Une forme particulière de relativisation est spécialement à la mode à la
fin du XXe siècle suite à la reconnaissance de la diversité des cultures
et à l’effacement du concept de culture universelle ou de culture
humaniste.
La Déclaration de 1948 est le produit d’une culture précise,
occidentale, marquée par des concepts gréco-latins et chrétiens et d’une
époque traumatisée par une guerre mondiale. Que peut-elle signifier ou
valoir pour l’homme d’une autre culture et d’une autre histoire ?.
Il est vrai que l’idée même des droits de l’homme, qu’on le veuille ou
non, est née dans une culture qui a été profondément marquée par le
christianisme et même si certaines formulations et même certains de ces
droits sont tout à fait contraires au message
chrétien. Les Déclarations de droits
pourront paraître étranges à certains peuples comme les peuples
asiatiques plus habitués à la proclamation des devoirs et des
responsabilités.
d’autres vont chercher à interpréter la problématique des droits à
travers leur propre culture ou à en réécrire la déclaration en tenant
compte de l’extrême diversité des modes de vie et de pensée.
Ainsi existe-t-il une Déclaration universelle des droits de l’homme en
Islam proclamée par le Conseil islamique pour l’Europe, le 19 septembre
1981. Le fait même de rédiger une déclaration islamique révèle la
volonté de marquer une différence avec la Déclaration de 1948, tout en
évoquant par la forme et certaines affirmations les textes occidentaux.
On a fait remarquer aussi que les traductions s’éloignaient parfois très
sensiblement du texte arabe « comme si les versions en langues
occidentales visaient à rassurer les non-musulmans et à leur exposer
l’éthique islamique en des termes acceptables pour un esprit pénétré des
principes modernes des droits de l’homme (bref, en termes laïques). La
version arabe semble plutôt destinée à satisfaire des esprits habitués à
une vision classiques de la Loi de l’Islam ».
Quoi qu’il en soit, cette déclaration est réellement et profondément
islamique. Dès le préambule, il est affirmé que les « Droits de l’homme »
ont été définis « par Loi divine » voici quatorze
siècles. Cette Loi
divine, la Sari’a, mesure en fait tous les droits
énumérés par la suite.
Quelques exemples. A propos du droit à la vie (Art. 1), « Tous les êtres
humains constituent une même famille dont les membres sont unis par leur
soumission à Dieu et leur appartenance à la postérité d’Adam. Tous les
hommes, sans distinction de race, de couleur, de langue, de religion, de
sexe, d’appartenance politique, de situation sociale ou de tout autre
considération, sont égaux en dignité, en devoir et en responsabilité. La
vraie foi, qui permet à l’homme de s’accomplir, est la garantie de la
consolidation de cette dignité. (…) La vie de l’homme est sacrée
(…) Et personne n’est autorisé à y porter atteinte (…). Ce
caractère sacré ne saurait lui être retiré que par l’autorité de la Loi
islamique et conformément aux dispositions qu’elle stipule à ce sujet ».
A propos de la femme (art. 6) : « a) La femme est l’égale de l’homme au
plan de la dignité humaine. Elle a autant de droits que de devoirs. Elle
jouit de sa personnalité civile et de l’autonomie financière, ainsi que
du droit de conserver son prénom et son patronyme.
b) La charge d’entretenir la famille et la responsabilité de veiller sur
elle incombent au mari. »
A propos de la liberté de pensée, de croyance et de parole (Art.12):
« Chaque personne a le droit de penser et de croire, et donc d’exprimer
ce qu’elle pense et croit, sans que quiconque ne vienne s’y mêler ou le
lui interdire, aussi longtemps qu’elle s’en tient dans les limites
générales que la Loi islamique a stipulées en la matière ».
A propos du droit de fonder une famille (Art. 19) : « Chacun des époux a,
vis-à-vis de l’autre, des droits et des devoirs équivalents, que la Loi
islamique a particulièrement définis : « Les femmes ont des droits
équivalents à leurs obligations, et conformément à l’usage. Les hommes
ont cependant une prééminence sur elles » (2, 228). Il appartient au père
d’assurer l’éducation de ses enfants, physiquement, moralement et
religieusement, conformément à la croyance et à la Loi religieuse qui
sont les siennes. Il a seul la responsabilité de choisir l’orientation
qu’il entend donner à leur vie (…) ».
Pour qu’il n’y ait aucune ambigüité quant au rôle de la charria : Art. 19
d : « Il ne peut y avoir ni délit, ni peine, en l’absence de dispositions
prévues par la charria. » Art. 24: « Tous les droits et libertés énoncés
dans la présente déclaration sont soumis à la charria. » Art. 25: « La
Charria est l’unique référence pour l’explication ou l’interprétation de
l’un quelconque des articles contenus dans la présente Déclaration. »
Notons qu’à côté de cette Déclaration, existe aussi une Charte arabe des
droits de l’homme (2004) qui présente quelques sensibles différences.
Voici quelques extraits:
Rejetant toutes les formes de racisme et le sionisme qui constituent
une violation des droits de l’homme et une menace pour la paix et la
sécurité internationales, consciente du lien étroit existant entre les
droits de l’homme et la paix et la sécurité internationales, réaffirmant
les principes de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration
universelle des droits de l’homme et les dispositions du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et
tenant compte de la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en
Islam, les États parties au Pacte conviennent :
La présente Charte vise, dans le cadre de l’identité nationale des
États arabes et du sentiment d’appartenance à une civilisation commune,
à réaliser les objectifs suivants : de ce qui suit :
c) Toutes les formes de racisme, le sionisme, l’occupation et la
domination étrangères constituent une entrave à la dignité de l’homme et
un obstacle majeur à l’exercice des droits fondamentaux des peuples ; il
est impératif de condamner leur pratique sous toutes ses formes et de
veiller à leur élimination ;
c) L’homme et la femme sont égaux sur le plan de la dignité humaine,
des droits et des devoirs dans le cadre de la discrimination positive
instituée au profit de la femme par la charia islamique et les autres
lois divines et par les législations et les instruments internationaux.
En conséquence, chaque État partie à la présente Charte s’engage à
prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la parité des
chances et l’égalité effective entre l’homme et la femme dans l’exercice
de tous les droits énoncés dans la présente Charte.
La peine de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus
graves conformément aux lois en vigueur au moment où le crime est commis
et en vertu d’un jugement définitif rendu par un tribunal compétent.
Toute personne condamnée à la peine de mort a le droit de solliciter la
grâce ou l’allégement de sa peine.
a) La peine de mort ne peut être prononcée contre des personnes âgées
de moins de 18 ans sauf disposition contraire de la législation en
vigueur au moment de l’infraction ;
b) La peine de mort ne peut être exécutée sur la personne d’une femme
enceinte tant qu’elle n’a pas accouché ou d’une mère qui allaite que
deux années après l’accouchement, dans tous les cas l’intérêt du
nourrisson prime.
b) La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ou de
pratiquer individuellement ou collectivement les rites de sa religion ne
peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui
sont nécessaires dans une société tolérante, respectueuse des libertés
et des droits de l’homme pour la protection de la sûreté publique, de
l’ordre public, de la santé publique ou de la moralité publique ou des
libertés et droits fondamentaux d’autrui ;
Aucune disposition de la présente Charte ne sera interprétée de façon à
porter atteinte aux droits et aux libertés protégés par les lois
internes des États parties ou énoncés dans les instruments
internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme que les États
parties ont adoptés ou ratifiés, y compris les droits de la femme, de
l’enfant et des personnes appartenant à des minorités. »
Le danger est que chaque communauté ait sa déclaration
A l’opposé de ces déclarations très inculturées, certains veulent, au
contraire, ouvrir la Déclaration de 1948 à toutes les cultures. Ils
tentent de concilier une certaine universalité avec l’infinie diversité
humaine. « Il n’est de vérité que relative, écrit Joseph
Yacoub[, fût-elle celle des droits de
l’homme. S’il est vrai que les droits de l’homme ont pour fondement des
valeurs essentielles, intrinsèquement inhérentes à tous les hommes et à
toutes les cultures, il n’en demeure pas moins qu’elles se déclinent
différemment et relèvent de civilisations qui ont des conceptions du
monde, d’un dieu, de la société ou de l’homme fort différentes ». Dès
lors, l’auteur propose une réécriture de la Déclaration. Ainsi,
l’article premier deviendrait : « Tous les êtres humains naissent libres
et égaux en dignité et en droits dans la diversité des civilisations,
le pluralisme des cultures et la relativité des valeurs. L’universalisme
s’acquiert. c’est une conquête et il est la synthèse et le dépassement
d’une pluralité de singularités culturelles et de valeurs.
Ils ont des droits individuels, des droits collectifs et des droits
communautaires, qui sont indivisibles, interdépendants et intimement
liés. Aucun de ces droits n’occupe une position prééminente par rapport
aux autres. Les droits civils et politiques ne sauraient être dissociés
des droits économiques, sociaux et culturels. La personne est à la fois
individu et communauté. Ils sont doués de raison et de conscience et
doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».
Sont en italiques les additions de Yacoub. Elles révèlent en fait une
double relativisation : d’une part, dans la volonté, comme nous avons
dit, de permettre à toute culture de se retrouver dans cette nouvelle
version mais d’autre part aussi dans le refus de hiérarchiser les
droits.
Vu l’abondance et la gravité des critiques émises, on pourrait se
demander si la référence aux droits de l’homme n’est pas à abandonner.
Peu osent défendre ouvertement cette position extrême, aux antipodes de
la sensibilité contemporaine très attachée à ces droits, comme nous
l’avons vu.
Mais, comment marier concrètement le désir d’une certaine universalité,
le respect de la pluralité des cultures et de ce que Yacoub appelle « la
relativité/universalité des valeurs » ? Tous les droits sont-ils vraiment sur le même plan d’importance et
de dignité ?