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i. Le débat contemporain

Aujourd’hui, nous vivons une situation très paradoxale au moins à deux points de vue. Partout dans le monde et sans cesse, il est fait référence aux droits de l’homme, dans toute circonstance vécue comme une injustice. Jamais ils n’ont été aussi systématiquement évoqués mais jamais non plus ils n’ont été aussi sévèrement mis en question voire contestés dans les milieux intellectuels et politiques. Même au sein de l’Église, certains ont fait remarquer que traditionnellement - le décalogue en témoigne - on a proclamé des devoirs plutôt que des droits. Pire, ne faut-il pas plutôt écouter la mise en garde de Grégoire XVI que l’avis finalement positif de Jean-Paul II ?

Plus généralement, que leur reproche-ton ?

⁢a. L’inefficacité

Il est manifeste que le XXe siècle qui a tant fait pour la proclamation et la reconnaissance des droits de l’homme a connu de massives et abominables violations de ces droits à tel point que l’on peut se poser la question de l’efficacité de la déclaration de 1948 ainsi que de toutes les déclarations complémentaires qui ont suivi comme aussi de tous les textes qui, dans les sociétés civiles passées les ont esquissées.

Les très libérales constitutions anglaises qui ont fait rêver bien des intellectuels européens, dès le XVIIIe siècle, n’ont pas empêché les exactions contre les catholiques irlandais, en particulier.

Si le 12 juin 1776, quelques planteurs de Virginie proclament que « tous les hommes sont par nature libres et indépendants et qu’ils jouissent de certains droits à l’égard de la société, droits dont ils ne sauraient priver leur postérité, droit à la vie et à la liberté » mais ils n’ont pas étendu ces principes à leurs esclaves⁠[1]. L’esclavage sera aboli en 1862 par A. Lincoln mais il fut à l’origine de la guerre de Sécession et certains états, détournant la loi maintinrent une politique ségrégationniste jusque dans les années 1960.

Si l’article 1 de la Déclaration française de 1798 affirme que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », la règle ne fut appliquée dans les colonies qu’en 1793 et uniquement en Guadeloupe et à St Domingue.⁠[2] En 1802, Bonaparte rétablit l’esclavage. Ce n’est qu’en 1848 que l’esclavage sera, en principe, aboli partout mais de 1848 à 1870, les décrets d’abolition seront mal appliqués ou amendés.⁠[3]

Alors que les actes, conventions et déclarations antiesclavagistes se sont multipliés à partir du XIXe siècle, l’esclavage traditionnel n’a toujours pas disparu principalement dans les pays sous influence islamique⁠[4]. Malgré la Déclaration des droits de l’enfant (1969), des centaines de milliers d’enfants sont achetés ou enlevés pour le travail clandestin et la prostitution, non seulement dans le Tiers-Monde mais aussi en Europe⁠[5]. En décembre 1996, un « trafic d’esclaves » entre Lagos et Bruxelles fut démantelé : il s’agissait de femmes noires vendues à des proxénètes⁠[6].

On pourrait évoquer aussi le sort des femmes dans des pays comme la Mauritanie qui a aboli l’esclavage en 1980 seulement, an Afghanistan, au Pakistan, etc. ; le travail clandestin organisé par des « négriers »⁠[7] ; l’esclavage des camps de concentration, etc.. L’esclavage antique fut souvent beaucoup moins barbare, l’esclave étant souvent traité comme l’enfant de la maison.⁠[8]

Ni la déclaration de 1948, ni l’Onu n’ont pu empêché de graves conflits (Corée, Vietnam, Liban, Yougoslavie,…​) ni de véritables génocides (Biafra, Cambodge, Yougoslavie, Rwanda,…​).

Chaque année, le rapport d’Amnesty International rapporte quantité d’atteintes aux droits de l’homme jusque dans les démocraties « avancées » qui ont les premières milité pour la rédaction et la ratification de toutes les déclarations humanitaires et leur insertion dans toutes les constitutions nationales et internationales. Au lendemain d’une guerre mondiale horrible, le préambule de la Déclaration de 1948 affirmait que « la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité ». Un demi siècle plus tard, et malgré tous les efforts de diffusion et d’éducation, on est contraint de reconnaître que la barbarie se porte bien.


1. Cf. RIGAUX Fr., Préface du recueil Les droits des humains, Textes fondamentaux pour l’éducation et l’action, Critères pour l’action, Georges Malempré éditeur, Université de paix, sd, p. 6. Th. Jefferson, fils de riche planteur de Virginie, fut rédacteur de la Constitution de l’État de Virginie et gouverneur de cet État (1779-1781).
2. Peut-être est-ce l’effet de la seconde partie de cet article qui stipulait : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune » ?
3. Pour mémoire, Grégoire XVI, en 1837, condamne la traite et l’esclavage dans son Bref In suprema apostolatus fastigio.
4. Entre 15 et 20 millions selon Mourre.
5. En 1983, la Société antiesclavagiste de Londres attira l’attention de l’ONU sur le sort des enfants immigrés turcs (de 9 à 14 ans) en Allemagne fédérale (Mourre).
6. C’est l’expression qui fut employée au JT de la Télévision belge (RTBF), le 17 décembre 1996 à 19h30.
7. Dénoncé par Luc et Jean-Pierre Dardenne dans le film La promesse (1996) primé à Cannes (Prix CICEAE) à Postdam (Grand prix), à Namur (Bayard d’or) etc..
8. Cf. LECLERCQ J., Leçons de droit naturel, IV Les droits et devoirs individuels, Première partie, Vie, disposition de soi, Wesmael-Charlier, 1946, pp. 152-173.

⁢b. Les interprétations

Si la plupart des pays du monde ont souscrit à la Déclaration de 1948, ils ne l’interprètent pas tous de la même manière.

Dans les pays qui sont encore marqués par le marxisme, les droits de l’homme prennent un sens particulier sous l’influence de l’idéologie collectiviste. Ainsi, « ce que l’on concède aux individus ne peut jamais être considéré comme quelque chose de privé au sens strict ; en dernière analyse, il doit être ordonné au bénéfice de la collectivité et considéré comme appartenant à celle-ci (…). Le critère du bien et du mal est exclusivement le sens de l’évolution de l’« histoire » en route vers le collectivisme. En conséquence, la conscience individuelle des citoyens n’est pas une voix propre à chacun d’entre eux. Elle est la voix de la collectivité en tant que celle-ci se reflète dans les individus »[1]. Il est symptomatique que la Constitution de la république populaire de Chine⁠[2], au contraire des Constitutions occidentales, consacre son premier chapitre à l’État et à ses différents organes. Le chapitre II aborde les droits et les devoirs fondamentaux des citoyens mais l’article 51 précise que « les citoyens de la République populaire de Chine ne doivent pas, dans l’exercice de leurs libertés et de leurs droits, porter atteinte à l’intérêt de l’État, de la société et de la collectivité…​ »[3].

Dans les pays « développés », les Déclarations sont souvent interprétées dans le sens d’une autonomie absolue. Les droits y sont vécus de manière égoïste. Chacun recherche son propre intérêt et les valeurs spirituelles et morales ayant perdu leur primauté, il s’agit surtout de profiter le plus possible du bien-être matériel et des plaisirs de la société de consommation. « Le « naturalisme » fait fréquemment perdre le sens des valeurs supérieures. L’individualisme amène les personnes à se préoccuper de leurs seuls intérêts. Une fausse volonté d’autonomie, le laxisme pratique, le prétendu « droit à la différence » amollissent le sens des responsabilités et la résolution de se soumettre aux normes morales. Il s’ensuit que beaucoup supportent mal les restrictions qu’ils devraient imposer à leur propre liberté, en raison des obligations qu’engendrent le souci du bien commun et le respect dû aux droits et aux libertés des autres personnes »[4].

Dans les pays du tiers-monde, la tendance est de donner la priorité aux droits écologiques et aux droits de solidarité. « Les « peuples nouveaux » souhaitent avant tout voir valoriser et conserver leurs cultures propres, accroître leur indépendance politique, favoriser les progrès techniques et économiques. C’est bien pourquoi, dans ces pays, l’aspect social des droits de la personne humaine est mis au premier plan. »[5]


1. Commission théologique internationale, La dignité et les droits de la personne humaine, D.C., n° 1893, 7 avril 1985, p. 389.
2. Editions en langues étrangères, 1983.
3. L’article 35 qui accorde « la liberté de parole, de la presse, de réunion, d’association, de cortège et de manifestation » et l’article 41 qui affirme « le droit de formuler des critiques », n’ont pas empêché la répression de 1989. Est intéressant aussi l’article 36 qui reconnaît la liberté religieuse : « Aucun organisme d’État, aucun groupement social, aucun individu ne peut contraindre un citoyen à épouser une religion ou à ne pas la pratiquer, ni adopter une attitude discriminatoire à l’égard du citoyen croyant ou du citoyen incroyant.
   L’État protège les pratiques religieuses normales. Nul ne peut se servir de la religion pour troubler l’ordre social, nuire à la santé des citoyens et entraver l’application du système d’enseignement de l’État.
   Les groupements religieux et les affaires religieuses ne sont assujettis à aucune domination étrangère ». On comprend aisément que la religion ne soit plus, dans ces conditions, qu’une affaire privée, soumise à la surveillance de l’État, gardien de la « normalité » et détachée de influence étrangère de l’État du Vatican, par exemple.
4. Commission théologique internationale, op. cit..
5. Id..

⁢c. L’inflation et la sacralisation

Nous avons vu que dès le XVIIe siècle apparaît une mentalité qui ne fera que s’accentuer à l’époque contemporaine : l’homme part à la conquête de sa dignité en réclamant de plus en plus de droits. Il ne s’agit pas seulement de revendiquer les droits fondamentaux qui découlent de la nature même de l’homme et qui sont indispensables à sa vie et à sa croissance en tant qu’homme. Il s’agit ici d’ériger en droit tout désir suscité par une volonté égalitariste et par une volonté de toute-puissance sur sa propre destinée. Pourquoi n’aurais-je pas le droit d’avoir, de faire, d’être ce que l’autre a, fait, est ? Pourquoi, si la science le permet, ne pourrais-je changer de sexe, avoir un enfant sans partenaire, choisir son sexe, la couleur de ses yeux ? Pourquoi n’aurais-je pas le droit de garder ou non l’enfant que je porte, de choisir ma mort, etc. ?

Il arrive souvent qu’un geste exceptionnel soit de nouveau réclamé comme un dû. Si vous avez été bon avec moi, pourquoi ne le seriez-vous pas encore ? Un droit, une fois acquis, devient intouchable, sacré. Même si les circonstances changent, il devra coûte que coûte être respecté.

Chantal Delsol propose une explication fort intéressante de ce phénomène⁠[1]. Dans la conception chrétienne, l’homme reçoit sa dignité. Elle découle de sa nature même d’être créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Il s’agit d’une dignité ontologique. A lui de manifester cette dignité que rien ne peut lui enlever. Les droits découlent de cette dignité, y sont reliés, sont définis et mesurés par elle. On est passé aujourd’hui à une autre vision : la dignité de l’homme découle des droits que la société lui reconnaît. Mais cette dignité est toujours menacée puisque les droits sont liés au contingent. C’est pourquoi le contemporain qui ne perçoit plus la part de sacré qui est en lui a tendance à sacraliser les droits. De même que, pour le chrétien, le respect dû à l’homme, à tous les hommes reconnus égaux par essence, ne se limite pas, la quête des droits est aujourd’hui sans limite, à la recherche d’une égalité problématique.

L’oubli de notre origine et de notre salut a certes permis l’émergence de cet état d’esprit mais l’idéologie du progrès y a contribué aussi. Pour cette idéologie, « le bonheur humain ne saurait provenir que d’une accumulation, d’une superposition sans fin de libertés, de sécurités, d’enrichissements et de loisirs »[2].

Ajoutons encore au chapitre des causes la conjugaison de l’individualisme et du scepticisme ambiants qui poussent chacun à choisir sa vérité et à suivre sa seule conscience. L’on ne s’étonnera plus d’assister, dans cette mouvance, à une croissance exponentielle des droits.

Désormais, « Les droits ouvrent aujourd’hui tout prétexte aux revendications de la complaisance. Tout ce dont l’homme contemporain a besoin ou envie, tout ce qui lui paraît désirable ou souhaitable sans réflexion, devient l’objet d’un droit exigé. (…) Ce ne sont pas seulement les désirs ou même les caprices qui appellent des droits, mais les expressions de la sentimentalité instinctive, ou de l’indignation superficielle ». C’est « l’émotion égoïste ou généreuse » qui commande et réclame. La coutume aussi : « un droit finit par se justifier irrémédiablement pour avoir seulement une fois existé ». On assiste à « l’immortalisation des droits acquis ».⁠[3]

Ainsi, à partir des années 80, Il sera de plus en plus question d’inclure de nouveaux droits dans la Déclaration de 1948, comme le droit à l’avortement, à divers modèles de famille, à l’homosexualité⁠[4].

Dans la presse et dans l’édition, on assiste très souvent des revendications en tous sens. On se souvient peut-être du livre de Paul Lafargue, le gendre de Lénine qui défendait Le droit à la paresse. En 2003-2004, la campagne « Vivre ensemble »[5] avait choisi comme slogan : « La dignité j’y ai droit ! ». Citons encore en vrac : « Les voyagistes promettent d’assurer le droit au soleil »[6] ; « Allemagne : victoire pour le droit à uriner debout »[7] ; « Viagra féminin : les femmes aussi ont droit à l’orgasme ! »[8] ; « Accès à des personnes prostituées est un droit de l’homme ? Vraiment ? »[9] ; « Du droit de ne pas être né »[10] ; « Uriner est un droit fondamental »[11] ; « Une revendication : le « droit à l’oubli » »[12] ; le « Droit à l’indépendance »[13] ; « le droit au blasphème »[14] ; « le droit de porter des armes »[15] ; « la dépénalisation de l’inceste fraternel en débat »[16] ; « le droit au suicide assisté »[17] ; etc..

Guy Haarscher commente ainsi cette inflation : « On risque ce faisant tout d’abord d’affaiblir les droits de première génération en vidant le principe de l’égalité devant la loi de tout contenu, les exceptions se multipliant de façon inflationniste. En second lieu, on suscite inévitablement un processus d’arbitrage qui, à n’en pas douter, aura les effets les plus désastreux : comme on ne peut d’évidence satisfaire toutes ces demandes à la fois – exigences qui, rappelons-le, sont formulées en termes de droits de l’homme, […] -, il faut tout naturellement en refuser certaines, et de plus en plus au fur et à mesure que les revendications se font nombreuses. Dès lors on risque d’habituer le public au fait qu’après tout, les droits de l’homme ne constituent que des exigences catégorielles, et qu’il est donc tout à fait légitime de ne pas toujours les satisfaire. La conséquence en sera inéluctablement un affaiblissement de l’exigence initiale des droits de l’homme dans l’esprit des citoyens : on aura oublié que l’exigence première concernait la lutte contre l’arbitraire, que ce combat ne souffre pas d’exceptions, que la sûreté se trouve bafouée dans la plupart des pays du monde, et qu’en ce qui concerne cette dernière, nul accommodement n’est acceptable, aucun marchandage envisageable. [..] L’inflation des revendications exprimées dans le langage des libertés fondamentales les affaiblit à terme […]. »⁠[18]


1. Le souci contemporain, Editions Complexe, 1996, pp. 138 et svtes.
2. Id., pp.142-143. Jean-Paul II, dans SRS (27), parlant du développement, a dénoncé l’illusion entretenue par l’idéologie du progrès inspirée par la philosophie des lumières : « le développement n’est pas un processus linéaire, quasi automatique et par lui-)même illimité, comme si, à certaines conditions, le genre humain devait marcher rapidement vers une sorte de perfection indéfinie ».
3. DELSOL Chantal, op. cit., p. 142.
4. Cf. SCHOOYANS Michel, L’Évangile face au désordre mondial, Fayard, 1997, pp. 101-102 et DOUMBE-BILLE Stéphane (sous la direction de), Nouveaux droits et internationalisation du droit, Bruylant, 2012.
5. Association catholique belge de lutte contre l’exclusion sociale. L’action est certainement louable mais le slogan malheureux puisqu’il laisse croire que la dignité n’est pas inhérente à la personne. Il eût été plus juste de souhaiter, par exemple, « Que l’on respecte ma dignité ! ».
6. lefigaro, 11-7-2012.
7. lexpress.fr, 23-1-2015.
8. JournalDesFemmes.com, 7-11-2012.
9. Article de Caroline Norma, traduit par Charlotte R.-D., 23-5-2014.
10. La libre Belgique, 29-11-2001.
11. Vers l’Avenir, 14-1-2003.
12. openclassrooms.com, 7-9-2017. Il s’agit de l’« oubli » numérique.
13. Frédéric Bérard et Stéphane Beaulac, Essai, XYZ, 2015
14. contrepoints.og, 1-12-2015. Jacques Gaillot, évêque d’Evreux déclarait le 12-3-1989 au Club de la presse, à propos des Versets sataniques de Salman Rushdie (1988) et du film La dernière tentation du Christ de Martin Scorsese: « Il y a un droit au blasphème. Le sacré c’est l’Homme ». Caroline Fourest, auteur de l’« Eloge du blasphème » (Grasset, 2015) déclare: « Le droit au blasphème constitue notre bien le plus sacré », in Le Matin Dimanche, 3-5-2015.
15. Livre de Pierre Lemieux, Les belles Lettres, 1993.
16. Libération, 28-9-2014.
17. Le 21 janvier 2011, la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté ce droit dont l’État serait le garant.
18. HAARSCHER Guy, Philosophie des droits de l’homme, Ed. de l’Université de Bruxelles, 1993, pp. 44- GRAMSCI A. (1891-1927), The Modern Prince and Other Writtings, New York, 1957. Fondateur du Parti communiste italien.

⁢d. La relativisation

En Belgique, les parents des enfants disparus réclament le droit d’accéder aux dossiers judiciaires ; les transporteurs de fonds réclament le droit à la sécurité contre les agressions ; les riverains des aéroports s’insurgent contre le bruit au nom du droit au sommeil La référence aux droits de l’homme apparaît à nos contemporains comme un moyen de résistance et de critique vis-à-vis de toute politique, politique pourtant inscrite dans des lois qui sont le fruit d’un consensus démocratique. Se pose donc un problème : puisque le droit positif se veut autonome, pur reflet de la volonté du plus grand nombre, au nom de quoi, d’autres volontés minoritaires peuvent-elles s’élever contre lui ? De plus, comme toute autorité, en démocratie, trouve sa source dans la volonté du peuple, et s’exprime à travers un droit essentiellement positif donc révisable, l’évocation de droits de l’homme universels et immuables n’introduit-elle pas une contradiction ? Comme l’écrivait déjà Rousseau : « en tout état de cause, un peuple est toujours le maître de changer ses lois, même les meilleures ; cat, s’il lui plaît de se faire mal à lui-même, qui est-ce qui a droit de l’en empêcher ? «⁠[1]

La démocratie telle qu’elle est le plus souvent pratiquée aujourd’hui pose donc un problème qui a touché aussi les organisations internationales gardiennes des droits « inaliénables et imprescriptibles » (1948). En effet, certaines voix et non des moindres paraissent vouloir nuancer une telle qualification : « En tant que processus de synthèse, les droits de l’homme sont, par essence, des droits en mouvement. (…) Ils ont à la fois pour objet d’exprimer des commandements immuables et d’énoncer un moment de la conscience historique. Ils sont dons, tout ensemble, absolus et situés »[2].

On ne peut s’empêcher de penser à cette définition qu’Antonio Gramsci donnait de la nature humaine : « La nature humaine est la totalité des relations sociales historiquement déterminées. »[3]

On assiste aussi à une relativisation des droits par rapport au sexe, à l’âge, à la qualité de vie. Après les droits de l’enfant, il est question de plus en plus de droits de la femme⁠[4]. Il est question aussi définir des droits suivant l’état de la santé ou la situation économique des individus ou des populations.⁠[5]

Nous avons vu aussi que nombreux sont ceux qui parlent des droits de l’animal et de la nature. C’est aussi une manière de relativiser les droits de l’homme.

Laurent Fourquet, spécialiste en sciences sociales⁠[6] va plus loin. La morale aujourd’hui est dévalorisée car elle prétendait se construire sur des valeurs intangibles. Désormais, est « moral » si le mot peut encore s’employer, celui qui évolue « en permanence dans ses jugements, autrement dit » celui qui adapte « sans cesse ses jugements moraux au contexte nouveau, lui-même résultat des mentalités, pratiques et techniques nouvelles. » En réalité, nous assistons ainsi à « la subordination de la morale à la mode » c’est-à-dire à la vision du monde de « la bourgeoisie urbaine mondialisée » et à son intérêt. En définitive, « le succès, dans tout domaine, porte avec lui sa justification morale ». Est moral, ce qui est moderne. « Tout ce qui plaît, ce qui triomphe présentement dans la société […] est moral en soi, précisément parce qu’il plaît et triomphe. De même que dans le domaine des affaires et de la politique, le « succès » d’un homme ou d’une femme, c’est-à-dire en pratique l’accroissement de sa fortune ou d’une pratique rend cette opinion et cette pratique nécessairement juste. » Pour le moment, bien sûr. La société fait « du « succès », et donc, du pouvoir de l’opinion, la boussole ultime de ses choix décisifs. »[7] Comme quoi quand je pense faire ce que je veux, je n’ai qu’une illusion de liberté.⁠[8]


1. Du contrat social, Livre II, chap. 12.
2. BOUTROS-GHALI Boutros, Déclaration et Programme d’action de Vienne, juin 1993, cité in SCHOOYANS Michel, op. cit, p. 99.
3. Cité in DEBRAY Régis et BRICMONT Jean, A l’ombre des Lumières, Débat entre un philosophe et un scientifique, Odile jacob, 2003.
4. Il est clair qu’au nom du droit de la femme, on peut s’opposer au droit à la vie de l’enfant à naître.
5. Cf. SCHOOYANS M., op. cit., pp. 106-111.
6. Il a écrit notamment L’Ere du consommateur, Cerf, 2011 ; Le Moment M4, Comment l’économie devint une divinité mystérieuse, François Bourin, 2014 ; Le christianisme n’est pas un humanisme, Pierre-Guillaume de Roux, 2018.
7. Pourquoi tout ce qui plaît devient-il moral ?, sur aleteia.org, 8-11-2019.
8. CLOUSCARD Michel dans Le capitalisme de la séduction, Critique de la social-démocratie libertaire, Delga, 2009, parle plus radicalement d’un « dressage » par le capitalisme libéral sous couvert de libération.

⁢e. L’inculturation

Une forme particulière de relativisation est spécialement à la mode à la fin du XXe siècle suite à la reconnaissance de la diversité des cultures et à l’effacement du concept de culture universelle ou de culture humaniste.

La Déclaration de 1948 est le produit d’une culture précise, occidentale, marquée par des concepts gréco-latins et chrétiens et d’une époque traumatisée par une guerre mondiale. Que peut-elle signifier ou valoir pour l’homme d’une autre culture et d’une autre histoire ?.

Il est vrai que l’idée même des droits de l’homme, qu’on le veuille ou non, est née dans une culture qui a été profondément marquée par le christianisme et même si certaines formulations et même certains de ces droits sont tout à fait contraires au message chrétien⁠[1]. Les Déclarations de droits pourront paraître étranges à certains peuples comme les peuples asiatiques plus habitués à la proclamation des devoirs et des responsabilités⁠[2].

d’autres vont chercher à interpréter la problématique des droits à travers leur propre culture ou à en réécrire la déclaration en tenant compte de l’extrême diversité des modes de vie et de pensée.

Ainsi existe-t-il une Déclaration universelle des droits de l’homme en Islam proclamée par le Conseil islamique pour l’Europe, le 19 septembre 1981. Le fait même de rédiger une déclaration islamique révèle la volonté de marquer une différence avec la Déclaration de 1948, tout en évoquant par la forme et certaines affirmations les textes occidentaux. On a fait remarquer aussi que les traductions s’éloignaient parfois très sensiblement du texte arabe « comme si les versions en langues occidentales visaient à rassurer les non-musulmans et à leur exposer l’éthique islamique en des termes acceptables pour un esprit pénétré des principes modernes des droits de l’homme (bref, en termes laïques). La version arabe semble plutôt destinée à satisfaire des esprits habitués à une vision classiques de la Loi de l’Islam »[3].

Quoi qu’il en soit, cette déclaration est réellement et profondément islamique. Dès le préambule, il est affirmé que les « Droits de l’homme » ont été définis « par Loi divine » voici quatorze siècles.⁠[4] Cette Loi divine, la Sari’a⁠[5], mesure en fait tous les droits énumérés par la suite.

Quelques exemples. A propos du droit à la vie (Art. 1), « Tous les êtres humains constituent une même famille dont les membres sont unis par leur soumission à Dieu et leur appartenance à la postérité d’Adam. Tous les hommes, sans distinction de race, de couleur, de langue, de religion, de sexe, d’appartenance politique, de situation sociale ou de tout autre considération, sont égaux en dignité, en devoir et en responsabilité. La vraie foi, qui permet à l’homme de s’accomplir, est la garantie de la consolidation de cette dignité. (…) La vie de l’homme est sacrée (…) Et personne n’est autorisé à y porter atteinte (…). Ce caractère sacré ne saurait lui être retiré que par l’autorité de la Loi islamique et conformément aux dispositions qu’elle stipule à ce sujet ».

A propos de la femme (art. 6) : «  a) La femme est l’égale de l’homme au plan de la dignité humaine. Elle a autant de droits que de devoirs. Elle jouit de sa personnalité civile et de l’autonomie financière, ainsi que du droit de conserver son prénom et son patronyme.
b) La charge d’entretenir la famille et la responsabilité de veiller sur elle incombent au mari. »

A propos de la liberté de pensée, de croyance et de parole (Art.12): « Chaque personne a le droit de penser et de croire, et donc d’exprimer ce qu’elle pense et croit, sans que quiconque ne vienne s’y mêler ou le lui interdire, aussi longtemps qu’elle s’en tient dans les limites générales que la Loi islamique a stipulées en la matière ».

A propos du droit de fonder une famille (Art. 19) : « Chacun des époux a, vis-à-vis de l’autre, des droits et des devoirs équivalents, que la Loi islamique a particulièrement définis : « Les femmes ont des droits équivalents à leurs obligations, et conformément à l’usage. Les hommes ont cependant une prééminence sur elles » (2, 228). Il appartient au père d’assurer l’éducation de ses enfants, physiquement, moralement et religieusement, conformément à la croyance et à la Loi religieuse qui sont les siennes. Il a seul la responsabilité de choisir l’orientation qu’il entend donner à leur vie (…) ».

Pour qu’il n’y ait aucune ambigüité quant au rôle de la charria : Art. 19 d : « Il ne peut y avoir ni délit, ni peine, en l’absence de dispositions prévues par la charria. » Art. 24: « Tous les droits et libertés énoncés dans la présente déclaration sont soumis à la charria. » Art. 25: «  La Charria est l’unique référence pour l’explication ou l’interprétation de l’un quelconque des articles contenus dans la présente Déclaration. »

Notons qu’à côté de cette Déclaration, existe aussi une Charte arabe des droits de l’homme (2004) qui présente quelques sensibles différences. Voici quelques extraits:

« Préambule (extrait)

Rejetant toutes les formes de racisme et le sionisme qui constituent une violation des droits de l’homme et une menace pour la paix et la sécurité internationales, consciente du lien étroit existant entre les droits de l’homme et la paix et la sécurité internationales, réaffirmant les principes de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme et les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et tenant compte de la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam, les États parties au Pacte conviennent :

Article premier

La présente Charte vise, dans le cadre de l’identité nationale des États arabes et du sentiment d’appartenance à une civilisation commune, à réaliser les objectifs suivants : de ce qui suit :

Article 2

c) Toutes les formes de racisme, le sionisme, l’occupation et la domination étrangères constituent une entrave à la dignité de l’homme et un obstacle majeur à l’exercice des droits fondamentaux des peuples ; il est impératif de condamner leur pratique sous toutes ses formes et de veiller à leur élimination ;

Article 3

c) L’homme et la femme sont égaux sur le plan de la dignité humaine, des droits et des devoirs dans le cadre de la discrimination positive instituée au profit de la femme par la charia islamique et les autres lois divines et par les législations et les instruments internationaux. En conséquence, chaque État partie à la présente Charte s’engage à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la parité des chances et l’égalité effective entre l’homme et la femme dans l’exercice de tous les droits énoncés dans la présente Charte.

Article 6

La peine de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves conformément aux lois en vigueur au moment où le crime est commis et en vertu d’un jugement définitif rendu par un tribunal compétent. Toute personne condamnée à la peine de mort a le droit de solliciter la grâce ou l’allégement de sa peine.

Article 7

a) La peine de mort ne peut être prononcée contre des personnes âgées de moins de 18 ans sauf disposition contraire de la législation en vigueur au moment de l’infraction ;

b) La peine de mort ne peut être exécutée sur la personne d’une femme enceinte tant qu’elle n’a pas accouché ou d’une mère qui allaite que deux années après l’accouchement, dans tous les cas l’intérêt du nourrisson prime.

Article 30

b) La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ou de pratiquer individuellement ou collectivement les rites de sa religion ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société tolérante, respectueuse des libertés et des droits de l’homme pour la protection de la sûreté publique, de l’ordre public, de la santé publique ou de la moralité publique ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui ;

Article 43

Aucune disposition de la présente Charte ne sera interprétée de façon à porter atteinte aux droits et aux libertés protégés par les lois internes des États parties ou énoncés dans les instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme que les États parties ont adoptés ou ratifiés, y compris les droits de la femme, de l’enfant et des personnes appartenant à des minorités. »[6]

Le danger est que chaque communauté ait sa déclaration

A l’opposé de ces déclarations très inculturées, certains veulent, au contraire, ouvrir la Déclaration de 1948 à toutes les cultures. Ils tentent de concilier une certaine universalité avec l’infinie diversité humaine. « Il n’est de vérité que relative, écrit Joseph Yacoub[⁠[7], fût-elle celle des droits de l’homme. S’il est vrai que les droits de l’homme ont pour fondement des valeurs essentielles, intrinsèquement inhérentes à tous les hommes et à toutes les cultures, il n’en demeure pas moins qu’elles se déclinent différemment et relèvent de civilisations qui ont des conceptions du monde, d’un dieu, de la société ou de l’homme fort différentes ». Dès lors, l’auteur propose une réécriture de la Déclaration. Ainsi, l’article premier deviendrait : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits dans la diversité des civilisations, le pluralisme des cultures et la relativité des valeurs. L’universalisme s’acquiert. c’est une conquête et il est la synthèse et le dépassement d’une pluralité de singularités culturelles et de valeurs.

Ils ont des droits individuels, des droits collectifs et des droits communautaires, qui sont indivisibles, interdépendants et intimement liés. Aucun de ces droits n’occupe une position prééminente par rapport aux autres. Les droits civils et politiques ne sauraient être dissociés des droits économiques, sociaux et culturels. La personne est à la fois individu et communauté. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». Sont en italiques les additions de Yacoub. Elles révèlent en fait une double relativisation : d’une part, dans la volonté, comme nous avons dit, de permettre à toute culture de se retrouver dans cette nouvelle version mais d’autre part aussi dans le refus de hiérarchiser les droits⁠[8].

Vu l’abondance et la gravité des critiques émises, on pourrait se demander si la référence aux droits de l’homme n’est pas à abandonner. Peu osent défendre ouvertement cette position extrême, aux antipodes de la sensibilité contemporaine très attachée à ces droits, comme nous l’avons vu.

Mais, comment marier concrètement le désir d’une certaine universalité, le respect de la pluralité des cultures et de ce que Yacoub appelle « la relativité/universalité des valeurs »[9] ? Tous les droits sont-ils vraiment sur le même plan d’importance et de dignité ?


1. On peut lire, par exemple, QUANTIN J.-L., Aux origines religieuses de la devise républicaine, in Communio, XIV, 3-4, mai-août 1989, pp. 23-33.
2. Cf. JOBLIN J., op. cit., pp. 11-12.
3. MERAD Ali, Le concept des droits de l’homme en Islam : réflexions sur la Déclaration islamique universelle des droits de l’homme, Etudes islamiques, n°9, 1985, pp. 243-260, cité in BORRMANS Maurice, Droits de l’homme et dialogue islamo-chrétien, in Droits de Dieu et droits de l’homme, op. cit. pp. 114-115.
4. « Réaffirmant le rôle civilisateur et historique de la Ummah [communauté] islamique, dont Dieu a fait la meilleure Communauté ; qui a légué à l’humanité une civilisation universelle et équilibrée, conciliant la vie ici-bas et l’Au-delà, la science et la foi ; une communauté dont on attend aujourd’hui qu’elle éclaire la voie de l’humanité, tiraillée entre tant de courants de pensées et d’idéologies antagonistes, et apporte des solutions aux problèmes chroniques de la civilisation matérialiste ; Soucieux de contribuer aux efforts déployés par l’humanité pour faire valoir les droits de l’homme dans le but de la protéger contre l’exploitation et la persécution, et d’affirmer sa liberté et son droit à une vie digne, conforme à la Charria ; Conscients que l’humanité, qui a réalisé d’immenses progrès sur le plan matériel, éprouve et éprouvera le besoin pressant d’une profonde conviction religieuse pour soutenir sa civilisation, et d’une barrière pour protéger ses droits ; Convaincus que, dans l’Islam, les droits fondamentaux et les libertés publiques font partie intégrante de la Foi islamique, et que nul n’a, par principe, le droit de les entraver, totalement ou partiellement, de les violer ou les ignorer, car ces droits sont des commandements divins exécutoires, que Dieu a dicté dans ses Livres révélés et qui constituent l’objet du message dont il a investi le dernier de ses prophètes en vue de parachever les messages célestes, de telle sorte que l’observance de ces commandements soit un signe de dévotion ; leur négation, ou violation constitue un acte condamnable au regard de la religion ; et que tout homme en soit responsable individuellement, et la communauté collectivement ; Se fondant sur ce qui précède, déclarent ce qui suit : .. ».
5. La Sari’a « rassemble les ordonnances tirées du Coran et de la Sunna (les « paroles » et les « gestes » que l’on attribue à Muhammad) et les dispositions élaborées à partir de ces deux sources par les diverses méthodes agréées par la « théorie du droit » dans les diverses Ecoles juridiques de l’Islam » (BORRMANS M., op. cit., p. 122, n°1).
6. Il existe aussi une Charte des musulmans d’Europe d’inspiration sunnite qui reconnaît les droits de l’homme, l’égalité homme-femme, la laïcité de l’État et les règles démocratiques, qui prône le dialogue et la coopération, l’engagement politique, l’intégration dans le respect de leur identité musulmane, qui condamne le terrorisme. Les musulmans qui adhèrent à cette charte veulent sauvegarder « leur appartenance à la nation de l’Islam (la Oummah) » et « consolider cette relation afin qu’elle devienne un pont solide entre l’Europe et le Monde musulman » (art. 16). Ils affirment leur droit « de construire leurs mosquées et leurs propres institutions cultuelles, éducatives et sociales […​] de pratiquer leur culte et de se conformer aux prescriptions de leur religion dans leur vie quotidienne en ce qui concerne leur façon de s’alimenter ou de s’habiller entre autre. » (Art. 18). Le document rappelle l’importance de la Charia aussi bien pour « le culte que les actes de la vie courante. » (Art. 3)
7. YACOUB Joseph (né en 1944), Réécrire la Déclaration universelle des droits de l’homme, Provocation, Desclée de Brouwer, 1998, pp. 10-11. Politologue et historien d’origine assyrienne, professeur émérite de l’Université catholique de Lyon. L’auteur se plaît à souligner les faiblesses de la Déclaration de 1948 : la contradiction entre devoir d’ingérence et souveraineté nationale, une mauvaise évaluation des situations, l’absence de suites, le droit de réserve, de dérogation, d’amendement, d’annulation, de révision et de dénonciation, la faiblesse des comités, la lenteur des ratifications, l’absence de rapports des États ou la lenteur de leur transmission, le non respect des droits, l’effacement des devoirs, etc..
8. Cette position est aux antipodes de la conception chrétienne comme de la tradition philosophique occidentale. Elle est très caractéristique des préoccupations légitimes du tiers-monde, et de la hantise écologique mais elle aboutit à la dilution de ce qui fonde vraiment la dignité humaine. Voici comment Yacoub justifie son refus de hiérarchie: « d’autres thèmes et problèmes sont apparus (…) Et se sont imposés, comme le droit des peuples, les minorités, les peuples autochtones, la décolonisation, le traitement différencié, l’autonomie, le droit à la terre, des questions d’ordre bioéthique, l’importance des devoirs, la biodiversité culturelle, la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, la diversité biologique, l’altération du climat mondial, le lien entre développement et démocratie, le développement durable, le respect et la protection de l’environnement, l’interdépendance et l’indissociabilité du développement et d’un environnement sain et équilibré, al conservation globale des écosystèmes, la pollution et la qualité de l’air, la protection de la couche d’ozone stratosphérique, l’érosion des sols et la désertification croissante, l’environnement terrestre, la pénurie et la mauvaise qualité de l’eau, la déforestation, le surarmement nucléaire, la protection des mers, la préservation de l’espèce humaine, les dimensions planétaires de l’activité humaine, la sauvegarde du patrimoine architectural et archéologique, les responsabilités des générations présentes envers les générations futures, la pauvreté et l’exclusion, le racisme, le progrès scientifique et la responsabilité éthique, les inquiétudes sur le patrimoine génétique humain.
   Aujourd’hui, on est convaincu que l’exercice des droits fondamentaux, la démocratie, le développement et l’environnement sont inconditionnellement et indissociablement liés.
   Aussi peut-on parler de malaise dans le discours classique des droits de l’homme.
   Les problèmes sont aujourd’hui par nature internationaux. A l’état d’indépendance et de cohabitation, une approche commune et globale s’impose d’ores et déjà, celle de l’interdépendance ». Conclusion très logique de l’auteur : « Les nouveaux droits de l’homme font implicitement le procès d’une philosophie et d’une théologie de l’homme et d’un mode de civilisation » (Op. cit., pp. 72-74).
9. Op. cit., p. 51.