incontestablement par la famille, qui est la base même de la société et donc l’élément essentiel. « Inférieur » ne peut donc impliquer de jugement de valeur. Au contraire, ici, l’échelon le plus « bas » est, en réalité, occupé par la communauté la plus importante puisque fondatrice, supérieure à l’État, pourrait-on dire, puisqu’elle lui est antérieure. Si, malgré tout, on continuera à parler de rang inférieur ou supérieur, c’est en terme de puissance, en tenant compte du fait que les échelons ainsi désignés sont « placés par importance croissante du fait de leurs responsabilités effectives au regard du bien commun »[9].

Quoi qu’il en soit ce principe de subsidiarité va se retrouver désormais partout dans l’enseignement social de l’Église. Résumant le texte cité de Pie XI, Pie XII s’exclamera : « Paroles vraiment lumineuses, qui valent pour la vie sociale à tous ses degrés et aussi pour la vie de l’Église, sans préjudice de son organisation hiérarchique. »[10] Le principe vaut aussi, nous y reviendrons, dans le domaine économique. Abordant le problème de la production, Pie XII rappellera qu’« un juste ordonnancement de la production ne peut faire abstraction du principe de l’intervention de l’État », mais il ajoutera qu’« il est indispensable, précisément aujourd’hui où l’ancienne tendance du « laissez faire, laissez passer » est sérieusement battue en brèche, de prendre garde à ne point tomber dans l’extrême opposé ; il faut, dans l’organisation de la production, assurer toute sa valeur directive à ce principe, toujours défendu par l’enseignement social de l’Église : que les activités et les services de la société doivent avoir un caractère « subsidiaire » seulement, aider ou compléter l’activité de l’individu, de la famille, de la profession »[11]. Dans Mater et magistra[12], Jean XXIII rappellera textuellement le « principe de subsidiarité » à propos du rôle des pouvoirs publics puis, dans Pacem in terris[13], à propos des rapports entre une autorité universelle et les gouvernements des États. C’est précisément en évoquant la coopération internationale que Gaudium et spes[14] citera également le principe de subsidiarité. Ce ne sera pas, au Concile Vatican II, la seule référence car la déclaration sur l’éducation chrétienne la reprendra deux fois⁠[15]. Dans Laborem exercens[16], Jean-Paul II y recourt implicitement avant de proposer une définition plus ramassée que celle de Pie XI, dans Centesimus annus[17] : « une société d’ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la vie interne d’une société d’ordre inférieur en lui enlevant ses compétences, mais elle doit plutôt la soutenir en cas de nécessité et l’aider à coordonner son action avec celle des autres éléments qui composent la société en vue du bien commun ». Le Catéchisme de l’Église catholique[18] reprendra telle quelle cette citation de Jean-Paul II dont il proposera une version plus dense encore : « Selon le principe de subsidiarité, ni l’État ni aucune société plus vaste ne doivent se substituer à l’initiative et à la responsabilité des personnes et des corps intermédiaires »[19]. Il rappelle également l’argument de bon sens qui justifie la subsidiarité : « …​il semble que les besoins soient mieux connus par ceux qui en sont plus proches ou qui savent s’en rapprocher, et que ceux-ci soient plus à même d’y répondre »[20]. Le Catéchisme ajoutera encore que « le principe de subsidiarité s’oppose à toutes les formes de collectivisme. Il trace les limites de l’intervention de l’État. Il tend à instaurer un véritable ordre international. »[21] Enfin, il affirmera encore que suivant le principe de subsidiarité, les communautés plus vastes se garderont d’usurper les pouvoirs de la famille ou de s’immiscer dans sa vie⁠[22]. d’une manière générale, en dehors des cas ou seul un corps supérieur peut traiter un problème, si une insuffisance ou une défaillance se présente tout à coup à un niveau supérieur, il est souhaitable que la suppléance soit toujours limitée dans le temps⁠[23].

Un peu d’histoire

Le principe de subsidiarité est donc constamment présent dans l’enseignement social de l’Église depuis Pie XI mais il serait faux de croire à l’absolue nouveauté de l’idée telle qu’elle fut exprimée en 1931.

En fait, en remontant le temps, nous constatons que son irruption fut préparée notamment par Mgr von Ketteler qui, en 1873, écrit : « C’est un absolutisme dur, un véritable esclavage de l’esprit et des âmes, si l’État abuse de ce que j’aimerais appeler le droit subsidiaire »[24]. A la même époque, Taparelli, déjà cité, développera des idées semblables. Mais c’est surtout l’encyclique Rerum novarum, dont Quadragesimo anno célèbre l’anniversaire, qui a tracé la voie, dans ce domaine, comme dans la plupart des autres questions de morale sociale.

Chaque fois qu’il évoque le rôle de l’État, Léon XIII indique à la fois la nécessité, dans certaines circonstances, et les limites de son intervention. Ainsi, à propos de la famille, il écrit : « Vouloir (…) que le pouvoir civil envahisse arbitrairement jusqu’au sanctuaire de la famille, c’est une erreur grave et funeste. Assurément, s’il existe quelque part une famille qui se trouve dans une situation désespérée et qui fasse de vains efforts pour en sortir, il est juste que dans de telles extrémités le pouvoir public vienne à son secours, car chaque famille est un membre de la société. De même, s’il existe quelque part un foyer domestique qui soit le théâtre de graves violations des droits mutuels, que le pouvoir public y rende son droit à chacun. Ce n’est point là usurper sur les attributions des citoyens, c’est affermir leurs droits, les protéger, les défendre comme il convient. Là, toutefois, doit s’arrêter l’action de ceux qui président à la chose publique ; la nature leur interdit de dépasser ces limites »[25]. Plus loin⁠[26], Léon XIII revient aux règles de l’intervention de l’État : « Il est dans l’ordre, avons-Nous dit, que ni l’individu ni la famille ne soient absorbés par l’État ; il est juste que l’un et l’autre aient la faculté d’agir avec liberté aussi longtemps que cela n’atteint pas le bien général et ne fait injure à personne. cependant, aux gouvernants, il appartient de protéger la communauté et ses parties ; la communauté, parce que la nature en a confié la conservation au pouvoir souverain, de telle sorte que le salut public n’est pas seulement ici la loi suprême, mais la cause même et la raison d’être du principal ; les parties, parce que de droit naturel le gouvernement ne doit pas viser l’intérêt de ceux qui ont le pouvoir entre les mains, mais le bien de ceux qui leur sont soumis. Tel est l’enseignement de la philosophie non moins que la foi chrétienne. (…) Si (…), soit les intérêts généraux, soit l’intérêt d’une classe en particulier se trouvent ou lésés, ou simplement menacés, et qu’il soit impossible d’y remédier ou d’y obvier autrement, il faudra de toute nécessité recourir à l’autorité publique ». Et si, dans des cas de désordre et d’injustice, il faut absolument appliquer « la force et l’autorité des lois », ce sera « dans certaines limites ». « Ces limites seront déterminées par la fin même qui appelle le secours des lois: c’est-à-dire que celles-ci ne doivent pas s’avancer ni rien entreprendre au delà de ce qui est nécessaire pour réprimer les abus et écarter les dangers ».

En remontant plus loin encore dans le temps et en restant dans la tradition catholique, chrétienne, n trouvera, bien sûr, chez saint Thomas, les éléments fondateurs du principe de subsidiarité⁠[27].

En fin de compte, on peut même dire avec le Catéchisme[28] : « Dieu n’a pas voulu retenir pour Lui seul l’exercice de tous les pouvoirs. Il remet à chaque créature les fonctions qu’elle est capable d’exercer, selon les capacités de sa nature propre. Ce mode de gouvernement doit être imité dans la vie sociale. Le comportement de Dieu dans le gouvernement du monde, qui témoigne de si grands égards pour la liberté humaine, devrait inspirer la sagesse de ceux qui gouvernent les communautés humaines. »

En témoignent les deux premiers livres de la Genèse où l’on voit Dieu laisser à l’homme le gouvernement de la terre parce qu’il a la capacité, le pouvoir de l’exercer même si sa gestion est radicalement est imparfaite.

A fortiori doit-il en être ainsi également parmi les hommes. On lit dans le livre de l’Exode cet épisode significatif : « Le beau-père de Moïse, voyant toute la peine qu’il se donnait pour le peuple, lui dit: « Que fais-tu là pour ces gens ? pourquoi sièges-tu seul avec tout ce monde qui se tient autour de toi du matin au soir ? » Moïse répondit: « C’est que le peuple vient me trouver pour consulter Dieu. Quand ils ont une affaire, ils viennent me trouver pour que je prononce entre eux, en faisant connaître les ordres de Dieu et ses lois. » Le beau-père de Moïse lui dit : « Tu as tort d’agir ainsi. Tu finiras par succomber, ainsi que tout ce peuple qui est avec toi, car le fardeau est trop pesant pour toi et tu ne pourras pas le porter seul. Ecoute-moi : je vais te donner un conseil, et que Dieu soit avec toi ! Toi, tu représenteras le peuple auprès de Dieu, et tu porteras les causes devant Dieu. Tu leur feras connaître ses ordres et ses lois, tu leur indiqueras la route à suivre et la conduite à tenir. Mais parmi le peuple, tu choisiras des hommes avisés, craignant Dieu, intègres, désintéressés, et tu les établiras à la tête du peuple, comme chefs de milliers, chefs de centaines, de cinquantaines et de dizaines. Ils jugeront[29] le peuple en temps ordinaire. Ils porteront devant toi les litiges importants, mais trancheront eux-mêmes les causes mineures. Ainsi allègeront-ils ta charge en la portant avec toi. Dans ces conditions, si Dieu te dirige, tu pourras suffire à la tâche, et tous ces gens retourneront en paix chez eux. »[30]

Les puristes protesteront éventuellement en faisant remarquer qu’il s’agit ici de décentralisation plutôt que de subsidiarité. Il est vrai mais il faut peut-être, dans certaines circonstances et en tout cas en ce début d’aventure du peuple élu que le pouvoir suprême prenne l’initiative et « pousse » les autorités « inférieures » à s’affirmer et à prendre leurs responsabilités. Nous allons y revenir.

Une question de bon sens ?

Le principe de subsidiarité est si souvent cité dans l’enseignement de l’Église qu’on a fini par croire qu’il s’agissait d’un principe typiquement catholique lié organiquement à l’affirmation de la dignité éminente de l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Or, divers auteurs⁠[31] en ont tracé l’histoire et ont montré, à travers plusieurs grands exemples, que l’esprit pragmatique de divers penseurs influencés par d’autres traditions ou interpellés par les nécessités du temps a pu et peut encore découvrir la simplicité et l’intérêt de ce principe.

On cite tout d’abord Aristote⁠[32] auquel saint Thomas empruntera tant puis le théologien calviniste Johannes Althusius⁠[33]. Syndic de la ville d’Edem, confronté à l’éclatement anarchique du saint Empire, il réfléchit à la notion de suppléance dans sa Politica methodice digesta (1603) et cherche à justifier l’émergence d’une souveraineté par l’insuffisance sociale.

L’illustre philosophe Hegel⁠[34], face au même problème, tente, dans La constitution de l’Allemagne, de sauvegarder les autonomies locales face à un État à venir qui est nécessaire pour combler les vides laissés par la société.

Le 10 mai 1793, à propos de la Constitution, Robespierre⁠[35], bien qu’il ne soit pas un modèle de démocrate, déclarera : « Fuyez la manie ancienne de vouloir trop gouverner ; laissez aux individus, laissez aux familles le droit de faire ce qui ne nuit pas à autrui ; laissez aux communes le pouvoir de régler elles-mêmes leurs propres affaires en tout ce qui ne tient point essentiellement à l’administration de la République ; rendez à la liberté individuelle tout ce qui n’appartient pas naturellement à l’autorité publique et vous aurez laissé d’autant moins de prise à l’ambition et à l’arbitraire[36] ».

Pour Abraham Lincoln⁠[37], « le but légitime du gouvernement est de faire pour la société ce dont elle a besoin mais qu’elle ne peut pas du tout accomplir ou ne peut pas accomplir aussi bien à travers ses capacités individuelles. Dans tout ce que les gens peuvent accomplir aussi bien pour eux-mêmes et individuellement, le gouvernement n’a pas à s’ingérer »[38].

Ce ne sont là que quelques manifestations d’un principe qui se redécouvre spontanément peut-être lorsque l’on se méfie du pouvoir.

L’actualité du principe

A la fin du XXe siècle, ce principe semble revenir en force à la mode. Ainsi, le roi Albert II de Belgique rappellera que ce principe « veut que chaque pouvoir exerce les responsabilités qui peuvent le plus efficacement être exercées à son niveau »[39]. En mars 1997, la France contesta l’heure d’été répandue largement en Europe, au nom du principe de subsidiarité.

C’est précisément dans les efforts pour construire l’Europe que l’organisation subsidiaire fut le plus souvent et le plus officiellement évoquée.

Le socialiste français J. Delors qui fut président de la Commission européenne définit ainsi le principe de subsidiarité : « Le principe de subsidiarité part, selon nous, d’une idée simple : un État ou une Fédération d’États dispose, dans l’intérêt commun, des seules compétences que les personnes, les familles, les entreprises et les collectivités locales ou régionales ne peuvent assumer isolément. Ce principe de bon sens doit garantir que les décisions sont prises le plus près possible des citoyens, par la limitation des actions menées aux échelons les plus élevés du corps politique »[40].

Dans le fameux Traité de Maastricht on lira⁠[41]: « La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le présent traité. Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans le mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire. L’action de la Communauté n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent traité. »

Dangers et difficultés

Si le principe de subsidiarité est simple, sa mise en application est délicate car elle peut, comme le montre la construction européenne et si l’on n’y prend pas garde, engendrer quelques maux et parfois aboutir à restreindre les libertés que la subsidiarité doit préserver normalement.

Ainsi, certains pourraient-ils chercher, sous prétexte de subsidiarité, à réduire exagérément le rôle de l’État ou du pouvoir supérieur, dans le cas de l’Europe, jusqu’à le rendre insignifiant. La décentralisation peut aussi être cause d’une inflation des structures bureaucratiques et, d’un alourdissement de la fiscalité. L’exemple de la Belgique est particulièrement représentatif. En effet, dans ce pays, pour mieux rapprocher, en principe, le pouvoir très centralisé à l’origine, des réalités humaines et de leur diversité, on a tissé un treillis compliqué de communautés et de régions qui se sont superposées aux provinces sans les remplacer alors que la vivification de ces dernières aurait peut-être épargné de complexes et coûteuses constructions administratives.

Pour en revenir plus précisément à l’Europe, il apparaît clairement que le texte cité ci-dessus et extrait du Traité de Maastricht, à l’instar d’autres textes, est susceptible d’interprétation contradictoires. La référence à la subsidiarité s’y révèle ambigüe. On a même écrit que cette ambigüité était voulue pour satisfaire des sensibilités différentes. Les Allemands, par exemple, plus volontiers centralisateurs et les Français plus attachés à l’autonomie de leur nation⁠[42]. « Contrairement à la Commission, écrit Ch.-F. Nothomb, le Bundesrat est d’avis que le principe de subsidiarité doit toujours être considéré comme une limitation des compétences et ne peut donc servir de base à un élargissement des compétences »[43].

Toute la question est là en effet, l’évocation insistante de la subsidiarité, clé de voûte, a-t-on dit du système communautaire, relève-t-elle d’une volonté décentralisatrice ou au contraire centralisatrice sous prétexte d’une meilleure efficacité ?

Dans ce contexte européen, l’équivoque serait levée si l’on définissait clairement les compétences exclusives du pouvoir communautaire et les compétences qu’il partage avec les différents membres. Pour ces compétences partagées, il faudrait honnêtement distinguer qui est le plus à même de résoudre certains problèmes. Il n’est pas dit que le plus grand soit nécessairement le plus efficace.

Comme l’a bien montré Ch. Delsol, le choix se pose entre un modèle technocratique qui exige de la docilité et un modèle confédéral, plus éthique que politique dans la mesure où il s’appuierait « sur une culture commune[44] qui, parce qu’elle intègre la valeur d’autonomie, accepte d’avance les qualifications plurielles du « bien » social et en conséquence, les inégalités géographiques corollaires de l’expression du divers »[45]

L’enjeu est de taille au niveau européen mais il ne faudrait pas oublier non plus que le principe de subsidiarité peut, au niveau des états, nous faire échapper aux inconvénients des logiques socialistes et libérales, comme nous le verrons par la suite.

Retour à l’éthique

Il est capital de se rendre compte, en effet, que le bon fonctionnement de la subsidiarité relève d’abord de l’éthique.

Revenons encore à l’analyse de Ch. Delsol⁠[46] qui nous rappelle que le principe de subsidiarité repose sur une philosophie de l’homme typiquement aristotélicienne et thomiste qui peut se résume en trois points fondamentaux:

-la dignité de la personne représente la dernière finalité de l’action politique ;

-la personne individuelle se grandit davantage par son acte propre que par ce qu’elle reçoit ;

-la personne individuelle ne peut atteindre seule son plein épanouissement. Il lui faut vivre dans la cité : son bonheur propre passe aussi par un bonheur commun. C’est dire qu’il existe un bien commun, qui n’est pas une simple addition d’intérêts particuliers.

Sur cette base, s’articulent les deux axes du principe:

-si la personne se grandit par son acte, on doit lui laisser le plus d’autonomie et le plus de responsabilité possible pour accomplir elle-même ses propres œuvres et contribuer à celles de la société. L’autorité qui assiste sans nécessité, infantilise et diminue celui qu’elle prétend aider ;

-mais la personne ne peut réclamer une indépendance totale. Elle a besoin de la société, qui lui doit secours si nécessaire.

Ch. Delsol en conclut qu’ »il convient de conférer à l’autorité, face aux acteurs libres, à la fois un devoir de non-ingérence et un devoir d’ingérence. Le critère du passage d’un devoir à l’autre est celui de l’insuffisance des acteurs : leur incapacité d’acquérir le bien-être de toute nature, matériel, intellectuel, spirituel, dont ils estiment avoir besoin et auquel ils estiment pouvoir prétendre en ce temps et en ce lieu ». Il est aussi bien entendu que « la description du devoir de non-ingérence et d’ingérence de l’autorité concerne toutes les autorités, à commencer par la plus simple, jusqu’à celle de l’État ».

Qui ne voit dès lors que le bon fonctionnement de la subsidiarité réclame de tous les acteurs et par-dessus tout le sens de la liberté en même temps que le souci du bien commun. Il peut paraître étonnant de souligner dans ces exigences le sens de la liberté. Mais son goût ne va pas de soi. Encore faut-il que les diverses autorités soient non seulement capables mais aussi désireuses d’exercer leur autonomie. Combien est-il plus facile souvent de s’en remettre aux autres, aux instances supérieures. L’exercice de l’autonomie demande compétence, honnêteté, sens de l’initiative et de la responsabilité, humilité aussi car il faut être patient souvent et accepter le risque d’erreurs, de maladresses et de conflits. Tout cela est moins fréquent et durable qu’on ne le croit. L’exercice de la subsidiarité, dans ses dimensions verticale et horizontale, implique une certaine confiance en soi, en l’homme, en l’avenir et exige que l’on respecte ces vertus chez les autres dans la juste mesure du bien commun car tout pouvoir a tendance à s’étendre et à empiéter sur le territoire du voisin. Ce n’est pas nécessairement une attitude confortable.

Elle peut paraître amère mais elle est très réaliste la réflexion que G.B. Shaw met dans la bouche de son Don Juan : « La liberté n’est pas suffisamment universelle. Les hommes mourront pour la perfection humaine et ils seront heureux de sacrifier leur liberté pour elle »[47].

L’éducation à la vraie liberté est donc primordiale dans ce type de société où l’on tente de marier l’autonomie et l’exigence sociale. Comme l’écrivait Pie XI : « tout ce que nous avons enseigné sur la restauration et l’achèvement de l’ordre social ne s’obtiendra jamais sans une réforme des mœurs »[48].


1. TAPARELLI d’AZEGLIO Luigi (1793-1862) in Essai théorique de droit naturel basé sur les faits, 1840-1843. Ce jésuite critique du libéralisme à la mode peut être considéré comme un précurseur des « catholiques sociaux » (cf. KOTHEN R., La pensée et l’action sociale des catholiques, 1798-1944, Warny, 1945, pp.254-256).
2. BENOIT XVI, Encyclique Caritas in veritate (CV), 2009, n° 58.
3. A notre connaissance, en 1992, seul le supplément du Grand Larousse universel en quinze volumes donne le mot qui ne serait employé qu’en droit administratif et qui se définirait comme « principe de délégation verticale des pouvoirs dans les fédérations ». Définition très restrictive, comme nous le verrons mais qui est très certainement influencée par l’usage qui a été fait du mot dans les efforts de construction européenne à la fin du XXe siècle.
4. Cf. Littré de 1878 cité par CHENAUX J.-Ph. in La subsidiarité et ses avatars, Etudes et enquêtes, Centre patronal, Lausanne, n° 16, janvier 1993, p. 5.
5. Quadragesimo anno, 15-5-1931 (QA).
6. Pour en savoir plus, on peut lire DELSOL Chantal, Le principe de subsidiarité, PUF, Que sais-Je ?, 1993.
7. Certains auteurs parlent de « subsidiarité descendante » (négative) et « ascendante » (positive). La question de l’ingérence et de la non-ingérence est, depuis la deuxième guerre mondiale, au cœur des relations internationales comme nous le verrons plus tard.
8. UTZ A., Ethique sociale, Tome I, Les principes de la doctrine sociale, Editions universitaires, Fribourg, 1968, pp. 191-192.
9. ONORIO Joël-Benoît d’, La subsidiarité, analyse d’un concept, in La subsidiarité, De la théorie à la pratique, Téqui, 1995, p. 27.
10. Allocution aux nouveaux cardinaux, 20 février 1946. Pie XII reviendra sur l’application du principe de subsidiarité à l’Église dans son Discours aux participants au IIe congrès mondial pour l’apostolat des laïcs (5 octobre 1957) : « Que l’autorité ecclésiastique applique ici aussi le principe général de l’aide subsidiaire et complémentaire ; que l’on confie au laïc les tâches qu’il peut accomplir, aussi bien ou même mieux que le prêtre et que, dans les limites de sa fonction ou celles que trace le bien commun de l’Église, il puisse agir librement et exercer sa responsabilité ». « Cette notion est sans conteste, dira un analyste averti, un présupposé important de l’ecclésiologie conciliaire » (Joseph Komonschak, collaborateur de l’Université catholique de Washington, in Documents Episcopat, Paris, n°1, janvier 1988). Ajoutons encore que ce principe a été invoqué pour promouvoir le rôle des Église locales au détriment de l’autorité de Pierre. On peut lire sur ce sujet. CHENAUX J.-Ph, op. cit., pp. 27-31 et la très claire mise au point du cardinal CASTILLO LARA, La subsidiarité dans l’Église, in ONORIO Joël-Benoît d’, La subsidiarité, De la théorie à la pratique, op. cit., pp. 155-178.
11. Lettre à M. Charles Flory, président des Semaines sociales de France (18 juillet 1947).
12. MM 54, 116 et 154.
13. PT 137-138.
14. GS 86, 5.
15. Gravissimum educationis momentum, n° 3, 2 et n° 6, 2.
16. LE 18, 2.
17. CA 48.
18. CEC 1883.
19. CEC 1894.
20. CA 48.
21. CEC 1885.
22. CEC 2209.
23. Cf. CA 48.
24. Les catholiques dans le Reich allemand, esquisse d’un programme politique en treize points, janvier 1873, cité in CHENAUX J.-Ph., op. cit., p. 15. Monseigneur von Ketteler (1811-1877) fut évêque de Mayence.
25. RN, 443 in MARMY Emile, La communauté humaine selon l’esprit chrétien, Documents, Editions St-Paul, 1949. (Marmy)
26. RN, 469 in Marmy.
27. Notamment dans le Contra Gentiles, III, chap. 73 et le De Regno, I, chap. XV. Cf. A. Utz, op. cit., pp. 141-150 et DELSOL Chantal, Le principe de subsidiarité, op. cit., pp. 11-13..
28. CEC, 1884.
29. Juger, ici, c’est gouverner.
30. Ex, 18, 14-23. Voir également Nb, 11, 16-17 où Dieu lui-même conseille à Moïse de ne plus gouverner seul et Dt, 1, 9-18 où Moïse rappelle le partage du pouvoir.
31. Cf. CHENAUX J.-Ph., op. cit., pp. 8-15 et DELSOL Chantal, Le principe de subsidiarité, PUF, 1993, chapitre I, p. 9 et svtes.
32. Politique, I, 2, 1252b 10 et svts.
33. 1557?-1638.
34. 1770-1831.
35. 1758-1794. Maximilien de Robespierre est une des figures les plus célèbres et des plus redoutables de la révolution française.
36. Cité par LEMOYNE de FORGES, J.-M. La subsidiarité dans le fonctionnement de l’État, in ONORIO J.-B. d’, La subsidiarité, De la théorie à la pratique, op. cit., pp.65-66.
37. 1809-1865. Il fut président des États-Unis.
38. Cité par DELSOL Ch., L’État subsidiaire, PUF, 1992, p. 224.
39. Discours de Nouvel An devant les Corps constitués, 1-2-1994.
40. In Tribune pour l’Europe, novembre 1992.
41. Cet article 3 B a été introduit dans le titre II concernant les modifications du Traité CEE. Il a été justement critiqué dans la mesure où son flou permet une offensive centralisatrice et où la subsidiarité « horizontale » qui règle les relations entre les pouvoirs publics, les communautés intermédiaires et les individus est complètement oubliée
42. ONORIO J.-B d’, La subsidiarité, analyse d’un concept, in La subsidiarité, De la théorie à la pratique, op. cit., p 39.
43. Rapport à la Xe Conférence des organes spécialisés dans les Affaires communautaires des Parlements de la Communauté européenne, Athènes, 9 et 10 mai 1994.
44. Il faudrait, en tout cas, bien définir ce qu’est le bien commun européen en ne le limitant pas comme on a tendance à le faire aujourd’hui au seul bien-être matériel.
45. DELSOL Ch., La subsidiarité dans les idées politiques, in ONORIO J.-B. d’, La subsidiarité, De la théorie à la pratique, op. cit., pp. 55-57.
46. Id. pp. 44-45.
47. In L’homme et le surhomme, 1903.
48. QA 105.